👁🗨 Pourquoi la perspective d’un cessez-le-feu inquiète-t-il tant les Israéliens ?
Mettre fin à la guerre de Gaza, c'est reconnaître que les objectifs militaires d'Israël étaient irréalistes - et qu'il ne peut échapper à un processus politique avec les Palestiniens.
👁🗨 Pourquoi la perspective d’un cessez-le-feu inquiète-t-il tant les Israéliens ?
Par Meron Rapoport, le 29 mars 2024
La décision américaine de ne pas opposer son veto à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU exigeant un cessez-le-feu immédiat à Gaza - la première fois depuis le début de la guerre qu'ils ont permis l'adoption d'une telle résolution - a provoqué une onde de choc en Israël. L'annulation par Benjamin Netanyahu d'une réunion prévue entre Israël et l'administration Biden à Washington n'a fait qu'accroître l'impression qu'Israël est isolé sur la scène internationale, et que M. Netanyahu met en péril l'atout essentiel du pays : son alliance avec les États-Unis.
Pourtant, bien que la gestion de ces questions sensibles par M. Netanyahou ait fait l'objet de nombreuses critiques, même ses opposants - tant dans le camp “libéral” que dans celui de la droite modérée - ont été unanimes dans leur rejet du vote de l'ONU. Yair Lapid, chef du parti d'opposition Yesh Atid, a déclaré que la résolution devenait “dangereuse, injuste et qu'Israël ne l'accepterait pas”. Le ministre Hili Tropper, proche allié de Benny Gantz, le rival de Netanyahou - qui, selon les sondages, l'emporterait largement si des élections avaient lieu aujourd'hui - a déclaré : “La guerre ne doit pas cesser”. Ces commentaires ne diffèrent guère des réactions de colère de leaders d'extrême droite tels que Bezalel Smotrich ou Itamar Ben Gvir.
Ce rejet quasi unanime d'un cessez-le-feu reflète le soutien de la majorité à l'invasion de la ville de Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, même si M. Netanyahou ne garantit plus que l'opération aboutira à la “victoire totale” promise à grand renfort de déclarations.
S'opposer à un cessez-le-feu peut sembler suspect aux yeux de certains. De nombreux Israéliens pensent que M. Netanyahou poursuit la guerre pour servir ses intérêts politiques et personnels. Les familles des otages israéliens, par exemple, se montrent de plus en plus critiques envers les tergiversations de M. Netanyahou et multiplient les appels à un “accord immédiat”.
Même au sein de l'establishment sécuritaire israélien, nombreux sont ceux qui disent ouvertement que “l'élimination du Hamas” n'est pas un objectif réalisable. “Dire qu'un jour la victoire sera totale à Gaza est un mensonge absolu”, a récemment déclaré l'ancien porte-parole des forces de défense israéliennes, Ronen Manelis.
“Israël ne peut pas éliminer complètement le Hamas avec une opération d’à peine quelques mois”.
Alors, si la conviction que Netanyahou poursuit la guerre pour des intérêts personnels se renforce, si l'inutilité de continuer la guerre devient toujours plus évidente, aussi bien pour renverser le Hamas que pour libérer les otages, s'il est clair que poursuivre les opérations risque de nuire aux relations avec les Etats-Unis, comment expliquer le consensus en Israël autour du “danger” d'un cessez-le-feu ?
Questions fondamentales
L'une des explications est le traumatisme infligé par l'attaque du Hamas du 7 octobre. De nombreux Israéliens se disent que, tant que le Hamas existe et bénéficie d'un soutien populaire, il n'y a pas d'alternative à la guerre. Une deuxième explication tient au talent rhétorique indéniable de Netanyahou qui, malgré sa fragilité politique, a réussi à faire croire au slogan de la “victoire totale” même auprès de ceux qui ne croient pas un mot de ce qu'il dit, et de ceux qui comprennent, consciemment ou non, que cette victoire est impossible.
Mais il y a une autre explication. Jusqu'au 6 octobre, le consensus au sein du public juif-israélien voulait que la “question palestinienne” ne les préoccupe pas trop. Le 7 octobre a brisé ce mythe. La “question palestinienne” est revenue sur le devant de la scène, dans toute son horreur.
Deux réponses ont été ostensiblement apportées en réponse au statu quo : un arrangement politique reconnaissant véritablement la présence d'un autre peuple sur cette terre et son droit à une vie digne et libre, ou une guerre d'extinction contre les ennemis de l'autre côté du mur. Le public juif, qui n'a jamais vraiment assimilé la première option, a choisi la seconde.
Dans cette optique, l'idée même d'un cessez-le-feu lui semble menaçante. Elle obligerait le public juif à reconnaître que les objectifs présentés par Netanyahou et l'armée - “renverser le Hamas” et libérer les otages par voie de pression militaire - sont tout simplement irréalistes. L'opinion publique devra concéder ce qui sera peut-être perçu comme un échec, voire une défaite, face au Hamas. Après le traumatisme et l'humiliation du 7 octobre, il est difficile pour beaucoup de digérer une telle défaite.
Mais une menace plus sérieuse pèse sur le pays. Un cessez-le-feu pourrait contraindre le public juif à se confronter à des questions plus fondamentales. Si le statu quo ne fonctionne pas et qu'une guerre constante avec les Palestiniens ne permet pas d'obtenir la victoire souhaitée, alors seule la vérité demeure : le seul moyen pour les Juifs de vivre en sécurité est de parvenir à un compromis politique qui respecte les droits des Palestiniens.
Le rejet total du cessez-le-feu et son interprétation comme étant une menace pour Israël indiquent que nous sommes encore loin de reconnaître cette vérité. Mais, paradoxalement, nous en sommes peut-être plus proches que nous ne le pensons. En 1992, lorsque les Israéliens ont dû choisir entre une rupture avec les États-Unis - en raison du refus du Premier ministre de l'époque, Yitzhak Shamir, d'accepter les grandes lignes présentées par les Américains pour les pourparlers avec les Palestiniens - et un apaisement de la situation, ils ont opté pour la seconde option. Yitzhak Rabin a été élu premier ministre et, un an plus tard, les accords d'Oslo ont été signés.
La rupture actuelle avec l'administration américaine [ndlr : toute relative compte tenu de l’annonce d’une nouvelle livraison d’armes par Biden à Israël] convaincra-t-elle les Juifs israéliens d'abandonner l'idée d'une guerre perpétuelle et d'accepter de donner une chance à un accord politique avec les Palestiniens ? La réponse est très aléatoire. Mais ce qui est certain, c'est qu'Israël se rapproche à grands pas d'un seuil où il devra choisir : un cessez-le-feu et la possibilité d'un dialogue avec les Palestiniens, ou une guerre sans fin ou une guerre sans fin et une mise au ban de la communauté internationale comme elle n'en a jamais connu. Car l'option d'un retour en arrière, au statu quo du 6 octobre, est manifestement inenvisageable.
Cet article a été publié en partenariat avec The Nation et Local Call.