đâđš Pourquoi le Hamas a sans doute dĂ©jĂ gagnĂ©
La cohésion affichée par Israël depuis le 7 octobre commence à s'effriter. Netanyahou, déjà sur la sellette avant l'attaque du Hamas, se retrouve aujourd'hui dans une posture encore plus précaire.

đâđš Pourquoi le Hamas a sans doute dĂ©jĂ gagnĂ©
Par Richard Silverstein, le 5 janvier 2024
Le Hamas n'est pas seulement une entité militaire - mais un mouvement synonyme de la lutte palestinienne. Et ce mouvement ne sera jamais détruit.
Le 7 octobre, le Hamas a monté une opération audacieuse et désespérée au cours de laquelle il a envahi le sud d'Israël et occupé une vingtaine de villes et de kibboutzim, tuant 1 140 personnes.
Cet assaut aérien, terrestre et maritime soigneusement coordonné par le Hamas, proscrit en tant qu'organisation terroriste au Royaume-Uni et dans d'autres pays, a été d'une ampleur écrasante. Il a stupéfié Israël et le monde entier.
AprÚs plus d'un an de planification et d'entraßnement, un millier de combattants ont percé le bouclier défensif d'un milliard de dollars qu'Israël avait laborieusement érigé autour de Gaza pendant plus d'une décennie.
Cet assaut a montrĂ© Ă tous que toutes les technologies sophistiquĂ©es du monde peuvent ĂȘtre vaincues par une petite force de guĂ©rilla utilisant la surveillance, la planification et de tactiques dispersĂ©es sur le champ de bataille.
Le Hamas a brisé les mesures de sécurité que les Israéliens ont cru impénétrables. Il a réduit à néant toutes les hypothÚses que les services de renseignement militaire israéliens avaient formulées au sujet du Hamas.
Le Shin Bet et l'armée israélienne estimaient avec suffisance que le Hamas avait trop à perdre pour monter une opération d'envergure contre Israël, qu'il était plus intéressé par le maintien de son autorité sur Gaza que par une entrée en guerre. Ils avaient tout faux.
Rébellion contre le pouvoir
Israël et son siÚge de Gaza, en vigueur depuis 17 ans, ont réduit les habitants de la bande de Gaza au désespoir. La plupart d'entre eux ont perdu tout espoir d'une vie meilleure, d'un avenir meilleur. Ils vivent, mais à la merci des autres.
Les attaques étaient une rébellion contre la destinée, une proclamation que le peuple palestinien, quel qu'en soit le prix, combattra ses oppresseurs.
Le monde, lui aussi, semblait s'ĂȘtre dĂ©sintĂ©ressĂ© de la Palestine. Les Ătats-Unis avaient conçu les accords Abraham avec quatre Ătats arabes auparavant acquis Ă la cause palestinienne.
Jusqu'à l'attentat du 7 octobre, l'administration Biden avait courtisé l'Arabie saoudite pour qu'elle rejoigne le quartet. Elle l'aurait probablement fait. Mais le Hamas a réduit à néant l'une des rares réalisations régionales du président américain Joe Biden.
Les Palestiniens occupent à nouveau le devant de la scÚne. Ils ont forcé le monde à faire face à leur situation critique. Ils ont revendiqué leurs droits.
L'attentat du 7 octobre a rappelé à tous que les Palestiniens sont irréductibles et qu'ils ne se laisseront pas faire sans réagir, et que les ignorer a un coût effroyable.
L'invasion sanglante par Israël, qui a coûté la vie à plus de 22 000 Palestiniens (et plus encore chaque jour), a dévasté la perception d'Israël dans le monde.
Au lieu d'ĂȘtre perçu comme une dĂ©mocratie et un innovateur technologique, le monde voit dĂ©sormais en IsraĂ«l un rĂ©gime sanguinaire et gĂ©nocidaire.
Le Hamas a une fois de plus supplanté l'Autorité palestinienne en tant que porte-drapeau du nationalisme palestinien. Le Fatah n'est plus qu'un collaborateur corrompu de l'ennemi israélien.
Le Hamas a frappé un grand coup, rappelant aux Palestiniens que la résistance armée, quel qu'en soit le prix, est tout ce que le monde comprend.
La guerre sur deux fronts
Le Hamas a renforcĂ© la position de l'Iran et de son axe de rĂ©sistance, qui a lancĂ© des attaques contre les intĂ©rĂȘts militaires et commerciaux des Ătats-Unis et d'IsraĂ«l, de l'Irak au YĂ©men.
IsraĂ«l est dĂ©sormais confrontĂ© Ă la guerre sur deux fronts : Ă Gaza et dans le nord du pays contre le Hezbollah. Ce dernier est un ennemi encore plus redoutable que le Hamas. Des escarmouches et des attaques israĂ©liennes ont eu lieu non seulement contre le Hezbollah, mais aussi contre des positions de l'armĂ©e libanaise, suscitant dans ce dernier cas des critiques de la part des Ătats-Unis.
L'armée israélienne a délibérément attaqué les journalistes qui couvraient le conflit, tuant plus d'une centaine d'entre eux, dans le cadre d'un effort systématique visant à éliminer les journalistes qui documentent les crimes israéliens.
Au Yémen, les Houthis, alliés de l'Iran, ont lancé une série d'attaques au missile contre des navires à destination d'Israël sur les voies maritimes de la mer Rouge.
Les navires de guerre américains ont attaqué les bateaux des Houthis et abattu des missiles au Yémen et fait face à des attaques en Syrie et en Irak.
Bien que les Ătats-Unis ne veuillent pas se laisser entraĂźner dans un conflit rĂ©gional prolongĂ©, leur soutien sans faille Ă IsraĂ«l les a inĂ©vitablement impliquĂ©s dans ce qu'ils cherchent Ă Ă©viter.
Quand on ne veut pas ĂȘtre entraĂźnĂ© par un alliĂ© qui poursuit des intĂ©rĂȘts que vous ne partagez pas, vous devez lui faire prendre conscience des limites de la relation. Biden a refusĂ©, au prix d'un sacrifice politique.
Soutenir le génocide israélien laisse présager la possibilité bien réelle qu'il soit évincé de la Maison Blanche en 2024 et remplacé par un président qui ne se contentera pas de défendre Israël, mais qui encouragera son aventurisme militaire le plus dangereux.
Le prix fort
L'attaque contre IsraĂ«l a montrĂ© que ni le Hamas, ni les Palestiniens en gĂ©nĂ©ral, ne croient en la chimĂšre d'une solution Ă deux Ătats. Tant que le monde continuera Ă soutenir ce mythe comme s'il allait se ranimer par un coup de baguette magique, le Hamas le dĂ©noncera pour le mensonge qu'il est.
Tous les Palestiniens savent qu'il n'y a aucun espoir de crĂ©ation d'un Ătat palestinien. IsraĂ«l s'y oppose avec vĂ©hĂ©mence. MĂȘme les partis israĂ©liens dits modĂ©rĂ©s refusent d'aborder la question, et encore moins de l'approuver. Le simple fait de parler des Palestiniens avec un minimum de respect condamne toute personnalitĂ© politique Ă ĂȘtre tournĂ©e en dĂ©rision et Ă sombrer dans l'oubli politique.
Les Palestiniens n'attendent pas grand-chose non plus des Ătats-Unis ou des Ătats europĂ©ens. Ils savent qu'aucun d'entre eux n'est prĂȘt Ă investir le capital politique nĂ©cessaire pour vaincre la rĂ©sistance israĂ©lienne.
Selon tous les critÚres de référence en matiÚre de conflit armé, Israël est en train de gagner sa guerre contre Gaza. Il a tué environ 8 000 combattants du Hamas (sur 30 000).
Mais en prÚs de trois mois, il a éliminé moins de 25 % des forces militaires du Hamas. L'armée israélienne a détruit des kilomÚtres de tunnels du Hamas, mais il est trÚs loin d'avoir éliminé les 300 kilomÚtres de leurs repaires souterrains, et elle refuse d'y envoyer ses soldats sous peine d'en payer le prix fort.
Il a mis en place un siĂšge, Ă la fois pour punir les Palestiniens de Gaza et pour faire pression sur le Hamas : rendre la vie dure, voire impossible. Elle est virtuellement maĂźtresse de la terre, de la mer et de l'air qui entourent l'enclave. Elle opĂšre partout relativement librement.
Tout cela à un coût élevé : 500 soldats israéliens tués et plus de 5 000 blessés, dont beaucoup souffrent d'amputations et d'autres handicaps graves.
Israël est en train de perdre la guerre
Pourtant, IsraĂ«l est toujours en train de perdre la guerre. Il est peut-ĂȘtre contre-intuitif de dire cela, mais IsraĂ«l ne peut en aucun cas gagner la guerre qu'il a commencĂ©e. Tout ce que le Hamas a Ă faire pour gagner, c'est de survivre.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré à plusieurs reprises que l'objectif de son pays était d'éliminer le Hamas. M. Biden a apporté son soutien à cet objectif.
Les dirigeants israĂ©liens savent qu'il n'y a qu'un seul moyen d'y parvenir : ils devront Ă©liminer ou expulser l'ensemble de la population de Gaza. Non seulement le ministĂšre du renseignement a publiĂ© un plan pour y parvenir en expulsant les Palestiniens vers le dĂ©sert du SinaĂŻ, mais le secrĂ©taire d'Ătat amĂ©ricain Antony Blinken s'est Ă©galement rendu au Moyen-Orient pour prĂ©senter Ă l'Ăgypte et Ă la Jordanie le plan concoctĂ© par les IsraĂ©liens.
Ces pays l'ont à leur tour rejeté catégoriquement. Deux députés israéliens ont publié dans le Wall Street Journal un plan visant à expulser tous les Palestiniens de Gaza vers les pays arabes et musulmans de la région. Ce plan n'a pas été mieux accueilli.
Israël n'éliminera pas les Palestiniens de Gaza, pas plus qu'il n'éliminera le Hamas. Tous les discours de Netanyahou et de Biden ne sont que de l'esbroufe - des promesses impossibles à tenir.
Voilà un aspect de la tragédie de ce conflit. Personne ne parle ni franchement, ni clairement. Tout le monde se fait des illusions en espérant que, d'une maniÚre ou d'une autre, le Hamas acceptera, parce qu'il le doit.
Mais le Hamas ne coopĂšre jamais. Il continue de rĂ©sister. Rien ne peut l'arrĂȘter, quels que soient les mensonges profĂ©rĂ©s. Et plus il y a de mensonges, moins le monde fait confiance aux dĂ©clarations de l'administration Biden ou des IsraĂ©liens.
MĂȘme si IsraĂ«l parvenait Ă nettoyer ethniquement Gaza, cela ne mettrait pas fin au conflit. Le Hamas n'est pas seulement une entitĂ© politique ou militaire. C'est un mouvement qui entend promouvoir les droits et les intĂ©rĂȘts du peuple palestinien.
On ne peut dĂ©truire un tel mouvement . On peut le combattre. On peut tuer ses guerriers. On peut investir le territoire et mĂȘme essayer de nettoyer ethniquement tous ses sympathisants.
Mais le mouvement est capable de survie. Israël échouera et verra sa force de dissuasion militaire s'éroder face à ses rivaux régionaux.
Ses ennemis se sentiront encouragés à intensifier la résistance armée dans tout le Moyen-Orient, à l'intérieur ou à l'extérieur de la bande de Gaza. On peut vaincre un mouvement sur le champ de bataille, mais on ne peut pas l'éliminer.
L'indignation
IsraĂ«l paie trĂšs cher cette âvictoireâ, perdant en moyenne 10 soldats par semaine. Le mois dernier, dix d'entre eux ont Ă©tĂ© tuĂ©s au cours d'un seul affrontement aprĂšs ĂȘtre tombĂ©s dans une embuscade tendue par des combattants du Hamas.
L'armée israélienne a tué ses propres otages lors d'affrontements avec le Hamas. Dans un cas, elle a abattu par erreur trois otages ayant échappé à leurs ravisseurs.
L'émoi suscité parmi les familles d'otages a alimenté l'indignation dans tout Israël. Des milliers de personnes ont manifesté devant le quartier général de l'armée, la Kirya, à Tel-Aviv. Le frÚre de l'un des otages assassinés a accusé l'armée israélienne de l'avoir exécuté.
La cohésion affichée par les Israéliens depuis le 7 octobre commence à s'effriter. Netanyahou, dont le pouvoir était déjà sur la sellette avant l'attaque du Hamas, se trouve aujourd'hui dans une posture encore plus précaire.
Il préférera sans doute tenter de prolonger la guerre et éviter ainsi de s'attirer les foudres de l'électorat israélien, qui souhaite majoritairement son départ.
* Richard Silverstein est l'auteur du blog Tikun Olam, consacrĂ© Ă la dĂ©nonciation des dĂ©rives de l'Ătat de sĂ©curitĂ© nationale israĂ©lien. Son travail a Ă©tĂ© publiĂ© dans Haaretz, le Forward, le Seattle Times et le Los Angeles Times. Il a contribuĂ© au recueil d'essais consacrĂ© Ă la guerre du Liban de 2006, A Time to Speak Out (Verso), et un autre essai figure dans le recueil Israel and Palestine : Alternate Perspectives on Statehood (Rowman & Littlefield) Photo de RS par : (Erika Schultz/Seattle Times)
https://www.middleeasteye.net/opinion/hamas-might-have-already-won-battle-gaza