đâđš Pourquoi les Ătats-Unis tentent d'emprisonner Assange : TĂ©moignage depuis la salle d'audience
Cette affaire est une attaque majeure contre le journalisme. Je la relate pour alerter les gĂ©nĂ©rations actuelles & futures pour qu'elles rĂ©alisent que si nous nâagissons pas, le journalisme en mourra.
đâđš Pourquoi les Ătats-Unis tentent d'emprisonner Assange : TĂ©moignage depuis la salle d'audience
Par Richard Medhurst, Al Mayadeen English, le 7 mars 2024
Richard Medhurst est un journaliste britannique qui couvre l'affaire d'extradition de Julian Assange depuis le tribunal depuis 2020. Dans cet article, il explique le dĂ©roulement des derniĂšres audiences, les raisons pour lesquelles les Ătats-Unis tentent d'extrader le fondateur de WikiLeaks, et en quoi nous devrions tous nous en prĂ©occuper.
Julian Assange est un journaliste australien Ă©tabli au Royaume-Uni et fondateur de WikiLeaks. Il a publiĂ© des documents qui lui ont Ă©tĂ© remis par un soldat amĂ©ricain, Chelsea Manning, qui attestent des crimes de guerre commis par les Ătats-Unis en Irak, en Afghanistan et bien d'autres choses encore.
Les Ătats-Unis veulent extrader Assange du Royaume-Uni vers l'AmĂ©rique, et le juger pour avoir publiĂ© ces documents classifiĂ©s. Ils le menacent de 175 ans de prison.
Si cette affaire est si grave, c'est parce qu'elle tend Ă criminaliser le journalisme.
Les Ătats-Unis prĂ©tendent qu'Assange a sollicitĂ© des documents classifiĂ©s Ă Manning et qu'il s'agit d'un crime. C'est faux.
Les Ătats-Unis prĂ©tendent qu'Assange a commis un crime en ayant en sa possession des documents classifiĂ©s et en les publiant. C'est faux.
Solliciter des documents classifiés, protéger ses sources, autant de pratiques journalistiques quotidiennes dans le monde entier.
Toutefois, comme ces dossiers Ă©taient si compromettants pour les Ătats-Unis et rĂ©vĂ©laient la brutalitĂ© de leurs crimes de guerre, ils menacent M. Assange de le condamner Ă trois quarts de siĂšcle de prison. Pour ce faire, ils l'accusent d'ĂȘtre un âespionâ et un âpirate informatiqueâ, en retenant contre lui 17 chefs d'accusation au titre de l'âEspionage Actâ (loi sur l'espionnage) et un chef d'accusation de âconspiration en vue de commettre une intrusion informatiqueâ.
L'objectif de cet acte d'accusation est de faire d'Assange un exemple, et de dissuader d'autres journalistes de publier des informations que le public est en droit d'obtenir.
En cas d'extradition, M. Assange serait placĂ© dans les pires conditions carcĂ©rales imaginables, les âmesures administratives spĂ©cialesâ (ou SAMs) : un rĂ©gime strict d'isolement, sans contact avec dâautres prisonniers, et pratiquement sans communication avec sa famille. Les SAMs sont internationalement reconnues comme Ă©tant une forme de torture. Julian sera envoyĂ© dans la pire prison d'AmĂ©rique, ADX Florence, un centre de sĂ©curitĂ© supermax situĂ© dans le Colorado.
Le 4 janvier 2021, la juge britannique Vanessa Baraitser a bloquĂ© l'extradition de Julian Assange parce que les conditions de dĂ©tention aux Ătats-Unis seraient si oppressantes dans son Ă©tat actuel qu'elles le pousseraient au suicide.
NĂ©anmoins, bien qu'elle ait bloquĂ© l'extradition pour des raisons de santĂ©, elle nâa rejetĂ© aucun des chefs d'accusation politiques - inventĂ©s de toutes piĂšces.
J'ai assistĂ© Ă toutes les audiences du procĂšs d'Assange et j'ai vu des dizaines de tĂ©moins experts dĂ©mentir les calomnies dont il fait l'objet. Mais la juge a tout de mĂȘme choisi de se ranger du cĂŽtĂ© des Ătats-Unis. Elle a choisi de criminaliser le journalisme, Ă©tablissant mĂȘme des Ă©quivalences dangereuses entre la loi amĂ©ricaine sur l'espionnage et la loi britannique sur les secrets officiels (OSA).
Ensuite, les Ătats-Unis ont fait appel de la dĂ©cision de la High Court anglaise et ont gagnĂ©, sâengageant Ă traiter Assange correctement - mĂȘme si les Ătats-Unis ont pour habitude de violer les garanties d'extradition, comme je lâai Ă©voquĂ© lorsque j'ai publiĂ© des documents classifiĂ©s concernant l'extradition de David Mendoza de l'Espagne vers les Ătats-Unis, une affaire prĂ©cĂ©demment citĂ©e au tribunal par les avocats de Julian.
AprĂšs que les Ătats-Unis ont rĂ©ussi Ă renverser la dĂ©cision du tribunal de premiĂšre instance en dĂ©cembre 2021, il ne manquait plus que la signature du ministre de l'intĂ©rieur, qui a validĂ© l'extradition.
Tout ce qui précÚde s'est déroulé entre 2020 et 2024, ce qui nous amÚne aux derniÚres audiences de la Royal Courts of Justice de février 2024.
Les avocats d'Assange demandent Ă la High Court l'autorisation de faire appel pour deux raisons :
Point 1 : faire appel de la décision du 4 janvier 2021.
Les avocats d'Assange soutiennent que la juge a eu raison de bloquer l'extradition d'Assange pour des raisons de santĂ©, mais qu'elle a eu tort de retenir toutes les accusations politiques (assimilant Assange Ă un âpirate informatiqueâ et Ă un âespionâ).
Ils disent trĂšs clairement :
âCette affaire est antidĂ©mocratique, elle criminalise le journalisme et ne tient pas compte du fait que les documents publiĂ©s par Assange exposent d'Ă©normes crimes de guerre amĂ©ricains que le public avait le droit de connaĂźtre.â
(Voir par exemple la vidĂ©o âCollateral Murderâ publiĂ©e par WikiLeaks et Julian Assange : on peut y voir l'Ă©quipage d'un hĂ©licoptĂšre de combat amĂ©ricain massacrer en riant des civils irakiens, dont des enfants et des journalistes).
Les Ătats-Unis affirment Ă©galement que Julian Assange a âportĂ© prĂ©judice Ă des informateursâ en publiant des cĂąbles non expurgĂ©s. Ironiquement, l'armĂ©e amĂ©ricaine a prouvĂ© que cette affirmation Ă©tait fausse lorsqu'elle a traduit Chelsea Manning (le soldat qui a remis les dossiers Ă Assange) devant la cour martiale. L'armĂ©e amĂ©ricaine n'a pas pu citer un seul exemple de prĂ©judice causĂ© par les divulgations.
L'affirmation des Ătats-Unis selon laquelle Julian Assange a simplement publiĂ© tous ces documents sans censurer ni expurger les noms est tout simplement fausse : j'ai Ă©coutĂ© de nombreux journalistes raconter au tribunal qu'ils avaient passĂ© d'innombrables heures Ă expurger mĂ©ticuleusement les noms avec Assange.
Les avocats de M. Assange soutiennent Ă©galement que la juge du tribunal de premiĂšre instance n'a pas fait preuve d'un grand sens d'Ă©quitĂ©. Elle a acceptĂ© aveuglĂ©ment le postulat des Ătats-Unis selon lequel la vie des informateurs - qui n'ont pas Ă©tĂ© blessĂ©s - est plus importante que celle des victimes tuĂ©es et torturĂ©es par les Ătats-Unis. Ce qui revient Ă dire : les Ătats-Unis devraient ĂȘtre autorisĂ©s Ă continuer Ă commettre ces crimes de guerre en secret, et il est en quelque sorte normal qu'ils massacrent des civils en Irak et en Afghanistan, et que le public n'a pas le droit de savoir.
Mais mĂȘme si ce que disent les Ătats-Unis Ă©tait vrai, ces documents n'ont pas Ă©tĂ© initialement publiĂ©s par M. Assange. John Young, gĂ©rant d'un site web appelĂ© cryptome.org, a tĂ©moignĂ© devant le tribunal avoir publiĂ© les documents le premier, et que les Ătats-Unis ne l'ont jamais poursuivi, ni ne lui ont demandĂ© de retirer la publication.
Cela démontre que toute l'affaire contre Assange est sélective, politique et n'a rien à voir avec la loi.
Il est important de rappeler que Julian Assange est un journaliste, un éditeur. Il n'est pas un employé du gouvernement ou un soldat sous contrat le liant au secret gouvernemental. Il n'a aucune obligation de se taire.
Julian Assange n'est mĂȘme pas originaire des Ătats-Unis et n'y a jamais vĂ©cu ni travaillĂ©. Il ne doit rien aux Ătats-Unis.
La perspective de voir les Ătats-Unis - un gouvernement Ă©tranger - imposer leurs lois sur le sol britannique pour s'emparer d'un journaliste Ă©tranger devrait effrayer toute personne soucieuse des libertĂ©s de la presse, de l'anti-impĂ©rialisme et d'un systĂšme judiciaire britannique libre de l'influence des Ătats-Unis. L'extraterritorialisation des lois amĂ©ricaines est l'une des caractĂ©ristiques de la guerre contre le terrorisme menĂ©e par les Ătats-Unis.
La loi sur l'espionnage en vertu de laquelle M. Assange est inculpĂ© a Ă©tĂ© promulguĂ©e pendant la PremiĂšre Guerre mondiale, en 1917. Elle a toujours Ă©tĂ© utilisĂ©e comme un outil politique contre des dissidents tels qu'Eugene Debs, ou des lanceurs dâalerte tels que Daniel Ellsberg et Edward Snowden, qui ont rĂ©vĂ©lĂ© la vĂ©ritable ampleur de la guerre amĂ©ricaine au ViĂȘt Nam et de la surveillance de masse exercĂ©e par la NSA.
Si vous ĂȘtes inculpĂ© au titre de la loi sur l'espionnage, il vous est Ă©galement interdit d'invoquer une dĂ©fense d'intĂ©rĂȘt public. Cela signifie que mĂȘme si vous dĂ©noncez des crimes gouvernementaux colossaux, vous irez en prison.
Point 2 : Le ministre de l'intérieur a eu tort d'autoriser l'extradition
Il s'agit de la deuxiÚme partie de l'appel d'Assange : il est illégal en Grande-Bretagne d'extrader quelqu'un vers un autre pays en sachant qu'il risque la peine capitale.
Si le ministre de l'IntĂ©rieur, qui a le dernier mot en matiĂšre d'extradition, est conscient d'un tel risque, il est tenu d'empĂȘcher l'extradition.
Il est inconcevable que Priti Patel n'ait pas eu connaissance de l'identitĂ© de Julian Assange et de la probabilitĂ© qu'il soit tuĂ© aux Ătats-Unis. Une fois dans la juridiction amĂ©ricaine, les Ătats-Unis peuvent ajouter des charges supplĂ©mentaires ou simplement l'exĂ©cuter, l'espionnage Ă©tant un crime passible de la peine de mort.
MĂȘme s'il n'est pas spĂ©cifiquement condamnĂ© Ă la peine de mort, Ă 52 ans, une peine de 30 ans d'emprisonnement Ă©quivaut Ă une condamnation Ă mort
.
DÚs lors, comment le ministre de l'intérieur a-t-il pu accepter d'envoyer Assange dans un pays étranger qui souhaite si clairement le voir mort ?
Mike Pompeo, qui dirigeait alors la CIA, et le prĂ©sident de l'Ă©poque, Donald Trump, ont lancĂ© cette procĂ©dure judiciaire contre Julian Assange. Par le passĂ©, Donald Trump avait souhaitĂ© que Julian Assange soit condamnĂ© Ă la peine capitale, tandis que Mike Pompeo avait dĂ©clarĂ© que Julian Assange ân'avait pas droit Ă la protection du Premier Amendementâ. AprĂšs la publication par WikiLeaks d'un ensemble de documents de la CIA, surnommĂ©s âVault 7â, Mike Pompeo a dĂ©clarĂ© la guerre Ă WikiLeaks en le qualifiant publiquement de âservice de renseignement hostile non Ă©tatiqueâ.
Toutes ces dénonciations politiques de WikiLeaks et d'Assange ont été assorties de menaces contre lui et sa famille. Comme nous l'avons entendu au tribunal en 2020 de la part de témoins protégés, la CIA avait élaboré des plans pour potentiellement kidnapper ou assassiner Julian.
Les Ătats-Unis accusent Julian Assange d'âespionnageâ. Normalement, l'affaire devrait ĂȘtre rejetĂ©e, car l'espionnage est considĂ©rĂ© comme un dĂ©lit politique par essence. Or, il est interdit d'extrader quelqu'un pour un dĂ©lit politique en vertu de l'article 4 du traitĂ© d'extradition entre les Ătats-Unis et le Royaume-Uni.
Les traitĂ©s d'extradition coutumiers ont toujours interdit l'extradition pour des dĂ©lits politiques tels que l'âespionnageâ et la âtrahisonâ. Cette ligne de dĂ©fense a dĂ©jĂ Ă©tĂ© utilisĂ©e devant les tribunaux pour bloquer avec succĂšs des extraditions.
C'est lĂ que le problĂšme se pose :
La loi sur l'extradition, qui est la mise en Ćuvre du traitĂ© amĂ©ricano-britannique dans le droit britannique, ne contient pas cet article. Cela est probablement dĂ» au fait qu'elle a Ă©tĂ© adoptĂ©e au plus fort de la âguerre contre le terrorismeâ en 2003, donnant carte blanche aux AmĂ©ricains pour procĂ©der Ă des enlĂšvements, et traĂźner aux Ătats-Unis ceux qui dĂ©rangent pour les jeter dans un cachot.
Ă l'Ă©poque, nombreux sont ceux qui ont critiquĂ© le traitĂ© d'extradition, estimant que son unilatĂ©ralitĂ© penche en faveur des Ătats-Unis.
Quel que soit l'angle sous lequel on considÚre l'affaire Assange, elle est injuste et illégale.
Les Ătats-Unis veulent poursuivre Julian Assange en vertu du droit amĂ©ricain, tout en lui refusant toute protection en vertu du droit amĂ©ricain, comme la libertĂ© d'expression. Si Julian Assange est privĂ© de la protection du Premier Amendement en tant que ressortissant Ă©tranger, comment peut-il ĂȘtre puni en tant que tel ? Il s'agit lĂ d'un double standard flagrant et d'une application sĂ©lective de la loi.
La Convention européenne des droits de l'homme (CEDH) est incorporée dans le droit britannique par le biais de la loi sur les droits de l'homme (Human Rights Act). AprÚs examen, il est clair que les droits de Julian sont violés de maniÚre flagrante
L'article 5 protÚge contre la détention arbitraire.
S'agissant d'une affaire politique, l'envoi de Julian en AmĂ©rique constituerait une violation du traitĂ© d'extradition. Par consĂ©quent, il n'a aucune raison d'ĂȘtre en prison Ă l'heure actuelle et est donc dĂ©tenu arbitrairement en violation de ses droits au titre de l'article 5.
L'article 6 garantit le droit Ă un procĂšs Ă©quitable.
Nous savons que les Ătats-Unis ont espionnĂ© les entretiens d'Assange avec ses avocats alors qu'il se trouvait dans l'ambassade d'Ăquateur, ont volĂ© ses appareils Ă©lectroniques et ont recueilli ses dossiers mĂ©dicaux et juridiques.
En 2020, j'ai siĂ©gĂ© au tribunal avec Fidel Narvaez, l'ancien consul de l'ambassade d'Ăquateur Ă Londres. Nous avons Ă©coutĂ© les dĂ©clarations de deux tĂ©moins protĂ©gĂ©s qui ont confirmĂ© qu'ils avaient espionnĂ© Assange, parce que la sociĂ©tĂ© de sĂ©curitĂ© pour laquelle ils travaillaient, UC Global, avait Ă©tĂ© engagĂ©e par la CIA pour le faire. Ils ont Ă©galement Ă©voquĂ© des plans visant Ă kidnapper et empoisonner Julian Assange, et Ă prĂ©lever l'ADN de son bĂ©bĂ©.
L'espionnage des conversations privilégiées d'une personne avec ses avocats et l'utilisation de preuves entachées d'irrégularités au tribunal sont scandaleux au plus haut point, et violent les principes fondamentaux d'une procédure réguliÚre dans toute juridiction. N'importe quel juge aurait rejeté cette affaire dÚs le premier jour.
Nous savons Ă©galement qu'Assange ne bĂ©nĂ©ficiera pas d'un procĂšs Ă©quitable aux Ătats-Unis, car le jury sera sĂ©lectionnĂ© parmi des personnes qui travaillent pour la CIA ou la NSA, ou qui ont des amis ou des membres de leur famille qui travaillent dans la communautĂ© du renseignement. Ce sont ces mĂȘmes personnes dont Julian Assange a dĂ©noncĂ© les crimes.
Le tribunal de Virginie qui a émis les accusations et tiendra ce procÚs est conçu spécifiquement pour cette raison : parce que le jury est partial et que le gouvernement sait qu'il ne peut pas perdre. Il est déjà garanti à 100 % qu'il sera condamné et ira en prison.
En outre, les Ătats-Unis pourraient utiliser des preuves secrĂštes contre Julian Assange, qu'il ne serait mĂȘme pas autorisĂ© Ă consulter parce qu'elles sont âclassifiĂ©esâ.
L'article 7 protÚge les personnes contre les sanctions rétroactives.
Le cas de Julian Assange est sans précédent : aucun éditeur américain n'a jamais été poursuivi, et encore moins condamné, pour avoir publié des documents classifiés.
Cette affaire criminalise le journalisme et viole donc l'article 10, qui garantit la liberté d'expression.
Les avocats de M. Assange sont revenus Ă plusieurs reprises vers la Cour EuropĂ©enne des Droits de lâHomme, car elle est incorporĂ©e dans le droit britannique, ce qui signifie que le tribunal doit sây rĂ©fĂ©rer. De plus, c'Ă©tait leur façon de signifier aux juges : si vous ne nous autorisez pas Ă faire appel, nous irons devant la Cour europĂ©enne des droits de l'homme (CEDH) Ă Strasbourg, qui considĂ©rera votre dĂ©cision d'un mauvais Ćil.
(Le Royaume-Uni est un membre fondateur et actuel du Conseil européen, qui est distinct de l'Union européenne).
L'avocat d'Assange, Mark Summers, a plaidé trÚs clairement : la Cour de Strasbourg constatera que
a) ces crimes de guerre américains étaient réels
b) ils se produisaient sur le terrain Ă l'Ă©poque, et
c) en publiant ces documents, Assange a impactĂ© le comportement des Ătats-Unis : les massacres par hĂ©licoptĂšre, comme dans la vidĂ©o âCollateral Murderâ, ont cessĂ©, et la guerre en Irak a pris fin.
L'équipe d'Assange a présenté une défense trÚs convaincante lors de l'audience de cette semaine.
En revenant sur la dĂ©cision de 2021, nous avons entendu un grand nombre des mĂȘmes arguments que ceux prĂ©sentĂ©s Ă Old Bailey en 2020 - et c'est une bonne chose, car il s'agit de points cruciaux qui touchent au cĆur de la question :
le journalisme n'est pas un crime les crimes commis par les Ătats-Unis sont bien plus graves que tout prĂ©tendu âprĂ©judiceâ causĂ© aux informateurs, et
le public a le droit fondamental de savoir.
Il Ă©tait rafraĂźchissant de voir les juges de la High Court (Jeremy Johnson et Victoria Sharp) manifester de l'intĂ©rĂȘt pour les dĂ©clarations et poser des questions pertinentes, contrairement aux juges prĂ©cĂ©dents qui Ă©taient soit restĂ©s silencieux, soit indiffĂ©rents, soit hostiles Ă M. Assange.
Voici les interjections des juges de la Haute Cour qui m'ont le plus marqué la semaine derniÚre :
Juge Johnson : si un journaliste de ce pays avait vent de crimes importants commis par une agence de renseignement gouvernementale et demandait des informations à un employé de cette agence, cela constituerait-il un délit passible de poursuites ? (Cette question a pris au dépourvu l'avocate américaine Clair Dobbin).
Le juge Johnson : une fois qu'une personne relĂšve de la juridiction amĂ©ricaine, quâest-ce qui empĂȘche les Ătats-Unis de cumuler de nouvelles accusations et prononcer la peine de mort ?
L'avocat du gouvernement rĂ©pond : rien n'empĂȘche les Ătats-Unis de le faire (confirmant ainsi nos pires craintes qu'Assange puisse ĂȘtre tuĂ© une fois aux Ătats-Unis).
Le juge Johnson demande Ă Mme Dobbin s'il existe des preuves permettant de soutenir que les ressortissants Ă©trangers bĂ©nĂ©ficient des mĂȘmes droits ou du mĂȘme traitement que les citoyens amĂ©ricains. Dobbins rĂ©pond ânonâ. Une fois de plus, l'accusation confirme ouvertement qu'Assange sera traitĂ© de maniĂšre inĂ©quitable : il sera frappĂ© par la loi amĂ©ricaine sans bĂ©nĂ©ficier d'aucun des droits fondamentaux tels que la libertĂ© d'expression.
Le juge Sharp demande à Mark Summers : les noms mentionnés dans les publications de WikiLeaks sont-ils ceux de personnes ayant participé à des crimes de guerre et à des actes de torture ? Summers : Oui, c'est exactement ce à quoi ces personnes ont participé et ce qu'elles ont soutenu.
Pendant que tout cela se joue au tribunal, Assange se meurt lentement en prison
Le mĂȘme juge qui a bloquĂ© l'extradition d'Assange en raison de son Ă©tat de santĂ© prĂ©caire a prĂ©sidĂ© son audience de libĂ©ration sous caution deux jours plus tard, le 6 janvier 2021, Ă laquelle j'ai Ă©galement assistĂ©.
La juge a manifestement compris que l'état de santé de M. Assange était suffisamment préoccupant pour bloquer son extradition. Pourtant, elle a refusé une libération sous caution, malgré les solides garanties avancées et le risque que son état de santé s'aggrave en prison - ce qui s'est produit.
Quelques mois plus tard, lors d'une audience en octobre 2021, j'avais du mal à reconnaßtre Julian Assange. Sa femme Stella nous a alors appris alors qu'il a été victime d'un mini-accident vasculaire cérébral (AVC) durant l'audience.
Julian a Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ© dans la prison de Belmarsh Ă dessein par l'Ătat sĂ©curitaire. Belmarsh est surnommĂ©e le âGuantanamo britanniqueâ, la pire prison d'Angleterre rĂ©putĂ©e abriter des criminels violents et des terroristes. Ce n'est pas un endroit pour les journalistes condamnĂ©s pour des infractions Ă la loi sur la libertĂ© sous caution, ou placĂ©s en dĂ©tention provisoire dans l'attente d'une extradition. Il n'y a tout simplement aucune raison pour qu'il soit en prison, et encore moins dans une prison de catĂ©gorie A (sĂ©curitĂ© maximale), enfermĂ© 23 heures par jour.
Il est important de souligner qu'avant d'ĂȘtre incarcĂ©rĂ© Ă Belmarsh, M. Assange a Ă©tĂ© contraint de se rendre Ă l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres pour y demander l'asile politique. Il y a vĂ©cu dans un minuscule appartement pendant sept ans, de peur que les Ătats-Unis n'essaient de le capturer et l'emmener en AmĂ©rique dĂšs qu'il mettrait le pied dehors.
En raison de cette persécution prolongée, sa santé s'est progressivement dégradée. Il est en mauvaise forme physique et mentale, et a été privé d'une vie de famille normale. à chaque fois que je l'ai vu au tribunal, il avait vraiment l'air mal en point.
Le groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire a estimé que cet enfermement constitue une détention arbitraire. De nombreux experts des Nations unies, médecins, avocats et ONG s'accordent à dire que les droits de l'homme d'Assange ont été violés, et que les conditions auxquelles il a été soumis, tant à l'intérieur de l'ambassade qu'à Belmarsh, s'apparentent à de la torture.
L'objectif des Ătats-Unis est de tuer Julian Assange, soit en AmĂ©rique, soit Ă petit feu dans une prison anglaise, dâune audience Ă l'autre. La procĂ©dure EST la punition.
Pourquoi ? Parce que Julian Assange a rĂ©vĂ©lĂ© la brutalitĂ© des guerres menĂ©es par les Ătats-Unis en Irak et en Afghanistan, leurs programmes de kidnapping, de restitution et de torture, les mauvais traitements infligĂ©s aux prisonniers de Guantanamo Bay et la complicitĂ© de leurs propres âalliĂ©sâ pour protĂ©ger les tortionnaires de la CIA.
Malheureusement, c'est ainsi que les Ătats-Unis et la Grande-Bretagne traitent les journalistes. Les grands mĂ©dias tels que le New York Times, le Guardian, Le Monde et Der Spiegel, qui ont tirĂ© d'immenses bĂ©nĂ©fices de leur collaboration avec WikiLeaks et de la publication des documents explosifs d'Assange, auraient dĂ©jĂ pu lancer des dizaines de campagnes et d'appels publics pour obtenir sa libertĂ©, mais ne lâont pas fait.
Cette affaire est si accablante pour l'establishment politique et médiatique qu'elle est menée comme un procÚs secret dans un tribunal kangourou.
J'ai assistĂ© Ă toutes les audiences dans cette affaire, et j'ai pu constater Ă quel point on complique lâaccĂšs des journalistes aux audiences, des ONG et des personnalitĂ©s politiques, les empĂȘchant d'observer l'affaire. Depuis le dĂ©but, les procĂ©dures ont Ă©tĂ© entachĂ©es de difficultĂ©s techniques, privant le public de son ou dâimage s'ils assistent Ă l'audience Ă distance, ou dans une salle voisine de dĂ©bordement.
Il est difficile de dire comment et quand la High Court se prononcera, mais si Assange n'est pas autorisĂ© Ă faire appel, ses avocats peuvent temporairement empĂȘcher les Ătats-Unis de le faire monter dans un avion, en vertu de l'article 39 du rĂšglement, puis porter l'affaire devant la Cour europĂ©enne des droits de l'homme.
Mais là encore, la procédure peut prendre des années, alors que la vie de Julian Assange est en suspens, le Royaume-Uni le maintenant enfermé dans une prison de haute sécurité sur ordre de la CIA et du gouvernement américain.
Julian Assange est le prisonnier politique le plus célÚbre du monde, mais le temps presse.
Cette affaire est sans aucun doute la plus grande attaque contre la libertĂ© d'expression et le journalisme. Je relate ces Ă©vĂ©nements en tant que tĂ©moin pour alerter les gĂ©nĂ©rations actuelles et futures que si nous nâagissons pas, le journalisme en mourra.