đâđš Pourquoi l'extradition de Julian Assange vers les Ătats-Unis serait un cataclysme pour la libertĂ© de la presse
Si M. Assange se voit refuser son appel devant la High Court, il aura 28 jours pour faire appel devant la Cour européenne des droits de l'homme, a déclaré l'une de ses avocates, Jennifer Robinson.
đâđš Pourquoi l'extradition de Julian Assange vers les Ătats-Unis serait un cataclysme pour la libertĂ© de la presse
Par le Committee to Protect Journalists, le 29 février 2024
Le fondateur australien du site WikiLeaks, Julian Assange, lutte depuis 2019 contre son extradition du Royaume-Uni vers les Ătats-Unis pour des accusations qui pourraient porter un coup Ă la libertĂ© de la presse dans le monde.
Voici le briefing du CPJ sur la bataille juridique pour extrader Assange, les accusations auxquelles il ferait face aux Ătats-Unis, et pourquoi ses poursuites sont inquiĂ©tantes pour les journalistes aux Ătats-Unis et dans le monde.
Quelles sont les charges retenues contre Assange ?
Les 18 chefs d'inculpation retenus contre M. Assange dĂ©coulent de l'obtention et de la publication par WikiLeaks, en 2010, de quelque 400 000 documents militaires amĂ©ricains classifiĂ©s relatifs Ă la participation des Ătats-Unis aux guerres dâIrak et dâAfghanistan. Ces fuites - les plus importantes failles de sĂ©curitĂ© de ce type dans l'histoire de l'armĂ©e amĂ©ricaine - comprenaient une vidĂ©o montrant l'assassinat, en 2007, de deux journalistes de l'agence Reuters par une frappe aĂ©rienne de l'armĂ©e amĂ©ricaine.
Les procureurs reprochent à M. Assange d'avoir publié illégalement les noms de sources classifiées et d'avoir comploté avec Chelsea Manning, ancienne analyste du renseignement de l'armée américaine, pour obtenir des informations confidentielles.
Mme Manning a Ă©tĂ© condamnĂ©e en 2013 pour espionnage, et a passĂ© sept ans dans une prison militaire avant que le prĂ©sident Barack Obama ne commue le reste de sa peine en 2017. Mme Manning a de nouveau Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ©e en 2019 pour avoir refusĂ© de tĂ©moigner devant un grand jury enquĂȘtant sur WikiLeaks, puis libĂ©rĂ©e en 2020, le juge ayant dĂ©clarĂ© que sa dĂ©tention cessait de servir âtout objectif coercitifâ.
Dix-sept des inculpations retenues contre Assange relĂšvent de la loi sur l'espionnage de 1917, de plus en plus utilisĂ©e par le ministĂšre de la Justice pour poursuivre les lanceurs d'alerte, a documentĂ© le CPJ. L'autre chef d'accusation, en vertu de la loi sur la fraude et l'abus informatiques, est que M. Assange a âencouragĂ©â M. Manning Ă divulguer des informations classifiĂ©es.
En cas d'extradition et de condamnation aux Ătats-Unis, les avocats de M. Assange ont dĂ©clarĂ© qu'il risquait jusqu'Ă 175 ans de prison, bien que les procureurs amĂ©ricains aient dĂ©clarĂ© que la peine serait beaucoup plus courte.
Quand le gouvernement américain a-t-il inculpé M. Assange ?
En avril 2019, le ministĂšre de la Justice a levĂ© les scellĂ©s sur un acte d'accusation accusant Assange de piratage informatique en vertu de la loi sur la fraude et les abus informatiques [Computer Fraud and Abuse Act]. En mai 2019, Assange a Ă©tĂ© inculpĂ© de 17 chefs d'accusation de violation de la loi sur l'espionnage pour son rĂŽle dans l'obtention et la publication de documents classifiĂ©s du gouvernement amĂ©ricain. En juin 2020, les Ătats-Unis ont dĂ©posĂ© un nouvel acte d'accusation Ă l'encontre d'Assange qui Ă©largissait la portĂ©e des accusations de piratage informatique.
Bien que les fuites en question dans ces actes d'accusation aient Ă©tĂ© publiĂ©es alors que le prĂ©sident Barack Obama Ă©tait en fonction, son ministĂšre de la Justice a notamment refusĂ© de porter plainte contre Assange en raison de ce qu'il a appelĂ© le âproblĂšme du New York Timesâ - Ă savoir que s'il inculpait Assange, une voie juridique serait crĂ©Ă©e pour que le ministĂšre de la justice poursuive le New York Times, le Guardian, le Spiegel et d'autres organes de presse ayant publiĂ© les journaux classifiĂ©s. Cela permettrait de poursuivre tous les journalistes qui publient des documents ayant fait l'objet d'une fuite.
Quels sont les enjeux pour le journalisme ?
Le CPJ s'élÚve depuis longtemps contre les poursuites engagées contre M. Assange et leurs implications pour la liberté de la presse dans le monde, et a appelé à plusieurs reprises à l'abandon des poursuites, notamment dans une lettre adressée en 2010 à M. Obama et au ministre de la Justice, M. Eric Holder.
Alors que les fuites diplomatiques et militaires controversĂ©es d'Assange ont permis de nommer et de mettre en danger des journalistes vulnĂ©rables [ndlr : en raison de la publications, par deux journalistes du Guardian, dâun code que ces deniers ont publiĂ© en tĂȘte dâun des chapitres de leur livre], les poursuites engagĂ©es par les Ătats-Unis ont Ă©tĂ© qualifiĂ©es de âpistolet sur la tempe du journalisme d'investigationâ.
Les arguments utilisĂ©s dans les actes d'accusation contre Assange pourraient Ă©tablir une voie juridique pour la poursuite du journalisme et affaiblir gravement la protection du Premier Amendement, qui garantit la libertĂ© de la presse. Le droit des journalistes Ă rendre compte des questions d'intĂ©rĂȘt public sans craindre la censure ou les reprĂ©sailles pourrait ĂȘtre compromis.
Si Assange était reconnu coupable d'avoir violé le Computer Fraud and Abuse Act, cela pourrait faciliter la criminalisation des interactions des journalistes d'investigation avec leurs sources.
Si M. Assange est extradĂ© et poursuivi aux Ătats-Unis en vertu de la loi sur l'espionnage, le gouvernement amĂ©ricain pourra extrader tout Ă©diteur d'informations classifiĂ©es de tout pays avec lequel les Ătats-Unis ont conclu un accord d'extradition. Ce qui crĂ©erait un prĂ©cĂ©dent prĂ©judiciable pour les gouvernements du monde entier, en Ă©tablissant un cadre permettant aux Ătats de poursuivre des journalistes devant les tribunaux, quel que soit l'endroit oĂč ils se trouvent.
En outre, poursuivre Assange aux Ătats-Unis serait un cadeau pour les dirigeants autoritaires qui pourront alors citer l'exemple de Washington Ă chaque fois qu'ils voudront emprisonner un journaliste ou un Ă©diteur gĂȘnant.
Comment M. Assange s'est-il retrouvé au Royaume-Uni ?
M. Assange a trouvĂ© asile Ă l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres en 2012 pour Ă©viter d'ĂȘtre extradĂ© vers la SuĂšde, oĂč il Ă©tait recherchĂ© pour ĂȘtre interrogĂ© sur des allĂ©gations dâinconduite sexuelle, ce qu'il a niĂ©. L'Ă©quipe juridique de M. Assange craignait qu'il ne soit remis aux Ătats-Unis en vue d'une extradition ultĂ©rieure et de poursuites judiciaires.
Les avocats de M. Assange ont déclaré ce mois-ci à la High Court britannique que l'administration Trump prévoyait d'enlever ou de tuer M. Assange pour
âmaintenir l'impunitĂ© des responsables amĂ©ricains en ce qui concerne la torture/les crimes de guerre commis dans le cadre de sa tristement cĂ©lĂšbre âguerre contre le terrorismeâ [...]â.
Le gouvernement Ă©quatorien a Ă©tĂ© expulsĂ© Assange de l'ambassade en avril 2019, en le laissant se faire arrĂȘter par la police britannique en violation de la libertĂ© sous caution et emprisonnĂ©, en attendant la conclusion de l'affaire d'extradition des Ătats-Unis.
Quelles sont les prochaines Ă©tapes ?
La High Court britannique ne devrait pas se prononcer sur la derniĂšre demande d'appel d'Assange avant le mois de mars, au plus tĂŽt.
S'il obtient gain de cause, M. Assange sera autorisĂ© Ă faire appel au motif que son extradition constituerait une violation du traitĂ© d'extradition entre les Ătats-Unis et le Royaume-Uni, qui interdit de procĂ©der Ă une telle extradition pour des dĂ©lits politiques.
Si M. Assange perd devant la High Court, il aura 28 jours pour faire appel devant la Cour européenne des droits de l'homme, a déclaré l'une de ses avocates, Jennifer Robinson, lors d'une réunion d'information sur l'affaire. Si M. Assange se voit accorder des mesures provisoires, le Royaume-Uni ne pourra pas l'extrader jusqu'à ce que la Cour européenne des droits de l'homme se prononce.