👁🗨 Pourquoi Medvedev peut se permettre un “Born to be Wild” plein pot
Ce qui saute aux yeux, c'est que l'Occident collectif tel que nous le connaissons est en train de flirter avec un aller simple pour les rebus de l'Histoire. “Une catastrophe civilisationnelle”.
👁🗨 Pourquoi Medvedev peut se permettre un “Born to be Wild” plein pot
Par Pepe Escobar, le 8 février 2024
Washington s'emploie activement à diviser l'UE en faveur d'un axe Vilnius-Varsovie-Kiev radicalement russophobe.
Ouais, chérie, fais en sorte que ça marche.
Prends le monde dans une étreinte d'amour
Fais feu de tous tes pistolets à la fois
Et explose dans l'espace
Steppenwolf, Born to be Wild, 1967
Le monde doit être reconnaissant au vice-président du Conseil de sécurité russe, Dimitri Medvedev. Paraphrasant cette série de publicités emblématiques de l'époque de la guerre froide sur une bière qui rafraîchit ce que les autres bières ne peuvent atteindre, Medvedev rafraîchit ces zones - sensibles - que le Kremlin et le ministère des affaires étrangères, pour des raisons diplomatiques, ne peuvent pas atteindre.
Alors que d'étonnants glissements tectoniques continuent de bouleverser la géopolitique et la géoéconomie, et que l'Ange de l'Histoire se tourne vers l'Est tandis que les États-Unis, corrodés de l'intérieur, s'accrochent désespérément aux miettes de leur domination à spectre large qui s'amenuise, Medvedev ne cache pas à quel point il aime “le feu et la lumière”, sans parler du “tonnerre heavy metal”.
La première pièce à conviction est quelque chose d'historique. Elle mérite d'être citée dans son intégralité :
“Les dirigeants occidentaux qui ont fait dans leur froc avec leurs généraux médiocres de l'OTAN ont une fois de plus décidé de nous faire peur. Ils ont entrepris les plus grandes manœuvres militaires depuis la guerre froide.
Ces exercices impliquent 90 000 soldats de 31 pays de l'Alliance et du “quasi bloc” suédois, environ 50 navires de guerre, 80 avions, 1 100 véhicules de combat terrestres, dont 133 chars d'assaut.
Certaines étapes devraient se dérouler dans les pays les plus ouvertement russophobes et qui nous inspirent le plus grand dégoût, tels que la Pologne, la Lettonie, la Lituanie et l'Estonie, c'est-à-dire à proximité immédiate des frontières de la Russie.
Les responsables de l'OTAN n'ont pas osé révéler clairement la cible de ces exercices et se sont contentés de parler de
“mise en pratique des plans de défense et de dissuasion d'une agression potentielle de la part des adversaires les plus proches”.
Mais il est évident que cette crispation des muscles flasques de l'Occident est un avertissement pour notre pays. C'est comme s'ils disaient : ne devrions-nous pas menacer la Russie comme il se doit, et montrer au hérisson russe un gros cul européen transgenre ?
En fin de compte, ce n'est pas effrayant, mais très édifiant.
Après tout, si l'Alliance elle-même a décidé de procéder à des manœuvres de ce niveau, cela signifie qu'elle a vraiment peur de quelque chose.
Et pire encore, ils ne croient pas seulement à la victoire, mais aussi aux succès militaires du régime néo-nazi corrompu de Kiev. De plus, bien sûr, ils élaborent l'agenda anti-russe à des fins de politique intérieure, en consolidant leur électorat mécontent.
Dans l'ensemble, il s'agit d'un très dangereux petit jeu avec le feu.
Des troupes considérables ont été mobilisées. Des manœuvres de cette ampleur n'ont pas été menées depuis le siècle dernier. Il s'agit donc de vieux projets bien connus.
Nous n'allons attaquer aucun pays de ce bloc. Toutes les personnes sensées en Occident le comprennent. Mais s'ils vont trop loin et empiètent sur l'intégrité de notre pays, ils recevront immédiatement une réponse adéquate.
Cela ne voudra dire qu'une seule chose : la grande guerre, dont l'OTAN ne va pas se détourner longtemps.
La même chose se produira si un pays de l'OTAN commence à fournir ses plateformes aéroportuaires aux partisans de Bandera ou à cantonner ses troupes avec les néo-nazis. Ils constitueront alors une cible légitime pour nos forces armées et seront détruits sans pitié en tant qu'ennemis.
Que tous ceux qui portent des casques avec les symboles de l'OTAN et font aujourd'hui retentir leurs armes non loin de nos frontières s'en souviennent”.
Défaite humiliante ou Totaler Krieg
Le tonnerre heavy metal de Medvedev fait écho à une superbe analyse de Rostislav Ishchenko, que j'ai eu le plaisir de rencontrer à Moscou il y a quelques années.
Voici deux éléments clés à retenir :
“Aujourd'hui, le degré de préparation des armées des pays européens membres de l'OTAN à une véritable guerre est inférieur à celui de l'armée russe dans la période la plus troublée ‘des années 90’”.
Ishchenko décrit clairement le choix de l'Occident, “entre la reconnaissance d'une défaite honteuse, avec un échec sur le champ de bataille des unités de l'OTAN proprement dites, et l'amorce d'une véritable guerre contre la Russie, que les armées européennes ne peuvent engager, et pour laquelle les Américains manquent de moyens, puisqu'ils comptent engager un conflit avec la Chine”.
Conclusion inévitable : toute l'architecture américaine d'“endiguement de la Russie” est en train de “s'effondre”.
M. Ishchenko note à juste titre que “l'Occident n'est pas en mesure de mener une guerre par procuration contre la Russie au-delà de 2024” (le ministre de la défense, M. Shoigu, a déjà déclaré l'année dernière que l'opération militaire spéciale (SMO) prendrait fin en 2025).
Ishchenko ajoute : “Même s'ils parviennent à tenir non pas jusqu'à l'automne, mais jusqu'en décembre 2024 ( ce dont nous doutons fortement), la fin de l'Ukraine est toute proche, et pour assurer la relève, l'Occident n'a pas été en mesure de trouver un autre candidat prêt à mourir pour les États-Unis dans une guerre par procuration contre la Russie.”
En tout cas, ils essaient. Avec acharnement. Par exemple en enrégimentant une bande de hyènes pour l'arnaque des Trois Mers [Initiative des mers Baltique, Adriatique & de la mer Noire, forum de pays d'Europe centrale & orientale, tous membres de l'Union européenne] . Et en donnant à Budanov, le chouchou de la CIA à Kiev, les coudées franches pour organiser des attaques terroristes en série à l'intérieur de la Fédération de Russie.
Pendant ce temps, un mémo confidentiel conçu à la London School of Economics suggère une coopération étroite entre le gouvernement allemand, l'USAID [Agence du gouvernement des États-Unis pour le développement international, le développement économique et l'assistance humanitaire dans le monde, sous la supervision du président, du département d'État et du Conseil de sécurité nationale] et de la Fondation Friedrich Ebert pour élaborer une sorte de “nouveau Singapour à Kiev”, c'est-à-dire une “reconstruction” qui permette à l'Allemagne des entreprises de tirer profit d'un trou perdu où les salaires sont bas.
Personne ne sait quel genre de “Kiev” survivra, ni sous quelle forme. Il n'y aura donc pas de “Singapour” remanié.
Il n'y aura pas de compromis
L'analyste allemand Patrik Baab a présenté une analyse méticuleuse des faits essentiels qui sous-tendent la déclaration de Medvedev.
Bien sûr, il doit citer Stoltenberg de l'OTAN, qui a déjà confirmé de manière détournée qu'il ne s'agit pas d'une guerre d'agression “non provoquée” - l'OTAN l'a en effet provoquée. De plus, il s'agit d'une guerre par procuration, qui porte essentiellement sur l'expansion de l'OTAN vers l'Est.
Baab reconnaît aussi à juste titre qu'après les négociations de paix à Istanbul en mars/avril 2022, que les États-Unis et le Royaume-Uni ont fait imploser, la confiance des acteurs politiques occidentaux envers le Kremlin - et le ministère des Affaires étrangères - est à zéro.
Baab fait également référence à l'une des sources de l'État profond de Sy Hersh : “La guerre est terminée. La Russie a gagné.”
Toutefois, le point essentiel - qui n'échappe pas à l'attention de Medvedev - est qu'“aucune concession n'est à espérer de Washington. Les confrontations militaires se poursuivent. Le conflit a mué en guerre d'usure”. Ce constat va de pair avec la déclaration explicite de M. Medvedev selon laquelle Odessa, Dnipropetrovsk, Kharkov, Mykolaev et Kiev sont des “villes russes”.
Par conséquent, “un compromis est de facto exclu”.
Le Conseil de sécurité de la Russie a bien compris que le concept stratégique adopté par l'OTAN lors du sommet de Madrid en 2022 est de militariser toute l'Europe. Pour Baab :
“Il propose une guerre multidimensionnelle contre un adversaire doté de l'arme nucléaire. En d'autres termes, une vision nucléaire de la guerre. Il affirme que l'élargissement de l'OTAN est un défi historique”.
C'est la rhétorique colportée sans relâche par Stoltenberg, tout droit sortie du think tank de l'OTAN, le Conseil de l'Atlantique.
En prenant le pouls de Moscou, lors d'une série d'échanges approfondis, le Kremlin se prépare clairement à une guerre d'usure qui pourrait durer des années - au-delà des “Raging Twenties” actuelles. Pour l'heure, le refrain en Ukraine est inchangé : un métissage de la technique de l'escargot et de l'inéluctable broyeur de viande.
La finalité, comme le souligne Baab, est que “Poutine cherche à conclure un accord de sécurité fondamental avec l'Occident”. Même si nous savons tous que cela n'arrivera pas avec les néo-conservateurs straussiens qui dictent les politiques au Beltway [Washington], les réalités sur le terrain - géo-économiques - sont sans équivoque : la Russie, sanctionnée à mort, a déjà devancé l'Allemagne et le Royaume-Uni, et se trouve être aujourd'hui l'économie la plus forte d'Europe.
C'est réconfortant de voir un analyste allemand citer l'historien Emmanuel Todd [“La troisième guerre mondiale a déjà commencé”] et l'analyste militaire suisse Jacques Baud, qui a exposé l'existence d'une “philosophie de la guerre très élaborée en Russie depuis l'époque soviétique”, incluant facteurs économiques et politiques.
Baab se réfère également à l'inimitable Sergei Karaganov, pilier du Conseil scientifique du Conseil de sécurité, dans une interview accordée à Rossiyskaya Gazeta :
“La Russie a bouclé son périple européen... Les élites européennes, et surtout allemandes, sont dans un état de faillite historique. Le fondement de leur domination depuis 500 ans - la supériorité militaire sur laquelle la domination économique, politique et culturelle de l'Occident s'est construite - leur a été retiré (...) L'Union européenne se dirige (...) lentement mais sûrement vers la désintégration. C'est pourquoi les élites européennes affichent une attitude hostile à l'égard de la Russie depuis une quinzaine d'années. Elles ont besoin d'un ennemi extérieur”.
Si vous doutez, lisez Shelley
Il est désormais clair comme de l'eau de roche que Washington divise activement l'UE en faveur d'un axe Vilnius-Varsovie-Kiev radicalement russophobe.
Pendant ce temps, le “no compromis” en Ukraine est profondément déterminé par la géoéconomie : l'UE a désespérément besoin d'accéder au lithium ukrainien pour l'escroquerie de la “décarbonisation”, aux vastes richesses minérales, au riche sol de terre noire (aujourd'hui principalement propriété de BackRock, Monsanto et Cie, aux routes maritimes (en supposant qu'Odessa ne revienne pas à son statut de “ville russe”) et, surtout, à la main d'œuvre ultra bon marché.
Quoi qu'il en soit, le diagnostic de Baab pour l'UE et l'Allemagne est sombre : “L'Union européenne a perdu sa fonction centrale” et “historiquement, elle a échoué dans son rôle de promoteur de la paix”. Après tout, c'est l'axe Washington-Vilnius-Varsovie-Kiev qui “donne le ton”.
Et ce n'est pas tout : “Nous sommes en train de devenir non seulement l'arrière-cour des États-Unis, mais aussi l'arrière-cour de la Russie. Les flux d'énergie et le trafic de conteneurs, les centres économiques se déplacent vers l'est, se formant le long de l'axe Budapest-Moscou-Astana-Pékin”.
Alors que nous croisons Medvedev, Ishchenko et Baab, la conclusion inévitable est que la guerre par procuration sur le pays 404 se poursuivra encore et encore - à une myriade de niveaux. Des négociations de “paix” sont absolument hors de question - certainement pas avant les élections de novembre aux États-Unis.
Ishchenko est conscient qu'“il s'agit d'une catastrophe civilisationnelle” - peut-être pas “la toute première depuis la chute de l'Empire romain” : car après tout, plusieurs autres civilisations se sont effondrées à travers l'Eurasie depuis le IVe siècle. Ce qui saute aux yeux, c'est que l'Occident collectif tel que nous le connaissons est en train de flirter avec un aller simple pour les rebus de l'Histoire.
Ce qui nous amène au génie de Shelley, résumé dans l'un des sonnets les plus dévastateurs de l'histoire de la littérature, Ozymandias, publié en 1818 :
J’ai rencontré un voyageur de retour d’une terre antique
Qui m'a dit : « Deux jambes de pierre immenses et dépourvues de buste
Se dressent dans le désert. Près d’elles, sur le sable,
À moitié enfoui, gît un visage brisé dont le sourcil froncé,
La lèvre plissée et le rictus d’autorité glacé
Disent que son sculpteur sut lire les passions
Qui survivent encore dans ces objets sans vie
À la main qui les imita et au cœur qui les nourrit.
Et sur le piédestal apparaissent ces mots :
« Mon nom est Ozymandias, Roi des Rois.
Voyez mon œuvre, ô puissants, et désespérez ! »
Auprès, rien ne demeure. Autour des ruines
De cette colossale épave, infinis et à nus,
Les sables monotones et solitaires s’étendent au loin. »
Alors que nous poursuivons notre quête de lumière dans les ténèbres du chaos - avec un génocide en cours 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 - nous pouvons visualiser le piédestal se dressant au cœur d'un vaste désert, peint par Shelley grâce à deux allitérations sublimes, “boundless and bare” (infinis et à nus) et “lone and level” (monotone et solitaire).
Ce vaste espace désertique reflète un vide politique absolu : seule compte l'obsession avide du pouvoir total, “le rictus d’autorité glacé” affirmant l’éternité d'un “ordre international fondé sur des règles” dans le flou.
Ah que oui, c'est un sonnet de tonnerre heavy metal qui survit aux Empires - y compris la “colossale épave” qui se désintègre sous nos yeux.
https://www.unz.com/pescobar/why-medvedev-is-free-to-go-full-born-to-be-wild/