đâđš Pourquoi Poutine a-t-il rejetĂ© la proposition de cessez-le-feu amĂ©ricano-ukrainien ?
Si l'objectif des USA & de lâEurope est une paix vĂ©ritable & durable, une stratĂ©gie basĂ©e sur les menaces, sanctions & ultimatums est la pire approche possible. Pour l'instant, la guerre se poursuit.
đâđš Pourquoi Poutine a-t-il rejetĂ© la proposition de cessez-le-feu amĂ©ricano-ukrainien ?
Par Thomas Fazi, le 14 mars 2025
Sans une indication claire que l'Ukraine est prĂȘte Ă rĂ©pondre aux attentes fondamentales de la Russie, Poutine ne gagnerait rien Ă suspendre le conflit.
Comme je l'ai prédit dans mon dernier article (publié mercredi), Poutine a rejeté jeudi la proposition américano-ukrainienne de cessez-le-feu immédiat de 30 jours.
C'Ă©tait prĂ©visible. Ce que l'Ukraine et les Ătats-Unis ont proposĂ© Ă la Russie, c'est de mettre immĂ©diatement fin aux hostilitĂ©s et d'entamer ensuite l'Ă©laboration d'un accord de paix plus global. Mais la Russie a toujours adoptĂ© une approche opposĂ©e, insistant sur la nĂ©cessitĂ© de s'entendre sur les grandes lignes d'un accord avant de pouvoir envisager un cessez-le-feu.
La raison est assez Ă©vidente : sans une indication claire que l'Ukraine est prĂȘte Ă rĂ©pondre aux attentes fondamentales de la Russie - avant tout, la reconnaissance formelle des territoires annexĂ©s par la Russie comme faisant partie de la FĂ©dĂ©ration de Russie, et l'adoption d'un statut neutre et non alignĂ©, associĂ© Ă la dĂ©militarisation - la Russie ne tirerait aucun avantage Ă suspendre le conflit, surtout Ă un stade oĂč elle continue sa progression sur le champ de bataille, en particulier dans la rĂ©gion de Koursk, qui a Ă©tĂ© presque entiĂšrement libĂ©rĂ©e, car cela ne ferait que donner aux Ukrainiens le temps de âbattre en retraite, se regrouper et se rĂ©armerâ, comme l'a dit Poutine. Ceci s'explique notamment par le fait que la Russie considĂšre les accords de Minsk comme un subterfuge occidental visant Ă donner Ă l'Ukraine le temps de trouver une solution militaire, comme l'ont d'ailleurs admis plusieurs dirigeants occidentaux.
Cependant, l'Ukraine n'a jusqu'Ă prĂ©sent donnĂ© aucune indication quant Ă sa volontĂ© de satisfaire les revendications de la Russie. En effet, il y a quelques jours Ă peine, Zelensky a rĂ©itĂ©rĂ© son opposition Ă toute concession territoriale. De plus, selon les mĂ©dias ukrainiens, les âlignes rougesâ de l'Ukraine pour entamer des pourparlers de paix semblent inclure
âaucune restriction sur les effectifs des forces de dĂ©fense et aucune restriction sur la participation de l'Ukraine aux organisations internationales, y compris l'UE et l'OTANâ.
Dans ces conditions, la Russie n'a absolument rien Ă gagner Ă conclure un cessez-le-feu.
Et en toile de fond, on retrouve les EuropĂ©ens, qui ont rĂ©cemment prĂ©sentĂ© une âstratĂ©gie de paixâ qui prĂ©voit le renforcement des capacitĂ©s militaires de l'Ukraine (notamment par la livraison de systĂšmes de dĂ©fense aĂ©rienne, de munitions et de missiles) afin d'amĂ©liorer le pouvoir de nĂ©gociation de ce pays et de parvenir Ă un accord qui ârespecte l'indĂ©pendance, la souverainetĂ© et l'intĂ©gritĂ© territoriale de l'Ukraineâ. En d'autres termes, aucune concession territoriale. Cette mesure serait suivie de solides garanties de sĂ©curitĂ© sous la forme de troupes europĂ©ennes (c'est-Ă -dire de l'OTAN) sur le terrain, une demande reprise par Zelensky mais fermement rejetĂ©e par la Russie.
En d'autres termes, les parties sont loin de s'entendre sur les conditions générales que la Russie considÚre comme préalables à toute cessation des hostilités. Qu'a donc dit Poutine exactement ? Il a exprimé son adhésion de principe à l'idée d'un cessez-le-feu, déclarant :
âL'idĂ©e en elle-mĂȘme est bonne et nous la soutenons sans rĂ©serveâ, et âNous sommes d'accord avec les propositions visant Ă mettre fin aux combatsâ.
Cependant, il a fait part de ses préoccupations et a énoncé les conditions à remplir pour que la Russie s'engage pleinement.
âNous tenons Ă ce que l'Ukraine nous garantisse qu'elle ne mobilisera pas de troupes, n'entraĂźnera pas de soldats et ne recevra pas d'armes pendant les 30 jours de cessez-le-feuâ,
a dĂ©clarĂ© Poutine, faisant rĂ©fĂ©rence non seulement Ă l'intention de l'Europe de renforcer les capacitĂ©s militaires de l'Ukraine, mais aussi Ă la dĂ©cision des Ătats-Unis de reprendre leur aide militaire Ă l'Ukraine. Poutine s'est interrogĂ© sur la maniĂšre dont le cessez-le-feu serait appliquĂ©, demandant :
âQui donnera l'ordre de cesser les hostilitĂ©s, et quelle crĂ©dibilitĂ© accorder Ă de tels ordres ?â
Il a soulignĂ© que tout cessez-le-feu doit âmener Ă une paix durable et Ă©liminer les causes profondes de la criseâ,
s'alignant ainsi sur les demandes de longue date de la Russie, qui incluent la reconnaissance par l'Ukraine de l'annexion par la Russie de la CrimĂ©e et de quatre rĂ©gions du sud-est, le retrait des troupes de ces rĂ©gions et l'engagement de ne pas rejoindre l'OTAN. Poutine a indiquĂ© qu'il est nĂ©cessaire de poursuivre les discussions pour clarifier ces ânuancesâ et mettre en place des mĂ©canismes empĂȘchant l'Ukraine d'utiliser la trĂȘve pour renforcer ses positions militaires.
âToutes ces questions requiĂšrent des Ă©tudes minutieuses par les deux partiesâ, a-t-il conclu.
D'autres diplomates russes ont adopté un ton encore plus direct.
âNotre position est que ce [cessez-le-feu] n'est rien de plus qu'un rĂ©pit temporaire pour l'armĂ©e ukrainienne, rien de plusâ,
a déclaré l'assistant du président russe, Yuri Ushakov. L'ambassadeur de Russie au Royaume-Uni, Andrey Kelin, a corroboré cet avis :
âNous examinerons la proposition amĂ©ricaine de cessez-le-feu. Nous ne mettrons fin aux opĂ©rations militaires que lorsque l'accord sera complet et global. La Russie a dĂ©clarĂ© Ă plusieurs reprises qu'un cessez-le-feu temporaire n'est pas une option pour rĂ©soudre le conflitâ.
La rĂ©ponse de la Russie Ă la proposition amĂ©ricano-ukrainienne n'a rien de surprenant. Une comprĂ©hension Ă©lĂ©mentaire de la situation laissait prĂ©sager que Moscou n'accepterait pas un cessez-le-feu dans les conditions actuelles. Mais, comme je l'Ă©crivais l'autre jour, c'Ă©tait peut-ĂȘtre prĂ©cisĂ©ment le but de Zelensky et des dirigeants europĂ©ens : ârenvoyer la balle dans le camp de la Russieâ, en anticipant le rejet de l'offre par Moscou, ce qui leur permettra de faire passer la Russie pour une puissance indiffĂ©rente Ă la paix, et leur fournira une excuse pour poursuivre la guerre.
En fait, ils ont dĂ©jĂ commencĂ© Ă faire passer ce message. Dans une vidĂ©o adressĂ©e jeudi soir, Zelensky a accusĂ© Poutine de manipuler le discours sur le cessez-le-feu pour prolonger la guerre, et a dĂ©clarĂ© que les conditions prĂ©alables de la Russie ont pour but de veiller Ă ce que ârien ne fonctionne, ou le plus tard possibleâ. Plus tĂŽt dans la journĂ©e, Zelensky a observĂ© sur X que l'absence de rĂ©ponse significative de la Russie montre son intention de âprolonger la guerre et de repousser la paixâ, appelant Ă une pression amĂ©ricaine pour forcer la Russie Ă mettre fin au conflit, vraisemblablement selon les conditions de l'Ukraine. Toute tentative des Ătats-Unis pour forcer la Russie Ă conclure un accord non satisfaisant est cependant vouĂ©e Ă l'Ă©chec et ne fera que prolonger le conflit, car c'est Zelensky en personne qui cherche Ă prolonger la guerre, trĂšs probablement avec le soutien des EuropĂ©ens.
Reste donc Ă savoir comment Trump va rĂ©agir maintenant que Poutine a renvoyĂ© la balle dans le camp amĂ©ricain. Pour l'instant, il semble adopter l'approche de la carotte et du bĂąton : il a qualifiĂ© la dĂ©claration de Poutine de âtrĂšs prometteuseâ, tout en profĂ©rant des menaces voilĂ©es selon lesquelles la Russie pourrait subir des rĂ©percussions financiĂšres âdĂ©vastatricesâ si elle dĂ©cidait de poursuivre la guerre. En effet, le 12 mars, Trump a laissĂ© expirer une exemption de sanctions de l'Ăšre Biden, qui autorisait les banques russes sanctionnĂ©es Ă traiter les paiements europĂ©ens pour les ventes de pĂ©trole.
Cette exemption, initialement incluse dans un ensemble de sanctions plus large imposĂ© par l'administration Biden en janvier 2025 et visant le secteur Ă©nergĂ©tique russe, prĂ©voyait une pĂ©riode de transition de 60 jours pour permettre aux pays europĂ©ens de s'adapter. Cette pĂ©riode a pris fin le 12 mars et Trump ne l'a pas renouvelĂ©e, empĂȘchant de fait ces banques d'accĂ©der aux systĂšmes de paiement amĂ©ricains pour les transactions Ă©nergĂ©tiques. En consĂ©quence, les pays europĂ©ens ne peuvent plus lĂ©galement acheter de pĂ©trole russe par ce biais sans s'exposer Ă des sanctions amĂ©ricaines. En d'autres termes, le rĂ©gime de sanctions de Trump est dĂ©sormais bien plus Ă©tendu que celui mis en place par Biden.
Cette dĂ©cision vise clairement Ă faire pression sur la Russie, mais elle a peu de chances de rĂ©ussir. Non seulement Moscou a dĂ©montrĂ© une capacitĂ© remarquable Ă rĂ©sister aux sanctions occidentales, mais, plus fondamentalement, de telles tactiques envoient prĂ©cisĂ©ment les mauvais signaux. Du point de vue de la Russie, l'Occident, en particulier les Ătats-Unis, a provoquĂ© cette guerre via ses politiques irresponsables en Ukraine et le long du flanc oriental de l'OTAN. Selon Moscou, toute rĂ©solution durable doit s'attaquer aux causes profondes du conflit, qui vont au-delĂ des aspirations de l'Ukraine Ă l'OTAN et concernent la question plus gĂ©nĂ©rale du mĂ©pris occidental pour les prĂ©occupations lĂ©gitimes de la Russie en matiĂšre de sĂ©curitĂ©.
En tentant de forcer la main à la Russie pour obtenir une résolution rapide sans aborder ces différends plus profonds, Trump ne fera que renforcer la conviction de la Russie que les négociations sont vaines et que seuls des moyens militaires peuvent garantir sa sécurité. De plus, cela confirme la position de longue date de Poutine selon laquelle l'Occident agit en usant de menaces et du recours à la force plutÎt que par la diplomatie. La position de la Russie n'en sera que plus inflexible.
Si l'objectif est une paix véritable et durable, une stratégie basée sur le chantage et les ultimatums est la pire approche possible. Bien sûr, il est possible que les déclarations publiques de Trump soient destinées au public occidental et qu'il suive une stratégie toute autre en coulisses. L'avenir nous le dira. Pour l'instant, la guerre se poursuit.