👁🗨 Poursuivre abusivement Assange accorde aux États-Unis un champ d'action extra-territorial
Le soutien à la libération d'Assange a grandi. Le prix qu'il a payé est trop élevé. La cruauté de l'État va trop loin. Si nos décideurs ne le réalisent pas, c'est qu'ils ne sont pas aptes à gouverner.
👁🗨 Poursuivre abusivement Assange accorde aux États-Unis un champ d'action extra-territorial
Par Mary Kostakidis, le 23 février 2024
Lors d'une extraordinaire série d'événements à peine rapportés, à l'approche de la conclusion de l'appel de deux jours de Julian Assange devant la High Court britannique contre son extradition, un trou béant est apparu dans les plans visant à le faire monter dans un avion à destination des États-Unis.
Dans les derniers instants de l'audience, Ben Watson KC, représentant le ministre britannique de l'intérieur, a admis que des chefs d'accusation supplémentaires, passibles de la peine de mort, pourraient être retenus contre Julian Assange aux États-Unis, comme la complicité de trahison. Interrogé par le juge sur la possibilité de faire quoi que ce soit pour empêcher l'application de la peine de mort, il a répondu
“Il va être très difficile pour les États-Unis d'offrir des garanties excluant l'application de la peine de mort”.
La formulation est significative : il ne s'agit pas de la difficulté d'“accepter” une garantie, mais de la capacité des États-Unis à pouvoir la fournir. Cela indique que le sujet a été - comme on peut s'y attendre - abordé et que les États-Unis ne peuvent pas (il s'agit de lois nationales) ou ne veulent pas le faire. Dans tous les cas, nous avons un problème, ici !
Quelles sont les implications pour le secrétaire d'État britannique qui a déjà approuvé l'extradition et pour la récente décision de la High Court qui l'a validée ?
Julian Assange doit encore attendre pour savoir si les deux juges décideront de l'extradition, et si d'autres motifs justifient un appel en bonne et due forme.
Mais le temps presse pour Julian Assange, qui n'a pratiquement pas vu la lumière du soleil depuis 13 ans, qui, à 52 ans, a subi un accident vasculaire cérébral et qui présente les effets d'une profonde et constante angoisse. Il est confronté à la perspective de conditions inhumaines dans une prison américaine super-max à vie - isolement dans un compartiment d’acier - et la Cour a estimé que le risque de suicide était élevé.
Les garanties offertes ultérieurement par les États-Unis et acceptées par le juge de la High Court qui a annulé la décision de refuser l'extradition ne valent en tout état de cause même pas le papier sur lequel elles sont écrites, a déclaré Amnesty International, car les États-Unis se réservent le droit de se rétracter.
Le tribunal a appris que M. Assange était trop souffrant pour être présent. S'il avait été présent, comme il l'avait souhaité, il se serait retrouvé dans cette minuscule salle d'audience, sans doute comme toujours tout au fond, enfermé dans une cage comme s'il était un délinquant violent, dans l'incapacité de communiquer avec ses avocats. Il n'est pas violent, bien sûr, mais cela nous rappelle, à lui et à nous tous, combien son cas est important pour la justice britannique. Il n'a été accusé de rien, mais il est recherché par une superpuissance dont il a dénoncé la criminalité en publiant les éléments de preuve qui l'attestent. Il s'agit de la première audience au cours de laquelle la criminalité des États-Unis a été évoquée et développée par ses avocats. La criminalité de l'État américain.
L'équipe de défense d'Assange a fait un travail brillant en argumentant les nombreux motifs d'appel - sa meilleure performance à ce jour - tandis que l'accusation a ressorti les arguments prévisibles, fabriqués et largement démentis, à savoir qu'il est un pirate informatique qui aurait déversé sur internet des documents non expurgés risquant de porter préjudice aux personnes citées et de causer des problèmes aux États-Unis.
L'accusation de piratage informatique est importante pour les États-Unis : elle est assortie de la peine d'emprisonnement la moins lourde, mais elle est essentielle pour différencier son travail de celui d'un journaliste. Nous savons qu'ils ont essayé de renforcer ce chef d'accusation, mais leurs tentatives ont échoué parce que leur principal témoin, le pédophile condamné Siggy Thordarson, s'est publiquement dénoncé, admettant qu'il avait menti au FBI au sujet d'Assange.
Chelsey Manning a affirmé sans équivoque qu'elle était seule responsable de l'accès aux documents, et il est bien établi qu'elle avait l'autorisation de sécurité nécessaire pour le faire.
Une discussion enregistrée sur Internet entre deux personnes anonymes au sujet de la possibilité d'accéder à des documents tout en protégeant son identité s'est terminée par un “Je suis désolé, je ne peux pas vous aider”.
Comment tirer de cela la certitude a) qu'il s'agissait d'Assange et de Manning et b) qu'il l'a aidée à couvrir ses traces, contribuant ainsi à l'acte de “piratage”, c'est ridicule - ce n'est tout simplement pas une conclusion cohérente.
Cependant, le travail d'un journaliste consiste en partie à protéger l'identité de ses sources, et cela va souvent jusqu'à leur donner des conseils sur la manière dont elles peuvent s'assurer de ne pas laisser de traces. Encourager la diffusion d'informations supplémentaires et de preuves à l'appui fait également partie du travail d'un journaliste.
Cependant, Claire Dobbin KC pour l'accusation a soutenu que cela revient à encourager les gens à voler des documents, constituant un délit pénal. Ainsi, encourager, offrir des conseils à une source pour qu'elle dissimule son identité, recevoir et publier des informations sur des crimes d'État sont autant d'activités criminelles.
Ces poursuites draconiennes criminalisent le journalisme et confèrent aux États-Unis une portée extraterritoriale, en permettant l'application d'une loi nationale destinée à combattre l'espionnage.
Et ce n'est pas tout. Les procureurs américains ont simultanément déclaré qu'ils veilleraient à ce que M. Assange ne soit pas protégé par le Premier Amendement lors d'un procès dans ce pays parce qu'il n'est pas citoyen américain, mais, pour éviter que cela ne devienne un argument contre l'extradition, ils ont déclaré qu'il était tout à fait possible qu'il soit protégé par cet amendement. Le cas d'Assange serait un test, car tout cela est inédit .
À cela s'ajoute la probabilité d'inculpations supplémentaires pouvant entraîner la peine de mort.
L'inculpation d'Assange a été prononcée pendant le mandat de Mike Pompeo en tant que secrétaire d'État et à la suite de la publication par Wikileaks de Vault 7 - la boîte à malices de la CIA qui comprend de multiples programmes lui permettant d'interférer et de tracer les empreintes numériques d'un autre État, notamment de la Russie et de la Chine.
M. Pompeo a qualifié Wikileaks d'“agence de renseignement étrangère hostile”. Ce terme permet à la CIA d'entreprendre toutes sortes de scénarios à son encontre sans l'approbation du Congrès. De nombreux témoins, y compris des collaborateurs de la CIA, ont confirmé que la CIA avait eu l'intention de l'enlever ou de le tuer.
Dans le cadre du système judiciaire américain, les parties prenantes - en l'occurrence la CIA - auraient leur mot à dire sur les conditions d'incarcération. Mais il est extraordinaire que l'on envisage d'extrader Assange vers un pays dont les services de renseignement ont comploté pour le tuer et dont certains hauts fonctionnaires ont appelé à sa mort.
Le deuxième argument principal de l'accusation est qu'il est responsable de la divulgation des noms des sources américaines.
Bien que personne n'ait été affecté et que le bienfait des divulgations pour l'intérêt public doive être évalué, il n'est en fait pas responsable de la divulgation des noms et l'accusation, comme les autorités américaines le savent pertinemment.
Un journaliste chevronné du Guardian - dans un acte d'une irresponsabilité stupéfiante - a d'abord insisté pour que M. Assange lui communique une clé d'accès, le Guardian étant un partenaire de publication de Wikileaks, puis il a publié cette clé dans son livre. En effet, cette clé est devenue le titre d'un chapitre du livre.
Assange craignait que le site web de WikiLeaks ne soit désactivé et a veillé à ce que des “sites miroirs” soient implantés ailleurs. Ces sites miroirs étaient parfaitement sûrs et comportaient plusieurs niveaux de sécurité, y compris l'exigence de mots de passe. Les sites miroirs n'ont jamais été destinés à être consultés - ils constituaient la sauvegarde des documents, mais la publication de la clé a entraîné le téléchargement immédiat des documents par de nombreux sites web dirigés par des experts en technologie. Le site qui a publié le premier les documents est Cryptome.org .
Son rédacteur en chef en a témoigné lors de l'audience d'extradition d'Assange, ajoutant que les États-Unis ne lui avaient même pas demandé de retirer les documents.
Les États-Unis ne cessent de répéter qu'il ne s'agit pas d'une attaque contre le journalisme légitime et traditionnel. Compte tenu de sa position, le Guardian ne pourrait-il pas accepter une certaine part de responsabilité de manière publique et explicite à ce stade, étant donné les conséquences catastrophiques que cette action pourrait avoir pour Assange ? Après tout, on s'accorde à dire que ces poursuites constituent un précédent désastreux qui aura un impact sur la capacité des journalistes à demander des comptes au pouvoir et à dénoncer les crimes et la corruption de l'État.
C'est là un cadeau pour Biden, dont les chances face à Trump sont minces lors des prochaines élections. Il peut abandonner les poursuites pour sauver la presse traditionnelle aux États-Unis, sinon cela créera un précédent que Trump pourrait utiliser contre le New York Times et le Washington Post. Saisira-t-il l'occasion de se présenter comme un défenseur de la presse américaine face à Trump ? Tout dépendra de sa capacité à faire face à la CIA, compte tenu de son état cognitif.
Les principaux arguments de la défense sont les suivants : on ne peut pas s'appuyer sur le traité tout en l'ignorant - l'extradition pour un délit politique n'est pas autorisée par le traité, ni par le droit international, et l'espionnage est universellement défini comme un délit politique. En outre, l'extradition est interdite en vertu de l'article 81 de la loi britannique sur l'extradition de 2003, tout comme accéder à la demande d'extradition d'une personne qui sera poursuivie et punie pour ses opinions politiques (les juges semblaient ne pas connaître cet article de loi). Les opinions politiques de M. Assange sont considérées comme un délit politique, qu’elles sont bien connues - il a révélé la criminalité de l'État afin de responsabiliser les citoyens et croyait que cela entraînerait un changement - qu'avec une transparence et une responsabilité accrues, les États seraient moins susceptibles de perpétrer des crimes, en particulier de mener des guerres d'agression au profit des élites, que ses actions et sa motivation sont politiques (le journalisme en tant qu'acte politique peut faire l'objet d'un autre article), qu'il est le “porte-parole d'un mouvement politique international - non pas au service d'une nation particulière, mais plutôt au service des intérêts généraux de l'humanité. Il s'agit d'un exemple paradigmatique de représailles étatiques pour l'expression d'une opinion politique” - et pour avoir révélé des crimes d'État tels que les restitutions, la torture et les assassinats. Par ailleurs, les États-Unis ont montré qu'ils recherchent l'impunité mondiale et ont menacé toute personne coopérant à l'enquête proposée par la CPI sur les crimes de guerre en Afghanistan, voire ont intimidé les procureurs de la CPI eux-mêmes, dans une affaire où les documents de Wikileaks seraient présentés comme des preuves et où Assange lui-même témoignerait.
En réponse à ces arguments sur les motivations politiques d'Assange et des États-Unis, Claire Dobbin a répondu qu'il ne s'agissait pas de poursuites politiques parce que le gouvernement avait changé depuis la publication de l'acte d'accusation. Il s'agit là d'une distorsion aussi basique qu’étroite d’esprit du terme “politique”, l’ensemble étant invalidé par l'absence de différences significatives entre les deux principaux partis en matière de politique étrangère, de guerres d'agression et de secret.
En ce qui concerne la divulgation des noms, l'un des juges a demandé s'il existait des précédents - y avait-il eu de grandes divulgations de noms, et des poursuites pour divulgation d'un grand nombre de sources humaines ? Étonnamment, la réponse a été oui, et cela n'a abouti qu'à la confiscation d'un passeport !
La défense d'Assange a soutenu de manière convaincante que, pour toutes les raisons susmentionnées, l'extradition violerait de nombreux articles de la Convention européenne des droits de l'homme.
C'est lors de cette audience qu'il a été question pour la première fois d'un accord de plaidoyer. Presque au même moment, notre Premier ministre a révélé aux médias qu'il travaillait avec les avocats d'Assange à parvenir à une solution. La CIA voudra sa part du gâteau et il est probable qu'on demanderait à Assange d'admettre des crimes qu'il n'a pas commis, comme David Hicks, ou des actes de journalisme redéfinis comme étant criminels, ce qui constitue autant de freins, tout comme le fait d'avoir à se rendre aux États-Unis.
Il importe de mentionner mes sources d'information concernant ce qui s'est passé lors de cette audition, même si les défauts de l'analyse et des commentaires sont de mon fait.
Comme tous les journalistes hors d'Angleterre et du Pays de Galles, je me suis vu refuser l'accès à un lien pour assister à l'audition. C'est un fait sans précédent depuis que je suis les audiences d'Assange, y compris les deux précédentes audiences devant la même High Court. Cette décision de la Cour a porté préjudice aux journalistes indépendants du monde entier. C'est un double coup dur pour les journalistes australiens comme moi et pour tous les Australiens qui ont compté sur nous pour obtenir des informations sur ce qui se déroulait au tribunal en temps réel sur X et, par la suite, dans d'autres analyses, discussions, interviews et articles, ainsi que dans les publications d'Andrew Fowler. Non seulement il s'agit de la plus grande affaire de liberté de la presse au monde, sans doute depuis que la notion de liberté de la presse a été établie, mais au centre de cette affaire se trouve un citoyen australien.
Bien que chaque audience soit marquée par des problèmes techniques, notamment au niveau du son, il semble que celle-ci ait été la pire. Même les journalistes présents dans la minuscule salle d'audience ont eu du mal à entendre les propos tenus à voix basse, tandis que ceux qui se trouvaient dans une salle adjacente n'ont presque rien entendu, apparemment en raison d'une connexion Wi-Fi inadéquate, et que ceux qui se trouvaient sur une liaison extérieure, mais “en Angleterre et au Pays de Galles”, ont eu du mal à entendre la majeure partie des propos tenus. En conséquence, il semble que personne n'ait pu entendre la totalité de ce qui s'est passé. Ce n'est pas ainsi que l'on rend une justice ouverte.
Étant donné le degré de mobilisation très prévisible, il aurait fallu une grande salle d'audience avec des micros corrects et, si l'on sait que le bâtiment est équipé d'une connexion Wi-Fi inadéquate, les journalistes auraient dû se voir proposer une liaison avec la salle d'audience depuis le lieu de leur choix.
Rien n'a justifié la notification de l'obligation de se trouver physiquement dans la juridiction si peu de temps avant l'audience, empêchant les journalistes de sauter dans un avion sans garantie de pouvoir accéder à la salle d'audience à l'arrivée.
Pour obtenir des informations sur ce qui s'est passé dans la salle d'audience, j'ai consulté les messages en direct, les brefs articles ou les vidéos de Mohamed Elmaazi, Cathy Vogan, Taylor Hudak, Richard Medhurst, Stefania Maurizi et Kevin Gosztola.
Conformément aux conseils donnés aux États-Unis par la société de conseil Stratfor pour traîner Assange de pays en pays et de procès en procès, il s'agit d'un “simulacre de procès” dont l'objectif est clair. C'est parfois du pur Monte Python, comme l'a fait remarquer un autre commentateur, et pour d'autres, c'est moyenâgeux.
Il s'agit d'un combat juridique manifeste contre quelqu'un qui a été déshumanisé avec efficacité. Mais l'opinion publique sur Assange a évolué et le soutien à sa libération s'est accru au sein de notre Parlement et à l'étranger. Le prix qu'il a payé est trop élevé, même pour ceux qui n'aiment pas son travail. Quoi qu'il en soit, qu'il s'agisse d'une vengeance, d'un exemple, d'un précédent, ce n'est pas de la justice.
Cette affaire se déroule dans un climat horrible, de profonde colère et de méfiance de l'opinion publique à l'égard des dirigeants des démocraties occidentales face au génocide en cours à Gaza, où le régime israélien a tué plus d'une centaine de journalistes depuis le 7 octobre. Nous continuons à voir chaque jour les effets de la déshumanisation de l'autre, y compris des enfants. Aucun châtiment, aucune atrocité ne sont excessifs de la part des “pays amis”.
La cruauté de l'État est allée trop loin. Si nos dirigeants ne le comprennent pas, c'est qu'ils ne sont pas aptes à gouverner.
* Mary Kostakidis est journaliste. Elle a présenté SBS World News pendant deux décennies.