👁🗨 Poursuivre Assange menace la liberté de la presse. Les responsables américains ne devraient pas avoir besoin que les Australiens le leur rappellent.
Espérerons que la délégation australienne réussira là où tant d'autres ont échoué, car si la situation est déjà si grave aujourd'hui, imaginez l'avenir du journalisme si Assange est jugé & condamné.
👁🗨 Poursuivre Assange menace la liberté de la presse. Les responsables américains ne devraient pas avoir besoin que les Australiens le leur rappellent.
Par Seth Stern, le 19 septembre 2023
Demain, une délégation d'hommes politiques australiens de tous horizons sera à Washington pour tenter de persuader les autorités américaines d'abandonner les poursuites à l'encontre de Julian Assange. Ce dernier devrait également faire l'objet d'une visite officielle du Premier ministre australien, Anthony Albanese, en octobre.
Il est tout à fait honteux que des fonctionnaires étrangers doivent expliquer à notre gouvernement que poursuivre un éditeur pour un travail qui a contribué à dénoncer des crimes de guerre constitue une menace pour le Premier Amendement. C'est pourtant ce qui se passe aujourd'hui, alors que M. Assange est sur le point d'être extradé pour être jugé, probablement dans les semaines à venir. Il est inculpé en vertu de l'Espionage Act, mais les accusations n'ont rien à voir avec l'espionnage - il est plutôt accusé d'avoir obtenu et publié des documents confidentiels fournis par une source, comme le font constamment les journalistes d'investigation.
Comme l'a déclaré l'avocat australien Greg Barns au Guardian, “la Chine utilise maintenant l'affaire Assange comme une sorte d'argument d'équivalence morale. Le message [de la délégation australienne] sera donc : c'est très dangereux pour les journalistes du monde entier et un nivellement par le bas est en train de se produire.” Nous avons également fait valoir que les États-Unis sapent leur crédibilité en s'opposant au simulacre de poursuites pour espionnage engagées par la Russie contre le journaliste du Wall Street Journal Evan Gershkovich, alors qu'ils poursuivent simultanément Assange pour des faits similaires.
Les Australiens sont loin d'être les premiers à mettre en garde l'administration Biden contre les dangers de ces poursuites. En novembre dernier, cinq des journaux les plus réputés au monde ont écrit au ministère de la Justice pour expliquer : “L'obtention et la divulgation d'informations sensibles lorsque l'intérêt public l'exige font partie intégrante du travail quotidien des journalistes. Si ce travail est criminalisé, notre discours public et nos démocraties s'en trouveront considérablement affaiblis”. Des dizaines de groupes de défense de la liberté de la presse et des libertés civiles ont appelé les procureurs de classer l'affaire.
Sept membres du Congrès, à commencer par la représentante Rashida Tlaib, ont réclamé l'arrêt des poursuites au début de l'année, avertissant que cela “affaiblirait considérablement la crédibilité de l'Amérique” en tant que défenseur des valeurs journalistiques. Nous les félicitons d'avoir agi de la sorte, mais d'autres législateurs auraient dû se joindre à eux.
Même l'administration Obama, qui n'est pas étrangère aux dangereuses poursuites engagées contre des lanceurs d'alerte en vertu de l'Espionage Act, a reconnu les risques liés aux poursuites engagées contre M. Assange. Les procureurs de l'époque auraient reculé devant le “problème du New York Times” - toute théorie criminelle qu'ils pourraient utiliser pour inculper Assange pourrait être utilisée par une future administration contre le Times.
Le président Trump était, sans surprise, moins soucieux de créer un précédent défavorable aux journalistes mais, jusqu'à présent, le ministère de la Justice de M. Biden n'a montré aucune volonté de prendre ses distances avec les poursuites engagées par son prédécesseur ouvertement hostile à la presse. Les récentes remarques du secrétaire d'État Antony Blinken ont semblé confirmer la position de l'administration.
Entre-temps, les répercussions de la criminalisation du journalisme en vertu du langage archaïque et trop général de l'Espionage Act - qui interdit de “détenir délibérément” des documents relatifs à la Défense - ont déjà commencé à se faire sentir. Le fait que le gouvernement n'ait pas tracé de ligne rouge contre la poursuite de la collecte d'informations courante enhardit les procureurs à utiliser contre les journalistes des lois d'une portée excessive, telles que la loi sur la fraude et l'abus informatiques [Computer Fraud and Abuse Act], et les lois des États sur la criminalité informatique.
Après tout, si les journalistes peuvent être poursuivis pour avoir obtenu des documents relatifs à la Défense en vertu de l'Espionage Act, pourquoi ne pourraient-ils pas faire l'objet d'une enquête pour avoir accédé “sans accréditation” à des sites web publics en vertu de la CFAA [Computer Fraud and Abuse Act] ? Ou, comme l'a récemment découvert le Marion County Record [journal hebdomadaire publié à Marion, Kansas], pour avoir accédé à un site web gouvernemental afin de vérifier une information ? Les journalistes d'investigation n'ont d'autre choix que d'avancer prudemment, de peur que, s'ils effectuent leur travail un peu trop efficacement, les policiers ne viennent frapper à leur porte.
Et si la situation est aussi grave aujourd'hui, imaginez le climat pour le journalisme d'investigation si Assange est finalement jugé et condamné.
Bien entendu, toute discussion sur l'Espionage Act doit aujourd'hui tenir compte de l'éléphant dans le salon : l'affaire de l'Espionage Act à l'encontre de Trump. C'est d'ailleurs pour cette raison que de nombreux démocrates ne s'inquiètent pas des poursuites engagées contre M. Assange : selon eux, Wikileaks aurait aidé M. Trump à remporter la présidence en publiant des documents compromettants pour Hillary Clinton. Assange mérite donc ce qui lui arrive, même si son inculpation n'a rien à voir avec l'élection de 2016.
Non seulement ce point de vue fait preuve d'un manque de clairvoyance concernant les libertés du Premier Amendement, mais ses partisans sont en train de scier la branche sur laquelle ils sont assis pour ne pas perdre la face. Si vous voulez que Trump soit condamné en vertu de l'Espionage Act, pourquoi vouloir que le gouvernement lance un défi constitutionnel fort à la même loi en poursuivant des accusations juridiquement douteuses contre Assange ? Si une contestation par Assange de la portée excessive de la loi devait aboutir avant la condamnation de Trump, elle affaiblirait considérablement le dossier des procureurs à l'encontre de Trump. Si elle aboutit après la condamnation, les défenseurs de Trump disposeront d'innombrables munitions pour remettre en question la validité de la condamnation.
Il n'y a aucune raison valable d'extrader et de juger Assange et d'innombrables raisons de ne pas le faire, dont beaucoup auraient dû être évidentes depuis longtemps pour une administration qui prétend prôner la liberté de la presse. Il faut espérer que la délégation australienne réussira là où beaucoup d'autres ont échoué, et persuadera le ministère de la justice de M. Biden d'abandonner enfin ces poursuites anti-américaines. Après quoi, le Congrès devrait abroger ou réformer l'Espionage Act afin que jamais cela ne se reproduise.