👁🗨 Quand Macron protège le financier de Marine Le Pen
Un incroyable scandale mêlant gros sous, services secrets & guerre froide entre France & Russie. Une Françafrique où Macronie & extrême-droite magouillent main dans la main sur le dos des Africains.
👁🗨 Quand Macron protège le financier de Marine Le Pen
Par Thomas Dietrich, le 4 juillet 2024
Juste après l’élection présidentielle de 2017, Laurent Foucher a sauvé le Front National de la faillite en prêtant 8 millions d’euros au parti de Marine Le Pen. Soupçonné d’avoir blanchi de l’argent sale provenant de paradis fiscaux, ce mystérieux businessman français n’est pour l’heure pas inquiété par notre justice. Aujourd’hui, il continue tranquillement de faire des affaires, comme en République Centrafricaine, où il se retrouve impliqué dans un incroyable scandale mêlant gros sous, services secrets et guerre froide entre la France et la Russie. Même Emmanuel Macron a volé à sa rescousse. Révélations sur une Françafrique où Macronie et extrême-droite magouillent main dans la main sur le dos des Africains.
En mars 2023, à l’Assemblée nationale, on est à deux doigts de déclencher le “plan Épervier”. Les services du Palais Bourbon cherchent désespérément à joindre l’homme d’affaires français Laurent Foucher, qui doit être auditionné par une commission d’enquête parlementaire sur les “ingérences étrangères”. Il n’est pas rare que certains renâclent à se présenter devant les députés. Mais ils finissent en général par obtempérer, comme Cyril Hanouna, présentateur vedette du groupe Bolloré, en mars 2024.
Sauf que Laurent Foucher reste lui tout bonnement introuvable. Celui qui fut le principal financier du Rassemblement national (ex Front national) en 2017 ne sera jamais entendu par les parlementaires, comme le raconte à Off Investigation le député de la France insoumise Aurélien Saintoul :
“Nous avions identifié que M. Laurent Foucher avait eu un rôle d’intermédiaire entre le Rassemblement national et la Russie. J’ai demandé à ce qu’on le convoque devant la commission d’enquête parlementaire sur les ingérences étrangères. Mais malheureusement les services de l’Assemblée m’ont indiqué ne pas avoir pu le localiser”.
Contacté sur le même numéro de téléphone que celui qu’avaient utilisé les services de l’Assemblée, Laurent Foucher a commencé par répondre avec trois emojis “mort de rire”, avant de bloquer Off Investigation lorsqu’il lui a été demandé pourquoi il ne s’était pas présenté devant les parlementaires. Comme s’il se sentait intouchable…
L’ange-gardien de Marine Le Pen
Inconnu du grand public, Laurent Foucher a pourtant pesé de tout son poids (financier) sur l’histoire récente de la Vème République. Si l’on considère que l’argent est le nerf de la politique, il a même joué les premiers rôles. Sans Foucher, le Rassemblement national n’existerait probablement plus. Sans lui, Marine Le Pen ne serait pas aujourd’hui aux portes du pouvoir. En effet, c’est ce businessman français implanté en Afrique qui juste après l’élection présidentielle de 2017, a sauvé le Front national d’une mort certaine.
Comme l’avaient révélé nos confrères de Médiapart, en juin 2017, Laurent Foucher avait prêté 8 millions d’euros au parti de la famille Le Pen. Le FN est alors au bord de la faillite financière et cette manne tombée du ciel a évité à Marine Le Pen, à une semaine près, l’invalidation de ses comptes de campagne à la présidentielle de 2017. Un scénario catastrophe qui aurait privé le Front national de financement public et l’aurait contraint à mettre la clé sous la porte. Mais grâce au prêt de Laurent Foucher, Marine Le Pen a été sauvée et a pu reprendre sa marche vers l’Elysée.
Sauf que ce prêt n’a pas fini de faire parler de lui. En 2019, la cellule de renseignement financier Tracfin a des doutes sur l’origine des 8 millions d’euros généreusement débloqués par Laurent Foucher, qui ont d’abord transité par les Emirats arabes unis avant d’arriver sur le compte du Front national. Tracfin adresse un signalement au parquet national financier (PNF). Une enquête sera ouverte, mais comme le précise le PNF à Off Investigation :
“Elle porte principalement sur les commissions perçues par l’intermédiaire ayant permis l’obtention du prêt” (l’ancien député européen RN Jean-Luc Schaffhauser, ndlr).
Si les investigations sont toujours en cours, une source judiciaire nous confie que “l’enquête ne porte pas sur d’éventuels faits de blanchiment commis par Laurent Foucher”. Et ce malgré le signalement Tracfin, qui “figure bien dans la procédure”. Circulez, il n’y a rien à voir. Le profil de Laurent Foucher, qui se présente sur son site personnel comme “le plus grand leader commercial vivant”, a pourtant tout pour intéresser la justice. Il est à des années-lumière de l’homme d’affaires “parfaitement honnête et parfaitement fréquentable” décrit par Wallerand de Saint-Just, trésorier du Front national au moment du prêt en 2017.
OSS 117 en Françafrique
Diplômé en chinois au sourire ultrabright et aux faux airs d’OSS 117, Laurent Foucher écume l’Afrique depuis une trentaine d’années, multipliant coups fourrés et opérations fumeuses, pour le meilleur et surtout pour le pire. Son nom se retrouve mêlé à un trafic d’armes en Angola à la fin des années 90, où on le dit intimement lié avec le renseignement extérieur français. Foucher atterrit ensuite à la tête d’une conserverie de poissons en Mauritanie, une entreprise qui ne servait pas tant à mettre en boîte du thon qu’à blanchir l’argent du fils de François Mitterrand (Jean-Christophe Mitterrand fut longtemps à la tête de la cellule Afrique de l’Élysée), comme l’évoquait Libération.
S’il n’a jamais vraiment été inquiété par la justice française, l’homme d’affaires a souvent ciré les bancs des tribunaux étrangers. Laurent Foucher a ainsi été poursuivi en Suisse et au Luxembourg pour abus de confiance, blanchiment d’argent ou encore banqueroute frauduleuse … Une plainte pénale déposée à son encontre en 2016 en Suisse par la société Amref 2 Igloo (à qui Foucher doit 6 millions d’euros) estime que
“Laurent Foucher vit exclusivement et depuis de nombreuses sur le dos des multiples créanciers qu’il a trompés (…) Il organise son insolvabilité personnelle afin d’échapper à ses créanciers, notamment par le biais des sociétés qu’il contrôle”.
D’après les informations d’Off Investigation, Laurent Foucher est également en délicatesse avec la fisc français, qui lui a infligé un redressement de 2,6 millions d’euros en 2009.
Foucher ne se contente pas de menus butins. Au tournant des années 2010, comme je le révélais récemment dans Le Media, il dérobe pas moins de 146 millions d’euros à des oligarques kazakhs, qui ont le malheur d’être en délicatesse avec la dictature de leur pays d’origine. Interrogé par Off Investigation alors qu’il est aujourd’hui réfugié à Genève, le très fortuné Ilyas Khrapunov se souvient :
“On voulait mettre nos avoirs à l’abri de la persécution que nous subissions en tant qu’opposants. L’Etat kazakh faisait pression sur plusieurs pays d’Europe pour que nos comptes bancaires soient gelés. Laurent Foucher nous a proposé de placer notre argent en Afrique, dans des projets de mines ou de télécoms qui seraient à l’abri. On lui a fait confiance. Il a pris nos fonds mais il ne nous les a jamais rendus. On ne sait pas ce qu’il a fait avec”.
Laurent Foucher aurait-il utilisé une partie de ce magot pour prêter 8 millions d’euros à Marine Le Pen ? Serait-ce de l’argent sale que le Front national aurait blanchi en acceptant le prêt de 2017 ? Foucher a-t-il débloqué ses fonds de son propre chef ou l’a-t-il fait pour le compte d’un mystérieux commanditaire ?
Les députés de la commission d’enquête sur les ingérences étrangères qui souhaitaient entendre Laurent Foucher n’auront jamais la réponse à ces questions. Ils ne sauront pas non plus pourquoi le financier de Marine Le Pen a été approché par les services secrets russes début 2017, quelques semaines seulement avant qu’il ne sauve le Front national de la ruine. Mais s’il ne s’est pas présenté devant la commission d’enquête parlementaire, le businessman français ne reste pas introuvable pour tout le monde. Il est même retourné à ses premières amours : faire de l’argent, beaucoup d’argent, de préférence en Afrique.
En ce début d’année 2023, Foucher s’active avec d’autres pour mettre le grapin sur la filiale de TotalEnergies en Centrafrique. La multinationale est présente de longue date dans cette ex-colonie française, au sous-sol si riche et à la population si pauvre. Total possède 28 stations-service sur ce territoire sans accès à la mer, ainsi que la quasi-exclusivité de l’importation de carburant ; la Centrafrique n’étant pas producteur de pétrole, le pays est donc obligé d’acheminer son essence via les pays voisins. Total fait environ 20 millions d’euros de chiffre d’affaires par an et est le premier contributeur fiscal de Centrafrique. Mais l’entreprise doit affronter l’hostilité croissante du régime en place.
Parfum de guerre froide en Centrafrique
En effet, depuis 2018, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra a rebattu les cartes. Il s’est détaché de la tutelle de Paris et a pactisé avec la Russie, en particulier avec les mercenaires de Wagner.
FRANCE/RUSSIE : GUERRE FROIDE EN CENTRAFRIQUE, THOMAS DIETRICH, LE MEDIA, 2022.
Les hommes d’Evgueni Prighozine se sont installés dans ce pays d’Afrique centrale. Ils assurent la garde prétorienne du président local et en échange, ils se payent sur la bête, en or et en diamants arrachés à la terre. Les chiens de guerre venus du froid ont aussi évincé la France, qui a dû retirer ses troupes de Centrafrique fin 2022. “Le président Touadera est l’otage de Wagner”, s’étrangle Emmanuel Macron dans une interview au Journal du dimanche (JDD) en mai 2021. À l’époque, l’Etat centrafricain ne paye plus ses factures de carburant à Total et les dettes s’accumulent. Le géant hexagonal est même à deux doigts de s’attirer de sérieux problèmes, lorsqu’il doit stopper in extremis le ravitaillement d’un jet présent sur le tarmac de l’aéroport de Bangui. Il faut dire que l’avion en question appartient au patron de Wagner, qui se trouve alors sous sanctions américaines. Fin 2022, TotalEnergies jette l’éponge en Centrafrique.
Les observateurs s’attendent alors à ce qu’une entreprise ayant les faveurs des Russes reprenne le flambeau. La surprise est de taille, lorsqu’Intelligence Online révèle que c’est la société Tamoil qui a repris la filiale de Total en Centrafrique. Tamoil n’est pas une inconnue dans le grand monde des pétroliers. C’est une compagnie libyenne, qui a été rachetée en 2007 par un fond d’investissement américain et qui a fini par atterrir en Suisse après la chute de Kadhafi ; l’entreprise a même sponsorisé un temps la Juventus de Turin. Sauf que contactée par Off Investigation, Tamoil assure ne pas être présente en Centrafrique. Et pour cause, c’est un autre Tamoil (TransAfricaMarketOIL en version complète) qui vient de racheter les actifs de TotalEnergies dans le pays, des stations-services en passant par la licence d’importation de carburant et la fourniture du fuel aux avions transitant par l’aéroport de Bangui. Le projet est porté par deux entrepreneurs français : officiellement, par le banquier Enguerrand Rochefort. Officieusement, par Laurent Foucher.
Mais le financier de Marine Le Pen doit avancer masqué. Il faut dire qu’il n’est plus en odeur de sainteté en République Centrafricaine, un pays qu’il connaît comme sa poche. Le contrat du prêt accordé au Front national a d’ailleurs été signé à Bangui, la capitale de la Centrafrique. Pendant plus d’une décennie, Foucher s’est acoquiné avec les dirigeants successifs de cet Etat failli déchiré par une guerre effroyable, allant même jusqu’à faire des affaires avec une ancienne rébellion qui avait promis d’instaurer la charia, et qui avait été adoubée par l’Elysée. En 2013, Laurent Foucher a même amené l’ancien ministre de l’intérieur Claude Guéant en jet privé à Bangui. Il a détenu le principal opérateur de téléphonie du pays et a longtemps prétendu avoir été nommé ambassadeur de République Centrafricaine auprès de l’ONU à Genève, ce qui était complètement bidon mais ce qui permettait de faire croire à ses créanciers qu’il était couvert par une immunité diplomatique. Si Foucher a pu évoluer comme un poisson dans l’eau à Bangui (rien plus de normal pour un ancien dirigeant de pêcherie), c’est qu’il a eu le feu vert de Paris, sans lequel rien n’était possible en Centrafrique jusqu’à l’arrivée des Russes. Mais le président Faustin-Archange Touadéra a peu à peu écarté ce businessman qui sent le souffre et la Françafrique à plein nez.
Paradis fiscaux et beaucoup de pipeau
Heureusement, Foucher peut compter sur un associé beaucoup plus présentable, qui peut montrer patte blanche à sa place : Enguerrand Rochefort. Dans les années 2000, ce banquier a fait ses armes aux côtés de Jean-Marie Messier, un ancien “Mozart de la finance” qui a favorisé l’ascension d’un certain Emmanuel Macron. Enguerrand Rochefort, qui n’a pas donné suite aux sollicitations de Off, a ensuite fondé sa propre “banque d’affaires” Rochefort & Associés, en réalité une ancienne entreprise de fabrication de matériel de sport qui ne compte à l’heure actuelle aucun salarié fixe. D’après les documents déposés au greffe centrafricain et consultés par Off Investigation, la maison-mère de Tamoil est officiellement une micro-entreprise londonienne appelée Rochefort International Limited et qui n’affiche que 1000 livres sterling de capital. Fin mars 2023, soit un mois après l’accord passé pour racheter TotalEnergies en Centrafrique, Rochefort International Limited n’avait que 35 000 livres sterling (soit un peu plus de 41 000 euros) en trésorerie. Difficile de ne pas se demander d’où vient vraiment l’argent qui a servi à sceller ce deal, tant les capacités financières d’Enguerrand Rochefort et de sa banque d’affaires paraissent limitées. Selon les informations d’Off Investigation, Total aurait même accordé des facilités de paiement en plusieurs fois à son repreneur en République Centrafricaine.
Pour approcher la vérité, il faut peut-être se tourner vers Laurent Foucher. Acculé par les créanciers, il ne peut plus investir en son nom propre dans des affaires. Afin d’éviter les saisies d’huissier, il est même sorti du capital de la société de téléphonie qu’il possédait en Centrafrique, et dont la maison-mère (Niel Finance & Services) est basée à l’Ile Maurice, un paradis fiscal particulièrement opaque. Mais malgré les apparences, Foucher ne s’est pas rangé des voitures. Son épouse Sophie Foucher née Salque est associée avec Enguerrand Rochefort dans deux filiales de Rochefort & Associés, dont l’une détient une entreprise de gardiennage en Centrafrique. S’il n’apparaît pas directement au capital, Foucher semble néanmoins être la cheville ouvrière de Tamoil. Selon deux sources recoupées par Off Investigation, la direction de TotalEnergies a d’abord été approchée à l’automne 2022 par Laurent Foucher, puis par son épouse, qui se sont positionnés pour racheter Total Centrafrique. Confronté aux réticences de la multinationale, Laurent Foucher aurait revu sa copie et aurait fait entrer dans la partie des investisseurs au profil plus lisse, comme Enguerrand Rochefort. Malgré ces témoignages, TotalEnergies dément à Off Investigation avoir traité en direct avec le financier de Marine Le Pen :
“Nous n’avons eu aucune interaction avec M. Laurent Foucher. Les négociations avec Rochefort International ont été menées exclusivement avec Enguerrand Rochefort et Simon Richet (ndlr : le vice-président de Rochefort & Associés)”.
Laurent Foucher aurait-il donc utilisé une société-écran pour prendre le contrôle de Total Centrafrique ? Le témoignage d’un membre du conseil d’administration de Tamoil, qui a souhaité conserver l’anonymat par crainte de représailles, laisse en tout cas entrevoir le rôle-clé de Laurent Foucher dans l’aventure :
“Au début, celui qui nous a parlé de Tamoil c’est Laurent Foucher. Il m’a proposé d’être membre du conseil d’administration. Moi ce qui m’a intéressé, c’est qu’une fois que la société serait fonctionnelle, on allait faire en sorte de réduire nos émissions de gaz à effet de serre. J’ai participé à deux réunions où Laurent Foucher était présent en vidéo et disait avoir investi personnellement dans la société”. “Tamoil c’est Laurent Foucher. (…) une entreprise basée à l’île de Man (ndlr : île britannique longtemps considérée comme un paradis fiscal), aurait visiblement été utilisée dans le cadre du rachat de Total”,
abonde un intime du président Touadéra, pourtant pas opposé à l’idée que les entreprises françaises reviennent faire des affaires en Centrafrique.
Laurent Foucher et Tamoil dans les cordes
En août 2023, Laurent Foucher et Enguerrand Rochefort débarquent à Bangui, avec la ferme intention de devenir les rois du pétrole. Ils rencontrent des diplomates à l’ambassade de France ainsi que le ministre de l’énergie Arthur Bertrand Piri, un neveu du président. Les deux acolytes finalisent la reprise de Total Centrafrique le 9 août. Une information confirmée par TotalEnergies à Off Investigation :
“Nous avons cédé à Rochefort international nos activités de distribution de produits pétroliers en Centrafrique. La transaction s’est effectuée sous la forme d’une cession de titres. Le montant n’est pas public”
(ndlr : Off Investigation a pu néanmoins vérifier que le capital de Total Centrafrique est environ d’1,5 million d’euros).
Laurent Foucher peut même se permettre d’organiser un gala de boxe dans un gymnase de Bangui ; il est président d’honneur de la fédération centrafricaine de ce sport. Mais très vite, les choses vont se gâter et Tamoil va se retrouver dans les cordes.
Il faut dire que le pedigree de Laurent Foucher fait bondir dans l’entourage de Faustin-Archange Touadéra. Une note confidentielle d’un des conseillers du président, qu’Off Investigation a pu consulter, alerte le chef de l’Etat :
“Tamoil n’a ni la compétence ni les ressources humaines, et encore moins la surface financière pour prendre le relai de Total Centrafrique. (…) Enfin, pour des raisons stratégiques et sécuritaires, parce que Laurent Foucher est proche de la DGSE française (ndlr : les services de renseignement extérieur) ainsi que d’une certaine opposition politique centrafricaine, il pourra à tout moment créer un goulet d’étranglement sur le marché et impacter considérablement les missions de sécurisation du territoire national. Il est nécessaire de le rappeler, Monsieur le Président de la République, Total est l’entité désignée pour nommer le directeur d’exploitation de la SOCAPS (ndlr : Société centrafricaine de stockage des produits pétroliers). Ils peuvent, selon les volumes de sorties de dépôt, avoir une idée claire sur les mouvements de livraison de carburant vers les aéroports et les bases militaires”.
L’affaire de Tamoil n’est pas seulement économique, elle est géopolitique. Dans les cercles du pouvoir centrafricain, on craint de donner à Tamoil l’exclusivité de l’importation du carburant pour tout le pays. On ne veut surtout pas qu’une société française soit en mesure de couper le robinet d’essence, ce qui aurait pour conséquence de créer une pénurie qui asphyxierait la Centrafrique (mais aussi les mercenaires russes de Wagner présents sur place).
Le président Touadéra sait trop bien que la France n’a jamais digérée son grand remplacement par la Russie dans son ex-colonie. Et que tous les moyens sont bons aux yeux de Paris pour acculer un régime centrafricain qui a eu le malheur de lui tourner le dos. Au printemps 2018, le ministre des affaires étrangères Jean-Yves Le Drian avait même demandé au despote tchadien Idriss Deby d’armer et de financer une rébellion centrafricaine destinée à renverser Touadéra, et à chasser ses alliés de Wagner. Tamoil aurait-elle pu être utilisée comme une arme économique dans la guerre froide qui oppose la France à la Russie en Centrafrique ? Quoi qu’il en soit, les autorités locales préfèrent ne pas prendre de risque. Le ministre de l’énergie Arthur Bertrand Piri refuse de délivrer à Tamoil l’agrément qui doit lui permettre d’importer du carburant. L’exclusivité de ce marché est confiée à une société camerounaise baptisée Neptune Oil, filiale d’un courtier suisse. Tamoil perd donc sa principale source de revenus, l’acheminement d’essence étant bien plus lucratif que la simple gestion des stations-service.
La France “mouille le maillot” pour Tamoil
Dans son malheur, l’entreprise française peut heureusement compter sur un soutien de poids : notre ambassade en République Centrafricaine. Début août 2023, un nouvel ambassadeur de France est envoyé à Bangui. Il s’agit de Bruno Foucher (qui n’a aucun lien de parenté avec Laurent). Cet ancien de la DGSE connaît bien l’Afrique centrale : avant d’être ambassadeur au Liban ou en Iran, il a été en poste au Tchad, où il a laissé le souvenir d’un diplomate très complaisant vis-à-vis du tyran Idriss Deby. Bruno Foucher a même été auditionné par la justice française pour son rôle trouble dans la disparition en 2008 d’un opposant tchadien, par ailleurs professeur de mathématiques à l’université d’Orléans, Ibni Oumar Mahamat Saleh.
Bruno Foucher arrive avec une mission en Centrafrique : battre en brèche l’influence russe et faire revenir la France dans la danse. Il doit traduire en actes le dégel des relations entre Emmanuel Macron et Faustin-Archange Touadéra, qui ont renoué le contact lors d’un sommet sur l’environnement au Gabon début mars 2023. Selon Jeune Afrique, leur réconciliation aurait été favorisée en coulisses par Pascale Jeannin-Perez, une femme d’affaires franco-suisse aussi mystérieuse que puissante, qui a recueilli Alexandre Benalla lorsque ce chargé de mission à l’Elysée s’est retrouvé en 2018 sous les feux des projecteurs et dans le viseur des enquêteurs. Le nouvel ambassadeur de France en Centrafrique ne va donc pas hésiter à défendre bec et ongles les intérêts de Tamoil. Selon plusieurs sources qu’Off Investigation a pu recouper, Bruno Foucher va même se montrer “admiratif” du projet de Rochefort et de Foucher, “une chance pour la France en Centrafrique”. Contacté, le Quai d’Orsay n’ a pas répondu à nos questions.
Mais l’activisme de l’ambassade ne porte pas ses fruits. Bien au contraire. L’Etat centrafricain serre la vis. Il réclame de vieilles dettes dues par Total, et que Tamoil a reprises en rachetant la filiale de la multinationale. Du coup, Tamoil est pris financièrement à la gorge. La société se montre incapable d’approvisionner les stations-services sous son contrôle, créant de fait une pénurie monstre de carburant à Bangui. Début juin 2024, six de ses stations-services sont saisies par le ministre de l’énergie et confiées en gérance à des proches du président Touadera. Le responsable de Tamoil sur place, le camerounais André Kape Fankam, est même brièvement embastillé à Bangui. L’avenir du repreneur de Total semble aujourd’hui plus que compromis et d’autres entreprises se positionnent pour récupérer le marché, comme le trader de carburant suisse Mocoh, dont le représentant a rencontré le ministre de l’énergie Arthur Bertrand Piri au Cameroun il y a quelques semaines.
Laurent Foucher et Enguerrand Rochefort auront pourtant fait des mains et des pieds pour inverser la vapeur. En décembre 2023, Rochefort aura même eu les honneurs d’un article de RFI, dont le ton très peu journalistique et fort élogieux pour Tamoil laisse songeur. Mais surtout, les deux entrepreneurs auront activé tout leur réseau, qui remonte très haut. D’abord dans la finance. En février 2024, un nouvel administrateur de Tamoil est appelé à la rescousse. Il s’agit de Georges Lambert, un diplômé d’HEC travaillant pour un fond d’investissement suisse baptisé “Anaconda invest”. Georges Lambert a-t-il injecté de l’argent frais dans Tamoil ? Sollicité par Off Investigation, ce financier établi sur les bords du Lac Léman a refusé de répondre à nos questions.
Laurent Foucher et Enguerrand Rochefort se cherchent aussi des alliés en macronie. S’il conserve la gratitude éternelle de Marine Le Pen, Foucher évolue néanmoins comme un poisson dans l’eau dans l’entourage d’Emmanuel Macron, où il cultive une amitié de longue date avec Laurent Obadia, le numéro 2 de Veolia, qui est aussi l’une des éminences grises d’Emmanuel Macron. Preuve de son influence, Laurent Obadia a par exemple favorisé la nomination au gouvernement de Brune Poirson, un temps secrétaire d’Etat auprès du ministre de la transition écologique (2017-2020). Un ancien de Veolia, Robert Natali, a d’ailleurs été nommé au conseil d’administration de Tamoil.
Macron au secours du financier de Marine Le Pen
Mais plus encore que les réseaux macronistes, c’est directement l’Elysée qui va voler au secours des repreneurs de Tamoil. Le 17 avril 2024, le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra est reçu avec tous les honneurs à Paris par Emmanuel Macron. La hache de guerre semble être enterrée. La France ferme même les yeux sur le tripatouillage constitutionnel que vient d’orchestrer Touadéra et qui doit lui permettre d’effectuer un troisième mandat à la tête de son pays. La realpolitik a pris le pas sur les principes, et sur les vieilles rancœurs nées du rapprochement avec Wagner. Des dossiers sont préparés à l’ambassade de France à Bangui et doivent être évoqués par Emmanuel Macron avec son homologue. Le sujet Tamoil est placé en haut de la pile.
Lors de la rencontre entre les deux chefs d’Etat, le président français fait un vibrant plaidoyer en faveur de Tamoil, demandant à ce qu’elle puisse récupérer le marché de l’importation du carburant. Le soutien est de taille. Faustin-Archange Touadéra écoute, promet d’y réfléchir, rencontre même une nouvelle fois Enguerrand Rochefort à Paris sur demande d’Emmanuel Macron, mais ne donnera finalement pas suite. La France n’arrive plus à peser en Afrique, et les potentats locaux ne lui obéissent plus le doigt sur la couture du pantalon. “Nous n’avons rien à dire sur le sujet” répond l’Elysée aux questions d’Off Investigation.
Il n’en reste pas moins qu’en défendant les intérêts de Tamoil, Emmanuel Macron s’est transformé en VRP du financier de Marine Le Pen, qui est normalement son adversaire politique. Notre président a défendu les intérêts d’un baroudeur de la Françafrique, poursuivi pour tout un tas de délits financiers et qui a même fréquenté les services russes, après avoir fricoté (voir travaillé) avec les nôtres. Pourquoi donc le locataire de l’Elysée s’est-il démené pour une entreprise certes française, mais qui finalement ne pèse pas très lourd économiquement et dans laquelle l’ombre de Foucher est partout ?
Surtout que Macron n’a pas fait les choses à moitié. L’insistance des autorités françaises sur le sujet de Tamoil a même surpris jusqu’au plus haut sommet de l’Etat centrafricain, comme s’en insurge en off ce ministre :
“Ce qui me choque, c’est qu’il y ait tant de mobilisations diplomatiques et officielles pour des gens qui ont des profils de margoulins. Il ne faut pas être extrêmement renseigné pour découvrir la crédibilité de Laurent Foucher et consorts. Je suis choqué de constater que dans la partie officielle française, on se soit engagé à un tel niveau, qu’on ait soumis le chef de l’Etat centrafricain à des pressions, pour des gens qui sont de véritables margoulins”.
Si l’aventure de Tamoil va, sauf miracle, se terminer en queue-de-poisson, bien des mystères demeurent. On peut se demander si le rachat de Total Centrafrique aura été une simple opération financière ou au contraire une opération d’influence destinée à redonner du pouvoir (voir un pouvoir de nuisance) à la France en République Centrafricaine. En fin de compte, Laurent Foucher semble être le genre d’intermédiaire pas très clairs mais très utile, qui n’hésite pas à se salir les mains pour d’autres bien au frais à Paris. Et c’est peut-être pour cette raison que Laurent Foucher passe systématiquement entre les mailles du filet : parce qu’il a rendu trop de services à trop de puissants, de la sarkozie à la macronie en passant l’extrême-droite, sans bien sûr s’oublier lui-même. Car depuis toujours en Françafrique, on se sert autant que l’on sert la France.
Contacté, le Rassemblement National n’a pas répondu à nos questions.
* Thomas Dietrich, ancien haut fonctionnaire, romancier et journaliste d’investigation, a réalisé de très nombreux reportages de terrain en Afrique, et s’est spécialisé dans les enquêtes sensibles sur les dessous de la Françafrique.
Wagner fait du bon boulot en Centrafrique (comme au Burkina et ailleurs). Il fallait en passer par là. Touadéra n'est pas forcément un ange mais c'est un dictateur intelligent et veut sortir son pays de la misère. Pour cela, il faut tourner le dos définitivement à l' ancien colonisateur. Si le Tchad tombe (c'est un gros morceau en moins pour la macronie et les us), la Centrafrique rejoindra la coalition avec le Niger, le Burkina et le Mali ...Les barbouzes n'ont pas fini de passer des nuits blanches dans le continent noir !