đâđš Raisi a menĂ© la charge pour le ânouvel ordre mondialâ de la Russie, de l'Iran et de la Chine
La vision orientale du président iranien Ebrahim Raisi a contribué à faire progresser le lien stratégique Moscou-Téhéran-Pékin & à ouvrir la voie à l'institutionnalisation de la multipolarité.
đâđš Raisi a menĂ© la charge pour le ânouvel ordre mondialâ de la Russie, de l'Iran et de la Chine
Par Pepe Escobar, le 22 mai 2024
Malgré la tristesse et le deuil suscités par la perte du président iranien Ebrahim Raisi, prenons un moment pour mettre en lumiÚre le chemin essentiel qu'il a contribué à tracer vers un nouvel ordre mondial.
Depuis prÚs de trois ans que M. Raisi a accédé à la présidence iranienne, l'intégration eurasienne et le mouvement vers la multipolarité ont été fondamentalement menés par trois acteurs majeurs : la Russie, la Chine et l'Iran : La Russie, la Chine et l'Iran.
Ces trois acteurs ne sont pas par hasard les trois principales âmenaces majeuresâ pour la puissance hĂ©gĂ©monique.
Dimanche dernier, à 22 heures, à Moscou, le président russe Vladimir Poutine a invité l'ambassadeur d'Iran à Moscou, Kazem Jalali, à participer à une réunion impromptue avec la crÚme de la crÚme de l'équipe de défense russe.
Cette invitation est allĂ©e bien au-delĂ de la myopie des conjectures mĂ©diatiques visant Ă dĂ©terminer si la mort prĂ©maturĂ©e du prĂ©sident iranien Ă©tait due Ă un âcrash accidentelâ ou Ă un acte de sabotage. Elle est le rĂ©sultat du travail inlassable de M. Raisi pour positionner l'Iran comme une nation tournĂ©e vers les pays de l'Est, forgeant avec audace des alliances stratĂ©giques avec les grandes puissances asiatiques tout en adoucissant les relations de TĂ©hĂ©ran avec d'anciens ennemis rĂ©gionaux.
Une intégration eurasienne accrue
Revenons à cette table de travail dominicale à Moscou. Tout le monde était présent, du ministre de la défense Andrei Belousov et du secrétaire du Conseil de sécurité Sergei Shoigu au chef d'état-major général Valery Gerasimov, en passant par le ministre des situations d'urgence Aleksandr Kurenkov et l'assistant spécial du président, Igor Levitin.
Le principal message dĂ©livrĂ© est que Moscou soutient TĂ©hĂ©ran. La Russie soutient totalement la stabilitĂ© et la continuitĂ© du gouvernement en Iran, qui sont dĂ©jĂ pleinement garanties par la constitution iranienne et ses dispositions dĂ©taillĂ©es relatives Ă une transition pacifique du pouvoir, mĂȘme dans des circonstances exceptionnelles.
Alors que nous sommes plongĂ©s dans un mode de guerre hybride totale - Ă la limite de la guerre chaude - sur la majeure partie de la planĂšte, les trois Ătats civilisateurs qui façonnent un nouveau systĂšme de relations internationales ne sauraient ĂȘtre plus Ă©vidents.
La Russie, l'Iran et la Chine (RIC) sont déjà liés par des partenariats stratégiques bilatéraux et globaux. Ils sont membres des BRICS et de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS), et leur modus operandi a été entiÚrement présenté à l'ensemble de la majorité mondiale lors du sommet crucial entre Poutine et le président chinois Xi Jinping, qui s'est tenu à Pékin la semaine derniÚre.
En bref, aucune des trois puissances asiatiques ne permettra aux autres partenaires d'ĂȘtre dĂ©stabilisĂ©s par les suspects habituels.
Un bilan brillant
Le défunt président Raisi et son principal diplomate, le ministre des Affaires étrangÚres Hossein Amir-Abdollahian, laissent un héritage remarquable.
Sous leur direction, l'Iran est devenu un membre des BRICS, un membre à part entiÚre de l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et un acteur majeur de l'Union économique eurasienne (UEEA). Il s'agit là des trois principales organisations multilatérales définissant la voie vers la multipolarité.
Le nouvel Ă©lan diplomatique de l'Iran a atteint les principaux acteurs arabes et africains, de l'Arabie saoudite, du KoweĂŻt et de l'Ăgypte Ă la Libye, au Soudan et Ă Djibouti. Pour la premiĂšre fois, TĂ©hĂ©ran a menĂ© une opĂ©ration militaire sophistiquĂ©e et de grande envergure contre IsraĂ«l, en tirant une salve de drones et de missiles depuis le territoire iranien.
Les relations entre l'Iran et la Russie ont atteint un niveau de coopĂ©ration commerciale et militaro-politique supĂ©rieur. Il y a deux ans, Poutine et Raisi se sont mis d'accord sur un traitĂ© bilatĂ©ral global. Le projet de traitĂ© est dĂ©sormais prĂȘt et sera signĂ© par le prochain prĂ©sident iranien, Ă©tendant ainsi encore davantage le partenariat.
En tant que membre d'une dĂ©lĂ©gation iranienne, j'ai appris l'annĂ©e derniĂšre Ă Moscou que les Russes, lorsqu'on leur demandait ce qui pourrait ĂȘtre mis sur la table, rĂ©pondaient : âVous pouvez nous demander n'importe quoiâ. Et vice versa.
Ainsi, toutes les dĂ©clinaisons combinĂ©es du changement stratĂ©gique âtournĂ© vers l'Estâ de M. Raisi et du âpivot vers l'Asieâ de la Russie sont abordĂ©es par Moscou et TĂ©hĂ©ran.
Le Conseil des ministres des Affaires étrangÚres de l'OCS se réunit ce mardi et mercredi à Astana pour préparer le sommet de juillet, au cours duquel la Biélorussie deviendra membre à part entiÚre. Le cabinet de l'Arabie saoudite a également approuvé la décision de Riyad d'adhérer à l'OCS, probablement l'année prochaine.
La continuité du gouvernement iranien sera pleinement représentée à Astana par le ministre des Affaires étrangÚres par intérim, Ali Bagheri Kani, qui était le numéro deux d'Amir-Abdollahian. Il devrait immédiatement entrer en scÚne aux cÎtés du ministre russe des Affaires étrangÚres, Sergey Lavrov, et de son homologue chinois, Wang Yi, pour discuter de la voie multipolaire à plusieurs niveaux.
Une déclaration commune hypersonique
La charte globale de ce qu'implique un nouveau systĂšme a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e la semaine derniĂšre lors du sommet historique Poutine-Xi, par le biais d'une dĂ©claration conjointe en 10 chapitres, longue de plus de 12 000 mots, oĂč le terme âcoopĂ©rationâ apparaĂźt pas moins de 130 fois.
Ce document peut ĂȘtre interprĂ©tĂ© Ă juste titre comme un manifeste hypersonique commun faisant voler en Ă©clats l'âordre international fondĂ© sur des rĂšglesâ artificiel de Washington.
Ce paragraphe est particuliĂšrement remarquable :
âTous les pays ont le droit de choisir indĂ©pendamment leurs modĂšles de dĂ©veloppement et leurs systĂšmes politiques, Ă©conomiques et sociaux sur la base de leurs conditions nationales et de la volontĂ© de leurs peuples, de s'opposer Ă l'ingĂ©rence dans les affaires intĂ©rieures des pays souverains, de s'opposer aux sanctions unilatĂ©rales et Ă la "juridiction du bras long" sans base juridique internationale ni autorisation du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies, et de s'opposer Ă l'Ă©tablissement de lignes de dĂ©marcation idĂ©ologiques. Les deux parties ont soulignĂ© que le nĂ©ocolonialisme et l'hĂ©gĂ©monisme sont totalement contraires Ă la tendance actuelle et ont appelĂ© Ă un dialogue Ă©gal, au dĂ©veloppement de partenariats et Ă la promotion des Ă©changes et de l'apprentissage mutuel entre civilisations.â
L'Iran, sanctionnĂ© Ă mort pendant plus de quarante ans, apprend aujourd'hui directement de la Chine et de la Russie les efforts qu'elles dĂ©ploient pour dĂ©truire les rĂ©cits de âdissociationâ ainsi que l'effet d'un tsunami de sanctions occidentales sur la Russie.
Par exemple, un ensemble de corridors ferroviaires Chine-Europe est désormais principalement utilisé pour expédier des marchandises chinoises en Asie centrale et les réexporter vers la Russie.
Pourtant, ce boom commercial s'accompagne d'une augmentation des goulets d'étranglement logistiques. Pratiquement tous les ports européens refusent de traiter les cargaisons en provenance ou à destination de la Russie. Et les plus grands ports russes continuent de rencontrer des problÚmes : Vladivostok n'a pas la capacité d'accueillir de grands cargos, tandis que Saint-Pétersbourg est trÚs éloigné de la Chine.
C'est pourquoi le chapitre 3 de la déclaration conjointe Russie-Chine met particuliÚrement l'accent sur
âla coopĂ©ration dans le domaine des ports et des transports, notamment en dĂ©veloppant davantage d'itinĂ©raires logistiquesâ, sur l'approfondissement de la coopĂ©ration financiĂšre, ânotamment en augmentant la part de la monnaie locale dans les services financiersâ, et sur le renforcement de la coopĂ©ration industrielle, ânotamment dans des domaines stratĂ©giques tels que la construction de voitures et de bateaux, la fonderie de mĂ©taux et les produits chimiquesâ.
Tout cela s'applique également à la coopération entre la Russie et l'Iran, par exemple pour rationaliser le corridor international de transport nord-sud (INSTC), en particulier d'Astrakhan, dans la mer Caspienne, aux ports iraniens, puis par les routes jusqu'au golfe Persique.
Le ministre iranien des Affaires Ă©trangĂšres, Bagheri Kani, a prĂ©cĂ©demment fait remarquer que grĂące Ă la âsituation gĂ©opolitique exceptionnelleâ de l'Iran, qui lui permet d'atteindre l'Asie occidentale, le golfe Persique, la rĂ©gion de la mer Caspienne et l'Eurasie au sens large, l'Iran peut contribuer Ă la âcroissance Ă©conomique et au potentiel Ă©conomiqueâ de tous les acteurs de la rĂ©gion.
La visite de Poutine en Chine la semaine derniÚre comprenait une visite à Harbin, la grande ville du nord-est du pays, qui a des liens géographiques et historiques étroits avec la Russie. Une gigantesque exposition Chine-Russie a attiré plus de 5 000 entreprises commerciales. Il n'est pas exagéré d'imaginer une exposition Russie-Iran tout aussi réussie dans un port de la Caspienne.
Un projet prométhéen
Ce qui relie la Russie, la Chine et l'Iran, c'est avant tout un cadre Ă©mergent conçu par des Ătats civilisationnels souverains. Le dĂ©cĂšs du prĂ©sident-martyr Raisi ne changera rien Ă la situation.
Nous sommes au coeur d'un long processus dans un environnement conditionné depuis des décennies par la souffrance et la peur. Ce processus a pris une ampleur considérable ces derniÚres années, à commencer par le lancement officiel des Nouvelles Routes de la Soie en 2013.
Les Nouvelles Routes de la Soie et l'initiative âBelt & Roadâ (BRI) sont un projet promĂ©thĂ©en autant gĂ©opolitique que gĂ©oĂ©conomique. ParallĂšlement, le rĂŽle de l'OCS en tant que mĂ©canisme de coopĂ©ration Ă©conomique s'est progressivement dĂ©veloppĂ©. Une fois encore, l'Iran est l'un des principaux membres de la BRI, de l'OCS et des BRICS.
Câest aprĂšs le coup d'Ătat de MaĂŻdan en Ukraine en 2014 que le partenariat stratĂ©gique Russie-Chine a vraiment commencĂ© Ă s'accĂ©lĂ©rer. BientĂŽt, l'Iran a vendu la quasi-totalitĂ© de sa production de pĂ©trole Ă la Chine et s'est placĂ© sous la protection du dispositif nuclĂ©aire chinois.
Puis l'Empire a été humilié en Afghanistan. Ensuite, il y a eu l'opération militaire spéciale (OMS) en Ukraine en février 2022. Et enfin, l'expansion des BRICS sur des marchés anciennement occidentaux dans le Sud.
Lors de sa mĂ©morable visite Ă Moscou au printemps 2023, Xi a dĂ©clarĂ© Ă Poutine que des âchangements sans prĂ©cĂ©dent en cent ansâ allaient se produire et que tous deux devraient ĂȘtre au cĆur de ces changements inĂ©luctables.
Tel était précisément la teneur de leurs discussions la semaine derniÚre à Pékin.
Le bombardement par l'Iran d'un territoire israélien ultra-protégé avec une précision absolue - en réponse à une attaque terroriste contre son consulat diplomatique dans un pays tiers - a envoyé un message clair comme de l'eau de roche, qui a changé la donne et a été parfaitement compris par la majorité mondiale : le pouvoir de l'hégémon en Asie occidentale touche à sa fin.
La perte du Rimland est un anathĂšme pour la gĂ©opolitique purement amĂ©ricaine. Les Ătats-Unis veulent reprendre le contrĂŽle de ce secteur, car ils savent Ă quel point il compte pour eux.
De nouvelles orientations
Cependant, les âanges de l'histoireâ indiquent une nouvelle direction : la Chine, la Russie et l'Iran sont les principaux protagonistes de la rĂ©-Ă©mergence du âHeartlandâ.
ConcrÚtement, ces trois souverainetés ont le niveau épistémologique, la volonté, la créativité, les capacités organisationnelles, la vision et les outils de pouvoir nécessaires à la réalisation d'un véritable projet prométhéen.
Cela peut sembler tenir du miracle, mais les dirigeants actuels des trois Ătats partagent cette comprĂ©hension et cette volontĂ© communes.
Par exemple, quoi de plus sĂ©duisant que la possibilitĂ© de voir l'ancien nĂ©gociateur du dossier nuclĂ©aire Saeed Jalili devenir le prochain prĂ©sident de l'Iran, aux cĂŽtĂ©s du nouveau ministre des Affaires Ă©trangĂšres Ali Bagheri Kani ? Dans le passĂ©, Jalili a Ă©tĂ© considĂ©rĂ© comme trop âdurâ pour les palais occidentaux, mais l'Occident n'a plus guĂšre d'importance dĂ©sormais.
AprĂšs le grand virage de Raisi vers l'est et la multipolaritĂ©, loin de l'incursion malavisĂ©e et infructueuse de l'ancien prĂ©sident ârĂ©formateurâ iranien Hassan Rouhani vers l'ouest, Jalili pourrait bien ĂȘtre le bon candidat pour la prochaine phase de l'Iran. Et quel fringant complĂ©ment au duo Xi-Poutine il serait.
https://thecradle.co/articles/raisi-led-the-charge-for-russia-iran-chinas-new-world-order