👁🗨 Rendez-vous avec le destin - Les BRICS offrent une lueur d'espoir en temps de guerre
D'ici peu, on saura si Kazan entrera dans l'histoire tel le symbole d'un système émergent, ou si les tactiques grossières occidentales tenteront de retarder l'inexorable disparition de l'ancien ordre.
👁🗨 Rendez-vous avec le destin - Les BRICS offrent une lueur d'espoir en temps de guerre
Par Pepe Escobar, le 21 octobre 2024
Nous y sommes. Rendez-vous avec le destin. Tout est prêt pour le rassemblement géopolitique/géoéconomique le plus crucial de l'année, voire de la décennie : le sommet des BRICS sous la présidence russe à Kazan, capitale du Tatarstan, où les Tatars sunnites coexistent en parfaite harmonie avec les chrétiens orthodoxes.
Tout le travail minutieux des experts et des analystes tout au long de l'année 2024 - supervisé par le principal diplomate russe en charge des BRICS, le vice-ministre des Affaires étrangères Sergey Ryabkov - a convergé vers trois réunions clés finales et distinctes à Moscou avant le sommet, regroupant les ministres des finances et les gouverneurs des banques centrales des BRICS, les groupes de travail et le Conseil d'affaires.
Tout cela dans un contexte désormais familier pour la Majorité Mondiale. Le PIB combiné des nations actuelles des BRICS dépasse les 60 000 milliards de dollars, loin devant le G7 ; leur taux de croissance moyen d'ici la fin de l'année devrait être de 4 %, supérieur à la moyenne mondiale de 3,2 % ; et l'essentiel de la croissance économique dans un avenir proche proviendra des nations membres des BRICS.
🌐Le KAZAN DE LA RUSSIE EST PRÊT À ACCUEILLIR LES DÉLÉGATIONS ET LES JOURNALISTES AU SOMMET DES BRICS #BRICS2024 pic.twitter.com/N0vzN1XVsW — Sputnik (@SputnikInt) 21 octobre 2024
Avant même la réunion des ministres des Finances et des gouverneurs des Banques centrales, le ministre russe des Finances Anton Siluanov a souligné que les BRICS tiennent à contourner les plateformes occidentales “politisées” - une référence subtile au tsunami des sanctions et à la militarisation du dollar américain - alors que les BRICS travaillent à la création de leur propre système de paiement international, favorable à la Majorité Mondiale.
Le contexte de ce qui se décidera à Kazan cette semaine n'est rien moins qu'incandescent, car le chaos incontrôlé des guerres éternelles de l'Hégémon - de l'Ukraine à l'Asie de l'Ouest - a même affecté matériellement le dur labeur des BRICS et la nécessité de bâtir un nouveau système international de relations géo-économiques pour ainsi dire à partir de zéro.
Un scénario crédible d'intensification de la guerre a peut-être été contrecarré par la fuite d'informations secrètes de haut niveau aux “Five Eyes” sur les préparatifs d'Israël et des États-Unis en vue d'une attaque contre l'Iran. L'attaque finira par se produire - avec des conséquences désastreuses - mais probablement pas cette semaine, alors qu'elle aurait pu être programmée pour perturber explicitement et complètement le sommet de Kazan et le faire disparaître de l'actualité mondiale.
La déclaration commune des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales des BRICS peut ne pas sembler très audacieuse, mais les contraintes reflètent non seulement une certaine prudence face à un hégémon dangereux et acculé, mais aussi des contradictions internes entre les membres des BRICS.
La déclaration reconnaît
“la nécessité d'une réforme globale de l'architecture financière mondiale pour renforcer la voix des pays en développement et leurs représentations”.
Pourtant, il est clair que les États-Unis n'ont aucun intérêt à réformer en profondeur le FMI, la Banque mondiale et le système Bretton Woods [Ndt : Accords de Bretton Woods, issus de la conférences de Bretton Woods du 1er au 22 juillet 1944, sont les accords économiques dessinant les grandes lignes du système financier international de l'après-Seconde Guerre mondiale]. La Russie et la Chine, en particulier, sont parfaitement conscientes de la nécessité d'un système post-Bretton Woods.
La déclaration est plus convaincante sur l'initiative des BRICS en matière de paiements transfrontaliers, appelée BCBPI, saluant “le recours aux monnaies locales dans le commerce international” et “le renforcement des réseaux bancaires” pour les faciliter. Pour l'instant, tout cela n'est que “facultatif et non contraignant”. Kazan devrait donner un coup de pouce au processus.
Pas de groupe anti-occidental, juste un groupe non-occidental
Dans son discours au Conseil des affaires des BRICS vendredi dernier et lors d'une table ronde ultérieure avec les responsables des groupes de médias des membres des BRICS, le président Poutine a en fait résumé tous les grands dossiers. En voici les grandes lignes.
Sur le rôle de la NDB [Ndt : banque multilatérale créée en 2015 par les cinq pays membres des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud)], la banque des BRICS, basée à Shanghai : la Russie “élargira les capacités de la NDB”. La banque devrait devenir le principal investisseur dans les grands projets technologiques et d'infrastructure pour les membres des BRICS et, plus largement, du Sud. C'est tout à fait logique, la NDB finançant le développement d'infrastructures et s'impliquant commercialement auprès d'entreprises locales et privées. D'ailleurs, le prochain président de la NDB sera russe. Le principal candidat est Aleksei Mozhin, qui a précédemment exercé des fonctions au sein du FMI.
La création d'une infrastructure numérique commune pour les BRICS est déjà en cours. La Russie travaille sur “le recours aux monnaies numériques dans les processus d'investissement dans l'intérêt d'autres économies en développement”. Cela rejoint les travaux des BRICS sur leur propre version de SWIFT pour les transactions financières internationales. Il en va de même pour BRICS Pay, une carte de débit dont le premier lancement a eu lieu pendant le Conseil des affaires la semaine dernière, qui n'est pas sans rappeler AliPay en Chine, et qui sera bientôt déployée dans tous les pays membres des BRICS.
Une monnaie unique pour les BRICS : “La question n'est pas encore envisagée, elle n'est pas encore prête”. La dédollarisation, a souligné M. Poutine, se fait étape par étape :
“Nous prenons des mesures individuelles, l'une après l'autre. En ce qui concerne la finance, nous n'avons pas abandonné le dollar. Le dollar est la monnaie internationale. Mais ce n'est pas nous qui l'avons laissé tomber : on nous a interdit de l'utiliser. Aujourd'hui, 95 % du commerce extérieur de la Russie est libellé en monnaies nationales. L'Occident l'a décidé lui-même, de sa propre initiative. Ils ont cru que nous allions nous effondrer.”
Le défi d'une monnaie unifiée des BRICS :
“Outre un niveau élevé d'intégration entre les membres des BRICS, l'introduction d'une monnaie unique des BRICS impliquerait une qualité et un volume monétaires comparables (...) Sinon, nous serons confrontés à des problèmes encore plus importants que ceux qui se sont produits dans l'UE”.
Poutine a rappelé que lorsque l'euro a été introduit dans l'UE, leurs économies n'étaient ni comparables ni équitables.
M. Poutine participera à au moins 17 réunions bilatérales à Kazan. Il a souligné, une fois de plus, que
“les BRICS ne sont pas une organisation anti-occidentale, mais simplement une organisation non-occidentale”.
Il a également cité les principaux moteurs économiques de l'avenir proche : l'Asie du Sud-Est et l'Afrique. Le développement
“prendra objectivement place en premier lieu dans les pays membres des BRICS. Il s'agit du Sud global. L'Asie du Sud-Est. L'Afrique. Les pays puissants comme la Chine, l'Inde, la Russie et l'Arabie saoudite connaîtront une croissance positive, mais les pays d'Asie du Sud-Est et d'Afrique afficheront une croissance plus rapide pour diverses raisons”.
Il a également mis l'accent sur les principaux projets de développement d'infrastructures entre les BRICS et le Sud global : la Route maritime du Nord - que les Chinois définissent comme la Route de la soie arctique - et le Corridor international de transit Nord-Sud (INSTC), avec la triade BRICS Russie-Iran-Inde en qualité de partenaires clés. Concernant la route maritime du Nord, M. Poutine a souligné que
“nous construisons une flotte de brise-glaces qui n'a pas d'équivalent dans le monde. Il s'agira d'une flotte exceptionnelle, composée de sept brise-glaces nucléaires et de 34 brise-glaces à propulsion diesel, de catégorie exceptionnelle et à usage intensif”.
Sur le partenariat stratégique Russie-Chine : c'est l'un des facteurs clés de la stabilité dans le monde. Dans les relations entre les deux pays, “on ne parle pas de décideurs ou de suiveurs”. Sur le grand échiquier,
“la Russie n'interfère pas dans les relations entre les Etats-Unis et la Chine”, même si “les Européens ont été entraînés en Asie par l'OTAN. Personne ne questionne les Européens sur leur volonté de gâcher leurs relations avec la Chine, d'utiliser les entités de l'OTAN pour faire irruption en Asie et créer ainsi une situation préoccupante pour la région, et plus particulièrement pour la Chine. Pourtant, on les trimballe en laisse comme des chiots”.
Les guerres éternelles visent les BRICS
Une session spéciale sur la Palestine se tiendra à Kazan avec les membres des BRICS et les partenaires des BRICS ( y compris la Turquie). Poutine estime que “la dissolution du Quartet pour le Moyen-Orient a été une erreur”. Le Quartet était composé de la Russie, des États-Unis, de l'ONU et de l'UE. En théorie, il aurait dû servir de médiateur dans le processus de paix entre Israël et la Palestine. En pratique, il n'en a rien été.
Le belliciste notoire Tony Blair était membre du Quartet. Sur le plan diplomatique, M. Poutine a déclaré :
“Je n'ai pas l'intention d'accuser les États-Unis sur tous les plans, mais la dissolution du Quartet a malheureusement été une erreur”.
Il a de nouveau souligné que
“la Russie a toujours maintenu le point de vue selon lequel la décision du Conseil de sécurité des Nations unies de créer deux États - Israël et la Palestine - devrait être mise en œuvre.” Et, de manière significative, il a ajouté que “la Russie est en contact permanent à la fois avec Israël et la Palestine”.
[post “indisponible” - censuré - sur X]
LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE SERBE DE BOSNIE : LES BRICS SONT UN GROUPE DE “PAYS LIBRES QUI RESPECTENT LA SOUVERAINETÉ DE CHACUN”.
Dans une interview accordée à Sputnik avant le sommet des BRICS de 2024 dans la ville russe de Kazan, le président de la République de Srpska, Milorad Dodik s'est concentré sur les raisons pour lesquelles la Serbie... pic.twitter.com/ikhmNZ4x97.
— Sputnik (@SputnikInt) October 20, 2024
On peut imaginer qu'il s'agit là d'une médiation stratégique et d'échanges sérieux en coulisses. Pourtant, il ne s'est pas aventuré tête baissée au feu, se contentant de dire qu'il espère que les “interminables échanges de coups” entre Israël et l'Iran cesseront, tout en ajoutant que
“la recherche d'un compromis dans le conflit israélo-arabe est possible, mais il s'agit là d'une sphère très sensible.”
Tout ceci est très significatif pour le contexte des BRICS, car les guerres éternelles en Asie occidentale ont sérieusement interféré avec le travail au sein des BRICS. Et pour couronner le tout, les guerres éternelles, tant froides qu'hybrides et à chaud, sont en fait essentiellement axées sur trois membres des BRICS, à savoir la Russie, l'Iran et la Chine - qui ne sont pas décrits par hasard comme les trois principales menaces existentielles pour l'hégémon.
Ce qui nous amène inévitablement à l'Ukraine. Poutine a souligné que
“l'armée russe est devenue l'une des armées les plus efficaces au combat et les plus sophistiquées au monde (...) Quand l'OTAN se lassera demener cette guerre contre nous, il suffira de lui poser la question. Nous sommes prêts à continuer à nous battre, à poursuivre la lutte, mais nous aurons le dessus”.
Confirmant ce que le crack de l'analyse militaire Andrei Martyanov analyse depuis des années, Poutine a expliqué en quoi “la guerre moderne est la guerre des mathématiciens - ce qui échappe totalement aux guerriers de salon de l'OTAN :
“Les gens qui se battent sur le terrain m'ont dit que la guerre d'aujourd'hui est la guerre des matheux. Les dispositifs de brouillage radioélectrique sont efficaces contre certains vecteurs et les neutralisent. L'autre partie, par exemple, calcule et évalue la force de riposte et reprogramme le logiciel de ses armes de frappe en une à trois semaines”.
Quant au champ de bataille, avec “l'ordre international fondé sur des règles” qui connaît une défaite humiliante sur le territoire sombre de la Novorossiya, Poutine ne pourrait pas être plus catégorique sur le pari de “l'Ukraine nucléaire” :
“Il s'agit d'une provocation dangereuse, car tout acte dans cette direction entraînera une riposte (...) Je le dis tout net, la Russie ne permettra pas que cela se produise, quoi qu'il arrive”.
Les enjeux à Kazan ne pourraient être plus élevés. D'ici la fin de la semaine, la Majorité Mondiale saura si Kazan va entrer dans l'histoire comme le point de repère d'un nouveau système émergent de relations internationales, ou si les tactiques grossières de diviser pour régner vont continuer à retarder l'inexorable disparition de l'ancien ordre.