👁🗨 Rien de tel qu'une petite guerre nucléaire
Nous devons faire entendre nos voix dans les rues & les arcanes du pouvoir, faire cesser les dangereux conflits & nous inscrire dans une dynamique qui échappe au capitalisme & ses guerres perpétuelles
👁🗨 Rien de tel qu'une petite guerre nucléaire
Par Vijay Prashad*, Tricontinental: Institute for Social Research, le 28 juin 2024
L'escalade de la guerre russo-ukrainienne par l'OTAN et le conflit croissant autour de la Chine sont plus dangereux que la crise des missiles de Cuba.
Nous devons faire entendre nos voix dans les rues & les arcanes du pouvoir, mettre un terme à ce dangereux conflit & nous inscrire dans une dynamique permettant d'échapper au capitalisme et à ses guerres perpétuelles.
Fut un temps où les appels à une Europe dénucléarisée fusaient à travers le continent. Cela a commencé avec l'appel de Stockholm de 1950, qui s'ouvrait sur ces mots percutants : “Nous exigeons la proscription des armes atomiques en tant qu'instruments d'intimidation et de meurtre de masse des peuples”, puis en 1980 avec l'appel pour le désarmement nucléaire européen, qui lançait un avertissement glaçant : “Nous entrons dans la décennie la plus dangereuse de l'histoire de l'humanité”.
Environ 274 millions de personnes ont signé l'appel de Stockholm, y compris - comme on le dit souvent - la totalité de la population adulte de l'Union soviétique. Pourtant, depuis l'appel européen de 1980, on a l'impression que chaque décennie est toujours plus menaçante que la précédente.
“Il est encore 90 secondes avant minuit”, écrivaient en janvier les rédacteurs du Bulletin of the Atomic Scientists (les gardiens de l'horloge du Jugement dernier). Minuit signifie l'Armageddon.
En 1949, l'horloge affichait trois minutes avant minuit et, en 1980, elle s'était légèrement écartée du précipice, en revenant à sept minutes avant minuit.
En 2023, cependant, l'aiguille de l'horloge s'est déplacée jusqu'à 90 secondes avant minuit, où elle se trouve toujours, c'est-à-dire au plus près de l'anéantissement total de l'humanité.
Cette situation périlleuse menace d'atteindre un point de non-retour dans l'Europe d'aujourd'hui. Pour comprendre les dangers potentiels liés à l'intensification des provocations autour de l'Ukraine, nous avons collaboré avec No Cold War pour produire le dossier n° 14, “Les actions de l'OTAN en Ukraine sont plus dangereuses que la crise des missiles de Cuba”. Nous vous invitons à lire attentivement ce texte et à le diffuser le plus largement possible.
Depuis deux ans, la plus grande guerre que l'Europe ait connue depuis 1945 fait rage en Ukraine. La cause première de cette guerre est la tentative des États-Unis de faire entrer l'Ukraine sous la bannière de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN).
Cette tentative viole les promesses faites par l'Occident à l'Union soviétique à la fin de la guerre froide, à savoir que l'OTAN ne progresserait “pas d'un pouce vers l'Est”, comme l'a assuré le secrétaire d'État américain James Baker au président soviétique Mikhaïl Gorbatchev en 1990.
Au cours de la dernière décennie, le Nord global a rejeté à plusieurs reprises les requêtes de la Russie en matière de garanties de sécurité. C'est ce mépris des préoccupations russes qui a conduit au déclenchement du conflit en 2014 et de la guerre en 2022.
Aujourd'hui, l'OTAN et la Russie, dotées de l'arme nucléaire, sont en conflit direct en Ukraine. Au lieu de prendre des mesures pour mettre fin à cette guerre, l'OTAN a fait plusieurs nouvelles annonces au cours des derniers mois, qui menacent d'aggraver la situation et de provoquer un conflit plus grave encore, susceptible de s'étendre au-delà des frontières de l'Ukraine.
Il n'est pas exagéré de dire que ce conflit constitue la plus grande menace pour la paix mondiale depuis la crise des missiles de Cuba en 1962.
Cette intensification extrêmement dangereuse confirme la justesse des propos de la majorité des experts américains de la Russie et de l'Europe de l'Est, qui ont longtemps mis en garde contre l'expansion de l'OTAN en Europe de l'Est.
En 1997, George Kennan, principal architecte de la politique américaine pendant la guerre froide, a déclaré que cette stratégie était “l'erreur la plus funeste de la politique américaine dans toute l'ère de l'après-guerre froide”. La guerre en Ukraine et les dangers d'une nouvelle escalade confirment pleinement la gravité de son avertissement.
L'OTAN intensifie le conflit en Ukraine
Les développements récents les plus dangereux sont les décisions prises en mai par les États-Unis et la Grande-Bretagne d'autoriser l'Ukraine à utiliser des armes fournies par les deux pays pour effectuer des frappes en territoire russe.
Le gouvernement ukrainien a immédiatement exploité cette possibilité de la manière la plus provocante qui soit en attaquant le système d'alerte précoce contre les missiles balistiques de la Russie. Ce système d'alerte ne joue aucun rôle dans la guerre en Ukraine, mais constitue un élément central du système de défense de la Russie contre les attaques nucléaires stratégiques.
En outre, le gouvernement britannique a fourni à l'Ukraine des missiles Storm Shadow d'une portée de plus de 250 km, qui peuvent atteindre des cibles non seulement sur le champ de bataille, mais aussi loin à l'intérieur de la Russie. L'utilisation d'armes de l'OTAN pour attaquer la Russie risque d'entraîner une riposte équivalente de la part de la Russie et d'étendre la guerre au-delà de l'Ukraine.
En juin, le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, a annoncé la création d'un quartier général de l'OTAN pour les opérations de guerre en Ukraine sur la base militaire américaine de Wiesbaden, en Allemagne, avec un effectif initial de 700 personnes.
Le 7 juin, le président français Emmanuel Macron a déclaré que son gouvernement cherchait à “finaliser une coalition” de pays de l'OTAN disposés à envoyer des troupes en Ukraine pour “former” les effectifs ukrainiens. Les forces de l'OTAN seraient ainsi directement impliquées dans la guerre. Comme l'ont montré la guerre du Viêt Nam et d'autres conflits, ces “formateurs” organisent et dirigent les combats, devenant ainsi des cibles potentielles.
Une crise plus dangereuse que celle des missiles de Cuba
La crise des missiles de Cuba est le fruit d'une erreur d'appréciation des dirigeants soviétiques, qui pensaient que les États-Unis toléreraient la présence de missiles nucléaires soviétiques à seulement 144 km de la côte américaine la plus proche et à environ 1 800 km de Washington.
Un tel déploiement aurait empêché les États-Unis de se défendre contre une frappe nucléaire et aurait “égalisé les possibilités”, puisque les États-Unis disposaient déjà de telles capacités vis-à-vis de l'Union soviétique.
Les États-Unis, comme on pouvait s'y attendre, ont clairement fait savoir qu'ils ne toléreraient pas une telle situation et qu'ils la préviendraient par tous les moyens possibles, y compris la guerre nucléaire. Avec l'horloge du Jugement dernier à minuit moins douze, les dirigeants soviétiques se sont rendu compte de leur erreur de calcul et, après quelques jours de crise intense, ont retiré les missiles.
Cette décision a été suivie d'un apaisement des tensions américano-soviétiques, qui a débouché sur le premier traité d'interdiction des essais nucléaires (1963).
En 1962, pas une seule balle n'a été tirée entre les États-Unis et l'URSS. La crise des missiles de Cuba a été un incident extrêmement bref mais néanmoins dangereux, qui aurait pu déclencher une guerre généralisée, y compris un conflit nucléaire.
Toutefois, contrairement à la guerre en Ukraine, elle ne résultait pas d'une dynamique de guerre déjà existante et en cours d'intensification de la part des États-Unis ou de l'URSS.
La situation en Ukraine, ainsi que le conflit grandissant avec la Chine, sont plus dangereux d'un point de vue structurel. Une confrontation directe a lieu entre l'OTAN et la Russie, où les États-Unis viennent d'autoriser des frappes militaires directes (imaginez si, lors de la crise de 1962, les forces cubaines armées et entraînées par l'Union soviétique avaient mené des frappes militaires majeures en Floride).
Pendant ce temps, les États-Unis attisent ouvertement les tensions militaires avec la Chine au sujet de Taïwan et de la mer de Chine méridionale, ainsi que dans la péninsule coréenne. Le gouvernement américain est conscient qu'il ne peut résister à l'érosion de sa suprématie mondiale et pense, à juste titre, qu'il pourrait perdre sa domination économique au profit de la Chine.
C'est pourquoi il transfère progressivement les problématiques sur le terrain militaire, où il conserve un avantage.
La position des États-Unis sur Gaza est essentiellement due au fait que les États-Unis savent qu'ils ne peuvent se permettre de porter atteinte à leur suprématie militaire, incarnée par le régime qu'ils contrôlent en Israël.
Les États-Unis et leurs partenaires de l'OTAN sont responsables de 74,3 % des dépenses militaires mondiales. Face au besoin croissant de guerre et de recours aux ressources militaires des États-Unis, la situation en Ukraine, et potentiellement autour de la Chine, est en réalité aussi dangereuse, voire plus dangereuse, que la crise des missiles de Cuba.
Les belligérants ont le pouvoir de négocier
Quelques heures après l'entrée des troupes russes en Ukraine, les deux camps ont commencé à envisager un apaisement des tensions. Ces négociations se sont développées au Belarus et en Turquie avant d'être sabordées par l'assurance donnée par l'OTAN à l'Ukraine d'un soutien illimité et sans faille pour “affaiblir” la Russie.
Si ces premières négociations avaient eu lieu, des milliers de vies auraient pu être épargnées. Toutes les guerres de ce type se terminent par des négociations, donc le plus tôt aurait été le mieux. Ce point de vue est aujourd'hui ouvertement reconnu par les Ukrainiens. Vadym Skibitsky, chef adjoint du renseignement militaire ukrainien, a déclaré à The Economist que des négociations se profilaient à l'horizon.
La ligne de front entre la Russie et l'Ukraine n'a pas évolué de manière spectaculaire depuis bien longtemps. En février, le gouvernement chinois a publié une série de principes en 12 points pour guider le processus de paix. Ces propositions, dont la nécessité de “renoncer à la mentalité de la guerre froide”, auraient dû être sérieusement prises en compte par les parties belligérantes. Mais les États membres de l'OTAN les ont tout simplement ignorés.
Quelques mois plus tard, une conférence organisée par l'Ukraine s'est tenue en Suisse les 15 et 16 juin, à laquelle la Russie n'a pas été invitée et qui s'est terminée par un communiqué reprenant de nombreuses propositions chinoises sur la sécurité nucléaire, la sécurité alimentaire et les échanges de prisonniers.
Si un certain nombre d'États - de l'Albanie à l'Uruguay - ont signé le document, d'autres pays présents à la réunion ont refusé pour diverses raisons, notamment parce qu'ils ont estimé que le texte ne prend pas au sérieux les préoccupations de la Russie en matière de sécurité.
Parmi les pays qui n'ont pas signé, citons l'Arménie, le Bahreïn, le Brésil, l'Inde, l'Indonésie, la Jordanie, la Libye, l'île Maurice, le Mexique, l'Arabie saoudite, l'Afrique du Sud, la Thaïlande et les Émirats arabes unis.
Quelques jours avant la conférence suisse, le président russe Vladimir Poutine a énoncé ses conditions de paix, parmi lesquelles la garantie que l'Ukraine ne rejoindra pas l'OTAN. Ce point de vue est partagé par les pays du Sud qui n'ont pas adhéré à la déclaration de la Suisse.
La Russie et l'Ukraine sont toutes deux disposées à négocier. Pourquoi les États membres de l'OTAN devraient-ils être autorisés à prolonger une guerre qui menace la paix mondiale ? Le prochain sommet de l'OTAN, qui se tiendra à Washington du 9 au 11 juillet, doit entendre, haut et fort, que le monde ne veut pas de sa guerre meurtrière ni de son militarisme décadent. Les peuples du monde veulent construire des ponts, pas les faire exploser.
Le dossier n° 14, qui évalue clairement les dangers actuels liés à l'escalade en Ukraine et la région, souligne la nécessité, comme Abdullah El Harif, du parti de la Voie démocratique des travailleurs au Maroc, et moi-même l'avons écrit dans l'“Appel de Bouficha contre les préparatifs de guerre” en 2020, pour les peuples du monde de :
S'opposer au bellicisme de l'impérialisme américain qui cherche à imposer des guerres risquées à une planète déjà fragile.
S'opposer à la saturation du monde en armes de toutes sortes, qui attisent les conflits et entraînent fréquemment les processus politiques dans des guerres sans fin.
S'opposer au recours à la force militaire pour entraver le développement social des peuples du monde.
Défendre le droit des nations à développer leur souveraineté et leur dignité.
Les êtres sensibles du monde entier doivent faire entendre leur voix dans les rues et les arcanes du pouvoir pour mettre un terme à ce dangereux conflit et, au-delà, nous inscrire dans une dynamique permettant d'échapper au capitalisme et à ses guerres perpétuelles.
* Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est rédacteur et correspondant en chef de Globetrotter. Il est éditeur de LeftWord Books et directeur de “Tricontinental : Institute for Social Research”. Il est senior non-resident fellow au “Chongyang Institute for Financial Studies”, à la Renmin University of China. Il a écrit plus de 20 livres, dont “The Darker Nations” et “The Poorer Nations”. Ses derniers ouvrages sont “Struggle Makes Us Human : Learning from Movements for Socialism” et, avec Noam Chomsky, “The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of U.S. Power”.
https://consortiumnews.com/2024/06/28/vijay-prashad-no-such-thing-as-a-small-nuclear-war/