👁🗨 “Roger Waters et le concept de l'État unique”
“Mon père, de 1914 à 1944, a fait ce rêve. Il est mort en Italie, combattant les nazis pour défendre ce rêve. Moi aussi, je rêve de ce rêve. Pas de si, pas de et, pas de mais, je rêve aussi ce rêve.”
👁🗨 “Roger Waters et le concept de l'État unique”
Et briser le silence.
Par Patrick Lawrence, le 18 octobre 2023
Lorsque le sujet est Israël, il faut être très précis si l'on écrit pour la page d'opinion du New York Times. Il n'est pas question d'approuver les monstres racistes qui siègent dans une coalition avec le parti du Likoud du Premier ministre Netanyahu, lui aussi raciste. C'est exclu. Mais Michelle Goldberg, Tom Friedman et d'autres chroniqueurs doivent aujourd'hui pondérer leurs opinions avec discernement. Il y a Israël, et il y a les monstres qui gouvernent Israël. Très différent.
“Biden doit se rendre compte que Benjamin Netanyahou n'est pas en mesure de gérer cette guerre en tant qu'acteur rationnel”, a écrit Friedman dans les éditions de lundi. “Le gouvernement israélien n'est pas normal”, affirmait-il il y a un mois. “L'Israël que nous connaissons a disparu”, titrait un article publié il y a un an le mois prochain, alors que Bibi formait un gouvernement avec des gens qui sont, entre autres, une honte pour le judaïsme. “Que se passe-t-il donc en Israël ?” se demandait-il un mois plus tard.
Vous voyez ce que je veux dire. Israël va bien. Ce sont les responsables qui clochent. C'est le trope commun qui va bien au-delà de la page d'opinion du Times depuis que Netanyahou, désespéré par des accusations de corruption et voulant éviter la prison, a manœuvré pour revenir au pouvoir à la fin de l'année 2022. Appelons cela l'esquive du “si seulement”. Si seulement la politique israélienne se réorientait vers le centre, tout irait bien dans l'État juif - l'État de l'apartheid, comme nous devons plus honnêtement l'appeler.
Le “si seulement” est le thème le plus brûlant de la scène internationale depuis que le Hamas a lancé un assaut dans le sud d'Israël le 7 octobre, et que les forces de défense israéliennes ont entamé une nouvelle attaque sauvagement disproportionnée contre Gaza. Si seulement les FDI soutenues par les États-Unis pouvaient “éliminer” le Hamas - ou plutôt l’“éradiquer”. Si seulement Israël pouvait une fois pour toutes détruire le Hezbollah et mettre le Liban hors d'état de nuire. Dans les deux chambres du Congrès, on trouve des ignorants peu fréquentables qui veulent bombarder l'Iran et qui affirment - incroyable - que la Russie est à l'origine du désordre dans la bande de Gaza. D'où sortent ces gens ? J'aimerais rebaptiser le Capitole “Mont Crétin”.
Israël doit s'entourer d'un mur pour empêcher d'entrer ceux qu'il a forcés à s'installer dans des camps de réfugiés lors de sa fondation officielle en 1948, mais c'est bien : la violence incessante contre la population palestinienne, c'est bien aussi, c'est également acceptable - cela fait partie de l'histoire, comme on dit. Pour sa sécurité, Israël doit bombarder les aéroports des pays voisins, comme il l'a fait cette semaine en Syrie et au Liban. Mais Israël est Israël, Israël est le grand succès de l'après-Seconde Guerre mondiale, un monument de décence humaine et d'État de droit, et Israël se doit d'être.
Et au milieu de cette cacophonie, de tout ce vacarme, un silence immense et triste. Parmi les innombrables non-dits des démocraties occidentales, le plus important est que l'État d'Israël, fondé sur l'injustice il y a 75 ans, est une expérience ratée. Au lieu de célébrer son jubilé, il procède au nettoyage ethnique d'une population sans défense - un monstrueux mémorial aux six millions de personnes dont il était censé honorer les noms. De la même manière, personne à Washington ou parmi les vassaux européens ne peut exprimer ce qui doit l'être au sujet de la longue histoire du “soutien inconditionnel” de l'Amérique à Israël : c'est l'échec le plus retentissant de la politique étrangère - parmi beaucoup d'autres, bien sûr - de la période d'après-guerre.
Il ne sert à rien de se plaindre sans cesse de la pluie, disait Ray McGovern, Raymo, le grand Raimondo, dans un discours prononcé en Occident il y a quelques années. Le projet consistait à construire des arches. Buckminster Fuller, qui n'est pas étranger aux édifices imaginatifs, l'a exprimé de la manière suivante:
“On ne change jamais les choses en luttant contre la réalité existante. Pour changer quelque chose, il faut construire un nouveau modèle qui rende obsolète le modèle existant”.
Ces pensées me viennent, au milieu du spectacle atroce de la dernière et plus inhumaine persécution des habitants de Gaza par Israël, de la vidéo que Roger Waters a enregistrée le 11 octobre, quatre jours après le début de cette vague de violence, et qu'il a mise en ligne sur YouTube deux jours plus tard. Musicien, voix politique, honorable défenseur des médias indépendants, Waters a intitulé sa réflexion “À qui de droit : Arrêtez, s'il vous plaît”. Examinons ce que Waters avait à dire. Il y a quelque chose d'essentiel dans ces 5 minutes et 28 secondes - une idée d'arche, ou de nouveau modèle, selon la terminologie de Bucky Fuller.
“Mon cœur est lourd. Je suis triste et en colère”, commence Waters, énonçant l'évidence en appuyant sa tête sur sa main gauche et en regardant la caméra avec des yeux emplis de tristesse.
“Voilà près de 20 ans que je fais résonner ce tambour”, poursuit-il. “Mon message est simple. Pendant toutes ces années, j'ai eu l'impression que nous étions sourds aux appels de Mère Nature en faveur de l'égalité des droits de l'homme pour nos frères et sœurs. L'égalité des droits de l'homme est le seul antidote à la guerre”.
Il est rafraîchissant d'entendre les réflexions d'un homme intelligent et connecté qui n'est ni un technocrate, ni un fonctionnaire du gouvernement, ni un habitué des think tanks, ni même un praticien du secteur d'activité perturbé de votre chroniqueur. Dans cette présentation, nous bénéficions au contraire d'un discernement qui prend un recul utile. L'égalité des droits de l'homme comme état naturel de l'humanité et comme fondement d'un ordre mondial pacifique : je n'avais pas pensé que de telles questions pouvaient être ramenées à un principe aussi essentiel. Et pour être honnête, je n'ai pas fini d'y réfléchir. Mais je ne réfléchis pas à ce que Waters avait à dire ensuite : je suis absolument certain de ce qu'il a dit.
“Voici ce que je suggère”, dit-il, ajoutant modestement : “Ce n'est qu'une opinion”. Et puis.. :
“Premièrement, un cessez-le-feu immédiat et permanent. Plus de tueries de la part de qui que ce soit, ni du Hamas, ni des FDI [Forces de défense israéliennes].
Et ensuite ? De quelle manière prévenir les bains de sang à l'avenir.
Deuxièmement. Se réunir autour d'une grande table et élaborer les grandes lignes d'une solution à ce désordre impie, une solution basée sur le respect de l'égalité des droits de l'homme en vertu du droit international - un nouvel État avec des droits de l'homme égaux pour tous ses citoyens, indépendamment de leur appartenance ethnique, religieuse ou de leur nationalité antérieure. Ce nouvel État serait - et je l'ai écrit en gras - une véritable démocratie.
Troisièmement. Je soupçonne que la constitution du nouvel État devrait inclure des engagements en faveur d'audiences de vérité et de réconciliation, comme cela a été le cas dans l'Afrique du Sud de l'après-apartheid.
Le quatrième et dernier point soulevé par M. Waters, qu'il qualifie d'accessoire, concerne le statut des hauteurs du Golan : “Ils font partie de la Syrie, à laquelle ils appartiennent.”
Cette liste est très audacieuse, surtout dans le contexte actuel. Affirmer le bien-fondé et la justice d'une solution à un seul État, c'est dénoncer le silence qui prévaut - le silence officiel, le silence des médias, le silence qui nie l'échec de l'expérience israélienne et le soutien extravagant et destructeur de la nation qui l'a longtemps appuyée. Il s'agit d'écarter tous les “si seulement” bidons et minables en faveur de “ce qui est” et ensuite, honorablement, de “ce qui peut être”.
Roger Waters n'est pas le premier à affirmer que les Juifs et les Palestiniens doivent vivre dans une nation unitaire et laïque s'ils veulent trouver le chemin d'une coexistence harmonieuse. Mais son timing, disons-le, a la finesse d'un musicien accompli.
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Le regretté Edward Said a publié “The One-State Solution” /“La solution d'un seul État” dans le New York Times Sunday Magazine du 10 janvier 1999. Peut-être quelques lecteurs se souviennent-ils de cet article remarquable, tant par son lieu de publication que par son argumentaire. (Et hélas, à quel point le journal a depuis sombré dans la médiocrité et la servitude). Said a écrit après l'échec du mémorandum de Wye River, une faible tentative de redonner vie aux accords d'Oslo. Les accords d'Oslo constituaient un cadre pour ce que nous appelons la solution à deux États. Saïd n'en avait que faire d’emblée, en homme avisé.
L'échec de Wye River a entraîné la chute du premier gouvernement Netanyahou. C'est à ce moment-là que Said a écrit son article pour le Times :
“Il est temps de se demander si l'ensemble du processus entamé à Oslo en 1993 est le bon instrument pour instaurer la paix entre Palestiniens et Israéliens. Je pense que le processus de paix a en fait retardé la véritable réconciliation qui doit avoir lieu si l'on veut mettre fin à une guerre centenaire entre le sionisme et le peuple palestinien. Oslo a préparé le terrain à la séparation, mais la paix réelle ne peut venir qu'avec un État binational israélo-palestinien.”
“La véritable réconciliation”, “la guerre centenaire entre le sionisme et le peuple palestinien” : d'autres avaient déjà prôné la solution d'un seul État, notamment Hannah Arendt, mais Said n'a jamais été aussi clair sur la “question de la Palestine”, comme il l'a intitulé dans son livre de 1980.
La solution des deux États comme base d'un règlement durable, l'idée que les Palestiniens accepteraient d'être déplacés de force vers des terres qui leur seraient attribuées ailleurs, était la voie d’une catastrophe annoncée bien avant la conclusion des accords d'Oslo au début des années 1990, comme l'a souligné Said avec perspicacité. Même certains grands noms du sionisme l'avaient compris. “David Ben-Gourion, par exemple, a toujours été clair”, écrit Saïd. “Il n'y a aucun exemple dans l'histoire”, a-t-il déclaré en 1944, “d'un peuple disant accepter de renoncer à son pays, de laisser un autre peuple venir s'installer chez lui et le dépasser en nombre”.
Oslo - “à son grand déshonneur”, a écrit Saïd - a aggravé l'inévitable gâchis. Il a relégué les Palestiniens sur des parcelles de terre non contiguës, environ 10 % de la Cisjordanie et (à cette époque) 60 % de la bande de Gaza, qui figurent encore aujourd'hui sur les cartes comme de fidèles reproductions des bantoustans de l'Afrique du Sud de l'apartheid. “Plus les schémas actuels de colonisation israélienne et d'enfermement et de résistance palestiniens persistent”, écrit Said sans ambages, “moins il est probable qu'il puisse en résulter une véritable sécurité pour l'une ou l'autre des parties”.
Qu'est-il advenu du langage clair, franc et nuancé ?
L'argument de M. Said repose dans une certaine mesure sur un précédent historique :
“La Palestine est et a toujours été une terre aux histoires multiples ; c'est une simplification radicale que de la considérer comme principalement ou exclusivement juive ou arabe. Si la présence juive est ancienne, elle n'est en aucun cas la principale. Les Cananéens, les Moabites, les Jébusiens et les Philistins dans l'Antiquité, les Romains, les Ottomans, les Byzantins et les Croisés à l'époque moderne ont été les autres occupants du territoire. La Palestine est multiculturelle, multiethnique et multireligieuse. Il y a aussi peu de justification historique à l'homogénéité qu'il y en a aujourd'hui pour les notions de pureté nationale, ethnique et religieuse.”
Excellent article, comme je me souviens l'avoir pensé il y a 24 ans.
Mais ce qui m'a le plus intéressé, c'est le fondement de l'argumentation de Saïd. Il repose sur les principes d'un État laïque moderne tels que nous les connaissons depuis la fin du XVIIIe siècle. Said est parfaitement conscient du fait que les Juifs et les Palestiniens, pour des raisons différentes, auront du mal à mettre de côté leur passé - ou, dans le cas de nombreux Juifs israéliens, un passé imaginé, devrions-nous dire :
“Le premier pas ... est très difficile à faire. Les Juifs israéliens sont isolés de la réalité palestinienne ; la plupart d'entre eux disent qu'elle ne les concerne pas vraiment.... Les Palestiniens de ma génération, encore sous le choc d'avoir tout perdu en 1948, trouvent presque impossible d'accepter que leurs maisons et leurs fermes aient été prises par un autre peuple.”
À partir de cette sobre observation, Said passe sans broncher aux vérités durables qui font qu'Oslo et tous les efforts ultérieurs pour faire tenir la solution à deux États ressemblent à autant de chiffons de papier détrempés :
“Je ne vois pas d'autre moyen que de commencer dès maintenant à parler du partage de la terre qui nous a réunis, un partage véritablement démocratique, avec des droits égaux pour chaque citoyen. Il n'y aura pas de réconciliation tant que les deux peuples, les deux communautés de souffrance, n'auront pas décidé que leur existence est un fait séculaire et qu'elle doit être traitée en tant que telle...”
Il faut commencer par développer quelque chose qui fait totalement défaut aux réalités israéliennes et palestiniennes d'aujourd'hui : l'idée et la pratique de la citoyenneté, et non de la communauté ethnique ou raciale, en tant que principal vecteur de coexistence. Dans un État moderne, tous ses membres sont des citoyens en vertu de leur présence et du partage des droits et des responsabilités. La citoyenneté permet donc à un Juif israélien et à un Arabe palestinien de bénéficier des mêmes privilèges et des mêmes ressources. Une constitution et une déclaration des droits deviennent donc nécessaires pour dépasser la première case du conflit, car chaque groupe aurait le même droit à l'autodétermination, c'est-à-dire le droit de pratiquer la vie communautaire à sa manière (juive ou palestinienne), peut-être dans des cantons fédérés, avec une capitale commune à Jérusalem, un accès égal à la terre et des droits laïques et juridiques inaliénables. Aucune des parties ne doit être prise en otage par l'extrémisme religieux.
Cette idée est aussi valable aujourd'hui qu'elle l'était au tournant du millénaire.
Je n'ai rencontré Edward Saïd qu'une seule fois, lors d'un dîner animé, mais je suis certain qu'il a lu, probablement en français, “Qu'est-ce qu'une nation” d’Ernest Renan. J'ai déjà abordé la conférence de Renan de 1882, prononcée à la Sorbonne, dans cette rubrique, ici et ici, et je ne m'y attarderai donc pas. Ni la race, ni la religion, ni la langue, ni ce que Renan appelait la “communauté d'intérêts”, ni même la géographie (par laquelle il entendait les frontières naturelles, cours d'eau et autres) ne comptent dans la constitution d'une nation. Une nation moderne, affirmait-il notoirement, est “un plébiscite quotidien” - une voix que chaque citoyen exprime par sa participation quotidienne à la vie de l'État.
Il est choquant pour moi - enfin, peut-être pas tant que ça - que tant de personnes s'occupant du cas d'Israël en tant qu'hommes et femmes d'État influents aient pu passer à côté d'une vérité déjà bien ancrée dans ma tête à l'âge de 35 ans. Sans compter que tant de Juifs à l'intelligence de premier ordre, pour qui le sionisme semble avoir pris le pas sur l'histoire et le type de logique que Ben-Gourion reconnaissait, ont pu passer à côté de cette vérité.
Comme Roger Waters reflète fidèlement les idées d'Edward Said et, plus loin, d'Ernest Renan, quelles que soient ses habitudes de lecture. Avec quelle superbe sobriété il fait vivre leur pensée dans l'ici et le maintenant, dans le “ce qui est” et le “ce qui peut être” de notre époque.
Waters termine son intervention par une référence plus poignante que toutes celles que j'ai entendues au cours de ces dix derniers jours. “Rêvons-nous d'un monde où tous les hommes et toutes les femmes sont égaux devant la loi ? Ou pas ?” demande-t-il. Et puis :
“Mon père, de 1914 à 1944, a fait ce rêve. Il est mort en Italie en combattant les nazis pour défendre ce rêve. Moi aussi, je rêve de ce rêve. Pas de si, pas de et, pas de mais, je rêve aussi ce rêve. Alors, à qui de droit : Arrêtez, s'il vous plaît.”
Je n'arrive pas à me remettre de la réalité à laquelle Waters nous confronte. Un homme dont le père a donné sa vie en combattant le Reich pour libérer six millions de Juifs est aujourd'hui au bord des larmes en observant la violence que les descendants de ces Juifs infligent à une population tout aussi impuissante.
Je laisserai cette réflexion reposer à sa juste place.
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Beaucoup de sages paroles ont été prononcées dans les jours qui ont suivi le 7 octobre. Et beaucoup de choses irréfléchies, aussi - des choses qui reflètent une colère non dissimulée, l'indignation suscitée par le spectacle d'une cruauté et d'une injustice prolongées. Je retiendrai l'une d'entre elles pour son aspect très destructeur.
Un journaliste indépendant, dont le nom ne doit pas être cité, a récemment publié un article intitulé “Ne jamais pardonner, ne jamais oublier”, lorsqu'Israël a donné deux heures à l'hôpital al-Awda de la ville de Gaza pour être évacué. Cette pensée est le produit d'un esprit immature, pour finir. C'est le plus mauvais conseil à donner si nous - nous, l'espèce humaine - voulons sortir de cette catastrophe, de cette plongée dans la déraison officielle. Si vous voulez que l'amertume et la brutalité qui déchirent Israël et les Palestiniens se poursuivent indéfiniment, ces six mots vous le garantiront.
Il ne semble pas nécessaire de dire grand-chose sur la vertu du pardon. Par souci de brièveté et au risque de simplifier à l'extrême, je dirai ceci : quelles que soient nos croyances, même si nous n'en avons aucune, quoi que nous puissions penser des institutions temporelles du christianisme, la civilisation occidentale - ou ce qu'il en reste - a été définie à bien des égards majeurs par les livres du Nouveau Testament et par l'homme dont ils racontent l'histoire. Ils nous ont légué une éthique. Au cœur de cette éthique se trouve une culture du pardon et de la réconciliation. Ils ont ouvert la voie pour que l'humanité abandonne la culture de la vengeance.
Cette dernière est trop présente dans le désastre qui se déroule à Gaza pour que nous puissions conclure par cette réflexion. Aussi difficile que soit le chemin, il est impératif, pour le bien de... pour le bien des rêves de Roger Waters, d'apprendre, le moment venu, à pardonner.
Quant à l'oubli, j'en ai déjà parlé dans cette rubrique, aussi je vais l’évoquer brièvement. Il y a l'effacement du passé, comme le tentent sans cesse les apologistes du “si seulement” de l'État d'apartheid, et ce n'est pas ce dont je veux parler. Je veux parler de l'oubli comme moyen de nous libérer du fardeau du souvenir éternel qui nous rend prisonniers du passé, captifs d'événements antérieurs, incapables d'agir de manière autonome dans le présent. Le mécanisme nécessaire à ce type d'oubli est l'histoire. En enregistrant correctement les événements de l'histoire, nous sommes en mesure de nous décharger du passé, de vivre de manière créative dans le présent, en construisant l'avenir dont nous souhaitons profiter - d'oublier, confiants dans le fait que ce qui s'est produit dans le passé est inscrit, dans l'espace public, en tant qu'histoire écrite.
Je ne peux pas dire ce que les Israéliens sont à même de penser de ces questions. Ceux qui sont au pouvoir semblent certainement vivre selon la culture de la vengeance de l'Ancien Testament. Je doute sérieusement, très sérieusement, qu'il y ait beaucoup de Palestiniens qui, lorsqu'ils envisagent la vie après la libération, pensent que le fardeau de l'éternel souvenir et de l'éternel impardonnable constitue un aspect réjouissant de la situation. Je doute, pour citer à nouveau Roger Waters, que cela fasse partie de leurs rêves.
Edward Said, ce distingué érudit aux rigoureux principes, a écrit des ouvrages généreusement imprégnés de notions de pardon et d'oubli. Lisez son article dans le Times : vous y trouverez ces réflexions tout au long du texte. Israël, de par sa structure actuelle, est un État en faillite. Il est temps, depuis longtemps, de repartir de zéro. Est-il possible d'y parvenir un jour, à moins que le plus grand nombre n’oublie de ne jamais oublier et ne jamais pardonner ?