đâđš Royaume de JudĂ©e vs Ătat d'IsraĂ«l
Le style provocateur de Trump menaçant de âtout faire pĂ©terâ ne fonctionnera pas si l'un des camps veut l'Armageddon. âTout faire pĂ©terâ ? âMais allez-yâ, pourrait ĂȘtre la rĂ©ponse que Trump obtiendra.
đâđš Royaume de JudĂ©e vs Ătat d'IsraĂ«l
Par Alastair Crooke, le 17 mars 2025
Une lecture géopolitique de la guerre civile naissante en Israël.
IsraĂ«l est profondĂ©ment fracturĂ©. Le schisme se fait toujours plus amer et passionnĂ©, les deux camps se considĂ©rant engagĂ©s dans une guerre existentielle pour l'avenir d'IsraĂ«l. Le discours est devenu si venimeux (en particulier sur les chaĂźnes Ă accĂšs restreint en hĂ©breu) que les appels au coup d'Ătat et Ă la guerre civile se multiplient.
IsraĂ«l est au bord du gouffre et les divergences apparemment irrĂ©conciliables pourraient bientĂŽt dĂ©gĂ©nĂ©rer en conflits civils. Comme l'Ă©crit Uri Misgav cette semaine, le âprintemps israĂ©lienâ est en marche.
Si l'approche matĂ©rialiste et transactionnelle du prĂ©sident Trump peut fonctionner dans l'hĂ©misphĂšre occidental, elle risque de ne pas faire l'affaire en IsraĂ«l (ou en Iran), oĂč les citoyens ont une vision du monde diffĂ©rente, fondĂ©e sur des concepts de l'Ă©thique, de la philosophie et de l'Ă©pistĂ©mologie fondamentalement diffĂ©rents du paradigme occidental classique de âla carotte et du bĂątonâ.
En effet, tenter d'imposer la dissuasion - et menacer de âtout faire pĂ©terâ si ses injonctions ne sont pas appliquĂ©es - pourrait produire l'effet inverse de celui recherchĂ©, c'est-Ă -dire dĂ©clencher de nouveaux conflits et de nouvelles guerres.
Une colĂšre plurielle en IsraĂ«l (dont Netanyahu est pour l'instant le chef de file) a pris les rĂȘnes du pouvoir aprĂšs un long parcours dans les institutions de la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne, et vise dĂ©sormais Ă dĂ©manteler l'âĂtat profondâ en IsraĂ«l. Cette prise de pouvoir suscite Ă©galement des rĂ©actions de rejet passionnĂ©es.
Cette fracture sociétale est exacerbée par deux éléments : idéologique d'une part, et ethnoculturel d'autre part. Le troisiÚme élément, l'eschatologie, étant le plus explosif.
Lors des derniĂšres Ă©lections nationales en IsraĂ«l, la âclasses dĂ©favorisĂ©eâ a enfin brisĂ© le mur invisible pour remporter les Ă©lections et prendre le pouvoir. Les Mizrahim (juifs du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord) ont longtemps Ă©tĂ© considĂ©rĂ©s comme les plus pauvres et les plus infĂ©rieurs de la sociĂ©tĂ©.
Les Ashkénazes (juifs européens, en grande partie libéraux et laïques) constituent une grande partie des cadres des villes (et jusqu'à récemment) du secteur de la sécurité. Ce sont les élites que la coalition du Mouvement religieux national et du Mouvement des colons a évincées lors des derniÚres élections.
Aujourd'hui, la lutte pour le pouvoir se poursuit depuis 2015. Comme l'a écrit Gadi Taub,
âles juges de la Cour suprĂȘme d'IsraĂ«l ont privĂ© les pouvoirs Ă©lus de leur souverainetĂ©, c'est-Ă -dire de leur pouvoir de dĂ©cision finale sur l'ensemble du domaine juridique et politique, pour se l'accaparer. Un pouvoir non Ă©lu dĂ©tient officiellement le pouvoir, contre lequel on ne peut exercer ni contrĂŽle ni contrepoidsâ.
Du point de vue des conservateurs, la Cour suprĂȘme, s'Ă©tant attribuĂ© la compĂ©tence de contrĂŽle judiciaire, a obtenu le pouvoir, Ă©crit Taub,
âde dicter les rĂšgles du jeu politique, bien au-delĂ de ses implications concrĂštes. L'application de la loi est alors devenue le bras armĂ© de la presse. Comme ce fut le cas avec le canular du âRussiagateâ, la police et le procureur gĂ©nĂ©ral d'IsraĂ«l ne cherchaient pas tant Ă rassembler des preuves pour un procĂšs pĂ©nal qu'Ă produire des rĂ©vĂ©lations politiques pour les divulguer Ă la presseâ.
L'âĂtat profondâ en IsraĂ«l est un sujet de discorde constant pour Netanyahu et son cabinet : dans un discours Ă la Knesset ce mois-ci, par exemple, Netanyahu a fustigĂ© les mĂ©dias, accusant les organes de presse de
âcoopĂ©rer pleinement avec l'Ătat profondâ et de crĂ©er des âscandalesâ. âLa coopĂ©ration entre la bureaucratie de l'Ătat profond et les mĂ©dias n'a pas fonctionnĂ© aux Ătats-Unis, et elle ne fonctionnera pas iciâ, a-t-il dĂ©clarĂ©.
PrĂ©cisons qu'au dernier scrutin lĂ©gislatif, la Cour suprĂȘme Ă©tait composĂ©e de quinze juges, tous ashkĂ©nazes, Ă l'exception d'un seul mizrahi.
NĂ©anmoins, il serait faux de considĂ©rer la guerre des blocs rivaux comme un conflit obscur sur l'usurpation du pouvoir exĂ©cutif - et une âsĂ©paration des pouvoirs de l'Ătatâ compromise.
La lutte est plutĂŽt enracinĂ©e dans un profond litige idĂ©ologique sur l'avenir et la nature de l'Ătat d'IsraĂ«l. Sera-t-il un Ătat messianique, Halacha, obĂ©issant Ă la RĂ©vĂ©lation ? Ou, en substance, pourra-t-on parler d'un âĂtatâ dĂ©mocratique, libĂ©ral et largement laĂŻque ? La question dĂ©chire IsraĂ«l.
Du point de vue culturel, les Mizrahim (au sens large) et la droite considĂšrent que la sphĂšre libĂ©rale europĂ©enne n'est pas vĂ©ritablement juive. D'oĂč leur dĂ©termination Ă voir la terre d'IsraĂ«l s'immerger pleinement dans la judĂ©itĂ©.
Les événements du 7 octobre ont cristallisé cette lutte idéologique, deuxiÚme facteur clé reflétant largement le schisme général.
La vision traditionnelle d'IsraĂ«l en matiĂšre de sĂ©curitĂ© (datant de l'Ă©poque de Ben Gourion) rĂ©pondait au dilemme persistant de l'Ătat hĂ©breu selon lequel IsraĂ«l s'estime incapable d'imposer une fin de conflit Ă ses ennemis, mais ne peut pas non plus financer une armĂ©e imposante sur le long terme.
Par conséquent, Israël devrait, dans cette optique, compter sur une armée de réserve capable de détecter les signes avant-coureurs d'une guerre. La détection précoce des signes avant-coureurs d'une guerre constitue donc une exigence primordiale.
Et cette hypothÚse clé s'est effondrée le 7 octobre.
L'onde de choc et le désarroi provoqués par l'attaque du 7 octobre ont conduit beaucoup de gens à penser que la stratégie de dissuasion israélienne a échoué et que l'attaque du Hamas a irrémédiablement brisé le concept israélien sécuritaire. Pour preuve, le Hamas n'a pas été mis en échec.
Mais nous touchons ici au cĆur de la guerre interne israĂ©lienne : ce qui a Ă©tĂ© dĂ©truit le 7 octobre va bien au-delĂ de l'ancien paradigme sĂ©curitaire du Parti travailliste et des anciennes Ă©lites sĂ©curitaires. Certes, ce dernier a Ă©tĂ© anĂ©anti, mais ce qui est nĂ© de ses cendres est une vision du monde alternative incarnant un concept philosophique et Ă©pistĂ©mologique fondamentalement diffĂ©rent du paradigme classique de la dissuasion :
âJe suis nĂ© en IsraĂ«l, j'ai grandi en IsraĂ«l... j'ai servi dans les FDIâ, dit Alon Mizrahi. âJ'y ai Ă©tĂ© soumis. On m'a ainsi endoctrinĂ© et pendant de nombreuses annĂ©es, j'y ai cru.
âC'est le problĂšme des Juifs : ce n'est pas juste une question de sionisme... Comment peut-on faire croire Ă ses enfants, et c'est presque universel, que tous les non-Juifs veulent nous tuer ? Quand on entre dans cette paranoĂŻa, on se donne le droit de faire n'importe quoi Ă n'importe qui... Ce n'est pas la bonne façon de bĂątir une sociĂ©tĂ©. C'est trĂšs dangereuxâ.
Lisez ici dans le Times of Israel le compte rendu d'une conférence dans un lycée (aprÚs le 7 octobre) sur l'éthique de l'éradication d'Amalek : un élÚve pose la question suivante :
âPourquoi devons-nous condamner le Hamas pour avoir assassinĂ© des hommes, des femmes et des enfants innocents, alors que nous avons reçu l'ordre d'Ă©radiquer Amalek ?â
âComment retrouver un semblant de normalitĂ© demainâ, demande Alon Mizrahi, âsi nos actes d'aujourd'hui nous trahissent ?â
L'extrĂȘme droite religieuse mĂšne la charge pour modifier radicalement le concept israĂ©lien sĂ©curitaire. Elle ne croit plus au paradigme classique de la dissuasion prĂŽnĂ© par Ben Gourion, surtout depuis le 7 octobre. La droite ne croit pas non plus au principe de colonies israĂ©liennes en Palestine et rejette catĂ©goriquement l'idĂ©e d'un Ătat binational. Selon Bezalel Smotrich, la thĂ©orie sĂ©curitaire d'IsraĂ«l doit dĂ©sormais inclure la guerre permanente contre les Palestiniens, jusqu'Ă leur expulsion ou leur Ă©limination.
L'ancien establishment (libéral) est outré, comme l'a exprimé cette semaine l'un de ses membres, David Agmon (ancien général de brigade des FDI et ancien chef de cabinet de Netanyahu) :
âJe vous accuse, Bezalel Smotrich, de dĂ©truire le sionisme religieux ! Vous nous entraĂźnez vers un Ătat de Halakha et de sionisme haredi, et non vers un sionisme religieux... Sans parler de votre alliance avec le terroriste Ben Gvir, qui encourage les hors-la-loi, les brutes Ă continuer d'enfreindre la loi, Ă s'en prend au gouvernement, au systĂšme judiciaire et Ă la police dont il a la charge. Netanyahu n'est pas la solution. Netanyahu est le problĂšme, il est la tĂȘte du serpent. Il faut lutter contre Netanyahu et sa coalition. Le mouvement contestataire doit exiger la chute de ce gouvernement dĂ©lĂ©tĂšreâ.
Si Netanyahu se veut laĂŻc, il n'en revendique pas moins la mission biblique d'un Grand IsraĂ«l, oĂč tous les ennemis seraient anĂ©antis. Il est, pour ainsi dire, un nĂ©o-jabotinskyiste (son pĂšre Ă©tait le secrĂ©taire particulier de Jabotinsky) et entretient des relations de dĂ©pendance mutuelle avec des personnalitĂ©s telles que Ben Gvir et Yisrael Beiteinou.
âQue veulent ces gens ?â, se demande Max Blumenthal . âQuel est leur but ultime ?â
âL'apocalypseâ, prĂ©vient Blumenthal, dont le livre Goliath retrace la montĂ©e de la droite eschatologique en IsraĂ«l :
âLeurs croyances eschatologiques sont fondĂ©es sur l'idĂ©ologie du TroisiĂšme Temple, selon laquelle la mosquĂ©e Al-Aqsa sera dĂ©truite et remplacĂ©e par un TroisiĂšme Temple oĂč seront pratiquĂ©s les rituels traditionnels juifsâ.
Et pour y parvenir, ils ont besoin d'une âgrande guerreâ.
Naftali Bennett a toujours Ă©tĂ© franc Ă ce sujet : le projet d'expulser Ă terme tous les Arabes de la âTerre d'IsraĂ«lâ passera par l'urgence, par une âgrande guerreâ, a-t-il dĂ©clarĂ©.
La grande question est la suivante : Trump et son Ă©quipe ont-ils conscience de tout cela ? Car la mĂ©thodologie transactionnelle de Trump risque dâĂȘtre sans effet, la logique sĂ©culiĂšre et la mĂ©thode de la âcarotte et du bĂątonâ pĂšseront peu face une Ă©pistĂ©mologie bien diffĂ©rente, celle de ceux qui prennent la RĂ©vĂ©lation littĂ©ralement pour âla vĂ©ritĂ©â et croient qu'elle exige une obĂ©issance totale.
Trump dit vouloir mettre fin aux conflits au Moyen-Orient et instaurer une âpaixâ rĂ©gionale.
Son approche laĂŻque et transactionnelle de la politique est cependant totalement inadaptĂ©e Ă la rĂ©solution des conflits eschatologiques. Son style provocateur, lorsqu'il menace de âtout faire pĂ©terâ s'il n'obtient pas ce qu'il veut, ne fonctionnera pas, si l'une ou l'autre des parties souhaite rĂ©ellement l'Armageddon.
âTout faire pĂ©terâ ? âMais allez-yâ, pourrait bien ĂȘtre la rĂ©ponse que Trump obtiendra.
https://strategic-culture.su/news/2025/03/17/kingdom-of-judea-vs-state-of-israel/