👁🗨 Scène de crime en mer Baltique
La taille des navires & la densité des renseignements de l'OTAN en Baltique décrédibilisent la version relatée d'ignorer des événements maritimes survenus non loin de l'île stratégique de Bornholm.
👁🗨 Scène de crime en mer Baltique
Par Pressenza, le 12 janvier 2023
Attaques contre Nord Stream : La pression monte sur le gouvernement fédéral pour qu'il présente les résultats de l'enquête. Les médias américains et les responsables gouvernementaux européens doutent de la responsabilité russe.
La pression monte sur le gouvernement fédéral pour qu'il dévoile les premiers résultats de l'enquête sur les attentats du Nord Stream. En toile de fond, la prétendue responsabilité russe, généralement suggérée par la politique et les médias occidentaux, est désormais remise en question par les principaux médias américains. Ceux-ci s'appuient sur des estimations de collaborateurs gouvernementaux européens, selon lesquels il n'existe aucun indice sur d'éventuels auteurs russes, alors que Moscou devrait avoir intérêt à ce que les pipelines continuent d'exister. Les médias allemands ont récemment cité des "personnes au sein du gouvernement berlinois", dont l'identité n'a pas été précisée, et qui ont tenu des propos qui laissent au moins envisager une responsabilité ukrainienne ou polonaise. Parmi les causes possibles d'une éventuelle action occidentale, les médias américains citent les spéculations russes selon lesquelles, en cas de grave pénurie de gaz naturel, comme cela n'est pas improbable l'hiver prochain, les Etats européens pourraient se voir contraints de s'approvisionner à nouveau en gaz de pipeline russe. On ne sait toujours pas pourquoi des navires de guerre suédois se trouvaient à proximité des lieux des attentats peu avant ceux-ci.
Aucune piste qui implique la Russie
Trois mois après les attentats contre les gazoducs Nord Stream 1 et 2, des collaborateurs de gouvernements occidentaux rejettent pour la première fois publiquement l'affirmation selon laquelle la Russie pourrait être responsable de l'acte de sabotage. Peu avant les fêtes de fin d'année, le Washington Post avait déjà rapporté que "de nombreux" employés gouvernementaux soupçonnaient "en privé" que Moscou n'avait rien à voir avec les attentats. Le journal citait un fonctionnaire européen qui estimait qu'il n'y avait "à l'heure actuelle" aucun piste justifiant une responsabilité russe. Cette évaluation se fonde, selon le journal, sur des entretiens avec 23 sources de la diplomatie et des services secrets [1]. Un fonctionnaire d'Europe occidentale est même cité comme ayant déclaré : "L'idée que la Russie soit responsable n'a jamais eu de sens pour moi". Comme le rapporte le Washington Post, le scepticisme qui se fait jour aujourd'hui n'est pas seulement dû au fait qu'aucune trace d'auteurs russes n'a été trouvée sur les lieux du crime, mais aussi au fait que l'espionnage américain, habituellement très poussé, n'a jusqu'à présent pas détecté d'indices de complicité lors des écoutes des services russes. C'est assez inhabituel.
Des coûts de réparation élevés
Quelques jours plus tard, le New York Times en a rajouté une couche. Le journal a écrit que la société Nord Stream AG, qui exploite le gazoduc Nord Stream 1, avait commencé à se pencher sur la réparation des conduites. C'est ce qu'aurait rapporté une personne ayant une connaissance détaillée des événements [2]. Auparavant, Moscou n'avait pas confirmé de tels projets, mais ne les avait pas non plus démentis. Le vice-premier ministre russe Alexandre Novak avait indiqué dans une interview à l'agence de presse Tass que les spécialistes considéraient la réparation comme "techniquement réalisable", mais que l'on ne savait pas combien elle coûterait [3]. Selon le New York Times, une estimation s'élève à environ un demi-milliard de dollars américains. Le journal fait remarquer qu'il n'est pas vraiment pertinent que la Russie détruise un gazoduc uniquement pour le remettre ensuite en état à grands frais. C’est d'autant plus vrai que Moscou doit continuer à payer des droits de transit pour les livraisons de gaz naturel encore effectuées par les gazoducs à terre - et ce à l'adversaire de la guerre, l'Ukraine [4]. A cela s'ajoute le fait que Moscou ne peut désormais plus utiliser les éventuelles livraisons de gaz par les gazoducs Nord Stream comme appât.
La pénurie de gaz naturel en Europe
En effet, une telle utilisation irait dans l'intérêt de la Russie. Selon les dernières prévisions de l'Agence internationale de l'énergie (AIE), les Etats européens seront confrontés l'année prochaine ou l'hiver prochain à une pénurie d'approvisionnement d'environ 30 à 60 milliards de mètres cubes de gaz naturel, dont la provenance n'est pas claire du tout [5]. Le New York Times cite aujourd'hui un cadre supérieur de Gazprom qui a déclaré : "Attendez de voir un seul hiver froid, et ils viendront nous supplier de leur fournir du gaz" [6]. La possibilité de recourir aux gazoducs Nord Stream en cas d'urgence a été réduite à néant par les attentats. De plus, les experts du secteur estiment qu'il est tout à fait possible qu'à l'avenir, les États européens importent à nouveau du gaz de pipeline russe en grande quantité. Comme le rapporte l'agence de presse Bloomberg, lors d'une réunion d'experts organisée début décembre par l'Oxford Institute for Energy Studies, seuls 40 pour cent des personnes présentes pensaient que le retrait de l'Europe du gaz naturel russe serait durable. La raison : sans gaz naturel bon marché, des secteurs clés de l'industrie européenne ne pourraient pas survivre.
Sanctions réactivées
Alors qu'une réparation du gazoduc Nord Stream 1 permettrait, du moins en théorie, de reprendre les livraisons, le Canada a porté un nouveau coup à ces réflexions fin 2022 : il a réactivé des sanctions qui empêchent spécifiquement le retour en Russie d'une turbine Siemens révisée à Montréal, au Canada, et nécessaire à l'exploitation de Nord Stream 1 [8]. Cela augmente encore un peu plus le coût de la réparation du gazoduc. Si Ottawa n'envisageait pas une éventuelle réparation du gazoduc, l'activation des sanctions au détriment d'un gazoduc détruit n'aurait guère de sens.
"Présenter un récit plausible".
Les principaux médias américains ne sont pas les seuls à considérer que la responsabilité russe est désormais peu probable. On rapporte également que "des personnes au sein du gouvernement berlinois" posent "en sous-main des questions ... qui pourraient provoquer des troubles au sein de l'OTAN": “l'Ukraine et la Pologne n'auraient-elles pas exigé avec la plus grande fermeté de l'Allemagne qu'elle renonce aux conduites du Nord Stream ?" [9] Un expert militaire de haut rang, dont le nom n'est pas cité, déclare pour sa part qu'il ne faut "même pas imaginer ce qui se passerait si, à un moment ou à un autre, en pleine guerre, on apprenait qu'un Etat de l'OTAN a aidé à bombarder le pipeline controversé, ou était au courant de projets dans ce sens sans pouvoir les empêcher". [10] Dans cette optique, le député Roderich Kiesewetter (CDU), vice-président de l'organe de contrôle parlementaire, insiste maintenant pour que les résultats des enquêtes menées jusqu'à présent soient présentés, "car les spéculations sauvages dans cette situation peu claire ne sont pas sans danger" [11]. Le président de l'organe de contrôle parlementaire, Konstantin von Notz (Bündnis 90/Die Grünen), exige lui aussi que le gouvernement fédéral "fasse preuve de transparence ou présente au moins un récit plausible des événements du 26 septembre".
Un transpondeur désactivé
L'affaire est compliquée par la pratique excessive du secret de la Suède, dont les autorités, selon certains rapports, n'informent même pas les pays alliés de l'OTAN des résultats de leurs investigations. Parmi les mystères entourant les attaques contre les pipelines, il y a notamment la présence des deux grands navires qui, selon les recherches du magazine Wired, ont croisé non loin des lieux de l'attentat dans les jours précédant immédiatement les attaques, et qui avaient alors désactivé leurs transpondeurs [12]. Il est remarquable que personne n'ait encore présenté de preuves pour l'affirmation selon laquelle il s'agissait de navires russes; la taille des navires et la densité habituelle des renseignements de l'OTAN en mer Baltique décrédibilisent la version relatée de ne rien savoir des événements maritimes survenus non loin de l'île stratégique de Bornholm. On sait toutefois que des navires de guerre de la marine suédoise se trouvaient également à proximité des lieux du crime peu avant l'attaque; la marine suédoise l'a même reconnu, et a avancé pour cause des mesures de surveillance maritime non précisées [13]. On ne sait pas si les transpondeurs sont habituellement désactivés lors de ces opérations.
[1] Shane Harris, John Hudson, Missy Ryan, Michael Birnbaum : No conclusive evidence Russia is behind Nord Stream attack. washingtonpost.com 21.12.2022.
[2] Rebecca R. Ruiz, Justin Scheck : Dans le mystère Nord Stream, le fond de la mer Baltique offre une scène de crime presque idéale. nytimes.com 26.12.2022.
[3] Michael Maier : Nord Stream : La Russie répare-t-elle secrètement le gazoduc ? berliner-zeitung.de 02.01.2023.
[4] Rebecca R. Ruiz, Justin Scheck : Dans le mystère Nord Stream, le fond de la mer Baltique offre une scène de crime presque idéale. nytimes.com 26.12.2022.
[5] Voir à ce sujet La pénurie de gaz naturel.
[6] Rebecca R. Ruiz, Justin Scheck : Dans le mystère du Nord Stream, le fond de la mer Baltique offre une scène de crime presque idéale. nytimes.com 26.12.2022.
[7] Javier Blas : Le pont énergétique de l'Europe vers la Russie peut-il être reconstruit ? bloomberg.com 12.12.2022.
[8] Darren Major : Ottawa revoque la dérogation aux sanctions sur les turbines à gaz Nord Stream. cbc.ca 14.12.2022.
[9], [10] Daniel Goffart : Bombarder d'abord, réparer ensuite ? wiwo.de 01.01.2023.
[11] Christopher Ziedler : 100 jours après les fuites de gaz : les devinettes sur le sabotage de Nord Stream continuent. tagesspiegel.de 03.01.2023.
[12] 'Dark Ships' Emerge From the Shadows of the Nord Stream Mystery. wired.co.uk 11.11.2022.
[13] Svenska marinens fartygsrörelser I området : "Inte en slump". svt.se 03.10.2022.