đ© Scott Ritter: Avis de tempĂȘte
L'horloge de l'apocalypse marque littĂ©ralement minuit moins une, et nous, Occidentaux, ne pouvons nous en prendre qu'Ă nous-mĂȘmes.
đ© Avis de tempĂȘte
đ°Â Par Scott Ritter* / Consortium News, le 23 septembre 2022
L'ordre de Poutine de commencer la mobilisation partielle des forces militaires russes prolonge une confrontation entre la Russie et une coalition de nations occidentales dirigĂ©e par les Ătats-Unis qui remonte Ă la fin de la guerre froide.
La guerre n'est jamais une solution ; il y a toujours des alternatives qui auraient pu - et dĂ» - ĂȘtre recherchĂ©es par ceux Ă qui est confiĂ© le destin de la sociĂ©tĂ© mondiale avant que l'ordre ne soit donnĂ© d'envoyer les jeunes d'une nation se battre et mourir. Tout dirigeant national digne de ce nom devrait chercher Ă Ă©puiser toutes les autres options pour rĂ©soudre les problĂšmes auxquels son pays est confrontĂ©.
Si on la considĂšre dans son ensemble, l'annonce faite mercredi par le prĂ©sident russe Vladimir Poutine, lors d'une allocution tĂ©lĂ©visĂ©e au peuple russe, selon laquelle il ordonne la mobilisation partielle de 300 000 rĂ©servistes pour complĂ©ter les quelque 200 000 soldats russes actuellement engagĂ©s dans des opĂ©rations de combat sur le sol ukrainien, semble ĂȘtre l'antithĂšse de la recherche d'une alternative Ă la guerre.
Cette annonce a été faite parallÚlement à celle autorisant la tenue de référendums sur le territoire de l'Ukraine actuellement occupé par les forces russes sur la question du rattachement de ces territoires à la Fédération de Russie.
Prises isolément, ces actions semblent représenter une attaque frontale contre le droit international tel que défini par la Charte des Nations Unies, qui interdit les actes d'agression d'une nation contre une autre dans le but de s'emparer d'un territoire par la force des armes. C'est ce qu'a affirmé le président américain Joe Biden lors de son intervention devant l'Assemblée générale des Nations unies, quelques heures aprÚs l'annonce de Poutine.
"Un membre permanent du Conseil de sĂ©curitĂ© des Nations unies a envahi son voisin, a tentĂ© d'effacer un Ătat souverain de la carte", a dĂ©clarĂ© Joe Biden. "La Russie a violĂ© sans vergogne les principes fondamentaux de la Charte des Nations unies".
L'histoire, cependant, est une maĂźtresse sĂ©vĂšre, lorsque les faits deviennent gĂȘnants pour la perception. Lorsqu'on l'examine Ă travers le prisme des faits historiques, le rĂ©cit promulguĂ© par Biden s'inverse. La rĂ©alitĂ© est que, depuis l'effondrement de l'Union soviĂ©tique Ă la fin de 1991, les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s europĂ©ens ont conspirĂ© pour soumettre la Russie afin de s'assurer que le peuple russe ne soit plus jamais en mesure d'organiser un dĂ©fi gĂ©opolitique Ă l'hĂ©gĂ©monie amĂ©ricaine dĂ©finie par un "ordre international fondĂ© sur des rĂšgles" imposĂ© au monde au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Pendant des dĂ©cennies, l'Union soviĂ©tique a reprĂ©sentĂ© une telle menace. Avec sa disparition, les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s sont dĂ©terminĂ©s Ă ne plus jamais permettre au peuple russe - Ă la nation russe - de se manifester ainsi.
Lorsque Poutine a parlé de la nécessité de prendre "des mesures nécessaires et urgentes pour protéger la souveraineté, la sécurité et l'intégrité territoriale de la Russie" contre "les politiques agressives de certaines élites occidentales qui tentent par tous les moyens de maintenir leur suprématie", il avait cette histoire à l'esprit.
L'objectif des Ătats-Unis et de leurs alliĂ©s occidentaux, a dĂ©clarĂ© M. Poutine, est "d'affaiblir, de diviser et finalement de dĂ©truire notre pays" en promulguant des politiques visant Ă faire en sorte que "la Russie elle-mĂȘme se dĂ©sintĂšgre en une multitude de rĂ©gions et de territoires qui sont des ennemis mortels les uns des autres." Selon Poutine, l'Occident dirigĂ© par les Ătats-Unis "a dĂ©libĂ©rĂ©ment incitĂ© Ă la haine de la Russie, en particulier en Ukraine, qu'ils ont destinĂ©e Ă devenir une tĂȘte de pont anti-russe".
La troisiÚme loi du mouvement de Newton, selon laquelle toute action entraßne une réaction égale et opposée, s'applique également à la géopolitique.
Le 24 février, Poutine a donné l'ordre aux forces armées russes de lancer ce qu'il a appelé une "opération militaire spéciale" (OMS) en Ukraine. M. Poutine a déclaré que cette décision était conforme à l'article 51 de la Charte des Nations unies et aux principes d'autodéfense préventive collective définis par le droit international.
Les objectifs de cette opĂ©ration Ă©taient de protĂ©ger les rĂ©publiques nouvellement indĂ©pendantes du Lugansk et du Donetsk (dĂ©signĂ©es collectivement comme la rĂ©gion du Donbass) d'un danger imminent posĂ© par une accumulation de forces militaires ukrainiennes qui Ă©taient, selon la Russie, prĂȘtes Ă attaquer.
L'objectif déclaré de cette opération était de protéger le territoire et la population des républiques de Lougansk et de Donetsk en éliminant la menace que représentait l'armée ukrainienne. Pour y parvenir, la Russie s'est fixé deux objectifs principaux: la démilitarisation et la dénazification.
La démilitarisation de l'Ukraine passerait par l'élimination de toutes les infrastructures et structures organisationnelles affiliées à l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord, ou OTAN; la dénazification impliquerait une éradication similaire de son odieuse idéologie, celle de l'ultra-nationaliste ukrainien Stepan Bandera, responsable de la mort de centaines de milliers de Juifs, de Polonais et de Russes ethniques pendant la Seconde Guerre mondiale et au cours d'une décennie de résistance anti-soviétique aprÚs la fin de la guerre.
à partir de 2015, l'OTAN a formé et équipé l'armée ukrainienne dans le but d'affronter les séparatistes pro-russes qui avaient pris le pouvoir dans le Donbass aprÚs l'éviction du président ukrainien pro-russe Victor Ianoukovitch lors d'une violente insurrection, connue sous le nom de "révolution de Maïdan", menée par des partis politiques ukrainiens de droite professant leur loyauté à la mémoire de Stepan Bandera.
L'Ukraine cherchait à adhérer à l'OTAN depuis 2008, en inscrivant cet objectif dans sa constitution. Bien que l'Ukraine n'ait toujours pas adhéré à l'OTAN en 2022, le niveau d'implication de l'OTAN dans les forces armées ukrainiennes en fait une extension de facto de l'alliance de l'OTAN.
La Russie considérait la combinaison de l'adhésion à l'OTAN et de la posture anti-russe du gouvernement ukrainien post-Maidan, lié comme il l'était à l'idéologie de Bandera, comme une menace pour sa sécurité nationale. L'OMU a été conçue pour éliminer cette menace.
âȘïž Les deux phases de l'opĂ©ration russe
Pendant les six premiers mois environ, l'opĂ©ration militaire russe a pu ĂȘtre dĂ©composĂ©e en deux phases distinctes. La premiĂšre Ă©tait un effort de type blitzkrieg visant Ă soumettre l'armĂ©e et le gouvernement ukrainiens Ă un choc. Ă dĂ©faut, elle Ă©tait destinĂ©e Ă façonner le champ de bataille de maniĂšre Ă isoler les forces ukrainiennes rassemblĂ©es prĂšs de la rĂ©gion du Donbass avant leur engagement dĂ©cisif par l'armĂ©e russe lors de la deuxiĂšme phase, qui a dĂ©butĂ© le 25 mars.
La deuxiÚme phase de l'OMU, la "bataille pour le Donbass", s'est déroulée en avril, mai, juin et juillet, et a impliqué une guerre brutale, plus intense, en terrain urbain et parmi les fortifications défensives préparées par les forces ukrainiennes au cours des huit derniÚres années.
La Russie a progressĂ© lentement et pĂ©niblement, dans une guerre d'usure oĂč elle a infligĂ© des pertes terribles aux forces armĂ©es ukrainiennes. L'ampleur des dĂ©gĂąts causĂ©s par la Russie Ă l'armĂ©e ukrainienne Ă©tait telle qu'Ă la fin du mois de juillet, la quasi-totalitĂ© du stock d'armes de l'Ăšre soviĂ©tique que possĂ©dait l'Ukraine au dĂ©but de l'OSM avait Ă©tĂ© dĂ©truite, ainsi que plus de 50 % de sa composante militaire active.
Normalement, lorsqu'on Ă©value des chiffres de pertes de cette ampleur, tout analyste militaire professionnel aurait eu raison de conclure que la Russie avait, en fait, atteint son objectif de dĂ©militarisation, qui aurait logiquement dĂ» ĂȘtre suivi par la reddition du gouvernement ukrainien dans des conditions qui auraient entraĂźnĂ© le type de changement politique fondamental nĂ©cessaire pour atteindre l'objectif russe de dĂ©nazification et, avec lui, de garantir la neutralitĂ© de l'Ukraine.
Mais les forces mĂȘmes que Poutine avait dĂ©crites dans son discours de mobilisation ont conspirĂ© pour faire avancer leur programme anti-russe en dĂ©versant des dizaines de milliards de dollars d'aide militaire (dĂ©passant, en quelques mois, la totalitĂ© du budget annuel de la dĂ©fense de la Russie) conçus non pas pour promouvoir une victoire ukrainienne, mais plutĂŽt pour accĂ©lĂ©rer une dĂ©faite stratĂ©gique russe.
"Alors qu'autrefois, l'objectif premier de l'Occident était de se défendre contre l'invasion [russe]", note le journaliste Tom Stevenson dans une tribune publiée dans le New York Times, "il est devenu l'attrition stratégique permanente de la Russie."
La fourniture d'une aide militaire de cette ampleur a changĂ© la donne, et les forces militaires russes chargĂ©es de mettre en Ćuvre le SMO n'ont pas Ă©tĂ© en mesure de la surmonter. Cette nouvelle rĂ©alitĂ© s'est manifestĂ©e dans la premiĂšre moitiĂ© du mois de septembre, lorsque l'Ukraine a lancĂ© une contre-offensive majeure qui a rĂ©ussi Ă expulser les forces russes du territoire de la rĂ©gion de Kharkov qui Ă©tait occupĂ© depuis le dĂ©but du SMO.
âȘïž Nouveaux paradigmes des menaces
Si la Russie est parvenue Ă stabiliser ses dĂ©fenses et Ă mettre fin Ă l'offensive ukrainienne, en infligeant un nombre considĂ©rable de pertes aux forces d'attaque, la rĂ©alitĂ© est que la Russie est confrontĂ©e Ă un nouveau paradigme de menace en Ukraine, qui voit l'armĂ©e russe combattre une armĂ©e ukrainienne reconstituĂ©e, devenue un mandataire de facto de l'alliance OTAN dirigĂ©e par les Ătats-Unis.
Confronté à cette nouvelle réalité, Poutine a informé le peuple russe qu'il considérait
"nécessaire de prendre la décision suivante, qui répond pleinement aux menaces auxquelles nous sommes confrontés: Afin de défendre notre patrie, sa souveraineté et son intégrité territoriale, ainsi que la sécurité de notre peuple et celle de la population et d'assurer les zones libérées, je considÚre qu'il est nécessaire de soutenir la proposition du ministÚre de la Défense et de l'état-major général d'introduire la mobilisation partielle dans la Fédération de Russie."
Les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s de l'OTAN feraient bien de rĂ©flĂ©chir Ă la leçon inhĂ©rente au verset 8:7 du livre d'OsĂ©e - semons le vent, rĂ©coltons la tempĂȘte.
Ou, en d'autres termes, la troisiĂšme loi de Newton est revenue en force.
La décision de Poutine d'ordonner une mobilisation partielle de l'armée russe, associée à la décision d'organiser des référendums dans le Donbass et en Ukraine occupée, transforme radicalement l'OMU, qui passe d'une opération de portée limitée à une opération liée à la survie existentielle de la Russie. Une fois les référendums organisés, et les résultats transmis au parlement russe, ce qui est aujourd'hui le territoire de l'Ukraine fera, d'un coup, partie de la Fédération de Russie - la patrie russe.
Toutes les forces ukrainiennes se trouvant sur le territoire des rĂ©gions incorporĂ©es Ă la Russie seront considĂ©rĂ©es comme des occupants; et le bombardement ukrainien de ce territoire sera traitĂ© comme une attaque contre la Russie, dĂ©clenchant une rĂ©ponse russe. Alors que l'OMU avait, Ă dessein, Ă©tĂ© mise en Ćuvre pour prĂ©server l'infrastructure civile ukrainienne et rĂ©duire les pertes civiles, une opĂ©ration militaire post OMU sera configurĂ©e pour dĂ©truire une menace active pour la MĂšre Russie elle-mĂȘme. On ne prendra plus de gants.
âȘïž Les Ătats-Unis et l'OTAN face Ă une dĂ©cision
Les Ătats-Unis et l'OTAN, engagĂ©s dans un programme visant Ă vaincre la Russie par procuration, doivent maintenant dĂ©cider s'ils poursuivent leur soutien politique et matĂ©riel Ă l'Ukraine et, si oui, dans quelle mesure. L'objectif reste-t-il la "dĂ©faite stratĂ©gique" de la Russie, ou l'aide sera-t-elle simplement adaptĂ©e pour aider l'Ukraine Ă se dĂ©fendre ?
Il s'agit de deux objectifs totalement différents.
L'un permet de poursuivre l'attrition de toute force russe cherchant à projeter sa puissance du territoire russe vers l'Ukraine mais, ce faisant, respecte la réalité, sinon la légitimité, de l'incorporation par la Russie du Donbass et des territoires ukrainiens du sud sous occupation dans la Fédération de Russie.
L'autre continue à soutenir la politique actuelle du gouvernement ukrainien et de ses alliés occidentaux, qui consiste à expulser la Russie du Donbass, de l'Ukraine occupée et de la Crimée. Ce qui signifie attaquer la MÚre Russie. Cela signifie la guerre avec la Russie.
De son cÎté, la Russie se considÚre déjà en guerre contre l'Occident. "Nous sommes vraiment en guerre avec... l'OTAN et l'Occident en bloc", a déclaré le ministre russe de la Défense, Sergei Shoigu, dans une déclaration qui a suivi l'annonce de Poutine concernant la mobilisation partielle.
"Nous ne parlons pas seulement des armes fournies en Ă©normes quantitĂ©s. Naturellement, nous trouvons des moyens de contrer ces arrivages dâarmes. Nous avons Ă l'esprit, bien sĂ»r, les systĂšmes occidentaux existants: systĂšmes de communication, systĂšmes de traitement de l'information, de reconnaissance et de renseignement par satellite."
Placée dans ce contexte, la mobilisation partielle russe n'est pas conçue pour vaincre l'armée ukrainienne, mais pour vaincre les forces de l'OTAN et de l'"Occident collectif" rassemblées en Ukraine.
Et si ces ressources de l'OTAN sont configurées d'une maniÚre considérée par la Russie comme constituant une menace pour la patrie russe....
"Bien sûr", a déclaré Poutine dans son discours sur la mobilisation partielle, "si l'intégrité territoriale de notre pays est menacée, nous utiliserons tous les moyens à notre disposition pour défendre la Russie et notre peuple", une référence directe à l'arsenal nucléaire russe.
"Ce n'est pas du bluff", a soulignĂ© Poutine. "Les citoyens de Russie peuvent ĂȘtre assurĂ©s que l'intĂ©gritĂ© territoriale de notre patrie, notre indĂ©pendance et notre libertĂ©, je le rĂ©pĂšte, seront sauvegardĂ©es avec tous les moyens Ă notre disposition. Et ceux qui tentent de nous faire chanter avec des armes nuclĂ©aires doivent savoir que le sens du vent peut aussi tourner dans leur direction."
VoilĂ oĂč en est le monde : une course folle vers l'apocalypse nuclĂ©aire, fondĂ©e sur l'expansion irrationnelle de l'OTAN et des politiques russophobes bouffies d'orgueil, semblant ignorer que le conflit ukrainien est devenu une question d'importance existentielle pour la Russie.
Les Ătats-Unis et leurs alliĂ©s de l'"Occident collectif" doivent maintenant dĂ©cider si la poursuite d'une politique d'isolement et de destruction de la Russie, qui dure depuis des dĂ©cennies, est une question d'importance existentielle pour eux, et si le soutien permanent d'un gouvernement ukrainien qui n'est guĂšre plus que la manifestation moderne de l'idĂ©ologie haineuse de Stepan Bandera vaut la peine de sacrifier la vie de leurs citoyens respectifs, et celle du reste du monde.
L'horloge de l'apocalypse marque littĂ©ralement minuit moins une, et nous, Occidentaux, ne pouvons nous en prendre qu'Ă nous-mĂȘmes.
* Scott Ritter est un ancien officier de renseignement du corps des Marines des Ătats-Unis qui a servi dans l'ancienne Union soviĂ©tique pour mettre en Ćuvre les traitĂ©s de contrĂŽle des armements, dans le golfe Persique pendant l'opĂ©ration TempĂȘte du dĂ©sert et en Irak pour superviser le dĂ©sarmement des armes de destruction massive. Son dernier livre est Disarmament in the Time of Perestroika, publiĂ© par Clarity Press.
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