đâđ¨ Scott Ritter: La playlist de guerre
L'âge moyen d'un soldat qui meurt au combat est d'environ 20 ans. Voilà ce que fait la guerre à une vie - elle coupe court, avec toutes les promesses et le potentiel non rÊalisÊs. Quel gâchis.
đâđ¨ La playlist de guerre
Comment la musique nous fait prendre conscience du coĂťt humain des combats armĂŠs.
Par Scott Ritter, le 19 janvier 2023
J'ai ĂŠtĂŠ invitĂŠ Ă participer Ă l'ĂŠmission "The Long Way Around" de Radio Kingston (WKNY 1490 AM/107.9 FM), animĂŠe par Malcolm Burn, producteur de musique, ingĂŠnieur du son et musicien d'origine canadienne. L'ĂŠmission sera diffusĂŠe en direct, de 20 h Ă 22 h (heure de l'Est), le dimanche 22 janvier.
J'ai participÊ à l'Êmission "The Long Way Around" l'annÊe dernière et, à l'Êpoque, on m'avait demandÊ de soumettre une liste de dix chansons qui accompagneraient musicalement l'interview. J'ai Êtabli une liste de dix chansons qui Êvoquent des pÊriodes spÊcifiques de ma vie. Apparemment, la playlist et l'interview ont eu du succès.
Malcom m'a demandÊ de lui soumettre une autre playlist, mais cette fois la tâche est plus ardue, puisque Malcom souhaite aborder "l'Ukraine et d'autres sujets qui pourraient surgir au cours d'une conversation".
J'ai ruminÊ cette demande pendant deux semaines, et après mÝre rÊflexion, j'ai compilÊ sept chansons qui iraient bien avec un sujet aussi sÊrieux. Les voici :
#1. Le Variag, interprĂŠtĂŠ par le ChĹur de l'ArmĂŠe Rouge
La russophobie existe aux Ătats-Unis depuis des dĂŠcennies. En 1962, au plus fort de la crise des missiles cubains, mon père frĂŠquentait l'universitĂŠ de Floride. Il avait une ĂŠmission de radio sur la station de l'universitĂŠ, et un jour il a dĂŠcidĂŠ, ĂŠtant donnĂŠ que le pays tout entier ĂŠtait concentrĂŠ sur le potentiel d'une guerre avec la Russie, et que la Floride serait le point zĂŠro d'un tel conflit, d'exposer son public Ă la musique russe. Il avait un album de chansons interprĂŠtĂŠes par le ChĹur de l'ArmĂŠe rouge, et il a commencĂŠ Ă jouer la première face, non-stop. En quelques minutes, la station a ĂŠtĂŠ inondĂŠe d'appels de la sociĂŠtĂŠ John Birch locale demandant que mon père soit retirĂŠ de l'antenne, ou ils viendraient le lyncher. C'ĂŠtait la fin de la carrière de radiodiffuseur de mon père ! (Il est entrĂŠ dans l'armĂŠe de l'air amĂŠricaine après avoir obtenu son diplĂ´me l'annĂŠe suivante et a servi pendant 25 ans, y compris deux pĂŠriodes de service au Vietnam. Mettez ça dans votre pipe et fumez, John Birchers !).
L'album du ChĹur de l'ArmĂŠe rouge est restĂŠ dans la collection familiale et, enfant, je le mettais souvent sur la platine pour ĂŠcouter ces voix ĂŠtranges qui chantaient si mĂŠlodieusement dans une langue ĂŠtrangère. Une chanson en particulier m'a marquĂŠ : le Variag. Je n'avais aucune idĂŠe de ce que les hommes disaient, mais la force de l'ĂŠmotion contenue dans le cinquième couplet ĂŠmouvait mĂŞme un jeune enfant de huit ans.
Plus tard, j'ai ÊtudiÊ les origines de cette chanson et j'ai appris l'histoire du croiseur russe Variag et comment, plutôt que de se rendre à une force navale japonaise supÊrieure pendant la guerre russo-japonaise, son capitaine et son Êquipage se sont lancÊs à l'assaut de leur ennemi, faisant preuve d'un courage inimaginable face à une mort et une destruction certaines. Le courage du Variag Êtait tel que plus tard, après la guerre, les Japonais ont dÊcernÊ à son capitaine leur plus haute distinction pour le courage.
J'ai Êgalement entrepris d'apprendre les paroles du cinquième couplet :
Adieu, camarades, Ă Dieu - hourra !
La mer bouillonnante au-dessous de nous.
Je ne pensais pas, mes frères, vous et moi hier,
que nous allions mourir sous les vagues.
L'ĂŠquipage du Variag provenait de toute l'ĂŠtendue de l'Empire russe - il y avait Ă bord des Russes, des Ukrainiens et d'autres nationalitĂŠs.
Les Russes ont la dent dure.
Les Ukrainiens aussi.
Il ne faut jamais l'oublier alors que s'Êternise cette guerre tragique entre ces deux peuples frères.
#2. A Hard Rain's A-Gonna Fall, de Bob Dylan.
La performance live au Japon en 1994 est la meilleure version de cette chanson, Ă mon humble avis. Douce, accompagnĂŠe par un orchestre obsĂŠdant.
Cette chanson me rappelle le film Ballad of a Soldier, un film soviÊtique de 1959 rÊalisÊ par Grigory Chukhray avec Vladimir Ivashov et Zhanna Prokhorenko. La scène d'ouverture est Êcrasante: une femme seule d'âge moyen, vêtue de noir, marche lentement vers la pÊriphÊrie d'un village, passant devant de jeunes enfants qui jouent et un couple portant un nouveau-nÊ. Elle se rend jusqu'à la limite du village, avant de s'arrêter.
"C'est la route de la ville", dit le narrateur, "Ceux qui quittent notre village, et ceux qui reviennent Ă la maison, partent et reviennent par cette route."
Nous voyons le visage de la femme, un portrait de douleur et de chagrin. "Elle n'attend personne", poursuit le narrateur. "Son fils, Aliocha, n'est pas rentrĂŠ de la guerre."
Le film raconte l'histoire d'Aliocha, un jeune homme qui refuse une mÊdaille d'hÊroïsme en Êchange d'un laissez-passer de trois jours pour pouvoir rendre visite à sa mère. Ses aventures pour rentrer à la maison sont nombreuses et, à la fin, il n'a que quelques minutes pour la serrer dans ses bras et lui dire qu'il l'aime, avant de repartir vers les lignes de front, pour ne plus jamais revenir.
Lorsque j'Êcoute Bob Dylan chanter cette chanson, j'ai en tête le visage de cette femme qui pose à son fils les questions qu'elle n'a jamais ÊtÊ autorisÊe à lui poser, tout en Êtant ÊpargnÊe des rÊponses qu'aucune mère ne veut entendre.
OÚ Êtais-tu ? J'ai ÊtÊ à 10 000 miles dans la gueule d'un cimetière...
Qu'est-ce que tu as vu ? Un nouveau-nĂŠ avec des loups sauvages tout autour de lui...
Qu'as-tu entendu ? J'ai entendu la chanson d'un poète qui est mort dans le caniveau...
Qui as-tu rencontrĂŠ ? J'ai rencontrĂŠ une jeune femme, son corps ĂŠtait en feu...
Que vas-tu faire maintenant ? Je vais retourner dehors avant que la pluie ne commence Ă tomber...
Cette chanson me brise littĂŠralement le coeur Ă chaque fois que je l'ĂŠcoute.
#3. Powderfinger, par Neil Young
La version interprĂŠtĂŠe sur son album live de 1979, Rust Never Sleeps, est la version de rĂŠfĂŠrence de cette chanson.
En AmĂŠrique, on nous apprend Ă placer la notion d'individu avant tout - si la sociĂŠtĂŠ ne peut pas protĂŠger les droits et les libertĂŠs de l'individu, alors elle a ĂŠchouĂŠ dans sa responsabilitĂŠ collective.
La guerre, cependant, ne concerne pas l'individu, mais plutĂ´t le collectif - l'ĂŠquipe. Les personnes qui essaient d'agir en tant qu'individus finissent par en mourir.
Je suis toujours frappĂŠ par la vie fantaisiste que de nombreux AmĂŠricains semblent vivre - en particulier ceux qui sont de fervents partisans du Deuxième Amendement [le Deuxième Amendement de la Constitution des Ătats-Unis dâAmĂŠrique reconnaĂŽt la possibilitĂŠ pour le peuple amĂŠricain de constituer une milice pour contribuer ÂŤ Ă la sĂŠcuritĂŠ d'un Ătat libre Âť, et il garantit en consĂŠquence Ă tout citoyen amĂŠricain le droit de dĂŠtenir des armes] - oĂš ils croient que la possession d'armes Ă feu leur confère en quelque sorte des caractĂŠristiques de super-hĂŠros leur permettant de vaincre la tyrannie d'un gouvernement soutenu par une structure de sĂŠcuritĂŠ nationale comprenant les praticiens professionnels de la violence les plus lourdement armĂŠs et les mieux entraĂŽnĂŠs que le monde ait jamais connus.
Ironiquement, ce culte des armes Ă feu conduit de nombreux AmĂŠricains Ă s'engager dans l'armĂŠe, sans peut-ĂŞtre se rendre compte qu'ils rejoignent l'institution mĂŞme qui serait appelĂŠe Ă les ĂŠcraser si jamais ils concrĂŠtisaient leurs fantasmes d'"homme souverain" en rĂŠsistant violemment et/ou en renversant le gouvernement amĂŠricain.
Powderfinger de Neil Young est l'antidote Ă ce fantasme, une chanson sur la futilitĂŠ de la violence individuelle face Ă une force ĂŠcrasante.
Young commence la chanson par "Regarde, maman", "un bateau blanc remonte le fleuve.
Avec, Ă son bord, une grande tour rouge, un drapeau et un homme sur le pont." Young poursuit en observant que ce bateau porte "des numĂŠros sur le flanc et un fusil, et qu'il forme de grosses vagues", ajoutant qu'"on dirait bien qu'il nâest pas lĂ pour distribuer le courrier".
LivrÊ à lui-même ("Papa est parti, mon frère est parti chasser dans les montagnes", se lamente Young. "Big John boit depuis que la rivière a emportÊ Emmy Lou"), le hÊros de 22 ans de la chanson de Young se console avec le fusil de son père qui, entre ses mains, "Êtait rassurant".
Il a portĂŠ le fusil Ă son Ĺil, sans jamais cesser de se demander pourquoi.
"Protège-moi", chante Young, "de la poudre et du dÊluge. Protège-moi de la pensÊe qui a appuyÊ sur la gâchette"
Pensez Ă moi comme Ă quelqu'un dont vous n'auriez jamais pensĂŠ
Qu'il disparaĂŽtrait si jeune
Avec tant de choses Ă faire
Rappelle-toi de mon amour
Je sais qu'elle va me manquer
Mais il ĂŠtait trop tard pour le jeune protagoniste de Young.
La sagesse en temps de guerre vient toujours trop tard.
#4. Unchained Melody, The Righteous Brothers
En fÊvrier 1991, j'Êtais stationnÊ à Riyad, en Arabie Saoudite, oÚ je travaillais en tant qu'officier du renseignement affectÊ à l'Êtat-major du renseignement du Commandement central amÊricain. L'une de mes tâches consistait à trouver des moyens d'empêcher les lanceurs de missiles SCUD irakiens de tirer leurs missiles SCUD modifiÊs de fabrication soviÊtique sur IsraÍl et la pÊninsule arabique.
La plus grande partie de mon travail se dĂŠroulait dans la sĂŠcuritĂŠ d'un bureau situĂŠ dans un bunker souterrain Ă Riyad. Cependant, ayant conçu une mission de reconnaissance spĂŠciale exigeant du personnel des opĂŠrations spĂŠciales amĂŠricaines qu'il enquĂŞte sur les endroits en Irak oĂš l'US Air Force avait prĂŠtendu avoir dĂŠtruit des lanceurs et des missiles SCUD irakiens, je me suis retrouvĂŠ rattachĂŠ Ă l'ĂŠquipe SEAL [principale force spĂŠciale de la marine de guerre des Ătats-Unis] chargĂŠe de cette tâche en tant qu'"expert technique".
Tout sâest très bien passĂŠ pendant la phase conceptuelle de la mission. Je me suis rendu Ă la base aĂŠrienne de Dhahran, oĂš se trouvait le colonel Jesse Johnson, commandant de toutes les unitĂŠs des forces spĂŠciales affectĂŠes au commandement central des Ătats-Unis, et j'ai prĂŠsentĂŠ le concept Ă Johnson et aux SEALs. Johnson et moi avons ensuite repris l'avion pour Riyad, oĂš le gĂŠnĂŠral Norman Schwarzkopf a donnĂŠ son accord pour la mission après avoir ĂŠtĂŠ briefĂŠ.
Pendant que j'attendais l'ordre de rejoindre les SEALs, j'ĂŠtais en contact avec un certain nombre de personnes Ă Washington, DC affiliĂŠes Ă la communautĂŠ du renseignement amĂŠricain, afin de trouver des informations spĂŠcifiques, Ă la fois en termes d'ĂŠchantillons visuels et physiques, que je devais collecter une fois que les SEALs m'auraient amenĂŠ Ă la cible.
Une analyste, qui avait travaillĂŠ avec moi lorsque j'ĂŠtais inspecteur chargĂŠ de la mise en Ĺuvre du traitĂŠ sur les forces nuclĂŠaires intermĂŠdiaires en Union soviĂŠtique avant la guerre, a ĂŠtĂŠ choquĂŠe d'apprendre que je prĂŠvoyais d'accompagner les SEALs. "Pourquoi ?" a-t-elle demandĂŠ. "Ăa ne vaut pas ta vie !"
Le lendemain, je devais reprendre l'avion pour Dhahran, puis pour Al Jouf, oÚ je rejoindrais les SEALs avant de me lancer dans la mission, qui consistait à être introduit en Irak à bord d'un hÊlicoptère, avant de se rendre sur la cible à l'aide de buggies de dunes gonflÊs, appelÊs vÊhicules d'attaque rapide, ou FAV [Fast Attack Vehicle - FAV, soit vÊhicule rapide d'attaque].
Comme la plupart des militaires amÊricains stationnÊs à Riyad, j'Êtais logÊ dans le village d'Eskan, à la pÊriphÊrie de la capitale saoudienne, et on me conduisait au bunker dans le centre-ville de Riyad dans un bus scolaire bleu de l'armÊe de l'air qui circulait rÊgulièrement.
J'ai pris place dans le bus, qui ĂŠtait Ă moitiĂŠ plein. J'ĂŠtais vĂŞtu de mon uniforme utilitaire de camouflage du dĂŠsert, avec une chemise sombre par-dessus laquelle je portais mon ĂŠquipement de toile, un sac Alice Ă mes cĂ´tĂŠs, avec un fusil M-16.
Autour de moi, d'autres hommes et femmes ĂŠtaient assis, portant chacun l'uniforme correspondant Ă leur service et Ă leur fonction.
La radio du bus ĂŠtait rĂŠglĂŠe sur la chaĂŽne locale des Forces armĂŠes de la radio et de la tĂŠlĂŠvision, et Ă mi-chemin de notre voyage, la chanson Unchained Melody, des Righteous Brothers, est passĂŠe.
Loin de chez nous, sĂŠparĂŠs de nos amis et de notre famille, tout le monde s'est tu, absorbĂŠ dans un monde de pensĂŠes intimes pendant que la chanson passait.
Les rivières solitaires coulent vers la mer, vers la mer.
Dans les bras ouverts de la mer
Les rivières solitaires soupirent, attends-moi, attends-moi
Je vais rentrer Ă la maison, attends-moi
Je vivais un divorce Ă l'ĂŠpoque, et j'ai soudain rĂŠalisĂŠ que personne ne m'attendait chez moi.
J'avais ĂŠtĂŠ en contact avec une charmante jeune femme rencontrĂŠe lorsque je travaillais en Union soviĂŠtique, mais notre correspondance avait ĂŠtĂŠ interrompue par la guerre. En effet, j'avais ĂŠtĂŠ incapable de lui dire que j'avais ĂŠtĂŠ envoyĂŠ en mission Ă l'ĂŠtranger. Elle n'avait aucune idĂŠe de l'endroit oĂš j'ĂŠtais, de ce que je faisais, ni mĂŞme si j'avais l'intention de rester en contact avec elle.
J'ai ĂŠtĂŠ frappĂŠ par le fait que je partais pour une mission pour laquelle j'avais de bonnes chances de ne pas revenir, sans femme, ni amoureuse, ni petite amie pour me pleurer si je mourais. J'ai commencĂŠ Ă m'apitoyer sur mon sort, ce qui est absolument le dernier endroit oĂš votre esprit doit se trouver en temps de guerre.
Cette chanson, chantĂŠe Ă ce moment de ma vie, m'a brisĂŠ le cĹur. Et aujourd'hui encore.
La guerre est une affaire solitaire.
(Post-scriptum : La mission avec les SEALs a ÊtÊ annulÊe à la dernière seconde, tout comme la mission suivante avec la Delta Force. Comme le lieutenant Dan dans le film Forrest Gump, on m'a refusÊ la possibilitÊ de mourir pour mon pays. Contrairement au lieutenant Dan, je suis revenu intact de la guerre.
J'ai ensuite ĂŠpousĂŠ la jeune femme que j'avais rencontrĂŠe en Union soviĂŠtique. Trente et un ans plus tard, nous sommes toujours ensemble, ayant ĂŠlevĂŠ deux charmantes filles).
#5. The Band Played Waltzing Matilda, par The Pogues
Ăcrite par Eric Bogle, je trouve que cette version, interprĂŠtĂŠe par The Pogues, est aussi crue que le sujet le mĂŠrite.
Cette chanson m'a ĂŠtĂŠ prĂŠsentĂŠe pour la première fois par le sĂŠnateur Bob Kerrey, un dĂŠmocrate du Nebraska, qui l'a chantĂŠe devant une foule en novembre 1988, après avoir appris qu'il avait gagnĂŠ son ĂŠlection. Alors que Kerrey informe la foule qu'il va chanter, sa famille et ses amis, rassemblĂŠs derrière lui, sâaniment de rires et de sourires.
Puis Kerrey commence Ă chanter.
Au fur et à mesure que les paroles de la chanson dÊfilent, la foule devient silencieuse. Derrière Kerrey, les sourires disparaissent, remplacÊs par des regards vides, et des yeux dÊbordant de larmes. Les visages grimacent tandis que Kerrey chante les mots "Et j'ai regardÊ l'endroit oÚ se trouvaient mes jambes... je ne savais pas qu'il y avait pire que la mort."
En 1969, Bob Kerrey Êtait un Navy SEAL servant au Vietnam. Au cours d'un combat acharnÊ contre le Viet Cong, Kerrey a ÊtÊ gravement blessÊ. MalgrÊ ses blessures, il a menÊ ses hommes à la victoire lors d'une action qui lui a valu la MÊdaille d'honneur du Congrès, la plus haute rÊcompense nationale pour le courage au combat.
Bob Kerrey a perdu une partie de sa jambe droite dans ce combat.
Des annÊes plus tard, j'ai fait Êcouter la version de cette chanson interprÊtÊe par les Pogues à ma fille, qui me posait des questions sur ce qu'Êtait la guerre. Lorsque la chanson est arrivÊe au deuxième couplet, le visage de ma fille Êtait effarÊ :
Et comme je me souviens bien de ce jour terrible,
Comment notre sang a tachĂŠ le sable et l'eau
Et comment dans cet enfer qu'ils appelaient Suvla Bay,
nous avons ĂŠtĂŠ massacrĂŠs comme des agneaux Ă l'abattoir.
Johnny Turk nous attendait, il s'ĂŠtait bien prĂŠparĂŠ.
Il nous a arrosĂŠ de balles, et il nous a fait pleuvoir des obus.
Et en cinq minutes, il nous a tous fait sauter.
Il a failli nous renvoyer en Australie.
"Oh mon Dieu !" a-t-elle dit. "C'est horrible !"
Non, ma fille chĂŠrie.
C'est la guerre.
#6. A Rebel Song, par Sinead O'Connor
Une autre chanson qui me dĂŠchire Ă chaque fois que je l'ĂŠcoute.
Il y a quelques annÊes, j'ai eu l'honneur de rencontrer et de travailler avec Betty Williams, une femme remarquable qui, en 1976, a partagÊ le prix Nobel de la paix avec Måiread Maguire, une autre militante d'Irlande du Nord. Après avoir ÊtÊ tÊmoins d'un affrontement entre des soldats britanniques et l'IRA, qui s'est soldÊ par la mort de trois enfants innocents, Betty Williams et Måiread Maguire, toutes deux mères de famille, ont fondÊ une organisation connue sous le nom de "Peace People", afin de plaider pour la fin du conflit en Irlande du Nord.
Betty racontait souvent que son activisme avait attirÊ l'attention et l'hostilitÊ de l'ArmÊe rÊpublicaine irlandaise (IRA), qui avait envoyÊ un tireur pour la tuer. Betty a affrontÊ le tireur avec amour et bienveillance, conformÊment à son rôle rÊel de mère et de soignante pour sa famille.
Non seulement le tireur a dĂŠcidĂŠ de ne pas la tuer, mais il est devenu son garde du corps.
En 2006, Mme Williams s'est jointe à Mme Maguire et à d'autres laurÊates du prix Nobel de la paix, Shirin Ebadi, Jody Williams, Wangari Maathai et Rigoberta Menchú, pour fonder la Nobel Women's Initiative. J'ai eu le privilège de travailler avec ce groupe à plusieurs reprises pour aider à promouvoir leur message de coexistence pacifique.
Moi qui suis imprÊgnÊe de la tradition militaire de la violence et de la guerre, j'ai trouvÊ que travailler avec ces femmes Êtait une expÊrience remarquablement apaisante. Il y a quelque chose dans l'amour d'une femme, qu'elle soit mère, Êpouse ou amie, qui apaise littÊralement la bête sauvage.
La chanson de Sinead O'Conner incarne le rĂ´le frustrant que jouent les femmes dans une sociĂŠtĂŠ troublĂŠe, en essayant de faire entendre raison aux hommes qui se livrent Ă des actes de violence aveugle. Un couplet en particulier fait mouche :
Ah, parle-moi, l'Anglais, s'il te plaĂŽt
Ă quoi bon me faire taire ?
Pendant que des fous tuent nos fils...
Betty Williams est dÊcÊdÊe en 2020 à l'âge de 76 ans. Le monde aurait besoin de plus de femmes comme Betty Williams.
#7. Racing in the Street (outro), par Bruce Springsteen et le E Street Band.
Il existe de nombreuses versions de cette chanson classique ; il se trouve que je prÊfère la version live du concert du 9 septembre 2016 à Philadelphie.
Bien que les paroles soient gĂŠniales, j'aime commencer Ă ĂŠcouter cette chanson Ă cinq minutes et vingt secondes, une fois que le chant s'arrĂŞte et que le pianiste du E Street Band, Roy Bittan, commence Ă jouer ce qui se transforme en une outro prolongĂŠe.
La musique touche les gens de diffÊrentes manières. Pour moi, ce final est la parfaite synthèse musicale du voyage de la vie, le solo de piano mÊlodieux de Roy Bittan jouant le rôle de l'individu qui commence seul le voyage de la vie, avant d'être rejoint par d'autres instruments (personnes) rencontrÊs en chemin, leurs accords sÊparÊs se combinant, devenant plus profonds, plus complexes et plus beaux au fur et à mesure que la chanson - la vie - progresse.
Tout au long de la chanson, le piano s'efforce d'ĂŞtre entendu, la lutte constante de l'individu pour se distinguer de la foule, pour dĂŠcouvrir qu'il est en fait insĂŠparable de ce qui est, en fin de compte, le magnifique concert de la vie.
L'outro dure cinq minutes, chaque note ĂŠtant aussi belle que celle qui l'a prĂŠcĂŠdĂŠe.
Si la durĂŠe moyenne d'une vie bien remplie est d'environ 80 ans, chaque 45 secondes de cette chanson reprĂŠsente dix annĂŠes de vie.
L'âge moyen d'un soldat qui meurt au combat est d'environ 20 ans.
Imaginez maintenant que la fin de la chanson soit coupĂŠe Ă une minute et demie, et pensez Ă toute la beautĂŠ qui n'aurait pas ĂŠtĂŠ entendue, qui n'aurait jamais ĂŠtĂŠ vĂŠcue.
C'est ce que fait la guerre Ă une vie - elle coupe court, avec toutes les promesses et le potentiel non rĂŠalisĂŠs.
Quel gâchis.