🚩 Scott Ritter: Le Grand Show nucléaire en Europe
L'Amérique a droit à une allusion désinvolte à l’Armageddon de la part d'un égocentrique narcissique se servant du spectre de l'anéantissement nucléaire comme d'un mantra pour collecter des fonds.
🚩 Le Grand Show nucléaire en Europe
📰 Par Scott Ritter, Spécial Consortium News, le 19 octobre 2022
Le lundi 17 octobre, l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord a donné le coup d'envoi de l'opération STEADFAST NOON, son exercice annuel de capacité à mener un conflit nucléaire. Dans la mesure où le bouclier nucléaire de l'OTAN s'étend exclusivement sur l'Europe, la réalité indiscutable est que STEADFAST NOON n'est rien d'autre que l'entraînement de l'OTAN à mener une guerre nucléaire contre la Russie.
Une guerre nucléaire contre la Russie.
Que le lecteur s'imprègne un instant de ce message.
Pas d’inquiétude, Oana Lungscu, porte-parole de l'OTAN, a rassuré le reste du monde, l'objectif de STEADFAST NOON est de s'assurer que la capacité de combat nucléaire de l'OTAN "reste sécurisée et efficace". Il s'agit d'un exercice de "routine", sans lien avec les événements mondiaux actuels. En outre, aucune "vraie" arme nucléaire ne sera utilisée - seulement des "fausses".
Pas de quoi s'inquiéter.
Jens Stoltenberg, secrétaire général de l'OTAN, fait son entrée sur la scène du spectacle nucléaire. Dans une déclaration à la presse le 11 octobre, Stoltenberg a déclaré que "la victoire de la Russie dans la guerre contre l'Ukraine sera une défaite de l'OTAN", avant d'annoncer ce très inquiétant: "Ceci ne peut être toléré."
À cette fin, Stoltenberg a déclaré que les exercices nucléaires STEADFAST NOON se poursuivraient comme prévu. Ces exercices, a déclaré Stoltenberg, constituent un important mécanisme de dissuasion face aux "menaces nucléaires implicites" de la Russie.
Mais ils sont sans lien avec les événements mondiaux actuels.
Entrée en scène de Volodymyr Zelensky, à gauche. S'adressant à l'Institut Lowy, un groupe de réflexion indépendant sur la politique internationale situé en Australie, le président ukrainien a appelé la communauté internationale à engager des "frappes préventives, des actions réfléchies" contre la Russie, afin de dissuader la Russie de faire usage d'armes nucléaires contre l'Ukraine.
Alors que de nombreux observateurs ont interprété les propos de M. Zelensky comme une requête à l'OTAN d'effectuer une frappe nucléaire préventive contre la Russie, les assistants de M. Zelensky ont rapidement tenté de corriger le tir, affirmant qu'il demandait simplement davantage de sanctions.
C'est alors qu'entre en scène Joe Biden. S'exprimant lors d'une collecte de fonds le 6 octobre, le président des États-Unis a déclaré que "pour la première fois depuis la crise des missiles de Cuba, nous sommes confrontés à une menace nucléaire directe, si la situation ne s'améliore pas".
Biden poursuit: "On a là un type que je connais assez bien. Il ne plaisante pas quand il évoque l'utilisation potentielle d'armes nucléaires tactiques, ou d'armes biologiques ou chimiques parce que son armée est, pourrait-on dire, nettement moins performante."
Et Biden a conclu: "Je ne pense pas qu'il soit possible d'utiliser facilement une arme nucléaire tactique sans finir en Armageddon."
Bien que la Maison Blanche ait clairement indiqué que les commentaires de Biden ne reflétaient que son opinion personnelle, sans se fonder sur aucun nouvel élément de renseignement concernant la posture nucléaire russe, le fait qu'un président américain en exercice parle de la possibilité d'un "Armageddon" nucléaire devrait faire froid dans le dos à tout individu sain d'esprit dans le monde.
▪️ Le Kremlin n'a pas parlé d'armes nucléaires tactiques
Tout d'abord, le Kremlin n'a jamais parlé de recourir à des armes nucléaires tactiques.
Zéro.
Le président russe Vladimir Poutine a indiqué que la Russie recourrait à "tous les moyens à sa disposition" pour protéger la Russie. Il l'a dit très récemment, le 21 septembre, lorsque, au cours d'une allocution télévisée annonçant une mobilisation partielle, il a accusé l'Occident de se livrer à un "chantage nucléaire", citant "les déclarations de certains représentants de haut rang des principaux États de l'OTAN quant à la possibilité de faire usage d'armes nucléaires de destruction massive contre la Russie".
Poutine faisait allusion à une déclaration de Liz Truss avant son élection au poste de Premier ministre britannique, quand, en réponse à une question visant à savoir si elle était prête à assumer la responsabilité de commander l'utilisation de l'arsenal nucléaire du Royaume-Uni, elle a répondu: "Je pense que c'est le devoir principal du Premier ministre, et j'y suis prête."
"Je vous rappelle," a dit Poutine,
"que notre pays dispose également de divers moyens de destruction, et pour certains plus performants que ceux des pays de l'OTAN. Et si l'intégrité territoriale de notre pays est menacée, nous utiliserons sans hésiter tous les dispositifs à notre disposition pour assurer la protection de la Russie et de notre peuple."
Les déclarations de M. Poutine concordent avec celles du ministre russe de la défense, Sergueï Shoigu, qui, dans un discours prononcé le 16 août à l'occasion de la 10e Conférence de Moscou sur la sécurité internationale, a affirmé que la Russie n'utiliserait pas l'arme nucléaire en Ukraine. Selon M. Shoigu, le recours aux armes nucléaires russes n'est admis que lors de "circonstances exceptionnelles", telles que décrites dans la doctrine russe publiée, dont aucune ne s'applique à la situation en Ukraine. Toute discussion sur un éventuel recours aux armes nucléaires par la Russie en Ukraine, a déclaré M. Shoigu, est "absurde".
Ce n'est apparemment pas le cas de Biden, qui, bien qu'il prétende connaître "assez bien" Poutine, a tout faux lorsqu'il évoque le risque de conflit nucléaire.
Le risque n'est pas que la Russie déclenche une guerre nucléaire préventive contre l'Ukraine.
Le risque est que l'Amérique le fasse.
▪️ La promesse de Biden d'une " politique à vocation exclusive ".
Biden est entré en fonction en février 2021 en promettant d'inscrire dans la doctrine nucléaire américaine une "politique à but exclusif", selon laquelle "la seule finalité de notre arsenal nucléaire devrait être la dissuasion - et, si nécessaire, la riposte - à une attaque nucléaire."
Nous sommes maintenant à la mi-octobre 2022, et l'Amérique est confrontée à une situation où le président lui-même craint un potentiel "Armageddon" nucléaire.
Si Biden doit tenir sa promesse, c'est maintenant.
Mais il garde le silence.
Le danger inhérent au silence de Biden est que Poutine et d'autres responsables russes préoccupés par la sécurité nationale russe soient contraints de se fier à la doctrine nucléaire américaine en vigueur, qui perpétue une politique de préemption nucléaire promulguée sous l'administration du président George W. Bush. Selon cette doctrine, les armes nucléaires ne sont qu'un moyen parmi d'autres dans la boîte à outils de l'armée, à utiliser en cas de besoin, y compris lorsque l'objectif est la destruction de cibles sur le champ de bataille dans le simple but d'obtenir un avantage opérationnel.
On peut faire valoir que ce type de préemption autre que nucléaire a sa propre valeur dissuasive inhérente, une sorte de vibrato "fou" qui pousse l'adversaire à se demander si le président serait capable d'agir de manière aussi irrationnelle.
"J'appelle cela la théorie du fou", aurait dit l'ancien président américain Richard Nixon à son assistant, Bob Haldeman, pendant la guerre du Vietnam. "Je veux que les Nord-Vietnamiens croient que j'ai atteint le stade où je pourrais faire n'importe quoi pour arrêter la guerre. Nous leur passerons simplement le mot que 'pour l'amour de Dieu, vous savez que Nixon est obsédé par le communisme. Nous ne pouvons pas le brider quand il est en colère - et il a la main sur le bouton nucléaire' - et Ho Chi Minh lui-même sera à Paris dans deux jours à quémander la paix."
▪️ La théorie du fou
L'ancien président Donald Trump a donné un nouveau souffle à la "théorie du fou" de Nixon, en déclarant à la Corée du Nord que si elle continuait à menacer les États-Unis, "[i]l y aura du feu, de la fureur et, pour tout dire, une force comme jamais ce monde n'en a connu." Trump a ensuite enchaîné trois rencontres en tête-à-tête avec le dirigeant nord-coréen Kim Jung-Un, dans un effort infructueux de dénucléarisation de la péninsule coréenne.
C'est sous l'administration Trump que la marine américaine a déployé l'ogive nucléaire à faible portée W-76-2 sur ses missiles balistiques lancés par sous-marin Trident, conférant au président un plus grand éventail d'options en matière de déploiement de l'arme nucléaire.
"Cette capacité supplémentaire", a déclaré John Rood, alors sous-secrétaire à la défense pour la politique, "renforce la dissuasion et fournit aux États-Unis une arme stratégique de faible portée plus rapide et plus facile à maîtriser, soutient notre engagement en faveur de la dissuasion élargie, et démontre aux adversaires potentiels qu'il n'y a aucun avantage à un emploi limité du nucléaire, car les États-Unis peuvent répondre de manière crédible et décisive à tout scénario de menace".
L'un de ces scénarios de menace testés concernait l'emploi théorique d'une ogive W-76-2 de faible intensité dans un scénario concernant la zone de la Baltique, dans lequel les cibles de la guerre en cours servaient d'illustration. En bref, les États-Unis se sont entraînés à utiliser de manière préventive le W-76-2 pour obliger la Russie à faire marche arrière (désescalade), à moins qu'elle ne prenne le risque d'une escalade nucléaire débouchant sur un échange nucléaire général - en bref, l'Armageddon.
Ce qui nous ramène à l'époque actuelle. À l'heure où j'écris cet article, des bombardiers américains B-52 à vocation nucléaire s'envolent vers l'Europe depuis leurs bases américaines, où ils s'entraîneront à lancer des armes nucléaires contre une cible russe. Des dizaines d'autres dispositifs, en provenance de la base aérienne de Volkel, aux Pays-Bas (où est stocké un arsenal de bombes nucléaires américaines B-61), donneront lieu à un entraînement de recours au nucléaire de l'OTAN contre... la Russie.
La Russie a répondu à l'exercice nucléaire de l'OTAN en organisant son propre exercice nucléaire annuel, "Grom" [Tonnerre]. Ces manœuvres impliqueront l'utilisation à grande échelle des forces nucléaires stratégiques de la Russie, y compris des tirs de missiles réels. Dans une déclaration d'une hypocrisie inégalée, un responsable américain de la Défense, s'exprimant sous couvert d'anonymat, a déclaré: "La rhétorique nucléaire russe et sa décision de procéder à cet exercice alors qu'elle est en guerre contre l'Ukraine sont irresponsables. Brandir des armes nucléaires pour faire pression sur les États-Unis et ses alliés est irresponsable."
Docteur, soignez-vous.
Le 22 octobre 1962 - il y a presque 60 ans jour pour jour, le président John F. Kennedy prononçait devant le peuple américain un discours télévisé théâtral de 18 minutes au cours duquel il révélait des "preuves indubitables" de la présence de missiles. Kennedy a ensuite annoncé que les États-Unis interdiraient aux navires transportant des armes de rallier Cuba, et a exigé des Soviétiques qu'ils procèdent au retrait de leurs missiles.
Au même moment, l'ambassadeur des États-Unis en Union soviétique, Foy Kohler, remettait une lettre de Kennedy au premier ministre soviétique Nikita Khrouchtchev, dans laquelle il disait que
"ce qui m'a le plus préoccupé est l'éventualité que votre gouvernement ne comprenne pas correctement la volonté et la détermination des États-Unis dans une situation donnée, car je ne suis pas parti du principe que vous ou tout autre homme sain d'esprit, en cette ère nucléaire, plongerait délibérément le monde dans une guerre dont il est parfaitement clair qu'aucun pays ne pourrait la gagner,, et qui ne pourrait déboucher que sur des conséquences catastrophiques pour le monde entier, y compris pour l'agresseur. "
Joe Biden ferait bien de méditer en repensant à cette lettre, et à tout ce qui s'est ensuivi, et de prendre conscience que si l'on remplace "États-Unis" par "Russie", on obtient une évaluation précise de la vision actuelle du monde de la Russie en ce qui concerne l'OTAN et les armes nucléaires.
L'heure n'est pas à la dramatisation, ni à la rhétorique théâtrale incendiaire. L'heure est à la maturité, au bon sens et... à la retenue. Un dirigeant avisé aurait compris la possibilité d'une perception erronée de la part de la Russie lorsque l'OTAN, une semaine à peine après avoir été incitée par le président ukrainien à lancer une frappe nucléaire préventive sur la Russie, effectue un exercice majeur au cours duquel l'OTAN s'entraîne à larguer des bombes nucléaires sur la Russie. Un dirigeant lucide aurait reporté ces exercices, et encouragé la Russie à prendre des mesures similaires concernant ses simulations nucléaires.
Au lieu de cela, l'Amérique a droit à une allusion désinvolte à l’Armageddon nucléaire de la part d'un égocentrique narcissique qui utilise le spectre de l'anéantissement nucléaire comme un mantra pour collecter des fonds.
Il suffirait d'une seule erreur de calcul, d'un seul malentendu pour que STEADFAST NOON devienne le "Grand Soir", et que "Grom" [Tonnerre] se métamorphose en "Molnya" [Foudre].
Ce scénario s'est déjà produit par le passé. En novembre 1983, l'OTAN a mené un exercice de commandement, sous le nom de code ABLE ARCHER '83, destiné à tester les "procédures de déclenchement des armes nucléaires". Les Soviétiques ont été tellement alarmés par cette opération, dont ils ont cru qu'elle pourrait servir à masquer une frappe nucléaire préventive de l'OTAN contre l'Union soviétique, qu'ils ont chargé des ogives nucléaires sur des bombardiers, amenant l'OTAN et l'Union soviétique au bord d'une guerre nucléaire.
Plus tard, après avoir reçu des rapports de renseignement sur la crainte soviétique d'une frappe nucléaire préventive américaine, le président Ronald Reagan a fait le commentaire suivant:
"Nous [les États-Unis] avions de nombreux plans d'urgence pour répondre à une attaque nucléaire. Mais tout se passerait si vite que je me suis demandé quelle planification ou quel raisonnement pouvait être appliqué dans une telle situation... six minutes pour décider comment réagir à un signal sur un écran radar, et choisir de déclencher l'Armageddon ! Comment quelqu'un pourrait-il raisonner dans un moment pareil ?".
Cette révélation a marqué un revirement de la part d'un président qui, jusque-là, était surtout célèbre pour avoir qualifié l'Union soviétique d'"Empire du mal", et pour avoir plaisanté sur l'envoi de missiles nucléaires contre la cible soviétique.
Un peu plus de quatre ans après ABLE ARCHER '83, Reagan a rencontré le secrétaire général soviétique Mikhaïl Gorbatchev et a signé le traité sur les forces nucléaires intermédiaires, un accord historique qui, pour la première fois dans l'histoire du contrôle des armements, a fait disparaître une catégorie entière d'armes nucléaires des arsenaux des États-Unis et de l'Union soviétique.
On ne peut qu'espérer que la crise nucléaire actuelle aboutira à une percée similaire en matière de contrôle des armes dans un avenir proche.
* Scott Ritter est un ancien officier de renseignement du corps des Marines des États-Unis qui a servi dans l'ex-Union soviétique pour la mise en œuvre des traités de contrôle des armements, dans le golfe Persique pendant l'opération Tempête du désert et en Irak pour superviser le désarmement des ADM. Son dernier livre est Disarmament in the Time of Perestroika, publié par Clarity Press.
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