đâđš Scott Ritter : Nord Stream-AndromĂšde, une opĂ©ration de camouflage
Les services de renseignements US ont divulguĂ© un peu vite ses informations sur l'enquĂȘte allemande, donnant la nette impression que le vrai coupable est nerveux face au travail de Seymour Hersh.

đâđš Nord Stream-AndromĂšde, une opĂ©ration de camouflage
Par Scott Ritter, Spécial Consortium News, 14 mars 2023
En 2000, la série télévisée "Andromeda", basée sur des documents non utilisés de Gene Roddenberry, le créateur de la série et de la franchise Star Trek, a été diffusée pour la premiÚre fois. L'intrigue repose sur le concept d'un vaisseau spatial, "Andromeda", figé dans le temps, qui a la possibilité d'inverser l'horloge et de défaire l'histoire.
La série a duré cinq ans.
Avance rapide jusqu'Ă aujourd'hui.
L'histoire a donné du fil à retordre à l'administration du président américain Joe Biden, qui a ouvertement avoué son intention de "mettre fin" au systÚme de gazoducs Nord Stream, qui acheminait du gaz naturel russe vers l'Europe par le biais de quatre gazoducs (Nord Stream 1 et Nord Stream 2, composés de deux gazoducs chacun).
Depuis lors, la Maison Blanche de Biden a Ă©tĂ© contrainte de nier l'intention dĂ©clarĂ©e du prĂ©sident aprĂšs qu'un rapport explosif du journaliste d'investigation Seymour Hersh, laurĂ©at du prix Pulitzer, a dĂ©taillĂ© des informations accablantes qui, si elles sont vraies (et il n'y a aucune raison de soupçonner qu'elles ne le sont pas), rejettent la responsabilitĂ© d'une sĂ©rie d'explosions sous-marines qui ont eu lieu le 26 septembre 2022, sur Biden lui-mĂȘme.
Le rapport de Seymour Hersh a Ă©tĂ© ignorĂ© par les grands mĂ©dias amĂ©ricains, et ni le New York Times, pour lequel Seymour Hersh a Ă©crit sur les questions de sĂ©curitĂ© nationale pendant de nombreuses annĂ©es, ni le Washington Post n'ont mĂȘme laissĂ© entendre que le plus grand journaliste d'investigation de notre temps avait publiĂ© un article Ă grand retentissement.
C'est ainsi qu'est nĂ© "Andromeda", non pas le vaisseau spatial de la sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e Ă©ponyme, mais un yacht Bavaria C50 de 15 mĂštres basĂ© dans la ville portuaire allemande de Rostock, sur la mer Baltique. Le 7 mars, soit prĂšs d'un mois aprĂšs la publication par Hersh de son article sur Substack, une Ă©quipe de journalistes allemands du studio de la capitale ARD, de Kontraste, du SĂŒdwestrundfunk (SWR) et de Die Zeit, ont annoncĂ© conjointement avoir dĂ©couvert l'existence du "bateau qui aurait Ă©tĂ© utilisĂ© pour l'opĂ©ration secrĂšte".
Il s'agit d'un "yacht loué à une société basée en Pologne, appartenant apparemment à deux Ukrainiens". Selon l'article, "l'opération secrÚte en mer a été menée par une équipe de six personnes".
Le nom du yacht était "The Andromeda".
Selon le rapport allemand, l'équipe - cinq hommes, dont un capitaine de navire, deux plongeurs principaux, deux plongeurs de soutien et une femme médecin - a utilisé l'Andromeda pour les transporter, ainsi que les explosifs utilisés pour détruire les oléoducs, jusque sur les lieux du crime. Le bateau a été renvoyé à Rostock dans un "état non nettoyé", ce qui a permis aux forces de l'ordre allemandes, qui ont fouillé le navire entre le 8 et le 11 janvier, de détecter des "traces d'explosifs" sur une table dans la cabine du bateau.
Le jour mĂȘme de la publication du rapport allemand sur le nouveau rĂ©cit de l'attaque du Nord Stream, le New York Times a publiĂ© en premiĂšre page un article intitulĂ© "Intelligence Suggests Pro-Ukrainian Group Sabotaged Pipelines, US Officials Say" (Les renseignements suggĂšrent qu'un groupe pro-ukrainien a sabotĂ© les pipelines, selon des responsables amĂ©ricains).
[Voir aussi : Avec la chute de Bakhmut, les Etats-Unis pourraient se détourner de l'Ukraine, en commençant par l'histoire de l'oléoduc].
Pour la premiĂšre fois, le New York Times a fait rĂ©fĂ©rence au rapport de Hersh en Ă©crivant : "Le mois dernier, le journaliste d'investigation Seymour Hersh a publiĂ© un article sur la plateforme de newsletter Substack, concluant que les Ătats-Unis ont menĂ© l'opĂ©ration sous la direction de M. Biden", avant de conclure : "Les responsables amĂ©ricains affirment que M. Biden et ses principaux collaborateurs n'ont pas autorisĂ© de mission visant Ă dĂ©truire les olĂ©oducs Nord Stream, et qu'il n'y a pas eu d'implication des Ătats-Unis".

Comme s'il se faisait l'écho des dénégations de la Maison Blanche de M. Biden, le New York Times a commencé comme suit :
"Un nouveau rapport des services de renseignement constitue la premiĂšre piste significative connue sur la responsabilitĂ© de l'attaque contre les gazoducs Nord Stream qui transportent le gaz naturel de la Russie vers l'Europe.â
Le New York Times, semble-t-il, était plus qu'heureux de poursuivre avec ses propres sources de renseignements anonymes, tout en rejetant celles de Hersh.
Le problĂšme, entre les rapports allemands et ceux du New York Times (dont la source se rĂ©fĂ©rait clairement aux mĂȘmes donnĂ©es que celles rapportĂ©es par les journalistes allemands) est que le rĂ©cit d'AndromĂšde ne tient pas la route.
Prenons, par exemple, l'histoire héroïque à la Tom Clancy dans laquelle quatre plongeurs prétendument affiliés à l'Ukraine défient la physiologie en effectuant des plongées qui nécessiteraient l'utilisation d'un caisson de décompression pour pouvoir survivre à une remontée de 73 mÚtres ( soit la profondeur des oléoducs Nord Stream qui ont été détruits). En rÚgle générale, la décompression prend environ un jour par tranche de 30 mÚtres d'eau de mer plus un jour.
Cela signifie que l'Ă©quipe de plongeurs aurait eu besoin de trois jours de dĂ©compression par plongĂ©e. Mais pour dĂ©compresser, il faut un caisson de dĂ©compression. Pour une plongĂ©e impliquant deux plongeurs, l'Andromeda aurait dĂ» ĂȘtre Ă©quipĂ© soit d'un caisson de dĂ©compression de classe A pour deux personnes, soit de deux caissons de classe B pour une personne, ainsi que du nombre de grandes bouteilles d'oxygĂšne nĂ©cessaires pour faire fonctionner ces caissons au fil du temps.
Un simple examen de l'espace intérieur de la cabine du yacht Bavarian C50 permet de s'affranchir rapidement de l'idée que l'une ou l'autre de ces options est viable.
En clair, pas de chambre de décompression, pas de plongée, pas d'histoire.
Des âtraces" d'explosifs lourds
Un autre aspect de l'histoire doit ĂȘtre examinĂ©. Selon le rapport allemand, les forces de l'ordre ont dĂ©tectĂ© des "traces" d'explosifs sur les tables de la cabine de l'Andromeda.
Selon le parquet suĂ©dois, dans un communiquĂ© publiĂ© le 19 novembre 2022, les enquĂȘteurs suĂ©dois ont dĂ©couvert "des traces d'explosifs sur plusieurs des Ă©lĂ©ments Ă©trangers dĂ©couverts" sur le site des explosions.
Selon un rapport publié le 22 novembre 2022 par Nord Stream AG, la société mÚre suisse propriétaire des gazoducs Nord Stream 1 et 2, ces explosifs ont produit des "cratÚres technogÚnes [c'est-à -dire " issus d'un processus ou d'une substance créés par la technologie humaine "] d'une profondeur de 3 à 5 mÚtres" séparés "d'une distance d'environ 248 mÚtres".
"La section de la conduite entre les cratÚres est détruite, le rayon de dispersion des fragments de la conduite est d'au moins 250 mÚtres", indique le rapport.
Dans un rapport adressé aux Nations unies, le Danemark et la SuÚde ont tous deux déclaré que les dommages causés aux gazoducs Nord Stream avaient été provoqués par des explosions d'une puissance équivalente à "plusieurs centaines de kilogrammes d'explosifs".
Il convient de noter que les pipelines sous-marins tels que ceux utilisĂ©s par Nord Stream sont conçus pour rĂ©sister Ă des explosions proximales d'engins pesant jusqu'Ă plusieurs centaines de kilogrammes. En effet, dans des endroits tels que la mer Baltique, oĂč abondent les munitions militaires non explosĂ©es datant de plusieurs guerres mondiales, la menace qu'un engin dĂ©rivant heurte un pipeline et explose est tout Ă fait rĂ©elle.
La modélisation informatique montre qu'une charge explosive de 600 kilogrammes explosant à environ 5 mÚtres d'un gazoduc en acier de 34 mm d'épaisseur rempli de gaz ne compromettrait pas l'intégrité structurelle du gazoduc.

Ă l'endroit oĂč les explosions ont eu lieu, les conduites des gazoducs Nord Stream Ă©taient constituĂ©es de tuyaux en acier de 26,8 mm dâĂ©paisseur auxquels s'ajoutait un revĂȘtement en bĂ©ton de 33,2 mm, soit une Ă©paisseur totale de 60 mm. Le poids d'une seule section de tuyau Ă©tait supĂ©rieur Ă 11 tonnes.
En bref, une charge explosive standard de plusieurs centaines de kilogrammes ne suffirait pas Ă provoquer la destruction du gazoduc Nord Stream.
C'est là qu'intervient Hersh, qui indique que les explosifs utilisés étaient des "charges creuses".
Avec une charge creuse, l'Ă©nergie de l'explosion est concentrĂ©e dans une certaine direction, gĂ©nĂ©ralement en confĂ©rant Ă l'explosif une forme concave revĂȘtue d'une feuille mĂ©tallique, ce qui lui confĂšre gĂ©nĂ©ralement un effet de pĂ©nĂ©tration dans le blindage et/ou le bĂ©ton.
Sans entrer dans les dĂ©tails techniques, la conception d'une charge creuse sous-marine suffisante pour pĂ©nĂ©trer un tuyau d'acier revĂȘtu de bĂ©ton Ă une profondeur de 730 mĂštres n'est pas chose courante. La charge devrait ĂȘtre prĂ©parĂ©e par des experts en explosifs qualifiĂ©s et, idĂ©alement, testĂ©e avant d'ĂȘtre utilisĂ©e de maniĂšre opĂ©rationnelle afin de valider la conception et la fonctionnalitĂ© de l'engin.
Il ne s'agit pas lĂ de tĂąches effectuĂ©es par une petite Ă©quipe ad hoc de saboteurs sous-marins ukrainiens, mais plutĂŽt d'acteurs parrainĂ©s par l'Ătat ayant accĂšs Ă des explosifs de qualitĂ© militaire et Ă des infrastructures d'essai.
DeuxiĂšme coup dur pour le rapport allemand.
Mais la lacune la plus flagrante du rapport allemand concerne la détection de "traces d'explosifs" à bord de l'Andromeda. Cette information permettrait d'identifier l'explosif précis utilisé. De plus, comparée à la "trace d'explosif" trouvée par les Suédois sur le lieu des attentats contre le gazoduc Nord Stream, elle permettrait d'établir un lien clair entre l'Andromeda et les attentats.
Mais la SuĂšde a mis sous scellĂ©s les dossiers de son enquĂȘte sur l'attentat contre le Nord Stream pour des raisons de sĂ©curitĂ© nationale, ce qui signifie qu'elle ne coopĂ©rera pas avec l'Allemagne pour vĂ©rifier si les traces d'explosifs trouvĂ©es sur les lieux de l'attentat contre le Nord Stream correspondent Ă celles qui se trouvaient Ă bord de l'Andromeda.
Le motif évident de cette décision est que les deux traces relevées ne correspondent pas. L'une - l'échantillon suédois - désigne le coupable. L'autre - l'échantillon d'AndromÚde - est la preuve d'une dissimulation.
Et de trois, fin de lâhistoire.
La grossiĂšre tentative du gouvernement allemand de fabriquer un rĂ©cit alternatif sur les auteurs de l'attaque du gazoduc Nord Stream ne tient pas la route - en un mot, elle pue. Les lacunes de cette histoire sont telles que mĂȘme les scĂ©naristes les plus douĂ©s ne pourraient pas rendre ce conte d'AndromĂšde sur l'Ă©volution de l'histoire un tant soit peu crĂ©dible. Bref, Gene Roddenberry ne serait pas impressionnĂ©.
En outre, la promptitude avec laquelle les services de renseignement amĂ©ricains ont divulguĂ© au New York Times des informations sur l'enquĂȘte allemande semble constituer une preuve de facto de la complicitĂ© des Ătats-Unis dans cette opĂ©ration de camouflage.
Et la raison de cette dissimulation est trÚs claire : les Allemands et les Américains craignent tous deux les reportages réalisés par Hersh.
* Scott Ritter est un ancien officier de renseignement du corps des Marines amĂ©ricains qui a servi dans l'ex-Union soviĂ©tique pour mettre en Ćuvre les traitĂ©s de contrĂŽle des armements, dans le golfe Persique pendant l'opĂ©ration TempĂȘte du dĂ©sert et en Irak pour superviser le dĂ©sarmement des armes de destruction massive. Son dernier ouvrage est Disarmament in the Time of Perestroika, publiĂ© par Clarity Press.
Les opinions exprimées sont uniquement celles de l'auteur et peuvent ou non refléter celles de Consortium News.
https://consortiumnews.com/2023/03/14/scott-ritter-the-nord-stream-andromeda-cover-up/