👁🗨 Scott Ritter - Otan : Requiem pour un cauchemar
Le sacrifice de l’Ukraine n'a pas donné le résultat escompté (la défaite stratégique de la Russie) & l'OTAN a claqué la porte restée entrouverte pour inciter l'Ukraine à accomplir sa tâche suicidaire.
👁🗨 Otan : Requiem pour un cauchemar
Par Scott Ritter pour Consortium News, le 28 juillet 2023
Le dysfonctionnement de l'alliance militaire atlantique à propos de l'adhésion de l'Ukraine n'est que la manifestation la plus visible de la débâcle du sommet de Vilnius.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky émerge, tel le tragique personnage du conflit russo-ukrainien.
On lui a demandé de sacrifier la vie de ses compatriotes pour mériter des États-Unis et de l'OTAN une invitation à rejoindre leur "club". Mais lorsque le sacrifice n'a pas donné le résultat escompté (c'est-à-dire la défaite stratégique de la Russie), l'OTAN a claqué la porte, restée entrouverte pour inciter l'Ukraine à accomplir sa tâche suicidaire.
Malgré les manigances déloyales de l'OTAN pour maintenir l'apparence d'une adhésion potentielle de l'Ukraine (le Conseil Ukraine-OTAN, créé lors du sommet de Vilnius au début du mois, en est un excellent exemple), chacun sait que l'adhésion de l'Ukraine à l'alliance transatlantique n'était que pure chimère.
L'Ukraine n'a plus qu'à choisir le poison de son choix - accepter une paix qui pérennise les revendications territoriales russes tout en renonçant à jamais à l'éventualité, même très lointaine, d'une adhésion à l'OTAN - ou continuer à se battre, avec pour conséquence plus que probable de nouvelles pertes de territoire et la destruction de la nation et du peuple ukrainiens.
L'autobiographie de Robert Graves, "Goodbye to All That", constitue à la fois un modèle pour l'Ukraine et un tableau de l'effondrement de l'ancien ordre européen - l'alliance de l'OTAN dominée par les États-Unis, l'Union européenne, l'ordre international fondé sur des règles et toutes les structures de l'après-Seconde Guerre mondiale, qui ont permis au monde occidental la cohésion pendant près de huit décennies. Toutes ces structures se délitent aujourd'hui sous nos yeux.
Les efforts déployés par Graves pour s'adapter à l'Angleterre de l'après-guerre, au lendemain des atrocités de la Première Guerre mondiale, et ses observations sur une nation qui lutte collectivement pour se définir, constituent une mise en garde contre les dangers qui guettent l'Ukraine.
Alors que l'Ukraine dit adieu à son ancienne identité, il lui faut également renoncer à son rêve d'intégration à une communauté européenne dont la longévité est bien compromise. Et ce, en grande partie du fait de son implication désastreuse dans le conflit russo-ukrainien.
L'Ukraine, une fois cette guerre terminée, ne sera plus jamais la même. L'alliance de l'OTAN non plus. Ayant défini la guerre par procuration que mène l'Ukraine contre la Russie en termes existentiels, l'OTAN s'efforcera de trouver à la fois sa pertinence et sa finalité dans un monde post-conflit.
Le sommet de Vilnius des 11 et 12 juillet a symbolisé à bien des égards le dernier rempart de l'ordre ancien de l'Europe. Ce sommet fut le requiem pour un cauchemar engendré par l'Europe elle-même - la mort d'une nation, le déclin d'un continent et la fin d'un ordre qui, depuis longtemps, avait perdu sa légitimité.
Un étrange isolement
En suivant les reportages du sommet de Vilnius, j'ai été frappé par l'étrange isolement dont était victime Zelensky alors qu'il cherchait à se mêler aux dirigeants des pays de l'OTAN le qualifiant d'ami et d'allié, mais le traitant, lui et la nation qu'il dirige, tout autrement. Zelensky avait tout mis en oeuvre pour que l'Ukraine soit en mesure d'adhérer à l'OTAN, mais il n'a fait qu'en effleurer les portes.
Après avoir été briefé en amont d'un projet de communiqué de l'OTAN déclarant que l'Ukraine serait invitée à rejoindre l'alliance "lorsque les alliés se mettront d'accord sur les conditions requises", le président ukrainien n'a eu d'autre choix que de déverser sa frustration à une presse complaisante qui ne demandait qu'à sauter sur l'occasion de mettre le feu aux poudres. “C'est sans précédent, et absurde”, a déploré M. Zelensky, "alors qu'aucun délai n'était fixé, ni pour une invitation, ni pour l'adhésion de l'Ukraine". Et de plus, des termes vagues concernant les "conditions" viennent compléter la nouvelle formulation de ladite invitation.”
Ramené à de meilleurs sentiments après avoir été réprimandé par ses maîtres de l'OTAN, Zelensky a ensuite changé de discours, exprimant son désir d'adhérer à l'OTAN, mais d'une manière nouvelle et non-conflictuelle. "Les résultats du sommet ont été positifs", a déclaré M. Zelensky au secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, lors d'une conférence de presse collective, "mais si nous avions bénéficié d'une invitation [à rejoindre l'OTAN], ç’aurait été parfait".
Par la suite, lors d'une conférence de presse avec le président américain Joe Biden, M. Zelensky restera muet tandis que M. Biden continuera à doucher les espoirs d'adhésion de l'Ukraine à l'OTAN. "Nous venons de clôturer la première réunion du Conseil OTAN-Ukraine, au cours de laquelle l'ensemble de nos alliés ont convenu que l'avenir de l'Ukraine était bien dans l'OTAN", a déclaré M. Biden.
“Les Alliés ont tous accepté de lever les exigences liées au processus d'adhésion de l'Ukraine, et de faciliter son processus d'adhésion à l'OTAN, pendant que le pays continue à progresser dans la mise en œuvre des réformes requises”, a déclaré M. Biden.
On pouvait lire la colère et la frustration dans les yeux de M. Zelensky alors qu'il écoutait M. Biden corser l'insulte en l'appelant "Vladimir".
Le dysfonctionnement de l'OTAN concernant l'adhésion de l'Ukraine n'était toutefois que la manifestation la plus publique de la débâcle que fut le Sommet de Vilnius.
La chimère de l'unité
Alors que M. Zelensky jouait le rôle du jeune désespéré en quête d'une cavalière pour le bal de fin d'année, le président turc Recep Erdogan jouait les durs à cuire. Après avoir accepté l'adhésion de la Finlande et de la Suède à l'OTAN lors du sommet de Madrid de l'année dernière, M. Erdogan a posé des conditions strictes qui ont retardé la ratification de la Finlande en tant que nouveau membre de l'OTAN jusqu'en avril 2023. Il a ainsi laissé la Suède sur la touche à la veille du sommet de Vilnius.
Juste avant son départ pour le sommet de Vilnius, M. Erdogan en a surpris plus d'un en liant la ratification par la Turquie de la candidature de la Suède à l'alliance transatlantique au projet d'adhésion de la Turquie à l'Union européenne. " Commencez par ouvrir la voie à la Turquie au sein de l'Union européenne, puis nous ouvrirons les portes à la Suède, comme nous l'avons fait pour la Finlande ", a déclaré M. Erdogan. Peu après son arrivée en Lituanie, M. Erdogan a rencontré le secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg, et le premier ministre suédois, Ulf Kristersson, après quoi M. Erdogan a fait volte-face, annonçant que la Turquie soutenait l'adhésion de la Suède à l'OTAN.
Bien qu'Erdogan n'ait pas obtenu son invitation à rejoindre l'UE, la Suède a promis de soutenir activement la modernisation de l'union douanière UE-Turquie et la libéralisation des visas en ce qui concerne les demandes de citoyens turcs souhaitant voyager sans visa vers l'Europe.
Mais la rencontre Stoltenberg-Erdogan-Kristersson n'était qu'une façade pour un marchandage en coulisses plus substantiel entre Erdogan et Biden, grâce auquel la Turquie a reçu le feu vert pour acquérir de nouveaux chasseurs F-16 et pour moderniser sa flotte de F-16 existante.
L'acquisition de chasseurs F-16 était un objectif majeur de la Turquie depuis que les Etats-Unis, en 2019, ont exclu la Turquie d'un programme international dirigé par les Etats-Unis pour développer et produire le chasseur F-35, en raison de l'achat à la Russie du système de défense antiaérienne S-400 par la Turquie. La vente de F-16 avait toutefois été bloquée après la mise en place de sanctions contre la Turquie en décembre 2020 dans le cadre de la loi Countering America's Adversaries Through Sanctions Act (CAATSA) - c'était la toute première fois que de telles sanctions frappaient un membre de l'OTAN.
La volonté des États-Unis de voir la Suède entrer dans l'OTAN le plus rapidement possible a semblé être une justification suffisante pour que l'administration Biden lève les sanctions prévues par la CAATSA, et transmette l'accord sur les F-16 au Congrès américain avec sa bénédiction. Mais l'adhésion de la Suède est loin d'être garantie.
Alors que les États-Unis et l'OTAN font pression sur Erdogan pour qu'il convoque une session extraordinaire du Parlement afin de ratifier l'adhésion de la Suède, Erdogan attend octobre, date prévue pour la convocation du Parlement turc. Erdogan cherche à obtenir l'assurance que le Congrès américain va approuver l'accord sur les F-16. Ce n'est toutefois pas garanti, en raison des inquiétudes des législateurs concernant les relations tendues entre Turquie et Grèce, alliée de l'OTAN, et de la nécessité absolue du rétablissement de la paix dans la région, jugée tout aussi importante que l'adhésion de la Suède à l'OTAN.
En résumé : MM. Biden et Stoltenberg ont mis en exergue la décision d'Erdogan de transmettre la demande d'adhésion de la Suède à l'OTAN au Parlement turc pour ratification, y voyant un symbole de l'unité "à toute épreuve" de l'OTAN.
Il n'a pas été mentionné que M. Erdogan a dû menacer l'OTAN pour que les États-Unis formulent une offre leur permettant de renoncer à leurs sanctions antérieures à l'encontre d'un allié de l'OTAN, tout en les contraignant à prendre en compte les répercussions de l'accord sur la sécurité, compte tenu de l'hostilité ouverte entre la Turquie et la Grèce, autre pays membre de l'OTAN.
Selon le Webster, le terme "unité" désigne "un état d'harmonie" et "état de ce qui forme un tout". En ce qui concerne le bon usage de ce terme, je ne pense pas que la relation conflictuelle entre Turquie et OTAN puisse servir de référence.
Si l'on ajoute à cela le rejet par la France d'une proposition visant à ouvrir un bureau de liaison de l'OTAN au Japon, et le désaccord ouvert et persistant de la Hongrie avec l'OTAN et l'UE sur la manière de répondre au conflit russe en Ukraine, on constate que la structure de l'OTAN fait apparaître de nombreuses fractures de discorde et de désaccord qui ne manqueront pas de se multiplier au fur et à mesure que l'OTAN sera confrontée à la probabilité croissante d'une victoire militaire de la Russie.
Le temps des adieux
Si les semaines qui ont précédé le sommet de Vilnius se caractérisent par le désir de l'OTAN de voir la contre-offensive ukrainienne tant attendue et tant vantée atteindre son potentiel maximal, les jours qui ont précédé le sommet ont placé l'Ukraine et ses alliés occidentaux face à la réalité : la guerre ne se passe bien ni pour les uns, ni pour les autres.
La contre-offensive ukrainienne est articulée autour d'un noyau de quelque 60 000 soldats ukrainiens spécialement formés par les armées de l'OTAN et de l'Europe aux armes et aux tactiques propres à mettre en échec les défenses russes. Depuis le début de la contre-offensive, le 8 juin, l'Ukraine a perdu près de la moitié de ces troupes, et un tiers de l'équipement mis à disposition, notamment des dizaines de chars de combat Leopard et de véhicules de combats d'infanterie Bradly, dont beaucoup pensaient qu'ils allaient changer la donne.
En 1993, George Soros a proposé la création d'un nouvel ordre mondial fondé sur le fait que les États-Unis sont l'unique superpuissance résiduelle et qu'ils supervisent un réseau d'alliances, dont la plus puissante est l'OTAN, afin de protéger l'hémisphère nord contre la menace russe.
"Les États-Unis, écrivait Soros, ne seront pas appelés à être les gendarmes du monde. Ils agiraient en collaboration avec d'autres. Par ailleurs, associer la main-d'œuvre d'Europe de l'Est aux capacités techniques de l'OTAN, améliorerait grandement le potentiel militaire de toute structure d'alliance dirigée par les États-Unis, réduisant le risque de pays de l'OTAN encombrés de sacs mortuaires, la principale entrave à leur détermination d'agir".
Quarante ans plus tard, c'est précisément ce même scénario qui se joue sur les champs de bataille meurtriers de Russie et d’Ukraine. Les milliards de dollars d'assistance militaire fournis par les États-Unis, l'OTAN et d'autres pays européens sont la manifestation vivante des "capacités techniques" évoquées par Soros, renforcées par la "main d'œuvre d'Europe de l'Est" (c'est-à-dire l'Ukraine) pour renforcer le potentiel militaire de l'OTAN de manière à réduire "le risque de sacs mortuaires dans les pays de l'OTAN".
Les centaines de milliers de housses mortuaires déjà enfouies dans le sol sombre de l'Ukraine sont passées sous silence, soulignant le mépris impitoyable des participants à la conférence de Vilnius pour cette tragédie humaine.
* Scott Ritter est un ancien officier de renseignement du corps des Marines américains qui a servi dans l'ex-Union soviétique pour mettre en œuvre les traités de contrôle des armements, dans le golfe Persique pendant l'opération Tempête du désert et en Irak pour superviser le désarmement des armes de destruction massive (ADM). Son dernier ouvrage est Disarmament in the Time of Perestroika, publié par Clarity Press.
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