đâđš Scott Ritter - Quatorze ans et neuf mois : RĂ©vĂ©lation et rĂ©demption de Viktor Bout
Toutes les opportunitĂ©s perdues, les expĂ©riences manquĂ©es... et le tourment solitaire d'ĂȘtre un homme dans la force de l'Ăąge enfermĂ© dans une cage pour un crime qu'il n'a pas commis.
đâđš Quatorze ans et neuf mois : RĂ©vĂ©lation et rĂ©demption de Viktor Bout
Par Scott Ritter, le 28 janvier 2023
Au fil des ans, j'ai rencontré plusieurs personnes célÚbres. J'ai aussi rencontré quelques personnes tristement célÚbres. Mais je n'ai jamais ressenti autant d'émotions que lorsque j'ai été appelé par Peter Ermolin, le producteur du Scott Ritter Show, un podcast hebdomadaire que j'anime en collaboration avec Solovyov Live ! la chaßne en ligne du populaire animateur de talk-show russe, Vladimir Solovyov.
Le Scott Ritter Show est un format d'interview en direct, et Peter et moi coordonnons les invités qui apparaissent. L'idée principale de l'émission était de créer une plateforme permettant à un public américain d'entendre des voix russes qui, autrement, ne seraient pas entendues.
à cet égard, l'émission a connu un grand succÚs. Dans les 19 premiers épisodes, j'ai eu l'occasion d'interviewer des commandants militaires sur les lignes de front en Ukraine, des hommes politiques russes, des analystes militaires du monde entier, et des experts russes en matiÚre de contrÎle des armements. Pour le 20e épisode, Peter a dit qu'il voulait faire quelque chose de "grand", et j'ai accepté. Pourquoi pas ?
Mais lorsque Peter m'a appelé pour me dire que Viktor Bout avait accepté de venir dans l'émission, j'ai hésité.
Il ne faisait aucun doute qu'il s'agirait d'une grande interview. Viktor Ă©tait un individu trĂšs en vue, un trafiquant d'armes prĂ©sumĂ© qui, en 2011, avait Ă©tĂ© reconnu coupable en premiĂšre instance de plusieurs chefs d'accusation graves dĂ©coulant d'une opĂ©ration d'infiltration de la DEA [La Drug Enforcement Administration est une agence fĂ©dĂ©rale amĂ©ricaine d'application de la loi dĂ©pendant du dĂ©partement de la Justice des Ătats-Unis, chargĂ©e de lutter contre le trafic et la distribution de drogues aux Ătats-Unis] en 2008, et qui avait ensuite Ă©tĂ© condamnĂ© Ă 25 ans de prison. Mais au dĂ©but du mois de dĂ©cembre de l'annĂ©e derniĂšre, aprĂšs avoir purgĂ© quatorze ans et neuf mois de sa peine, Viktor Bout a Ă©tĂ© libĂ©rĂ© de prison, dans le cadre d'un accord entre les gouvernements amĂ©ricain et russe qui prĂ©voyait l'Ă©change de Viktor contre la star de la WNBA Britnney Grimes, emprisonnĂ©e en Russie pour des accusations liĂ©es Ă la drogue.
Cette interview prĂ©sentait des "problĂšmes" partout. Je ne suis pas un interviewer professionnel. J'ai une certaine expĂ©rience de l'interrogatoire de personnes, notamment de responsables irakiens dans le cadre d'enquĂȘtes que je menais pour le compte des Nations unies concernant l'obligation pour l'Irak d'ĂȘtre dĂ©sarmĂ© de ses prĂ©tendus programmes destruction massive. Mais lĂ , ce serait diffĂ©rent. Viktor Bout n'Ă©tait la cible d'aucune de mes enquĂȘtes, et les circonstances de son passage au Scott Ritter Show n'Ă©taient pas propices Ă un jeu journalistique de "chat" auquel d'autres intervieweurs plus professionnels auraient pu se prĂȘter.
C'est pourtant lĂ lâorigine d'une grande partie de mon angoisse. Viktor Bout Ă©tait une affaire importante; son histoire avait fait les gros titres, et les circonstances de sa libĂ©ration Ă©taient plus que controversĂ©es. De nombreux journalistes sauteraient sur l'occasion d'un "scoop" comme celui-ci, une chance de creuser plus profondĂ©ment derriĂšre les gros titres pour trouver des bribes juteuses d'informations salaces.
Et c'était, bien sûr, la derniÚre chose que je voulais faire. Mais je pensais aussi que si je ne parvenais pas à "creuser", on m'accuserait de prendre le "parti des Russes".
J'ai failli refuser cette opportunité.
Heureusement, je ne l'ai pas fait.
En prĂ©parant cet entretien, je me suis mis Ă la place de Viktor. Ce n'Ă©tait pas difficile Ă faire - j'avais Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ© pendant prĂšs de trois ans, et je savais ce que c'Ă©tait que d'ĂȘtre relĂąchĂ© dans la sociĂ©tĂ© sous une nuĂ©e de controverses.
Je savais aussi que la derniÚre chose dont je voulais parler à ma sortie était les circonstances de mon incarcération. Comme pour Viktor, mon arrestation et mon procÚs avaient été des affaires publiques. Comme pour Viktor, la presse ne s'est intéressée qu'au récit sur lequel l'accusation voulait qu'elle se concentre. Et comme pour Viktor, j'étais trop occupé à essayer d'aller de l'avant pour me laisser entraßner dans le cloaque de souvenirs qu'engendrerait le fait que quelqu'un farfouille dans cette expérience.
J'avais fait mes recherches avant le début de l'entretien, et j'avais une bonne idée de la maniÚre dont Viktor avait déjà été dépeint dans les médias occidentaux. La derniÚre chose dont nous avions besoin était de gùcher cette opportunité en réinventant la roue.
J'ai opté pour une approche différente. J'ai décidé que la meilleure façon de réaliser cette interview était de donner à Viktor une chance de parler, et pour moi et le public, d'écouter ce qu'il avait à dire.
Je suis heureux d'avoir adopté cette approche, car les mots que Viktor a prononcés continuent de résonner en moi jusqu'à ce jour.
L'interview est lĂ pour que le public la regarde, et la juge comme bon lui semble.
Je pense que cette interview a permis de brosser un portrait plus complet de Viktor Bout, l'homme, que tout ce que j'avais lu ou vu publié dans les grands médias à ce jour.
En laissant Viktor s'exprimer, j'ai permis Ă la colĂšre, Ă la douleur et Ă l'indignation des circonstances entourant son incarcĂ©ration d'ĂȘtre mises en lumiĂšre selon les termes de Viktor.
Quatorze ans et neuf mois.
Les gens devraient réfléchir à ce chiffre en écoutant Viktor parler.
Quatorze ans et neuf mois.
Scott Ritter discutera de cet article et répondra aux questions du public dans l'épisode 41 de Ask the Inspector.
Toutes les opportunitĂ©s perdues, les expĂ©riences manquĂ©es... et le tourment solitaire d'ĂȘtre un homme dans la force de l'Ăąge enfermĂ© dans une cage pour un crime qu'il n'a pas commis.
Je crois que Viktor Bout est innocent des crimes dont il a été accusé. Chacun d'entre eux était une accusation de conspiration. Demandez à n'importe quel avocat qui a eu affaire à des poursuites provenant du District Sud de New York - personne ne sort libre d'une accusation fédérale de conspiration.
Personne.
Mais toute question quant à la culpabilité ou l'innocence est hors de propos - cette affaire appartient au passé, et les possibilités d'appel de Viktor ont été épuisées depuis longtemps. Ce qui est plus important, c'est la dimension de l'homme que cette interview a permis de découvrir. La passion et la compassion de Viktor Bout sont étonnantes, tant dans la fureur à peine dissimulée qu'il éprouve à l'égard de ceux qui l'ont poursuivi en justice que dans les liens humains qu'il a tissés avec les geÎliers et les détenus.
Je suis fier de cette interview. Mais j'ai un regret : en essayant d'injecter un peu d'humour dans une interview par ailleurs sérieuse, j'ai posé une question sur le film de Nicholas Cage "Lord of war" [Seigneur de guerre], sorti en 2007, vaguement inspiré de la vie de Viktor Bout.
C'est alors que Viktor Bout m'a expliqué le mal que ce film a provoqué dans sa vie. Nicholas Cage est une superstar au talent rare, et le fait qu'il vous incarne dans un film signifie que son interprétation du personnage vous définira aux yeux de tous ceux qui auront vu le film.
C'est une réalité dont l'accusation a pleinement profité. Viktor Bout ne se battait pas seulement contre les accusations forgées de toutes piÚces par la DEA, mais aussi contre le récit hollywoodien auquel Nicholas Cage avait donné vie dans ce film.
Si quelqu'un cherchait Ă influencer un jury, montrer ce film au public n'aurait pas pu faire mieux.
Nicholas Cage, sans le vouloir, a aidé à condamner Viktor Bout.
Quatorze ans et neuf mois.
Et j'Ă©tais lĂ , Ă soulever la question pour rire.
Quatorze ans et neuf mois.
Mais Viktor, qui a la classe qu'on lui connaßt, a pris ma question à bras-le-corps, me faisant savoir ce que le film lui avait fait subir, mais répondant néanmoins à ma question avec le genre d'humour noir que seul celui qui avait vécu ce qu'il avait vécu pouvait raconter.
Je suis trÚs fier de cette interview, et je suis reconnaissant à Peter Emolin et Viktor Bout de l'avoir réalisée.
Il n'y a pas de moments "chat". Au contraire, en s'engageant dans une simple conversation, je pense que cette interview a davantage rĂ©vĂ©lĂ© la vĂ©ritable essence de Viktor Bout, et a contribuĂ© Ă le propulser sur le chemin de la rĂ©demption pour une vie qui, niĂ©e dans sa plĂ©nitude de quatorze ans et neuf mois, vaut toujours la peine d'ĂȘtre vĂ©cue, et devrait ĂȘtre cĂ©lĂ©brĂ©e par quiconque s'intĂ©resse Ă l'humanitĂ©.
Quatorze ans et neuf mois.
Souvenons-nous en.