👁🗨 Seymour Hersh : Des millions de gens ordinaires
Entraînez la nation dans divers désastres pour les travailleurs, et des triomphes sans fin pour l'élite des cols blancs, et vous obtenez la politique telle que nous la connaissons aujourd'hui.
👁🗨 Des millions de gens ordinaires
Une conversation sur la politique américaine d’aujourd'hui avec Thomas Frank
Par Seymour Hersh , le 19 juillet 2023
Déjeuner avec Tom Frank est une expérience totalement américaine. Il est fier d'être originaire du Kansas, mais il est loin d'être un campagnard : il a obtenu son doctorat à l'université de Chicago, et a écrit une série de livres marquants. Il aime les gens, la cuisine, et dire les choses telles qu'elles sont. Il taquine le serveur, parle d'une salade équilibrée, puis commande un sandwich bien garni qu'il engloutit en disséquant le monde politique américain, de plus en plus fou. Ce n'est pas seulement un homme brillant, sans prétention et très amusant qui a choisi de s'intéresser à la politique américaine ; c'est un prophète politique qui, il y a vingt ans, a compris ce que d'autres n’étaient pas à même d’entrevoir, et a publié What's the Matter with Kansas, un best-seller qui expliquait comment et pourquoi la classe ouvrière du Kansas, autrefois radicalement progressiste, s'est de plus en plus rapprochée de la droite au cours de ces dernières années. Il s'agissait d'un livre profond, annonçant en grande partie nos problèmes politiques actuels.
En 2016, Frank, au doux visage, s'est attaqué au cœur de l'establishment démocrate dans Listen, Liberal, compte rendu dévastateur des échecs du parti. En 2020, il a élargi son propos pour raconter l'histoire du populisme aux États-Unis, et son incapacité à se saisir des institutions du pays, sous la forme d'une critique de ses ennemis, dans The People, No : A Brief History of Anti-Populism [Le peuple, non : brève histoire de l'anti-populisme].
Son message est plus pertinent que jamais, alors que le monde et nous-mêmes sommes confrontés à un avenir immédiat des plus incertains. Nous avons discuté de ce sujet au cours d'un déjeuner il y a quelques semaines, et il a accepté de répondre à mes questions dans une version éditée que je vous présente ici.
Seymour Hersh : Comment sommes nous parvenus à la ligne de fracture politique qui nous a valu un Donald Trump ? Quand tout cela a-t-il commencé ?
Thomas Frank : J'ai parfois l'impression que c'est l'histoire de ma vie, car tout a commencé peu après ma naissance en 1965, pendant l'ère Viêt Nam. En l'espace de quelques années, les guerres culturelles ont éclaté, et l'ancien consensus libéral a été balayé. Il est important de rappeler deux faits : tout d'abord, chaque lutte culturelle nous a été présentée au fil des ans comme une sorte de substitut de la guerre des classes, comme un soulèvement des gens ordinaires, avec leurs humbles valeurs, contre l'élite cultivée.
L'autre fait est qu'au moment où les républicains perfectionnaient la formule de la guerre culturelle, les démocrates faisaient savoir qu'ils ne voulaient plus être le parti des "cols bleus". Ils l'ont dit plus ou moins ouvertement au début des années 1970. Ils envisageaient un électorat plus idéaliste et plus noble, incarné par les jeunes issus des campus universitaires, et par l'élite éclairée des cols blancs. En d'autres termes, les démocrates abandonnaient l'ancien programme de la classe ouvrière au moment même où les républicains de Nixon cherchaient à toucher ces électeurs.
Mettez ces deux stratégies en œuvre pendant cinquante ans, avec de légers changements évolutifs, entraînez la nation dans divers désastres pour les travailleurs et des triomphes sans fin pour l'élite des cols blancs, et vous obtenez la politique telle que nous la connaissons aujourd'hui.
SH : Et pourquoi se poursuit-elle, malgré la catastrophe constitutionnelle du 6 janvier 2021 ?
TF : Si la question est de savoir pourquoi le public ne se préoccupe pas davantage de cet effroyable événement, je ne connais pas vraiment la réponse. Je suis étonné que Donald Trump, en tant qu'homme politique , soit encore debout après toutes les blessures qu'il s'est infligées à lui-même, et qu'il a infligées au monde. Je soupçonne le public de ne pas s'en soucier davantage, parce qu'il a appris à se méfier des médias, et que le battage médiatique autour du 6 janvier ressemble beaucoup à celui du Russiagate, précédemment. Voilà ce qui se passe quand on crie au loup, et que fait-on ensuite quand le vrai loup apparaît ?
Mais la question plus large - pourquoi la politique chamboulée de ces 50 dernières années se poursuit-elle - est assez facile à résoudre. Elle se poursuit parce qu'elle fonctionne bien pour les deux camps. Les démocrates vivent désormais dans un monde où ils incarnent des superstars morales, des personnes d'une bonté incroyablement exaltée. Les médias sont alignés sur eux comme jamais auparavant, comme les secteurs de la connaissance les plus puissants, le monde universitaire et l'establishment de la sécurité nationale. Il en va de même, et toujours plus, pour les milieux aisés et instruits de ce pays. Les démocrates sont désormais fréquemment en concurrence avec les républicains en termes de collecte de fonds, dépassant parfois le GOP et dépensant davantage, un phénomène nouveau et grisant à leurs yeux.
Et tant pis s'ils ne sont plus le parti clairement dominant, comme ils l'ont été de 1930 à 1994 environ. Et tant pis si leurs grandes victoires sont remportées avec une marge infime. Toutes ces flatteries constantes, toutes ces contributions, tout cet argent, tout cela leur fait du bien.
Les républicains, quant à eux, se sentent également à l'aise dans leur position, avec leurs interminables griefs moraux envers la culture et la société américaines modernes. Ils n'ont pas non plus perdu tous leurs grands bailleurs de fonds, malgré les frasques de Trump, et en 2016, ils ont su gagner une élection présidentielle dans un pays où de nombreux penseurs politiques étaient d'avis que le GOP allait bientôt disparaître en raison de l'évolution démographique.
Et derrière tout cela, l'économie garde le même cap que depuis la fin des années 1970. De plus en plus d'inégalités, le paradis sur terre pour les riches et les personnes hautement qualifiées, le démantèlement de pratiquement toutes les zones autres que les hauts lieux de la classe créative, et c’est maintenant l'espérance de vie des Américains elle-même qui s'inverse. Il s'agit d'une recette de la décomposition sociale, pas d'une politique saine.
SH : Un Trump ou quelqu'un comme lui était-il inévitable ? D'autres candidats semblent reproduire son style à divers degrés dans la campagne de 2024.
TF : Tout d'abord, il faut considérer ce qui différencie le trumpisme du jeu de guerre culturelle auquel les Républicains se livrent depuis des décennies. Il s'agit en partie de sa vulgarité exacerbée, de son sectarisme outrancier, de son mépris flamboyant pour les initiés, de son hyper-virilité absurde, mais ces éléments étaient déjà présents auparavant, dans une moindre mesure. Ce qui distingue vraiment le trumpisme, c'est qu'il a repris certaines des positions libérales traditionnelles - sur le commerce et la guerre, par exemple - pour rendre son appel aux électeurs blancs de la classe ouvrière beaucoup, beaucoup plus convaincant.
Le succès de Trump a été rendu possible par la trahison de ces mêmes électeurs par les démocrates. Chaque fois qu'un démocrate s'est présenté devant un public d'ouvriers industriels, et leur a dit qu'ils fallait qu'ils obtiennent un diplôme universitaire ou qu'ils apprennent à coder, le résultat a été catastrophique. Et bien que Biden ait travaillé dur pour repositionner les Démocrates avec son personnage de “c’est moi Joe de la classe moyenne”, je doute que cela suffise. Donc, oui, le trumpisme va perdurer. On le verra de plus en plus dans les années à venir. L'ancien parti républicain n'est pas prêt de se réincarner.
SH : À quel candidat, ou quel président, dans l'histoire récente, incombe la plus grande responsabilité de ce virage ?
TF : Je pense que Bill Clinton a été la figure centrale de notre époque. Avant son arrivée, les réformes du reaganisme fondées sur le marché étaient controversées ; après Clinton, elles ont fait l'objet d'un consensus. Clinton était le chef de file du groupe qui promettait de mettre fin à la politique rooseveltienne à l'ancienne des démocrates, espérant faire des démocrates un parti de gagnants en col blanc, et il a effectivement réussi ce changement. Il a mené à bien le programme de Reagan d'une manière dont les républicains n'auraient pas pu rêver : signature d'accords commerciaux, déréglementation de Wall Street, budget en équilibre, projet de loi sur la criminalité de 1994, réforme de la protection sociale. Il a également failli obtenir la privatisation partielle de la sécurité sociale. Il s'en est fallu de peu.
Il a remodelé notre parti de gauche (tel qu'il est aujourd’hui) pour qu'il ne soit plus vraiment identifié au sort économique des travailleurs. Au lieu de cela, il était question des gagnants de la classe professionnelle à haut niveau d'éducation, des personnes dont le parti démocrate clintonisé considérait désormais la bonne fortune comme le reflet de leur mérite. Le parti démocrate pouvait désormais s'adresser à Wall Street, à la Silicon Valley, etc.
Bien qu'il y ait eu des signes avant-coureurs de ce changement avant Clinton, c'est lui qui l'a réalisé, et le succès qu’on lui a attribué en tant que président l'a pérennisé. C'était quelque chose de relativement nouveau pour un parti de gauche dans le monde industrialisé, et cette stratégie a été rapidement adoptée par d'autres partis de gauche dans d'autres pays, notamment le "New Labour" au Royaume-Uni.
Malheureusement, cette stratégie n'a pas grand-chose à offrir aux électeurs du Parti démocrate, si ce n'est des reproches. Elle présuppose simplement qu'ils n'ont, comme le disait l'adage des années 90, nulle part où aller.
SH : N'y a-t-il pas de courbe de progression politique ?
TF : Ecoutez, j'écris sur ces sujets depuis le début des années 2000, sans grand effet. Tout le monde sait que les Républicains utilisent une rhétorique ouvriériste, et que les Démocrates s'identifient à l'élite professionnelle des cols blancs. Il est peut-être déplaisant d'envisager ces choses, mais elles sont indéniablement vraies. Les preuves sont nombreuses, et accablantes.
De tels arguments sont sans effet, car la politique n'est pas un apprentissage livresque. C'est la confrontation entre de grandes forces, c'est l'industrie et le travail, ce sont les personnalités et les mouvements sociaux, et c'est l'argent, bien sûr. Sans vouloir être trop pessimiste, j'ai parfois l'impression que les seules leçons retenues de nos jours sont celles qui flattent les puissants acteurs impliqués. C'est un problème structurel de notre politique, et on ne peut pas vraiment blâmer les responsables politiques eux-mêmes. Ce sont de braves gens ! De braves gens qui flottent agréablement sur un fleuve chargé d'histoire dont ils ne saisissent pas les courants, et qu'ils refusent de comprendre.
SH : Un troisième parti viable pourrait constituer un correctif, même s'il n'obtient pas de bons résultats au début. Pourquoi n'a-t-il pas émergé ?
TF : Permettez-moi de dire d'emblée que j'aimerais que nous ayons un système politique plus fluide et plus réactif, un système qui permette l'émergence de partis tiers. Disposer d'une option autre que les Républicains et les Démocrates serait fantastique dans la situation actuelle. Cela permettrait notamment de ramener les deux principaux partis à la raison.
Cependant, il n'y a pas eu de troisième parti national réellement compétitif depuis les Populistes des années 1890. Les Populistes, un parti de gauche composé d'agriculteurs et d'ouvriers, ont effrayé l'establishment de l'époque et, par la suite, toutes sortes de mesures ont été prises pour s'assurer qu'une telle chose ne se reproduise plus jamais. Il existe donc aujourd'hui toutes sortes d'obstacles structurels à la création d'un troisième parti, comme les lois contre le vote de report de voix. Oui, nous avons vu des partis tiers au niveau des États et des individus se présenter à l'élection présidentielle, comme Ross Perot, ou Ralph Nader. Mais la création d'un véritable troisième parti est en fait impossible aujourd'hui. Et je dis cela en tant que personne extrêmement attachée aux populistes des années 1890. (Construire un mouvement social est différent. C'est tout à fait possible).
Cela signifie que les réformateurs en herbe devraient probablement viser le contrôle de l'un des deux partis duopoles. D'autres l'ont déjà fait. Depuis 1970, le Parti démocrate a connu changement après changement, toujours dans la direction de l'élite en col blanc. Les Républicains ont connu un tremblement de terre avec Trump. Donc c'est possible.
SH : La dégradation politique peut-elle être stoppée ?
TF : Dans mon dernier livre, j'ai parlé des deux visions concurrentes de la réforme progressiste. La première correspond au modèle habituel du professionnalisme : il s'agit de confier des responsabilités à un groupe de personnes très intelligentes et de leur demander de tout régler. C'est le modèle de l'administration Obama, et de Clinton avant lui, et du Pentagone de McNamara encore avant, et ainsi de suite en remontant jusqu'aux années 50. Ce modèle pose toutes sortes de problèmes. Par exemple, il part du postulat que ces personnes très intelligentes ne possèdent pas d'intérêts ou de préjugés propres, et qu'elles agiront toujours au nom de la population. C'est faux en théorie, et je pense que nous pouvons maintenant affirmer avec certitude que ce modèle a également échoué dans la pratique. Lorsqu'elle a été confrontée aux grands défis de la crise financière mondiale - un stade où l'opportunité de changement est maximale - cette stratégie n’a abouti aucune réforme audacieuse ou créative, mais plutôt à une multitude de sauvetages et de renflouements pour les amis bien connectés des professionnels en charge du dossier. Sa grande aspiration était le statu quo.
Comparez cela à la manière dont Franklin Roosevelt a relevé le défi similaire de la Grande Dépression. Un tourbillon d'activités. Une réforme complète du secteur bancaire, sans parler de tous les autres secteurs d'activité. Réglementation. Sécurité sociale. Travaux publics. Antitrust. Préservation des sols, pour l'amour du ciel. Et ainsi de suite. FDR ne se souciait pas de savoir si ses anciens camarades de classe le haïssaient ou pas.
Quelle est la différence entre les deux épisodes ? Est-ce simplement qu'une crise était plus grave que l'autre ? Est-ce le génie personnel de Roosevelt ? C'est possible, mais il existait à cette époque une conception différente de la réforme, qui reposait sur l'importance des mouvements sociaux de masse.
Ce que je veux dire, c'est ceci : tous les grands moments historiques de réformes progressistes sont dus à de grands mouvements sociaux, qui ont mobilisé des millions de personnes ordinaires, et pas seulement les professionnels de Washington. Je pense au mouvement des agriculteurs des années 1890, au mouvement ouvrier des années 1930, au mouvement des droits civiques et au mouvement anti-guerre des années 1960. Les mouvements sociaux aboutissent. Ils construisent et modifient le climat intellectuel, puis, lorsque la crise survient, ils réalisent des choses telles que la réforme agraire, le New Deal ou les lois sur les droits civiques des années 1960.
Nous avons besoin de ce type de mobilisation de masse aujourd'hui. Et nous en avons vu les prémices. Black Lives Matter a d'abord eu l’air de pouvoir devenir un tel mouvement. Et voyez l'organisation syndicale, et les grèves qui ont lieu aujourd'hui. Il est tout à fait possible d'imaginer une sorte de mouvement social de masse qui rassemble les gens ordinaires derrière une vision plus large de la réforme économique.
Mais je ferais mieux de m'arrêter avant de dire quelque chose d'optimiste et d'embarrassant.
SH : Les médias et leur défaut d'investigation sont-ils également en cause ?
TF : Oui, mais c'est un vaste sujet en soi. La seule chose que je dirai à ce sujet est que, tandis que les journaux s'étiolent et disparaissent dans toute l'Amérique, la poignée d'organismes d'information qui ont survécu se ressemblent de plus en plus, avec le même type de personnel bien diplômé qui voit tout de la même manière. Naturellement, ils se lisent comme de la propagande. Toute l'histoire de la transformation de la classe professionnelle au sein du parti démocrate, par exemple, est considérée comme parfaitement correcte et salutaire. Au lieu d'examiner en quoi cela a pu être une erreur, ils contrôlent avec enthousiasme les opinions erronées sur les événements nationaux. Et ce, alors même que de vastes régions d'Amérique ne bénéficient pratiquement plus d'aucune couverture médiatique. C'est un sentiment étrange que d'être dans un endroit comme Kansas City, où l'on peut consulter Twitter et lire tout ce qui agite les médias à Washington, les voir essayer de mettre les autres en difficulté pour avoir dit la mauvaise chose, mais où l'on rencontre en même temps d'énormes difficultés quand on essaie de découvrir ce qui se passe réellement dans la ville où l'on vit. Ce que je décris n'est rien d'autre pour moi qu'une recette entraînant déception, méfiance, et effondrement.
SH : Peut-on espérer une réponse sérieuse à la crise climatique ? Ou une réduction du budget militaire américain et de nos 750 bases militaires à l'étranger ?
TF : Oui, bien sûr. Nous avons déjà fait face à des désastres environnementaux, à une échelle beaucoup plus réduite, et nos efforts sur ce front ont été appréciés et couronnés de succès. Je pense ici au Dust Bowl [une série de tempêtes de poussière provoquant une catastrophe écologique et agricole dans les années 1930, en particulier dans une région à cheval sur l'Oklahoma, le Kansas et le Texas]. Par ailleurs, que nous soyons un empire dérange beaucoup d'Américains, compte tenu de nos aspirations démocratiques.
Mais il ne suffit pas d'avoir "raison" sur ces questions. Compter sur les experts pour y remédier est une folie plus grande encore. Vous attendrez des années que nos dirigeants éclairés à Washington décident d'eux-mêmes que l'impérialisme est une mauvaise idée, mais je suis au regret de vous dire qu'ils vous décevront à chaque fois. Ils se plaisent à être un empire. Ils ne sont pas non plus très préoccupés par le changement climatique, sauf dans la mesure où ils peuvent l'utiliser comme une arme contre ces maudits Républicains.
Je suis convaincu, sur ces questions comme sur presque tout le reste, que la seule façon de procéder est de repartir de la base. Il nous faut un mouvement qui réoriente le parti démocrate vers le peuple. Le modèle du sommet vers la base n'aboutira à rien sur ces questions. Elles requièrent la participation massive des gens ordinaires. Sans cela, je crains que rien ne soit possible.
SH : Vous avez fait un travail remarquable sur le système politique américain. Quel est votre prochain objectif ?
TF : Avant d'écrire sur la politique, je m'intéressais à la manière dont nos élites se présentent au monde. Aujourd'hui, je reviens à ce sujet et j'étudie l'histoire des termes "créativité" et "innovation". Ce sont quelques-uns des mots les plus nobles de la langue anglaise, et pourtant, on constate qu'ils sont utilisés encore et encore pour rationaliser toutes sortes de choses horribles. Par exemple, l'élite professionnelle en col blanc nous dit qu'elle est aux commandes parce qu'elle est "créative". Ils constituent même la "classe créative".
Les industries utilisent également ce langage, parlant d'"innovation" pour déguiser ou camoufler les pratiques douteuses qui sont les leurs. Les grandes sociétés pharmaceutiques sont bien connues pour leurs agissements, mais le groupe qui m'intrigue le plus ces temps-ci est celui des entreprises du secteur de la Défense. Ils parlent toujours de leur capacité d'innovation. Ils construisent les armes les plus chères que le monde ait jamais vues. Je veux dire, inutilement chères. Est-ce là le sens du mot "innovation" ?
C'est ce que j'essaie de comprendre.