👁🗨 Seymour Hersh : Les pièces manquantes du Russiagate
Durham n'est peut-être pas la bonne personne à un poste qui n'était pas le bon. Il n'a pas vraiment les épaules sur lesquelles se reposer lorsque l'on enquête sur des collègues à Washington.
👁🗨 Les pièces manquantes du Russiagate
Qu'est-ce qui n'a pas été dit dans le rapport Durham ?
Par Seymour Harsh, le 1er juin 2023
il n'a pas vraiment les épaules sur lesquelles se reposer lorsque l'on enquête sur des collègues à Washington.
La première chose à comprendre à propos de John Durham est qu'il était un procureur intrépide qui s'attaquait au crime organisé, et mettait en prison des agents du FBI à la retraite ou en activité qui protégeaient la mafia contre de l'argent ou d'autres avantages. L'un des agents qu'il a arrêtés avait permis à James "Whitey" Bulger Jr. de devenir l'un des hommes les plus recherchés d'Amérique, le chef du gang de Winter Hill, qui a échappé à l'arrestation pendant seize ans.
Au cours des quarante-cinq années à officier en tant que procureur fédéral et d'État dans le Connecticut et en Virginie, Durham a souvent travaillé en étroite collaboration avec des agents du FBI, en particulier sur des affaires impliquant des violations des lois fédérales sur le racket.
M. Durham a également mené deux enquêtes sur les agissements de la CIA dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, et il l'a fait sans froisser ses supérieurs au sein du pouvoir exécutif. Dans un cas, il lui a été demandé d'enquêter sur la destruction présumée de cassettes vidéo de la CIA sur les interrogatoires de détenus, les fameuses "cassettes de torture". Son rapport final sur l'affaire reste secret, et il a recommandé qu'aucune charge ne soit retenue. Il a ensuite été chargé de diriger une enquête du ministère de la justice sur la légalité des "techniques d'interrogatoire renforcées" de la CIA, qui ont entraîné la mort de deux détenus. Dans cette affaire, on lui a dit que les officiers qui avaient reçu et obéi à des ordres jugés illégaux - il y en a eu beaucoup après le 11 septembre - ne pouvaient pas être poursuivis. Aucune charge n'a été retenue.
Le rapport de 306 pages de Durham a été rendu public le 15 mai, et il n'a satisfait personne en se focalisant sur l'évidence. La journaliste Susan Schmidt, dont la signature était incontournable lorsqu'elle était journaliste au Washington Post, a souligné sur Racket News que Durham avait déclaré que le FBI aurait moins entaché sa réputation s'il avait examiné les actions douteuses de la campagne Clinton en 2016 : les fédéraux "auraient au moins pu poser un regard critique sur les preuves bidons recueillies".
Schmidt a mis en évidence un point du rapport de Durham où il fait allusion à la véritable histoire : le Russiagate était une fraude initiée par la campagne Clinton, avec la complicité de journalistes politiques à Washington et de hauts fonctionnaires du FBI qui ont choisi de fermer les yeux. Durham écrit : "Fin juillet 2016, les agences de renseignement américaines ont pu prendre connaissance d'une analyse du renseignement russe alléguant que la candidate à la présidence des États-Unis Hillary Clinton avait approuvé un plan de campagne visant à provoquer un scandale contre le candidat à la présidence des États-Unis Donald Trump en le liant à Poutine et au piratage du Comité national démocrate par les Russes."
Il poursuit : "Ces renseignements - pris au pied de la lettre - étaient sans doute très pertinents et disculpatoires parce qu'ils pouvaient être lus dans un contexte plus complet, et en combinaison avec d'autres faits, pour suggérer que des documents tels que les rapports du dossier Steele et les allégations de l'Alfa Bank [...] participaient d'un effort politique de la part de l'État et de la communauté internationale visant à salir un adversaire politique, et à utiliser les ressources des agences fédérales chargées de l'application de la loi et du renseignement au service d'un objectif politique".
Durham poursuit en citant de nombreux exemples de déclarations publiques et de communications privées de membres de la campagne Clinton qui étaient "conformes à la teneur du prétendu plan". Il trouve des preuves qui suggèrent qu'"au moins certains responsables de la campagne cherchaient à obtenir des informations sur la réponse du FBI au piratage du DNC, ce qui pourrait être cohérent avec le prétendu plan, et constituer un moyen de le mettre en œuvre". Il ajoute que "le financement des rapports Steele et des allégations de l'Alfa Bank par le parti politique … apportent un soutien supplémentaire à la crédibilité des informations présentées dans les renseignements sur le plan Clinton".
Cependant, son rapport se concentre sur ceux qui avaient connaissance des informations sur le "plan Clinton" et sur le moment où ils en ont été informés, tandis que "le détail des informations sur le "plan Clinton"", "les faits qui ont accru la pertinence potentielle de ces informations pour" l'enquête de Durham, et les "efforts de son équipe pour vérifier ou réfuter les principales affirmations contenues dans ces informations" sont confinés dans une annexe classifiée.
Il devenait alors évident pour certains membres de l'équipe de M. Durham que la véritable question n'était pas de savoir si M. Trump avait ou non participé à des séances pipi dans une chambre d'hôtel à Moscou - l'une des allégations du dossier Steele qui a fait la une des journaux de Washington au lendemain de la victoire de M. Trump à l'élection de 2016. La question était de savoir si la campagne Clinton, en diffusant constamment de fausses accusations et de fausses données, avait passé les bornes.
On m'a signalé des tensions et des frustrations liées au manque d'intérêt initial de Durham, ou à sa réticence, à aller au-delà de son mandat d'enquête et à examiner de près la possibilité que certains hauts responsables du FBI aient ouvertement rejoint les rangs de la campagne Clinton, avec son roulement de tambour d'allégations fallacieuses, en raison, dans certains cas, d'une foi partagée en l'importance d'une victoire de Clinton lors de l'élection de l'automne. Un autre facteur, m'a-t-on dit, concernait le potentiel de promotion - même à des postes de haut niveau au ministère de la justice - dans une éventuelle administration Clinton.
Durham, et c'est tout à son honneur, a suivi les pistes qui lui étaient transmises, mais il les a laissées dans le secret - peut-être dans l'annexe classifiée ou totalement à l'écart. D'aucuns considéraient qu'il n'était mandaté que pour enquêter sur les lacunes du FBI en matière de gestion, et estimaient que le public avait besoin d'un compte-rendu complet des bavures du FBI. Il n'est pas certain que Durham, s'il avait décidé d'élargir les paramètres de son enquête pour y inclure les implications des renseignements sur la campagne Clinton, aurait été autorisé à le faire. Comme l'écrit Durham lui-même, "toute tentative de poursuites fondées sur les renseignements relatifs au plan Clinton se heurterait, selon toute vraisemblance, à des problèmes de classification insurmontables compte tenu de la nature extrêmement sensible des informations elles-mêmes".
Le problème avec Durham est peut-être qu'il n'était pas la bonne personne à un poste ce qui n'aurait jamais pu être le bon. Il s'est fait une réputation grâce à l'aide d'autres personnes au sein du FBI et du ministère de la justice. Ils lui ont fourni une grande partie des preuves qu'il a utilisées dans ses enquêtes sur la mafia - agents infiltrés, accès à l'information, écoutes téléphoniques et effectifs supplémentaires pour l'analyse et la surveillance. Il avait noué et entretenu des amitiés au fil des ans. Mais il n'a pas vraiment les épaules sur lesquelles se reposer lorsque l'on enquête sur des collègues à Washington.
Certains de ceux qui ont travaillé avec lui ne comprenaient pas clairement si Durham saisissait la facilité avec laquelle le FBI pouvait jouer avec la procédure FISA et obtenir ce qu'il voulait auprès de la cour spéciale, ni s'il comprenait à quel point les opérateurs sérieux de la communauté du renseignement se pensaient au-dessus des lois. Je n'oublierai jamais un déjeuner dans un restaurant chinois situé au bord de l'autoroute, à proximité du siège de la CIA, avec un groupe d'opérateurs clandestins du Moyen-Orient. Ils se moquaient de ce qu'ils décrivaient comme des tâcherons du FBI - c'était juste après le 11 septembre - et j'ai demandé en colère à l'un d'entre eux comment il pouvait se moquer du FBI alors qu'ils devaient tous travailler ensemble pour résoudre le crime. Sa réponse :
"Sy, le FBI ? Le FBI ? Ils attrapent les braqueurs de banque. Et nous volons des banques. Et la NSA ? Vous voulez que je travaille avec des types qui se baladent avec un rapporteur dans leur poche de chemise et qui sont toujours en train de vérifier que leurs chaussures sont bien marron ?".
En fin de compte, et c'est tout à l'honneur de Durham, il est resté sur ses positions et a dit ce qu'il pensait de ceux qui souhaitaient qu'il approfondisse son enquête sur les actions de la campagne Clinton dans cette note de bas de page :
"Pour être clair, ce service n'a pas retenu et ne retient pas comme étant illégale ou criminelle à quelque titre que ce soit l'existence potentielle d'un stratagème politique de campagne visant à diffuser des affirmations négatives sur son adversaire". Il a toutefois ajouté que si une campagne "fournissait sciemment de fausses informations au gouvernement", ce serait une autre affaire.
La question est de savoir comment faire la distinction entre les deux. Dans son incapacité - si c'est le bon mot - à obtenir toute l'histoire, Durham ressemble à l'un des aveugles de l'ancienne parabole hindoue sur un groupe d'aveugles inspectant un éléphant. Chacun des inspecteurs en décrit une petite partie. L'éléphant est la campagne visant à relier Trump à la Russie. La presse grand public, qui a repris le récit du Russiagate, discrédité par la suite, présente Trump comme une marionnette de Poutine, voire comme un agent double de Moscou remontant à l'ère soviétique. Quant à Durham, il se voit simplement comme le juriste à qui l'on a ordonné d'enquêter sur les lacunes du FBI en matière de gestion. Le public ne voit qu'une partie du décor.
Il faut en savoir plus.