👁🗨 Si Albanese est si proche de Biden, pourquoi Assange est-il toujours en prison ?
Si Assange franchit les portes de Belmarsh dans les bras de sa femme et de ses enfants, cela montrerait que nous valons bien une ou deux miettes arrachées à la table de l'imperium.
👁🗨 Si Albanese est si proche de Biden, pourquoi Assange est-il toujours en prison ?
Par Bob Carr, le 26 juillet 2023
Julian Assange en est à sa cinquième année d'incarcération à la prison britannique de Belmarsh. Si l'appel en cours échoue, il sera entravé et conduit dans un fourgon pénitentiaire avant de traverser l'Atlantique à bord d'un avion de la CIA pour un long procès. Il risque l'emprisonnement à vie dans une prison fédérale, peut-être dans l'Oklahoma.
En 2021, Anthony Albanese, alors chef de l'opposition, a déclaré : "Trop c'est trop. Je n'ai pas de sympathie pour nombre de ses actions, mais pour l'essentiel, je ne vois pas à quoi rime de le maintenir en prison".
En tant que premier ministre, M. Albanese a déclaré qu'il avait déjà fait connaître sa position à l'administration Biden. "Nous empruntons la voie diplomatique", a-t-il déclaré, "mais nous exprimons très clairement notre position sur le cas de M. Assange".
Nous pouvons donc supposer qu'à l'occasion de l'une de ses sept rencontres avec le président américain Joe Biden, il a évoqué le cas d'Assange, même en marge du Quad ou lors de l'un des deux sommets de l'OTAN. Ou peut-être à San Diego, lorsqu'ils ont lancé AUKUS, dans le cadre duquel l'Australie effectuera le plus grand transfert de richesses jamais réalisé en dehors de ce pays. Ces 368 milliards de dollars constituent une énorme subvention aux chantiers navals américains et au constructeur naval britannique BAE Systems, en proie à des difficultés et à des retards chroniques.
Mais il consolide la réputation de l'Australie en tant qu'allié délirant de loyauté et de crédulité totale des États-Unis. Il confère au président Biden une justification pour raconter aux républicains ou aux loyalistes de Clinton dans son propre parti qu'il n'avait pas d'autre choix que de mettre un terme à la poursuite d'Assange. "Ces Aussies ont insisté. Ils nous font toutes ces faveurs... nous ne pouvons pas dire non". [Aussie : terme populaire australienne pour désigner les Australiens].
Outre l'accord spectaculaire avec AUKUS, Joe Biden pourrait énumérer d'autres décisions du gouvernement Albanese faisant de l'Australie un bastion militaire au service de la domination des États-Unis sur le continent, tout en affaiblissant matériellement notre propre sécurité.
Des paroles candides, qui ne sont pas les miennes, mais celles de Sam Roggeveen, de l'Institut Lowy, sont dans l'édition de ce mois-ci d’Australian Foreign Affairs. Dans une analyse d'une importance capitale, M. Roggeveen a inscrit sur cette liste la décision de l'Australie d'assurer l'entretien complet de six bombardiers américains B52 à RAAF Tindal, dans les Territoires du Nord. On suppose que ces bombardiers visent les infrastructures nucléaires de la Chine, telles que les silos de missiles. "Il est difficile d'exagérer le degré de sensibilité qu'implique la menace des forces nucléaires d'un autre pays", écrit M. Roggeveen.
Dans son article, il nous rappelle que nous avons également accepté d'accueillir quatre sous-marins nucléaires américains sur notre côte ouest, dans le cadre d'un projet baptisé "Submarine Rotational Force-West". Leur mission consisterait à détruire les navires de guerre chinois ou à mettre en place un blocus des ports chinois.
La base sous-marine de la côte est, prévue très probablement à Port Kembla, et soutiendra également directement les opérations militaires américaines. Elle constituera une autre cible nucléaire. Comme le dit Roggeveen, tous ces sites soulignent le rôle de l'Australie aux yeux des planificateurs militaires chinois qui préparent leur réponse en cas de conflit avec les États-Unis.
Dans ce contexte, je ne peux pas croire que le président américain ne soit pas en passe de donner son aval à la requête du Premier ministre d'abandonner les poursuites à l'encontre d'Assange.
Outre des faveurs stratégiques colossales, deux faits marquants plaident en faveur de notre cause. D'une part, l'ancien président américain Barack Obama a commué la peine de Chelsea Manning, qui avait fourni à Assange les informations qu'il a publiées. La Yankee est libre, l'Australien toujours en détention.
Deuxièmement, les crimes dénoncés par Manning et Assange impliquaient des troupes américaines à bord d'un hélicoptère abattant des civils non armés à Bagdad. Ils sont parfaitement comparables aux meurtres présumés commis par des Australiens sur le champ de bataille en Afghanistan, qui font actuellement l'objet de poursuites.
Un premier refus de M. Biden n'est qu'une invite à reposer la question, plus fermement cette fois.
On peut très bien imaginer un Premier ministre australien - Fraser, Hawke, Keating, Howard ou Rudd - faire preuve de la fermeté nécessaire face à un président américain. Il y aurait alors un tournant dans leur échange - de Premier ministre à président - lorsque ledit Australien dirait, entre quatre yeux : "Monsieur le Président, les choses n'ont que trop duré. Nos deux camps politiques sont unis. Votre ancien patron a commué Chelsea Manning, une Américaine, dans la même affaire."
Pause. Temps mort. Puis la conclusion décisive. "Monsieur le Président, je parle au nom de l'Australie."
Cela compte, forcément.
Je ne crois pas que le président puisse secouer la tête et dire "non", compte tenu de tout ce que nous avons accordé - la forte symbolique des B52, des sous-marins nucléaires et des bases sur les côtes est et ouest. Ou alors nous nous rabaisserions au rôle de simple territoire américain, au même titre que Guam ou Porto Rico, comme une véritable colonie.
Le contre-espionnage américain a admis, au cours de la procédure judiciaire, qu'il lui était impossible de prouver qu'une vie avait été impacté par les révélations d'Assange. Notre ministère de la défense est du même avis.
Si Assange franchit les portes de Belmarsh dans les bras de sa femme et de ses enfants, cela montrerait que nous valons bien une ou deux miettes arrachées à la table de l'imperium. En revanche, s'il part en fourgon à l'aéroport revient à faire de nous une cible potentielle, sans nous conférer la moindre reconnaissance. Nous sommes un État client, presque officiellement.
* Bob Carr est ex-ministre des affaires étrangères de l'Australie, et le premier ministre de la Nouvelle-Galles du Sud resté le plus longtemps en fonction.