đâđš Si Joe Biden veut vraiment cĂ©lĂ©brer la libertĂ© de la presse, qu'il libĂšre Julian Assange
Joe Biden va cĂ©lĂ©brer la JournĂ©e mondiale de la libertĂ© de la presse. Mais gageons qu'il n'aura rien Ă dire sur Julian Assange ou Imran Khan, tous deux dĂ©tenus pour avoir dĂ©fiĂ© les Ătats-Unis.
đâđš Si Joe Biden veut vraiment cĂ©lĂ©brer la libertĂ© de la presse, qu'il libĂšre Julian Assange
Par Charles Glass, le 2 mai 2024
L'éloquence du président Joe Biden, pour autant qu'elle existe, atteint son paroxysme lorsqu'il entonne des alléluias à la presse libre.
âDes journalistes courageux du monde entier ont montrĂ© Ă maintes reprises qu'ils ne se laisseraient pas rĂ©duire au silence ou intimiderâ, a-t-il proclamĂ© l'annĂ©e derniĂšre Ă l'occasion de la JournĂ©e mondiale de la libertĂ© de la presse. âLes Ătats-Unis les entendent et se tiennent Ă leurs cĂŽtĂ©sâ.
Il a repris ce thĂšme la semaine derniĂšre lors du dĂźner de l'Association des correspondants de la Maison Blanche :
âCertains vous qualifient d'ennemi du peuple. C'est faux et c'est dangereux. Vous risquez littĂ©ralement votre vie en faisant votre travailâ.
Les correspondants prĂ©sents, bien qu'ils ne courent eux-mĂȘmes pas vraiment de risque plus grand que de traverser Pennsylvania Avenue pour remanier les documents de la secrĂ©taire de presse Karine Jean-Pierre, ont applaudi leur vaillant dĂ©fenseur.
L'engagement de l'administration en faveur de la libertĂ© de la presse n'a d'Ă©gal que son dĂ©vouement Ă la dĂ©mocratie au-delĂ des frontiĂšres amĂ©ricaines. Le public n'a pas besoin d'attendre le 15 septembre - JournĂ©e internationale de la dĂ©mocratie - pour que le dĂ©partement d'Ătat soutienne des Ă©lections Ă©quitables au Pakistan, par exemple. Donald Lu, secrĂ©taire d'Ătat adjoint chargĂ© des affaires de l'Asie centrale et du Sud, a fait part de son inquiĂ©tude quant Ă l'intĂ©gritĂ© des Ă©lections pakistanaises lors de sa dĂ©position devant une sous-commission de la Chambre des reprĂ©sentants le 20 mars dernier. Faisant rĂ©fĂ©rence aux rĂ©sultats contestĂ©s de fĂ©vrier, il a dĂ©clarĂ© : âNous n'avons jamais utilisĂ© l'expression âlibre et Ă©quitableâ pour qualifier cette Ă©lectionâ. M. Lu a mentionnĂ©, entre autres Ă©carts vis-Ă -vis des normes dĂ©mocratiques, âles arrestations massives de membres de l'opposition, la censure d'internet, ainsi que la censure et les pressions exercĂ©es sur les journalistesâ.
Pour les journalistes du monde entier et les électeurs pakistanais, le message est clair : l'Amérique vous soutient. Les actions américaines, cependant, envoient un message en contradiction avec la rhétorique de Biden et de Lu : ne vous frottez pas à l'oncle Sam. Ceux qui s'y risquent finiront comme Julian Assange dans la prison de haute sécurité de Belmarsh à Londres, et Imran Khan dans la prison d'Adiala à Rawalpindi.
Adiala et Belmarsh sont des centres de dĂ©tention modernes, Ă la pointe de la technologie, qui abritent des meurtriers, des barons de la drogue et des terroristes. Pourtant, Assange et Khan n'ont tuĂ© personne, n'ont jamais vendu de drogue, n'ont pas posĂ© de bombes. Ils ont indignĂ© Washington de façon diffĂ©rente, mais ils en paient tous deux le prix fort. Assange a rĂ©vĂ©lĂ© les sombres secrets de l'AmĂ©rique. Khan a dĂ©fendu la souverainetĂ© de son pays contre la tutelle amĂ©ricaine. Tous deux ont Ă©tĂ© mis hors d'Ă©tat de nuire : Assange ne publie plus de documents exposant les crimes de guerre amĂ©ricains, et Khan a cessĂ© d'ĂȘtre le Premier ministre qui a affirmĂ© la neutralitĂ© de son pays dans l'impasse amĂ©ricano-russe. Ce sont des cas d'Ă©cole sur la maniĂšre d'Ă©liminer les critiques gĂȘnantes et de dĂ©courager les autres de suivre leur exemple.
Les similitudes dans le traitement d'Assange et de Khan sont rĂ©vĂ©latrices. Tout d'abord, leurs sanctions ont Ă©tĂ© sĂ©lectives - d'autres ayant agi comme eux n'ont pas Ă©tĂ© inquiĂ©tĂ©s. Le ministĂšre de la Justice poursuit Assange pour avoir publiĂ© des documents gouvernementaux classifiĂ©s, mais n'a inculpĂ© personne d'autre - notamment le New York Times, le Washington Post et le Guardian de Londres - qui ont commis les mĂȘmes dĂ©lits. En outre, il n'a pas inculpĂ© John Young, de Cryptome.org, pour avoir Ă©tĂ© le premier Ă publier des cĂąbles du dĂ©partement d'Ătat sans expurger les noms des sources dont la vie aurait pu ĂȘtre menacĂ©e. Lors de l'audience d'extradition de M. Assange Ă Londres, M. Young a dĂ©clarĂ©
qu'âaucune autoritĂ© amĂ©ricaine chargĂ©e de l'application de la loi ne m'a notifiĂ© que cette publication de cĂąbles Ă©tait illĂ©gale, consistait ou contribuait Ă un crime de quelque maniĂšre que ce soit, et n'a demandĂ© qu'ils soient retirĂ©sâ.
Dans le cas de M. Khan, les Ătats-Unis ont rĂ©agi promptement Ă l'abstention du Pakistan sur la rĂ©solution de l'AssemblĂ©e gĂ©nĂ©rale des Nations unies condamnant l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Le mĂȘme Donald Lu qui, cette annĂ©e, a critiquĂ© le trucage des Ă©lections pakistanaises a informĂ© l'ambassadeur du Pakistan, en avril 2022, que les choses allaient se compliquer si M. Khan restait au pouvoir. Bien que la Chine, l'Inde et le Bangladesh se soient Ă©galement abstenus, les Ătats-Unis manquaient de l'influence dont ils disposaient auprĂšs du Pakistan et de ses forces armĂ©es. Deux jours aprĂšs l'ultimatum de Lu, le parlement pakistanais, encouragĂ© par les forces armĂ©es, a dĂ©mis Khan de ses fonctions par un vote de dĂ©fiance.
Une fois Khan dĂ©mis de ses fonctions de Premier ministre, le Fonds monĂ©taire international (FMI) a approuvĂ© un prĂȘt de 3 milliards de dollars au nouveau gouvernement intĂ©rimaire du Pakistan, prĂȘt qui tardait auparavant Ă ĂȘtre accordĂ©. Le FMI a Ă©galement jouĂ© un rĂŽle dans la persĂ©cution d'Assange, en prĂȘtant 4,5 milliards de dollars Ă l'Ăquateur lorsque celui-ci a acceptĂ© d'expulser Assange de son asile dans l'ambassade de Londres.
Il ne fait aucun doute qu'Assange et Khan ont souffert de traumatismes physiques et psychologiques. La santĂ© d'Assange a tant pĂąti de l'isolement cellulaire que deux rapporteurs spĂ©ciaux des Nations unies sur la torture ont qualifiĂ© ce traitement de torture, traitement qui risque d'ĂȘtre aggravĂ© si la Grande-Bretagne l'extrade vers les Ătats-Unis oĂč il sera soumis Ă des conditions dâincarcĂ©ration plus dures encore. Les membres de la famille de Khan ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s et un assassin potentiel l'a blessĂ©. Khan a ensuite Ă©tĂ© jugĂ© dans des tribunaux oĂč ses tĂ©moins n'ont pas Ă©tĂ© autorisĂ©s Ă dĂ©poser. Les juges l'ont reconnu coupable d'avoir rĂ©vĂ©lĂ© un secret d'Ătat, d'avoir Ă©pousĂ© sa femme avant la pĂ©riode prescrite aprĂšs son divorce, et d'avoir conservĂ© des cadeaux qui auraient dĂ» devenir la propriĂ©tĂ© de l'Ătat. Khan a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă des peines cumulĂ©es de 10, 7 et 14 ans. Certains des juristes ont avouĂ© par la suite qu'ils avaient rendu leur verdict sous la pression de l'armĂ©e pakistanaise. Khan est ĂągĂ© de 71 ans. Pendant 70 ans, personne ne l'a accusĂ© d'un quelconque crime. Depuis sa destitution, le gouvernement pakistanais l'a accusĂ© de plus de 100 dĂ©lits.
Dans l'affaire Assange, les rĂšgles juridiques ont Ă©galement Ă©tĂ© bafouĂ©es. La jurisprudence britannique et amĂ©ricaine considĂšre que les discussions entre un avocat et son client sont confidentielles. Si l'accusation a accĂšs Ă ces communications privilĂ©giĂ©es, les tribunaux doivent dĂ©clarer l'annulation du procĂšs. Or, toute la correspondance d'Assange avec ses avocats a Ă©tĂ© saisie par une sociĂ©tĂ© de sĂ©curitĂ© privĂ©e, Undercover Global Plc, en coopĂ©ration avec la CIA. La sociĂ©tĂ© a enregistrĂ© ses entretiens avec ses avocats et, comme l'a dĂ©clarĂ© le directeur de la sociĂ©tĂ©, David Morales Guillen, a transmis les enregistrements Ă la CIA. Pour un accusĂ© lambda ayant droit Ă un procĂšs Ă©quitable, les poursuites devraient ĂȘtre abandonnĂ©es. Assange n'est pas un justiciable ordinaire, pas plus que Khan n'est un homme politique ordinaire. Les rĂšgles sont contournĂ©es, remaniĂ©es et bafouĂ©es pour maintenir les deux hommes en prison et les tenir Ă l'Ă©cart de leur mission.
La critique de Donald Lu sur la fraude Ă©lectorale pakistanaise a nĂ©gligĂ© un fait essentiel : un scrutin âlibre et Ă©quitableâ aurait donnĂ© au parti de Khan, le Pakistan Tehreek e-Insaf (PTI-Mouvement pour la justice), une majoritĂ© parlementaire et l'aurait reconduit au pouvoir. L'armĂ©e pakistanaise et les deux partis traditionnels du pays ont estimĂ© qu'il Ă©tait plus facile d'essuyer quelques critiques au sein d'une sous-commission de la Chambre des reprĂ©sentants que de rĂ©tablir dans ses fonctions un homme politique populaire que les Ătats-Unis haĂŻssent. Les Ătats-Unis n'ont pas sanctionnĂ© le Pakistan pour le trucage des Ă©lections.
La JournĂ©e mondiale de la libertĂ© de la presse sera de nouveau cĂ©lĂ©brĂ©e demain (3 mai). Joe Biden condamnera sans doute la Russie pour l'internement injuste du journaliste amĂ©ricain Evan Gershkovich, comme nous devrions tous le faire. Mais il est peu probable qu'il mentionne les journalistes arrĂȘtĂ©s au Pakistan pour avoir violĂ© l'injonction de l'armĂ©e de ne pas publier le nom d'Imran Khan. Et il est encore moins probable qu'il mentionne le nom du journaliste dont il pourrait ordonner la libĂ©ration en un clin d'Ćil, Julian Assange.
Je ne dĂ©fends pas Julian et Imran parce qu'ils sont mes amis. Ils sont mes amis parce qu'ils mĂ©ritent d'ĂȘtre dĂ©fendus.
https://www.thenation.com/article/world/world-press-freedom-biden-assange-khan/