đâđš Si la guerre dĂ©gĂ©nĂšre, les infrastructures occidentales deviendront-elles les nouvelles cibles ?
Les alliés occidentaux d'Israël pensent-ils sortir indemnes d'une guerre généralisée ? Comment croient-ils pouvoir armer une agression contre un pays tout en restant en sécurité dans leur capitale ?
đâđš Si la guerre dĂ©gĂ©nĂšre, les infrastructures occidentales deviendront-elles les nouvelles cibles ?
Par le correspondant militaire de The Cradle, le 28 juin 2024
L'assaut militaire brutal d'IsraĂ«l sur Gaza, en cours depuis neuf mois, bĂ©nĂ©ficie du soutien total de plusieurs Ătats alliĂ©s de l'Occident, non seulement en fournissant Ă la machine de guerre de l'armĂ©e d'occupation une large gamme d'armements et de munitions, mais aussi en participant directement Ă l'action militaire. Les Ătats-Unis et la Grande-Bretagne, par exemple, ont fourni des donnĂ©es de reconnaissance et de renseignement essentielles et ont envoyĂ© leurs forces spĂ©ciales pour aider IsraĂ«l dans ses opĂ©rations militaires.
Le 8 juin, le New York Times a rĂ©vĂ©lĂ© que les forces amĂ©ricaines avaient aidĂ© les IsraĂ©liens Ă rĂ©cupĂ©rer quatre prisonniers israĂ©liens dans le camp de rĂ©fugiĂ©s de Nuseirat Ă Gaza, tuant au moins 274 civils palestiniens et trois autres prisonniers, et faisant plus de 698 blessĂ©s. Selon les sources israĂ©liennes du journal, les Ătats-Unis et le Royaume-Uni ont fourni des renseignements aĂ©riens et du cyberespace qu'IsraĂ«l ne pouvait pas obtenir seul.
Le 29 mai, le média Declassified UK a rapporté que Londres avait autorisé le nombre sans précédent de 60 vols à destination d'Israël au moyen d'avions-cargos décollant de la base aérienne britannique RAF Akrotiri à Chypre, une installation clandestinement utilisée par l'armée de l'air américaine pour acheminer des armes à destination d'Israël.
Le gouvernement britannique n'a pas rĂ©vĂ©lĂ© le contenu du fret aĂ©rien transportĂ© et maintient qu'il ne contient aucun âsoutien lĂ©talâ. Londres affirme au contraire que les vols de la RAF vers l'Ătat d'occupation servent Ă soutenir son âengagement diplomatiqueâ avec Tel-Aviv et Ă rapatrier des sujets britanniques - Ă©trange recours Ă des avions militaires alors que l'aĂ©roport israĂ©lien Ben Gourion est toujours opĂ©rationnel pour le transport rĂ©gulier de passagers.
Londres a activement invoquĂ© sa D-Notice depuis le dĂ©but de la guerre, une directive militaire et sĂ©curitaire visant Ă empĂȘcher les mĂ©dias de publier des informations susceptibles de nuire Ă la sĂ©curitĂ© nationale, notamment en ce qui concerne les opĂ©rations des forces spĂ©ciales aĂ©roportĂ©es britanniques (SAS) dans la bande de Gaza. Aucune autre information n'a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e depuis la publication de la directive, le 28 octobre 2023.
Comment les services secrets occidentaux infiltrent l'Asie de l'Ouest
Mais tous ces efforts de dissimulation ont Ă©tĂ© mis Ă mal lors de l'opĂ©ration militaire disproportionnĂ©e menĂ©e par IsraĂ«l pour obtenir la libĂ©ration de prisonniers lors du rĂ©cent fiasco du camp de Nuseirat. Des vidĂ©os ont Ă©tĂ© diffusĂ©es montrant un hĂ©licoptĂšre israĂ©lien atterrissant Ă cĂŽtĂ© d'un âponton d'aide humanitaireâ amĂ©ricain Ă 320 millions de dollars rĂ©cemment amĂ©nagĂ©, ainsi que des âcamions d'aideâ transportant des Ă©quipes d'opĂ©rations spĂ©ciales encadrĂ©es par des vĂ©hicules blindĂ©s au cours de l'opĂ©ration.
Les médias ont ensuite rapporté que des dizaines de drones américains et britanniques avaient participé à l'assaut du camp de Nuseirat, apparemment en fournissant des services de reconnaissance à l'armée israélienne.
Ces incidents mettent en évidence non seulement la participation militaire directe de l'Occident à la guerre contre Gaza, mais aussi l'exploitation éhontée de la couverture diplomatique ou du travail humanitaire pour préparer et mener des actions militaires entraßnant des pertes civiles massives et des crimes de guerre, comme le décrivent de nombreuses institutions des Nations unies.
La question est maintenant de savoir si les installations et les troupes occidentales seront prises pour cible lorsque la guerre s'Ă©tendra, possiblement au Liban, Ă©tant donnĂ© la collusion Ă©vidente des Ătats occidentaux avec les agressions d'IsraĂ«l - en particulier celles qui constituent une violation flagrante des normes et du droit internationaux.
Bien que le recours aux ambassades et institutions civiles - au sens moderne du terme - comme bases pour la collecte de renseignements et le lancement de missions spéciales ne soit pas une pratique nouvelle et remonte au moins au dix-neuviÚme siÚcle, les développements actuels en matiÚre de technologie et d'informatique ont permis à ces installations de servir de centres de surveillance et d'écoute, de contrÎle et de stockage d'informations pour un pays entier.
Ce qui Ă©tait auparavant impossible est devenu rĂ©alitĂ© grĂące aux communications sans fil et Ă l'internet. Les renseignements obtenus auparavant par la mise en place de dispositifs d'Ă©coute peuvent dĂ©sormais ĂȘtre consultĂ©s Ă l'aide d'un smartphone ordinaire, et les donnĂ©es sont acheminĂ©es vers ces centres situĂ©s Ă l'intĂ©rieur d'Ătats souverains.
La deuxiÚme plus grande ambassade américaine au monde
Sur environ 174 000 mĂštres carrĂ©s, Ă quelque 13 kilomĂštres de la capitale libanaise, Beyrouth, se trouve la deuxiĂšme plus grande ambassade d'Asie occidentale - et du monde. La nouvelle ambassade des Ătats-Unis Ă Beyrouth n'est surpassĂ©e en taille que par son homologue de la âzone verteâ de Bagdad.
Si l'on ne tient pas compte de la taille imposante de l'ambassade et de son coût - prÚs d'un milliard de dollars - de nombreuses questions se posent quant à la nécessité de telles installations et à leur contenu.
Les images de synthÚse publiées par l'ambassade montrent un complexe comprenant des bùtiments de plusieurs étages avec de hautes baies vitrées, des espaces de divertissement, une piscine entourée de verdure et des vues sur la capitale libanaise. Selon le site web du projet, le complexe comprend des bureaux, des logements de fonction pour les employés, des équipements collectifs et des installations de soutien connexes.
En mai 2023, le site web Intelligence Online a rapporté que le complexe massif d'un milliard de dollars comprendra une installation de collecte de données, préparant le site à devenir le nouveau siÚge régional des services de renseignement américains. Le rapport indique qu'en raison de sa proximité avec la Syrie,
âle Liban est considĂ©rĂ© comme un endroit sĂ»r et stratĂ©gique pour le dĂ©ploiement des agents de renseignement dĂ©jĂ prĂ©sents dans la rĂ©gion ainsi que du nouveau personnel, sĂ©lectionnĂ© directement dans les agences basĂ©es Ă Washingtonâ.
Bien qu'il semble impossible d'obtenir des informations précises sur la conception de cette ambassade, les fouilles effectuées en sous-sol, l'utilisation de béton armé dans la structure et son emplacement sécurisé au sommet d'une colline suggÚrent que ses activités sont plus complexes, d'autant qu'il existe plusieurs précédents d'implication de la mission diplomatique américaine de Beyrouth dans les activités des services de renseignement.
L'attentat à la bombe de 1983 contre l'ambassade américaine a mis en évidence un lourd bilan pour la CIA : huit personnes ont été tuées, dont le principal analyste de la CIA pour l'Asie occidentale et le directeur pour le Proche-Orient, Robert Ames, le chef de station Kenneth Haass, James Lewis et la plupart des employés de la CIA à Beyrouth.
L'ambassade n'était pas seulement utilisée comme plaque tournante de la CIA, mais aussi comme une base de renseignement régionale essentielle en raison de la proximité du Liban avec la mer et avec deux bases britanniques de l'OTAN dans le sud de Chypre, Dhekelia et Akrotiri, à partir desquelles des renforts ou des transferts par hélicoptÚre peuvent arriver rapidement sur le sol libanais. Un exemple récent, en 2020, est le transfert clandestin par Washington de son agent Amer al-Fakhouri de l'ambassade américaine à bord d'un hélicoptÚre Osprey.
Miradors britanniques aux frontiĂšres du Liban
Le 3 mai, le Liban a annoncé la visite d'une délégation officielle et d'un haut responsable des services de renseignement britanniques le mois précédent, afin de négocier la construction de nouveaux miradors construits au Royaume-Uni. Ceux-ci s'ajoutent aux plus de trois douzaines de miradors construits par la Grande-Bretagne pendant la guerre syrienne le long de la frontiÚre sensible entre le Liban et la Syrie.
Selon des fuites rapportées par le journal libanais Al-Akhbar, la délégation britannique avait demandé à l'armée libanaise
âd'approuver un plan visant Ă installer des miradors le long de la frontiĂšre avec la Palestine occupĂ©e, semblables Ă ceux situĂ©s aux frontiĂšres orientale et septentrionale avec la Syrieâ.
à la suite de cette visite discrÚte, le Premier ministre intérimaire libanais, Najib Mikati, a déclaré :
âLa construction des miradors et toutes les mesures prises le long de la frontiĂšre sont les conditions posĂ©es par IsraĂ«l pour mettre fin Ă la guerre contre le Libanâ.
En fĂ©vrier dernier, le ministĂšre libanais des affaires Ă©trangĂšres a reçu une note officielle de protestation de la Syrie qualifiant les miradors britanniques de menace pour la sĂ©curitĂ© nationale syrienne Ă plusieurs niveaux. La principale menace concerne les Ă©quipements de renseignement et d'espionnage sensibles des tours, qui âbalayent le territoire syrien et collectent des informations sur la vie de la population syrienneâ.
Selon le rapport d'Al-Akhbar,
âles informations fournies par ces Ă©quipements parviennent aux Britanniques, et l'ennemi israĂ©lien en profite pour cibler le territoire syrien et mener des frappes Ă l'intĂ©rieur de la Syrieâ. Le mĂ©morandum syrien mentionne Ă©galement âla prĂ©sence dâofficiers britanniques dans les toursâ.
Les 38 miradors britanniques qui prĂ©tendent aider les autoritĂ©s libanaises Ă âlutter contre la contrebandeâ soulĂšvent de nombreuses questions, dont celle de savoir pourquoi un si grand nombre de ces structures ont Ă©tĂ© Ă©difiĂ©es. Pourquoi ces miradors contiennent-elles Ă©galement des Ă©quipements de surveillance thermique, d'Ă©coute, de renseignement et de communication, surtout si l'on tient compte des relations Ă©troites entre Tel-Aviv et Londres et de la prĂ©sence pĂ©riodique d'officiers britanniques dans ces tours sous prĂ©texte de former l'armĂ©e libanaise ?
Un commandant des Forces armées libanaises (FAL), longuement interviewé par The Cradle en août 2021, contredit les affirmations publiques de Londres au sujet des miradors, en déclarant que
âL'objectif des tours aujourd'hui est de surveiller les mouvements du Hezbollah et des Syriensâ.
Forces spéciales néerlandaises à Dahiyeh
En mars, le Hezbollah a fait prisonniers plusieurs militaires néerlandais opérant secrÚtement à Dahiyeh, la banlieue sud de Beyrouth, qui abrite plusieurs antennes de la Résistance libanaise. Les détenus, découverts avec du matériel militaire d'une valeur de plusieurs centaines de milliers de dollars sur eux et dans leurs véhicules, ont affirmé qu'ils opéraient sous le couvert de l'ambassade des Pays-Bas au Liban.
Au cours de l'enquĂȘte, les NĂ©erlandais ont affirmĂ© qu'ils Ă©taient entrĂ©s dans la banlieue sud dans le cadre d'un exercice d'Ă©vacuation de citoyens et de diplomates nĂ©erlandais en cas de guerre. Or, aucun ressortissant nĂ©erlandais de l'ambassade ne rĂ©sidait dans cette zone. Les militaires n'avaient pas non plus communiquĂ© leur mission au ministĂšre libanais des affaires Ă©trangĂšres, aux services de sĂ©curitĂ© libanais ou Ă l'ambassade de leur pays.
Le mĂȘme mois, un citoyen espagnol a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© pour avoir filmĂ© dans la mĂȘme banlieue sud de Beyrouth, avant de dĂ©couvrir plus tard qu'il possĂ©dait un passeport diplomatique, et que son tĂ©lĂ©phone contenait un logiciel avancĂ© qui bloquait l'accĂšs Ă ses donnĂ©es.
Ces événements et une myriade d'autres exemples montrent que certains gouvernements occidentaux utilisent en permanence des installations diplomatiques et civiles occidentales pour recueillir des renseignements ou mener des missions spéciales d'entraßnement dans le Liban souverain.
Ces actions constituent une violation flagrante de la Convention de Vienne sur les relations internationales et de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, qui proscrivent toute activitĂ© d'espionnage de la part de diplomates en poste dans les ambassades. Ces actions mettent en danger non seulement les populations civiles, mais aussi les milliers de diplomates professionnels prĂ©sents dans le pays, toutes les missions diplomatiques et les installations civiles utilisĂ©es comme couverture pour des opĂ©rations illĂ©gales. Elles impliquent Ă©galement des installations diplomatiques par ailleurs protĂ©gĂ©es dans le cadre juridique des âhostilitĂ©sâ, de maniĂšre intentionnelle ou accidentelle.
Ce danger se trouve aggravĂ© par les violations rĂ©pĂ©tĂ©es par IsraĂ«l des normes diplomatiques et internationales, qui sont soit ignorĂ©es, soit soutenues par les Ătats alliĂ©s occidentaux. Les frappes militaires israĂ©liennes sans prĂ©cĂ©dent contre le consulat d'Iran Ă Damas en avril, par exemple, n'ont pas Ă©tĂ© condamnĂ©es Ă leur juste mesure par la plupart des capitales occidentales, permettant ainsi d'Ă©viter un blĂąme du Conseil de sĂ©curitĂ© de l'ONU.
Ces attaques soutenues par l'Occident se retourneront trÚs probablement contre lui, entraßnant des représailles contre des installations et des ambassades occidentales, le tout dans le contexte de nouveaux précédents juridiques et de nouveaux usages qui n'interdisent plus les frappes sur des installations non militaires suspectes.
On ne sait pas encore à quel point les gouvernements occidentaux pensent maintenir leur politique de deux poids deux mesures dans l'application du droit international et des coutumes, en particulier si la guerre de Gaza qu'ils soutiennent matériellement s'étend au Liban ou à d'autres régions de l'Asie de l'Ouest.
L'axe de la résistance, qui au cours des neuf derniers mois a normalisé les frappes militaires sur Israël, les attaques de missiles sur les navires destinés à Israël et les frappes hebdomadaires sur les flottes américaines et britanniques, est à deux doigts d'une intensification - comme dans le cas d'une guerre déclarée contre le Liban - qui entraßnerait un nouvel éventail de zones cibles au-delà des précédentes.
Cela inclut-il l'ambassade américaine à Bagdad, la plus importante de la région - et du monde - qui héberge 10 000 employés et soldats américains, ou, plus prÚs de nous, la deuxiÚme plus grande ambassade d'Asie occidentale, l'ambassade américaine à Beyrouth ?
Il est difficile de concevoir que de telles infrastructures puissent rester à l'abri si l'implication occidentale perdure, laquelle, nous le savons déjà , se traduit par un flux constant et quotidien d'armements destinés à alimenter la machine de guerre d'Israël, et à fournir à Tel-Aviv des renseignements militaires et des banques de données sur les cibles visées.
Il sera encore plus difficile de protĂ©ger les missions diplomatiques s'il s'avĂšre qu'elles servent essentiellement de centres de commandement militaire ou de centres de renseignement pendant la durĂ©e de la guerre. Cibler ces installations - qui enfreignent dĂ©jĂ la Convention de Vienne - relĂšve clairement de l'autodĂ©fense et de la rĂ©ciprocitĂ© tant que les Ătats occidentaux et IsraĂ«l continuent de normaliser ces activitĂ©s illicites.
Si la guerre de Gaza a établi des rÚgles d'engagement entiÚrement inédites dans toute la région, les alliés occidentaux d'Israël s'attendent-ils à sortir indemnes d'une guerre généralisée ? Comment pensent-ils pouvoir armer une agression militaire contre un pays tout en restant en sécurité dans leur capitale ?
https://thecradle.co/articles/if-the-war-expands-will-western-facilities-become-the-new-target-banks