👁🗨 Six mois au cœur d'un terrible cauchemar
La destruction de Gaza est-elle irrémédiable ? Nos proches essaieront-ils de repartir de zéro ailleurs ? Comment allons-nous nous habituer à vivre sans les lieux que nous aimions tant ?
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👁🗨 Six mois au cœur d'un terrible cauchemar
Par Ruwaida Kamal Amer* 8 avril 2024
Six mois se sont écoulés depuis le début de la cruelle guerre d'Israël contre la bande de Gaza, et ma vie est devenue un enfer sur terre permanent. Six mois sans électricité ni eau. Six mois sans savoir ce qui est arrivé à tant de membres de ma famille, d'amis et de collègues. Je me languis de la routine quotidienne et des moments d’ennui dont nous avions l'habitude de nous plaindre. Pour ne serait-ce une heure de cette normalité assommante.
Nous sommes vidés de notre énergie, nos corps sont à bouts. Les bruits d'explosion sont incessants. Le bruit d'une voiture qui roule à toute allure ou tout ce qui peut ressembler au bruit terrifiant d'un missile qui tombe me terrifie. Notre maison à Khan Younis vibre constamment, et les portes produisent des bruits sourds, comme si quelqu'un frappait dessus du poing sans arrêt.
J'ai renoncé à tout espoir que la guerre s'arrête et que cette souffrance prenne fin. J'ai arrêté de regarder les informations il y a peu, de peur de voir les scènes terrifiantes qui me plongent la nuit dans l'angoisse et la peur. Je ne veux rien savoir du cessez-le-feu et des négociations sur l'échange d'otages, car je commence à penser que tout cela sera vain.
Le Ramadan qui vient de s'écouler a aggravé nos difficultés. Le Ramadan est normalement synonyme de moments de dévotion, de visites familiales, de sorties le soir sur les marchés, d'achats de vêtements pour l'Aïd et d'appels à la prière dans les mosquées. Mais ces mosquées, ces marchés et ces magasins n'existent plus.
Chaque jour, nous cherchons de quoi manger pour rompre le jeûne du soir, et la question est toujours de savoir si nous allons trouver quelque chose à un prix raisonnable. Les sucreries nous manquent beaucoup ces jours-ci, ainsi que les boissons spéciales du Ramadan. Les décorations qui illuminaient la maison pendant ce mois sacré nous manquent aussi. Mon père les a installées cette année sans rien dire, pour essayer de nous rappeler un peu de ces beaux jours dont nous nous souvenons avec tant de nostalgie. Mais les décorations sont éteintes, il n'y a pas d'électricité.
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Ne plus pouvoir communiquer avec mes amis et collègues a été particulièrement dur, mais cela m'a au moins permis de ne pas savoir ce qui est arrivé à beaucoup d'entre eux. Il y a deux semaines, une équipe de techniciens locaux a réussi à réparer le pylône de transmission situé à côté de chez nous, et je n'ai appris qu'une foule de mauvaises nouvelles.
Ma collègue Bayan, professeur de musique, a perdu sa fille de 5 ans, Naya. Bayan avait fui Beit Hanoun, au nord, pour Al-Mawasi, au sud, avec ses deux enfants, Layan et Naya. Fin décembre, la famille a été bombardée : Bayan a été blessée et Naya a été tuée par trois éclats d'obus logés dans son corps à des endroits critiques, près du cœur et du foie.
Une autre collègue, Jawaher, m'a appelée en larmes il y a quelques jours pour me dire que son fils de 25 ans, Walid, a été tué. Il s'était rendu dans la ville de Khan Younis pour vendre des gombos dans les rues et n'en est jamais revenu, et Jawaher a su plus tard qu'il avait été tué par balles. Elle m'a dit avoir le cœur meurtri, mais qu'elle essayait d'être patiente et forte. Elle m'a dit qu'elle regrettait d'avoir quitté sa maison du camp d'Al-Bureij, au centre de Gaza, pour fuir les chars israéliens : elle croyait échapper à la mort, alors que la mort les attendait dans le sud…
Bien que nous vivions dans la crainte permanente des attaques israéliennes et soyons terrifiés à l'idée que l'armée mette à exécution son plan d'invasion de Rafah, la ville la plus méridionale de Gaza, notre plus grande peur et notre plus grande angoisse concernent l'avenir de la bande de Gaza. Rien ne nous permet d'espérer un avenir meilleur.
Je m'interroge sur ma vie après la guerre. Que deviendra Gaza ? Pourrons-nous retourner travailler ? Nos amis et collègues resteront-ils ici, ou essaieront-ils de refaire leur vie ailleurs ? Comment se passera la reconstruction de Gaza ? Les destructions seront-elles trop importantes ? Combien de temps cela va-t-il prendre ? Vivrons-nous le reste de notre existence sans éducation ni soins de santé ? Comment nous habituer à vivre sans les lieux que nous aimons, auxquels nous sommes habitués ?
Penser à la vie d’avant et d’après la guerre me rend vraiment malade. Mon cœur me fait si mal que j'ai l'impression que je vais éclater en sanglots. Je ne sais pas si je serai assez forte pour supporter tout cela. Alors même que j'écris ces mots, le bruit des explosions est omniprésent. La maison n'a pas cessé de trembler. La porte d'entrée ne tient à presque plus rien.
Je prie pour que la guerre prenne fin, pour pouvoir penser à la suite et avoir l'énergie nécessaire pour affronter les souffrances à venir et nous habituer à une vie dans une Gaza dévastée et en ruines.
* Ruwaida Kamal Amer est journaliste indépendante de Khan Younis.