đâđš La soumission Ă lâautoritarisme
Les purges & campagnes de répression sur nos intellectuels, écrivains, artistes & journalistes les plus courageux & accomplis, amorcées avant le retour de Trump à Washington, prennent de l'ampleur.
đâđš La soumission Ă lâautoritarisme
Par Chris Hedges pour ScheerPost, le 24 mars 2025
Je n'ai pas Ă©tĂ© surpris lorsque la prĂ©sidente par intĂ©rim de l'universitĂ© Columbia, Katrina Armstrong, a cĂ©dĂ© aux exigences de l'administration Trump. Elle a acceptĂ© d'interdire les masques ou autres protections faciales, d'interdire les manifestations dans les bĂątiments universitaires et de crĂ©er une force de sĂ©curitĂ© interne composĂ©e de 36 policiers de la ville de New York habilitĂ©s Ă âexpulser des individus du campus et/ou Ă les arrĂȘter, le cas Ă©chĂ©antâ. Elle a Ă©galement renoncĂ© Ă l'autonomie des dĂ©partements universitaires, comme l'exigeait l'administration Trump, en nommant un nouveau vice-recteur principal chargĂ© de ârĂ©examinerâ le dĂ©partement d'Ă©tudes sur le Moyen-Orient, l'Asie du Sud et l'Afrique de l'universitĂ© ainsi que le Centre d'Ă©tudes palestiniennes.
Les universitĂ©s d'Ă©lite telles que Harvard, Princeton, Columbia ou Yale ont Ă©tĂ© créées pour former et perpĂ©tuer la ploutocratie. Elles ne sont pas et n'ont jamais Ă©tĂ© des centres de pensĂ©e intellectuelle d'avant-garde ou favorables aux dissidents et aux radicaux. Elles se parent d'une apparence de probitĂ© morale et d'intellectualisme, mais servent lĂąchement le pouvoir politique et Ă©conomique. Telle est leur nature. Ne vous attendez pas Ă ce que cela change, mĂȘme si nous nous prĂ©cipitons tĂȘte baissĂ©e vers l'autoritarisme.
Mme Armstrong, comme la plupart des dirigeants de nos universités, continue de s'humilier en vain. Elle serait, je suppose, ravie de faire de la place sur le mur de son bureau pour accrocher un portrait surdimensionné du président. Mais ce qu'elle ignore, et ce que l'histoire nous a appris, c'est qu'avec les autocrates, aucune complaisance ne suffit. Elle, et le reste des élites libérales, qui s'aplatissent servilement pour tenter de s'accommoder de leurs nouveaux maßtres, seront progressivement remplacés ou dominés par des idiots grotesques tels que ceux qui pullulent dans l'administration Trump.
Le ministĂšre de l'Ăducation a averti 60 collĂšges et universitĂ©s qu'ils pourraient faire l'objet de âmesures coercitives potentiellesâ s'ils ne se conforment pas Ă la loi fĂ©dĂ©rale sur les droits civiques qui protĂšge les Ă©tudiants contre la discrimination fondĂ©e sur la race ou la nationalitĂ©, y compris l'antisĂ©mitisme. Columbia, privĂ©e de 400 millions de dollars de subventions fĂ©dĂ©rales, tente dĂ©sespĂ©rĂ©ment de rĂ©tablir le financement. Je doute que cela fonctionne. Ceux qui mĂšnent ces attaques contre les universitĂ©s ont l'intention d'en faire des machines Ă endoctriner. La soi-disant campagne contre l'antisĂ©mitisme n'est en rĂ©alitĂ© qu'un outil cynique utilisĂ© Ă cette fin.
L'avertissement fait suite Ă une lettre ouverte signĂ©e par 200 membres du corps professoral le 3 fĂ©vrier, exhortant l'UniversitĂ© Columbia Ă mettre en Ćuvre des mesures pour âprotĂ©ger les Ă©tudiants juifsâ. Parmi leurs revendications figurent le renvoi du professeur Joseph Massad, qui enseigne la politique arabe moderne et l'histoire des idĂ©es Ă l'universitĂ©, et l'ouverture d'une enquĂȘte en vertu de l'article VI Ă son encontre, l'adoption par l'universitĂ© de la dĂ©finition du terme antisĂ©mitisme de l'Alliance internationale pour la mĂ©moire de l'Holocauste (IHRA), qui assimile la critique d'IsraĂ«l au racisme anti-juif, et le recrutement par l'universitĂ© de professeurs pro-IsraĂ«l titulaires.
Ces institutions d'Ă©lite â j'ai Ă©tudiĂ© Ă Harvard et j'ai enseignĂ© Ă Columbia et Ă Princeton â ont toujours Ă©tĂ© complices des crimes de leur Ă©poque. Elles n'ont pas dĂ©noncĂ©, jusqu'Ă ce que les temps changent, le massacre des AmĂ©rindiens, l'esclavage des Africains, la rĂ©pression des organisations ouvriĂšres et socialistes au dĂ©but du XXe siĂšcle et la purge des institutions, y compris universitaires, durant la âpeur rougeâ dans les annĂ©es 1920 et 1930, puis la chasse aux sorciĂšres sous le maccarthysme. Ils se sont retournĂ©s contre leurs Ă©tudiants qui protestaient contre la guerre du Vietnam dans les annĂ©es 1960 avec autant de virulence qu'ils le font aujourd'hui.
La lie de l'administration Trump est en grande partie issue de ces institutions universitaires d'Ă©lite. Je peux vous assurer que leurs enfants frĂ©quenteront Ă©galement ces Ă©coles malgrĂ© leurs condamnations publiques. La reprĂ©sentante Elise Stefanik, qui a humiliĂ© les prĂ©sidents du Massachusetts Institute of Technology, de Harvard et de l'UniversitĂ© de Pennsylvanie lors d'auditions au CongrĂšs, est diplĂŽmĂ©e de Harvard. Le vice-prĂ©sident JD Vance est diplĂŽmĂ© de la facultĂ© de droit de Yale. Trump est diplĂŽmĂ© de l'universitĂ© de Pennsylvanie. Le secrĂ©taire Ă la DĂ©fense, Peter Hegseth, a Ă©tudiĂ© Ă l'universitĂ© de Princeton et Ă la Kennedy School of Government de Harvard. Le secrĂ©taire Ă la SantĂ© et aux Services sociaux, Robert F. Kennedy Jr. â qui a fait rĂ©examiner les subventions accordĂ©es par son agence aux universitĂ©s Ă la suite d'allĂ©gations d'antisĂ©mitisme â est diplĂŽmĂ© de Harvard.
Katherine Franke, qui a enseigné à la faculté de droit de l'université Columbia pendant 25 ans, a récemment perdu son poste pour avoir défendu le droit des étudiants de Columbia à manifester en faveur d'un cessez-le-feu dans le massacre israélien à Gaza, et pour que l'université se désinvestisse d'Israël. Elle a également condamné la pulvérisation d'un produit chimique toxique sur les manifestants pro-palestiniens sur le campus, provoquant l'hospitalisation de plusieurs étudiants.
âL'une des raisons pour lesquelles l'universitĂ© de Columbia a Ă©tĂ© une cible si facile (et je ne parle pas seulement de Columbia, je pense que cela vaut aussi pour Harvard, Yale et les autres universitĂ©s d'Ă©lite) est que les conseils d'administration ne sont plus composĂ©s de personnalitĂ©s impliquĂ©es dans l'Ă©ducation, engagĂ©es dans la mission Ă©ducative, d'une maniĂšre ou d'une autre, professionnellement ou non, et qui se perçoivent comme les garants du rĂŽle spĂ©cifique que l'universitĂ© joue dans une dĂ©mocratieâ, m'a-t-elle confiĂ©.
âCe sont plutĂŽt des gestionnaires de fonds spĂ©culatifs, des investisseurs en capital-risque, des avocats d'entreprise et, dans notre cas, des fabricants d'armesâ.
Elle poursuit :
âEt ils considĂšrent que leur unique responsabilitĂ© est de protĂ©ger la dotation. Je dĂ©cris souvent Columbia, qui est le plus grand bailleur rĂ©sidentiel de New York, comme une sociĂ©tĂ© fonciĂšre qui se contente d'enseigner en parallĂšle. Au fil du temps, elle est devenue une simple entreprise Ă but non lucratif. Et donc, lorsque la pression a commencĂ© Ă monter, aucun membre du conseil d'administration n'a dit : âAttendez une minute, nous devons faire partie de la RĂ©sistance, ou, au minimum, nous devons dĂ©fendre notre mission acadĂ©miqueâ. Lorsque j'ai regardĂ© l'[ancienne] prĂ©sidente Minouche Shafik tĂ©moigner devant cette commission de la Chambre depuis mon salon... j'ai Ă©tĂ© choquĂ©e dâune part dâavoir Ă©tĂ© citĂ©e, mais surtout parce que la prĂ©sidente Shafik n'a rien fait pour dĂ©fendre Columbia, son corps professoral, ses Ă©tudiants, notre projet, notre histoire de premiĂšre universitĂ© mondiale. Bien au contraire, elle s'est mise Ă plat ventre devant un tyran. Et nous savons tous que lorsqu'on s'incline devant un tyran, il en est encouragĂ©. Et c'est exactement ce qui se passe ici aujourd'hui, alors qu'ils nĂ©gocient toujours avec l'administration Trump selon les conditions de cette derniĂšre. Et cette universitĂ©, si elle survit, ne sera plus jamais la mĂȘme, selon moiâ.
Vous pouvez consulter mon entretien avec le professeur Franke.
Les universitĂ©s et les collĂšges de tout le pays ont muselĂ© la libertĂ© d'expression et bafouĂ© leur intĂ©gritĂ© acadĂ©mique. Ils ont brutalisĂ©, arrĂȘtĂ©, suspendu et expulsĂ© des professeurs, des administrateurs et des Ă©tudiants qui dĂ©noncent le gĂ©nocide. Ils ont fait intervenir la police sur leurs campus - dans le cas de Columbia, Ă trois reprises - pour arrĂȘter des Ă©tudiants, souvent en les accusant de violation de propriĂ©tĂ© privĂ©e. EmboĂźtant le pas Ă leurs patrons autoritaires, ils ont soumis les Ă©tudiants Ă la surveillance interne. L'universitĂ© de Columbia, en premiĂšre ligne de la rĂ©pression contre ses Ă©tudiants, a interdit les organisations Students for Justice in Palestine et Jewish Voice for Peace un mois aprĂšs le dĂ©but du gĂ©nocide d'IsraĂ«l Ă Gaza en novembre 2023, alors que les deux organisations avaient appelĂ© Ă un cessez-le-feu bien avant le dĂ©but des manifestations et des campements.
La violente rĂ©pression des manifestations par l'universitĂ© de Columbia et sa dĂ©cision de boucler son campus, dĂ©sormais cernĂ© de checkpoints de sĂ©curitĂ©, ont pavĂ© la voie Ă l'arrestation de Mahmoud Khalil, Ă©tudiant diplĂŽmĂ© Ă l'Ăcole des affaires publiques internationales. Il est rĂ©sident permanent lĂ©gal. Il n'a commis aucun crime. Mais l'administration de l'universitĂ© avait dĂ©jĂ diabolisĂ© et criminalisĂ© M. Khalil et les autres Ă©tudiants, dont beaucoup sont juifs, pour avoir osĂ© protester contre le massacre de masse Ă Gaza.
La vidĂ©o filmĂ©e par sa femme le 8 mars, montrant M. Khalil emmenĂ© par des agents fĂ©dĂ©raux en civil de l'ICE (Immigration and Customs Enforcement) non identifiĂ©s, mâa rappelĂ© de maniĂšre effrayante les enlĂšvements par la police secrĂšte dont j'ai Ă©tĂ© tĂ©moin dans les rues de Santiago durant la dictature d'Augusto Pinochet.
Dans les Ătats autoritaires, la loi protĂšge la criminalitĂ© des puissants. Elle rĂ©voque la procĂ©dure rĂ©guliĂšre, les libertĂ©s fondamentales et les droits de citoyennetĂ©. C'est un instrument de rĂ©pression. Il n'y a qu'un pas entre la privation de droits d'un rĂ©sident lĂ©gal titulaire d'une carte verte et la privation des droits de n'importe quel citoyen. C'est ce qui nous attend.
M. Khalil a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© en vertu de la loi sur l'immigration et la nationalitĂ© de 1952, Ă©galement connue sous le nom de loi McCarran-Walter. Elle confĂšre au secrĂ©taire d'Ătat le pouvoir d'expulser des ressortissants Ă©trangers s'il a des âmotifs raisonnables de croireâ que leur prĂ©sence ou leurs activitĂ©s aux Ătats-Unis âpourraient avoir de graves consĂ©quences nĂ©fastes en matiĂšre de politique Ă©trangĂšreâ. Elle a Ă©tĂ© utilisĂ©e pour refuser l'entrĂ©e au poĂšte chilien Pablo Neruda, Ă l'Ă©crivain colombien Gabriel Garcia MĂĄrquez et Ă l'auteure britannique Doris Lessing. Elle a Ă©galement Ă©tĂ© utilisĂ©e pour expulser la poĂšte et essayiste Margaret Randall et la militante des droits civiques et journaliste Claudia Jones. Le sĂ©nateur Patrick McCarran, ouvertement admirateur du dictateur espagnol Francisco Franco et antisĂ©mite enragĂ©, a formulĂ© la loi pour cibler non seulement les dissidents et les communistes, mais aussi les Juifs. Lorsque la loi a Ă©tĂ© promulguĂ©e, elle a Ă©tĂ© utilisĂ©e pour interdire l'entrĂ©e aux Ătats-Unis aux Juifs d'Europe de l'Est rescapĂ©s de l'Holocauste en raison de leurs prĂ©tendues sympathies pour l'Union soviĂ©tique.
âL'ironie de la chose n'Ă©chappe Ă aucun d'entre nous, Ă savoir que ces lois sont profondĂ©ment antisĂ©mites et qu'elles sont maintenant dĂ©ployĂ©es au nom de la protection des citoyens juifs ou de nos objectifs de politique Ă©trangĂšre avec l'Ătat d'IsraĂ«lâ, a dĂ©clarĂ© Mme Franke. âEt c'est lĂ que rĂ©side le cynisme de cette administration. Ils se fichent Ă©perdument de cette histoire. Ils cherchent Ă obtenir le plus de pouvoir possible, Ă faire adopter toutes les lois, aussi horribles soient-elles. MĂȘme les lois qui ont internĂ© les Japonais durant la Seconde Guerre mondiale. Je suis certaine qu'ils se feront un plaisir de les utiliser un jourâ.
James Luther Adams, mon mentor Ă la Harvard Divinity School, Ă©tait en Allemagne en 1935 et 1936 jusqu'Ă ce qu'il soit arrĂȘtĂ© et dĂ©portĂ© par la Gestapo. Il a travaillĂ© avec l'Ă©glise clandestine antinazie, connue sous le nom d'Ăglise de la Confession, dirigĂ©e par des ecclĂ©siastiques dissidents tels que Dietrich Bonhoeffer. Adams a vu avec quelle rapiditĂ© et quelle lĂąchetĂ© les universitĂ©s allemandes, qui, comme la nĂŽtre, Ă©taient considĂ©rĂ©es comme faisant partie des meilleures au monde, se sont rendues aux diktats du fascisme et se sont autodĂ©truites.
Le thĂ©ologien et philosophe Paul Tillich, un ami proche d'Adams, a Ă©tĂ© renvoyĂ© de son poste d'enseignant et mis sur liste noire dix semaines aprĂšs l'arrivĂ©e des nazis au pouvoir en janvier 1933. Le livre de Tillich, âThe Socialist Decisionâ (La dĂ©cision socialiste), a Ă©tĂ© immĂ©diatement interdit par les nazis. Tillich, pasteur luthĂ©rien, ainsi que le sociologue Karl Mannheim et le philosophe Max Horkheimer, auteur de âEclipse of Reasonâ qui examine la montĂ©e de l'autoritarisme, ont Ă©tĂ© qualifiĂ©s d'âennemis du Reichâ, mis sur liste noire et contraints Ă l'exil. La âloi pour la restauration de la fonction publiqueâ de 1933 a vu tous les professeurs juifs licenciĂ©s. La grande majoritĂ© des universitaires ont cĂ©dĂ© Ă la peur ou, comme le philosophe Martin Heidegger, ont rejoint le parti nazi, qui l'a nommĂ© recteur de l'universitĂ© de Fribourg.
Adams voyait dans la droite chrĂ©tienne des similitudes troublantes avec l'Ăglise chrĂ©tienne allemande, qui Ă©tait pro-nazie. Il a Ă©tĂ© la premiĂšre personne Ă qualifier la droite chrĂ©tienne de âfascistes chrĂ©tiensâ. Il nous a Ă©galement mis en garde contre les universitĂ©s et les universitaires qui, si le pays sombre dans l'autoritarisme, ne reculeraient devant rien pour protĂ©ger leur statut et leurs privilĂšges. Rares seraient ceux qui oseraient s'exprimer ou dĂ©fier l'autoritĂ©.
âSi les nazis prenaient le pouvoir aux Ătats-Unis, 60 % des professeurs de Harvard commenceraient volontiers leurs cours par le salut naziâ, a-t-il plaisantĂ©.
Nous en sommes là . Aucune des institutions progressistes, y compris les universités, les médias privés et le Parti démocrate, ne nous défendra. Elles resteront les bras croisés, trahiront avec hypocrisie leurs prétendus principes et leur engagement envers la démocratie, ou se transformeront de leur plein gré en apologistes du régime. Les purges et campagnes de bùillonnement de nos intellectuels, écrivains, artistes et journalistes les plus courageux et les plus accomplis, qui ont commencé avant le retour de Trump à la Maison Blanche, prennent de l'ampleur.
Il ne nous restera que la RĂ©sistance. Celle des ennemis de l'Ătat.
* Chris Hedges est un journaliste laurĂ©at du prix Pulitzer, ancien correspondant Ă l'Ă©tranger pendant quinze ans pour The New York Times, oĂč il a occupĂ© les postes de chef du bureau du Moyen-Orient et de chef du bureau des Balkans pour le journal. Il a auparavant travaillĂ© Ă l'Ă©tranger pour The Dallas Morning News, The Christian Science Monitor et NPR. Il est l'animateur de l'Ă©mission The Chris Hedges Report.
https://scheerpost.com/2025/03/24/chris-hedges-surrendering-to-authoritarianism/