đ© Stefania Maurizi: Pour un tribunal australien, la presse n'a aucun droit sur les documents concernant Julian Assange.
Le Crown Prosecution Service a détruit des documents clés. La SuÚde a également détruit un courriel du FBI. L'Australie esquive et refuse la transparence. Pourquoi?
đ©Â Pour un tribunal australien, la presse n'a aucun droit sur les documents concernant Julian Assange.
đ° Par Stefania Mauirizi đŠ@SMaurizi, le 21 septembre 2022
Nous nous battons depuis 2015 pour accéder à la documentation complÚte sur l'affaire Assange. Quatre gouvernements nous ont refusé l'accÚs, et certains ont mystérieusement détruit des documents clés. Maintenant, le tribunal d'appel administratif australien a décidé que le quatriÚme pouvoir n'y a pas droit. Le public n'a-t-il pas le droit de savoir ce qui s'est passé dans une affaire concernant un journaliste qui risque la prison à vie pour avoir révélé des crimes de guerre et que la CIA prévoyait de tuer?
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La presse n'a pas le droit d'accĂ©der Ă la documentation sur Julian Assange car, si elle Ă©tait divulguĂ©e, les documents porteraient ou pourraient raisonnablement porter atteinte aux relations internationales de l'Australie, et dĂ©voileraient des informations communiquĂ©es Ă titre confidentiel. Telle est la dĂ©cision rĂ©cemment rendue par le tribunal d'appel administratif australien en rĂ©ponse Ă notre bataille juridique pour obtenir les documents auprĂšs du ministĂšre australien des affaires Ă©trangĂšres et du commerce (DFAT). Cette dĂ©cision ne reprĂ©sente que la derniĂšre brique du mur qui empĂȘche le quatriĂšme pouvoir de dĂ©couvrir ce qui s'est passĂ© dans les coulisses de l'affaire Julian Assange et WikiLeaks. Une affaire qui dĂ©cidera des limites de la libertĂ© de la presse dans les dĂ©mocraties occidentales, mais aussi une affaire marquĂ©e par des violations flagrantes, comme la rĂ©vĂ©lation qu'en 2017, la CIA, alors dirigĂ©e par Mike Pompeo, avait prĂ©vu d'enlever ou de tuer Assange.
Julian Assange reste dĂ©tenu dans la prison la plus dure de Grande-Bretagne, Belmarsh, en attendant que la justice britannique se prononce sur son appel contre son extradition vers les Ătats-Unis, oĂč il risque 175 ans de prison pour avoir obtenu et publiĂ© des dossiers classifiĂ©s du gouvernement amĂ©ricain sur les guerres en Afghanistan et en Irak, des cĂąbles diplomatiques amĂ©ricains et des dossiers sur les dĂ©tenus de Guantanamo. D'Amnesty International Ă la FĂ©dĂ©ration internationale des journalistes (FIJ), toutes les grandes organisations de dĂ©fense des droits de l'homme et de la libertĂ© de la presse ont appelĂ© Ă l'abandon de la procĂ©dure d'extradition et Ă la libĂ©ration d'Assange.
Assange, qui est citoyen australien, a Ă©tĂ© dĂ©tenu arbitrairement, selon le Groupe de travail des Nations unies sur la dĂ©tention arbitraire. Comme l'a documentĂ© le rapporteur spĂ©cial de l'ONU sur la torture, Nils Melzer, il a Ă©tĂ©torturĂ© psychologiquement. Il a Ă©galement Ă©tĂ© espionnĂ© Ă l'intĂ©rieur de l'ambassade d'Ăquateur, oĂč il est restĂ© confinĂ© jusqu'Ă son arrestation et son incarcĂ©ration Ă Belmarsh, et la CIA avait prĂ©vu de le tuer.
Seule une enquĂȘte indĂ©pendante peut reconstituer minutieusement ces faits et exposer les responsabilitĂ©s des autoritĂ©s impliquĂ©es dans ces abus. Mais une enquĂȘte indĂ©pendante n'est possible que si les journalistes peuvent accĂ©der Ă l'ensemble de la documentation sur Assange et les journalistes de WikiLeaks. Depuis 2015, la rĂ©dactrice de cet article tente de l'obtenir par le biais du Freedom of Information Act, l'outil qui permet aux citoyens d'accĂ©der aux documents gouvernementaux d'intĂ©rĂȘt public.
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Quatre gouvernements - ceux du Royaume-Uni, des Ătats-Unis, de l'Australie et de la SuĂšde - se sont opposĂ©s Ă la publication de cette documentation, nous obligeant ainsi Ă mener une bataille juridique dans quatre pays, oĂč nous sommes reprĂ©sentĂ©s par sept avocats diffĂ©rents. Il s'agit d'un processus extrĂȘmement difficile et coĂ»teux, mais c'est uniquement grĂące Ă cet effort que des informations factuelles importantes et des faits suspects ont Ă©tĂ© mis en lumiĂšre.
La Grande-Bretagne, par exemple, nous refuse l'accĂšs Ă la documentation complĂšte depuis 2015. Dans la procĂ©dure d'extradition, les Ătats-Unis agissent par l'intermĂ©diaire du Crown Prosecution Service britannique, qui est la mĂȘme autoritĂ© publique britannique qui Ă©tait chargĂ©e de l'extradition d'Assange vers la SuĂšde lorsqu'il faisait l'objet d'une enquĂȘte pour viol, bien qu'il n'ait jamais Ă©tĂ© inculpĂ© et que l'enquĂȘte ait finalement Ă©tĂ© abandonnĂ©e. Notre combat juridique a permis de mettre au jour des preuves que le Crown Prosecution Service [MinistĂšre public de la Couronne] a contribuĂ© Ă crĂ©er le bourbier juridique et diplomatique qui a maintenu Assange en dĂ©tention arbitraire, d'abord en rĂ©sidence surveillĂ©e, puis Ă l'ambassade d'Ăquateur pendant prĂšs de dix ans. Pourquoi le Crown Prosecution Service s'est-il comportĂ© de la sorte?
Lorsque nous avons creusé cette affaire dans le cadre de notre litige sur la liberté d'information en Grande-Bretagne, nous avons découvert que le Crown Prosecution Service avait détruit des documents clés. Pourquoi ont-ils détruit des documents essentiels concernant une affaire juridique toujours en cours et trÚs controversée? Qu'ont-ils détruit exactement et sur les instructions de qui ? Au cours des cinq derniÚres années, le Crown Prosecution Service a refusé de fournir toute explication précise.
Lorsque nous avons tenté d'obtenir de la SuÚde une partie des documents détruits, considérant qu'une partie d'entre eux constituait une correspondance entre la SuÚde et la Grande-Bretagne, les autorités suédoises ont résolument nié détenir les milliers de pages de correspondance que les autorités britanniques ont reconnu avoir échangées avec elles.
La SuÚde a également détruit un courriel du FBI. Au cours de notre bataille juridique, les Suédois ont admis que l'email provenait d'un cadre du FBI. On ne sait pas exactement ce que contenait cet e-mail, pourquoi ils l'ont détruit et ce qu'ils ont détruit d'autre.
Quant Ă l'Australie, elle s'est avĂ©rĂ©e ĂȘtre la pire des quatre juridictions en termes de transparence gouvernementale. Nous avons soumis une requĂȘte FOIA au ministĂšre australien des Affaires Ă©trangĂšres et du Commerce en janvier 2018, demandant une copie de la correspondance complĂšte sur l'affaire Assange entre le ministĂšre et le Foreign Office britannique et le DĂ©partement d'Ătat amĂ©ricain de 2016 Ă 2018.
Les autorités australiennes ne nous ont communiqué qu'un dérisoire document de 24 pages, entiÚrement expurgé à l'exception de quelques mots qui ne permettent pas de reconstituer une seule phrase. Au cours des quatre derniÚres années, nous avons fait tous les efforts possibles pour obtenir ces documents. Finalement, représentés par deux avocats australiens de renom, Peter Bolam et Greg Barns, nous avons intenté un procÚs au ministÚre des Affaires étrangÚres.
Le tribunal d'appel administratif australien a toutefois tranché en faveur du ministÚre. Dans une décision rendue par le président adjoint, M. B.W. Rayment, le tribunal a établi que la presse n'a pas le droit d'accéder à la documentation demandée, car si elle était divulguée,
"elle causerait, ou pourrait raisonnablement causer, des dommages aux relations internationales du Commonwealth" -
une association de 56 pays qui comprend la Grande-Bretagne et l'Australie et dont les racines remontent Ă l'Empire britannique - en plus de
"divulguer toute information ou matiÚre communiquée à titre confidentiel par un gouvernement étranger ou en son nom".
Il est remarquable que les autoritĂ©s australiennes aient refusĂ© au public l'accĂšs Ă des documents sur un journaliste australien que la CIA prĂ©voyait d'assassiner de maniĂšre extrajudiciaire pour avoir publiĂ© des informations vĂ©ridiques et d'intĂ©rĂȘt public. Les contribuables australiens et le public n'ont-ils pas le droit de savoir si le gouvernement australien Ă©tait au courant de ces plans et les a approuvĂ©s?
Bien que complĂštement caviardĂ©es, les 24 pages que le ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres nous a communiquĂ©es contiennent une bribe d'information importante : le 19 mai 2017, le jour mĂȘme oĂč la SuĂšde a abandonnĂ© l'enquĂȘte sur le viol de Julian Assange,
"Un haut responsable politique"
affectĂ© Ă la sĂ©curitĂ© nationale Ă l'ambassade d'Australie Ă Washington DC a Ă©crit un courriel au ministĂšre des Affaires Ă©trangĂšres ou au dĂ©partement d'Ătat amĂ©ricain qui se lit comme suit:
"En bref, suite Ă la dĂ©cision du procureur gĂ©nĂ©ral de SuĂšde de clore son enquĂȘte prĂ©liminaire et de retirer le mandat d'arrĂȘt europĂ©en concernant M. Assange, Canberra a demandĂ© des conseils initiaux sur [expurgĂ©]".
Le reste du texte étant expurgé, il est impossible de comprendre sur quoi Canberra a demandé des conseils et quel type de questions de sécurité nationale a été discuté avec le gouvernement américain ou britannique.
Cet Ă©change de courriels est toutefois important, car il a eu lieu dans les semaines oĂč la CIA Ă©tait furieuse contre Julian Assange et WikiLeaks pour avoir publiĂ© Vault 7, une base de donnĂ©es de documents secrets sur les cyber-armes qui permettent Ă la CIA de s'introduire dans les tĂ©lĂ©phones, les ordinateurs et mĂȘme les tĂ©lĂ©viseurs intelligents pour espionner les conversations et voler des documents. Quelques semaines avant cet Ă©change d'emails - prĂ©cisĂ©ment Ă la fin du mois de mars 2017 - le FBI s'intĂ©ressait Ă©galement Ă Assange; ils ont envoyĂ© un email le concernant aux autoritĂ©s suĂ©doises, qui l'ont dĂ©truit.
Selon une enquĂȘte publiĂ©e par un mĂ©dia amĂ©ricain, Yahoo News, et basĂ©e sur des conversations avec plus de 30 anciens responsables amĂ©ricains, c'est prĂ©cisĂ©ment aprĂšs la publication de Vault 7 en mars 2017 que la CIA, alors dirigĂ©e par Mike Pompeo, nommĂ© par Trump, a planifiĂ© d'enlever ou de tuer Julian Assange.
Dans ces semaines oĂč Canberra cherchait "quelques orientations initiales", les autoritĂ©s australiennes Ă©taient-elles au courant des plans de la CIA pour le kidnapper ou le tuer? Il Fatto Quotidiano a demandĂ© au ministĂšre australien des Affaires Ă©trangĂšres s'il avait dĂ©jĂ demandĂ© des explications aux autoritĂ©s amĂ©ricaines sur ces plans. Le ministĂšre n'a pas rĂ©pondu Ă notre question, mais a commentĂ©:
"Le ministÚre des Affaires étrangÚres et du Commerce est au courant des rapports des médias sur ce sujet. Le gouvernement australien continue de suivre de prÚs le cas de Julian Assange. Le gouvernement est d'avis que l'affaire de M. Assange a duré trop longtemps et qu'il convient d'y mettre un terme".
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AprÚs une décennie de gouvernements de droite, l'Australie a maintenant un premier ministre de centre-gauche, Anthony Albanese, d'origine italienne. Parmi les défenseurs de la liberté de la presse et des droits de l'homme, nombreux sont ceux qui réclament une avancée dans l'affaire Assange et se tournent vers Albanese avec espoir. Le mois dernier, la plus haute représentante des Nations unies pour les droits de l'homme, la Haut-Commissaire aux droits de l'homme, Michelle Bachelet, a rencontré l'équipe juridique du fondateur de WikiLeaks, mettant en garde les autorités britanniques et américaines contre son extradition et déclarant qu'elle restait
"inquiĂšte pour son bien-ĂȘtre physique et mental".
https://www.ilfattoquotidiano.it/in-edicola/articoli/2022/09/21/australian-tribunal-the-press-has-no-right-to-the-documents-on-julian-assange/6811401/ ?