👁🗨 Stella Assange à Berlin : ses enfants n'ont jamais été seuls avec leur père
La femme du fondateur de Wikileaks a reçu dimanche soir à Berlin le prix Konrad Wolf au nom de son mari. Il aide à protéger Julian Assange, dit-elle.
👁🗨 Stella Assange* à Berlin : ses enfants n'ont jamais été seuls avec leur père
Par Susanne Lenz, le 23 octobre 2023 - English below
Le réalisateur Thomas Heise a parlé dimanche soir à l'Académie des Arts du silence assourdissant du gouvernement allemand concernant Julian Assange.
Le directeur de la section cinéma et arts médiatiques de l'AdK a prononcé l'éloge du lauréat du Prix Konrad Wolf de cette année, Julian Assange. Pour pouvoir le récompenser, l'Académie a dérogé à l'habitude d'honorer un artiste.
Julian Assange, fondateur de la plateforme de divulgation Wikileaks, reçoit cette distinction pour avoir fait de l'information journalistique au sens noble du terme, explique Thomas Heise. L'AdK présente l'un des documents filmés les plus connus, qui a été rendu public en 2010 grâce à Wikileaks : “Collatoral Murder - Meurtre collatéral”, tel est le nom de cette vidéo qui montre des prises de vue du bord de deux hélicoptères de combat américains lors d'une opération à Bagdad en juin 2007, au cours de laquelle des civils, dont deux journalistes, ont été tués et deux enfants blessés. Thomas Heise appelle cela des crimes de guerre. Avant la remise du prix, nous nous sommes entretenus avec l'épouse de Julian Assange, Stella Assange, qui a fait le voyage de Londres pour représenter son mari.
Madame Assange, vous êtes ici pour recevoir le prix Konrad Wolf décerné à votre mari Julian Assange. Quand l'avez-vous vu pour la dernière fois et vous a-t-il donné un message pour Berlin ?
Je l'ai vu jeudi et il m'a demandé d'exprimer sa reconnaissance au jury. En lui rendant hommage, on maintient son affaire à flot. Le pire qui puisse lui arriver, c'est de tomber dans l'oubli. Le prix Konrad Wolf est bien plus qu'un hommage, c'est une protection.
Julian Assange est en prison depuis quatre ans et demi. Qu'en est-il de l'attention portée à son cas ?
Elle est en train de croître. Un mouvement mondial se mobilise pour la liberté de Julian. Chaque jour, des manifestations ont lieu partout. Dans son pays, l'Australie, 80 à 90 % de la population est favorable à sa libération. Cela exerce une pression sur le gouvernement. En Italie, il existe un mouvement de fond qui milite pour que Julian devienne citoyen d'honneur dans différentes villes. C'est ce qui vient de se passer à Naples et à Rome. L'année dernière, le Parlement européen l'a choisi comme l'un des trois finalistes pour le prix Sakharov. De plus en plus de gens réalisent le lien entre son cas et la liberté de la presse, et le droit du public à connaître la vérité, ce qui est particulièrement important en temps de guerre.
Quel peut être l'impact de cette pression ?
Son cas est politique.
Vous le dites, la justice britannique le nierait.
La justice agit dans l'espace politique, c'est un secret tacite. La légitimité du processus judiciaire dépend de ce que le public peut en penser. C'est pourquoi le tribunal se concentre avant tout sur la procédure elle-même, sur son déroulement, plutôt que sur les principes qui la sous-tendent. C'est une ruse, et cela dure depuis des années maintenant. Pendant ce temps, des groupes de défense des droits de l'homme se sont penchés en détail sur le cas de Julian, Amnesty International, Reporters sans frontières, et leur interprétation est également rendue publique. Beaucoup en dépendent.
Il y a donc de l'espoir ?
Absolument ! Personne ne peut nier que Julian a payé de sa vie. Il est resté sept ans à l'ambassade d'Equateur sans pouvoir quitter le bâtiment, et maintenant il est en prison depuis quatre ans et demi. Il est confronté à un pouvoir revanchard qui corrompt les lois et le système judiciaire pour le garder prisonnier. Il faudrait simplement que la loi soit appliquée pour que sa détention arbitraire prenne fin. Julian Assange est un prisonnier politique.
Le rapporteur spécial des Nations unies, Nils Melzer, décrit les conditions de détention de Julian Assange comme de la torture. Quelles sont ces conditions ?
Nils Melzer a rendu visite à Julian à la prison de Belmarsh. Il s'agit d'une prison de haute sécurité en Grande-Bretagne, elle est connue comme étant le Guantanamo britannique. Il passe 22 ou 23 heures par jour dans sa cellule, il n'a pas d'accès à Internet. Au bout d'un an, on lui a donné un ordinateur portable pour qu'il puisse préparer son procès. Un ordinateur portable sans traitement de texte. On peut lire des PDF avec, mais il ne peut pas prendre de notes pour ses avocats par exemple. Comment peut-il se défendre ainsi ? La manière dont il est traité est cruelle, déshumanisante. Rares sont ceux qui restent aussi longtemps à Belmarsh que Julian. Dans son aile, il est celui qui y est resté le plus longtemps. Les autres ont été transférés ou libérés depuis longtemps. Quand nous nous parlons au téléphone, la conversation est interrompue au bout de dix minutes.
À quelle fréquence pouvez-vous lui rendre visite ?
Une ou deux fois par semaine pendant une heure et quart ou une heure et demie. Nous sommes assis de part et d'autre d'une table.
Nous - vous voulez dire vos enfants ? Comment cela se passe-t-il pour eux ?
Ils ne le connaissent que dans cet environnement, cette grande salle où une quarantaine de détenus sont assis avec leurs amis et leur famille. C'est incroyablement bruyant. Ils n'ont jamais été seuls avec leur père. Ils doivent rester assis tout le temps, il peut leur faire la lecture, ils peuvent s'asseoir sur ses genoux. Je peux lui tenir la main par-dessus la table. Il y a des caméras partout, des gardes, tout est enregistré. Il n'est même pas condamné, mais il est là depuis plus longtemps que certains criminels violents. Ils purgent leur peine et sont libérés, mais Julian est toujours là.
Pourquoi la justice britannique ne l'extrade-t-elle pas vers les États-Unis ou ne le libère-t-elle pas ?
C'est une bonne question. La High Court ne le laisse même pas faire appel de son extradition. Il ne peut pas présenter ses arguments devant le tribunal. C'est absolument stupéfiant, justement parce que des organisations de défense des droits de l'homme attachent une grande importance à cette affaire. Il s'agit de la liberté de la presse, mais la High Court ne veut rien entendre. Je ne sais pas ce qui se passe en coulisses, mais c'est tout simplement choquant.
Que se passera-t-il si Julian Assange est extradé vers les États-Unis ?
S'il y a une audience publique et que la décision est prise de l'extrader, nous serions au bout de nos options en Grande-Bretagne. Il pourrait alors se tourner vers la Cour européenne des droits de l'homme.
Malgré le Brexit ?
La Grande-Bretagne est en fait toujours obligée de reconnaître cette Cour comme l'instance ultime en matière de droits de l'homme, même si le gouvernement britannique actuel veut modifier cela par voie législative. Mais supposons qu'ils enfreignent simplement les règles et l'extradent avant que quiconque ne puisse le leur interdire - il serait alors emmené à Alexandria en Virginie, qui est en quelque sorte le centre névralgique de la sécurité des Etats-Unis. Le siège de la CIA, le Pentagone - tout est à proximité. La plupart des habitants travaillent pour des institutions gouvernementales. Si un jury était convoqué là-bas, il serait composé de personnes y travaillant, vu le pourcentage de citoyens y étant employés. Julian serait mis à l'isolement, peut-être même sous une forme extrêmement contraignante, car il s'agit dans son cas de sécurité nationale.
Quelle est la forme la plus sévère d'isolement ?
Aux Etats-Unis, de très nombreux détenus sont placés à l'isolement, c'est la routine là-bas. Actuellement, ils sont près de 80.000. La forme la plus grave s'appelle le SAM, “Special Administrative Measure”, des “mesures administratives spéciales” qui concernent à la fois la détention, la correspondance et les visiteurs. On peut téléphoner une fois par mois pendant 15 minutes. Les visites ne sont probablement pas autorisées du tout. Lorsqu'il a été question de son extradition, les États-Unis ont assuré que le SAM ne serait appliqué que s'il commettait un acte rendant cette mesure nécessaire. Et le tribunal britannique l'a admis.
Si cela devait se produire … comment peut-on vivre ainsi ?
* Stella Assange, née en 1983 en Afrique du Sud, est avocate des droits de l'homme. En 2011, elle a rejoint l'équipe d'avocats de Julian Assange. Tous deux ont commencé une relation en 2015. Pendant la période où Assange était en asile politique à l'ambassade d'Équateur, leurs enfants sont nés, en 2017 et 2019. En 2022, ils se sont mariés à la prison de Belmarsh.
👁🗨 Stella Assange in Berlin: Their children have never been alone with their father
The wife of the Wikileaks founder accepted the Konrad Wolf Award in Berlin on Sunday evening on behalf of her husband. He is protecting Julian Assange, she says.
By Susanne Lenz, on October 23, 2023
Film director Thomas Heise spoke of the German government's droning silence in the matter of Julian Assange on Sunday evening at the Akademie der Künste.
The director of the section Film and Media Art of the AdK holds the laudatio on this year's winner of the Konrad Wolf Prize Julian Assange. In order to be able to honor him, the Academy has deviated from honoring an artist as it usually does.
Julian Assange, founder of the disclosure platform Wikileaks, receives the award for having achieved journalistic enlightenment in the best sense, says Thomas Heise. The AdK will show one of the most famous film documents that came to public attention thanks to Wikileaks in 2010: "Collatoral Murder" is the name of the short film that shows on-board videos of two U.S. combat helicopters during a mission in Baghdad in June 2007, in which civilians, including two journalists, were killed and two children were injured. Thomas Heise calls it a war crime. We spoke with Julian Assange's wife Stella Assange, who traveled from London to represent her husband, before the awards ceremony.
Mrs. Assange, you are here to accept the Konrad Wolf Award for your husband Julian Assange. When did you last see him and did he give you a message for Berlin?
I saw him on Thursday, and he asked me to express his appreciation to the jury. By acknowledging him, you keep his case alive. The worst thing that can happen to him is that he is forgotten. The Konrad Wolf Prize is much more than an appreciation, it means protection.
Julian Assange has been in prison for four and a half years, what about the attention for his case?
It's growing. There is a global movement to win Julian's freedom. Every day there are protests somewhere. In his home country of Australia, 80 to 90 percent of the population is in favor of his release. That puts pressure on the government. In Italy, there is a grassroots movement to make Julian an honorary citizen in various cities. In Naples and Rome, that just happened. Last year, the European Parliament selected him as one of three finalists for the Sakharov Prize. More and more people are realizing what his case has to do with freedom of the press, and the public's right to know the truth, which is especially important in times of war.
What can this pressure do?
His case is political.
You say that, the British judiciary would deny it.
The judiciary moves in political space, that's an unspoken secret. Whether the judicial process is seen as legitimate depends on what the public thinks about it. That's why the court focuses primarily on the trial itself, the process rather than around the principles underlying it. This is a trick, and it has been going on for years now. In that time, human rights groups have looked at Julian's case in detail, Amnesty International, Reporters Without Borders, and their interpretation also gets out to the public. A lot depends on that.
So there is hope?
Absolutely! No one can argue away the fact that Julian is paying with his life. He was in the Ecuadorian embassy for seven years without being able to leave the building, and now he has been in prison for four and a half years. He is dealing with a vengeful power that corrupts the laws and the judicial system to keep him imprisoned. The law would simply have to be applied for his arbitrary detention to end. Julian Assange is a political prisoner.
UN Special Rapporteur Nils Melzer describes Julian Assange's conditions of detention as torture. What are these conditions?
Nils Melzer visited Julian in Belmarsh prison. That's a maximum security prison in the UK, it's known as the UK's Guantanamo Bay. He is in his cell for 22, 23 hours a day, has no internet access. After a year, they gave him a laptop so he could prepare for his trial. A laptop without a word processor. You can read PDFs with it, but he can't take notes for his lawyers, for example. How is he supposed to defend himself like that? The way he is treated is cruel, it is dehumanizing. Few people have been in Belmarsh as long as Julian. In his wing, he is the one who has been there the longest. The others have long since been transferred or discharged. When we talk on the phone, the conversation is cut off after ten minutes.
How often can you visit him?
Once or twice a week for an hour and a quarter or an hour and a half. We sit on one side, he on the other.
We - do you mean your children? What's it like for them?
They only know it in this environment, this big hall where about 40 detainees sit with their friends and family. It's incredibly loud. They've never been alone with their father. They have to stay seated the whole time, he can read to them, they get to sit on his lap. I can hold his hand across the table. There are cameras everywhere, security guards, everything is recorded. He's not even convicted, but he's been there longer than some violent criminals. They serve their sentences and are released, but Julian is still there.
Why doesn't the British justice system either extradite him to the U.S. or release him?
That's a good question. The High Court won't even let him appeal the extradition. He is not allowed to present his arguments in court. This is absolutely astonishing, precisely because there are human rights organizations that attach great importance to the case. It's about freedom of the press, but the High Court doesn't want to hear that. I don't know what's going on behind the scenes, but this is just shocking.
What happens if Julian Assange is extradited to the United States?
If there is a public hearing and the decision is made to extradite him, we would be at our wits end in the UK. He can then go to the European Court of Human Rights.
Despite Brexit?
The U.K. is actually still obligated to accept that court as the final authority on human rights issues, even if the current U.K. government wants to change that by law. But suppose they just break the rules and extradite him before anyone can tell them not to - then he would be taken to Alexandria in Virginia, which is something like the security center of the US. The headquarters of the CIA, the Pentagon - everything is in close proximity. Most of the residents work for government institutions. If you convene a jury here, you can't stop someone from working for the government because so many do. Julian would be put in solitary confinement, maybe even the strictest form, because his case is about national security.
So what is the most severe form of solitary confinement?
There are a lot of prisoners in solitary confinement in the United States, it's routine there. Currently there are about 80,000. The worst form is called SAM, "Special Administrative Measure," which covers housing, correspondence and visitors. One can make a 15-minute phone call once a month. Visits are probably not allowed at all. When it came to his extradition, the U.S. assured him SAM would only be applied if he did something that required that measure. And the British court accepted that.
Should that come to pass: How can anyone live like that?
* Stella Assange, born in South Africa in 1983, is a human rights lawyer. In 2011, she became part of Julian Assange's legal team. In 2015, the two began a relationship; during the time Assange was in political asylum at the Embassy of Ecuador, their children were born, in 2017 and 2019. In 2022, the two married at Belmarsh Prison.