👁🗨 Stella Assange : "Au cœur de la politique, ici, et maintenant".
L'Australie est très influente, et, s'ils le veulent, ils peuvent résoudre le cas de Julian, mais chaque jour qui passe est synonyme d’échec à leur promesse, et il faut le leur rappeler constamment.
👁🗨 Stella Assange : " Au cœur de la politique ici, et maintenant ".
📰 Editorial, le 7 novembre 2022
L'épouse du fondateur de WikiLeaks, emprisonné à Londres, a répondu aux questions du public le vendredi 14 octobre lors de l'exposition NoisyLeaks à Berlin. Dominik Wetzel a eu l'occasion de lui poser quelques questions pour NachDenkSeiten et a retranscrit pour nos lecteurs des extraits de l'entretien avec le public. Ses réponses sont révélatrices.
Stella Assange: Bienvenue ! Cela fait du bien de voir autant de visages amicaux. Le samedi 8 octobre, nous avons eu une action à Londres demandant aux gens de former une chaîne humaine. C'était impressionnant. Une grève des transports avait même été décidée. Beaucoup de gens ont dit qu'ils ne le feraient pas parce qu’ils pensaient que ça ne marcherait pas. Nous avions calculé avoir besoin de 5.000 personnes, mais il y en a eu beaucoup plus, au moins 7.000. En outre, Julian a été présélectionné pour le Prix Sakharov, ce qui était vraiment inattendu. Pour nous, le seul fait d'être nommé est déjà une grande victoire. Puis nous avons découvert qu'il faisait partie des trois finalistes, et c'est énorme. Le contraste est saisissant: les États-Unis veulent l'envoyer en prison pour 175 ans, alors que le Parlement européen veut lui donner la plus haute distinction pour les droits de l'homme et la liberté de pensée. Au point où nous en sommes, les choses sont vraiment flagrantes.
Nous devons continuer à aller de l'avant et à construire un soutien pour le mouvement. Les récompenses, les reconnaissances, la dénonciation de ce qui se passe, tout cela est important pour que l'extradition devienne politiquement impossible. Car il ne s'agit pas d'une procédure juridique classique passant par les tribunaux, ici les tribunaux sont utilisés pour prolonger la détention de Julian. Ce qui est en jeu, c'est le pouvoir de l'État utilisé par des criminels pour poursuivre la personne qui les a dénoncés. La personne qui a essayé de rendre des comptes a été victime d'un abus de la justice. Il s'agit donc de renverser la situation. Ils ont inversé le point de vue concernant Julian et l'ont transformé en quelqu'un qui est devenu la cible pour leurs crimes.
Ils ont inversé la réalité, donc nous devons l'inverser nous aussi pour montrer que c'est lui qui a fait ce qu'il fallait, et que ce sont eux les criminels. Ils ne sont pas seulement criminels à cause de ce qu'il a publié sur eux, mais aussi à cause des mesures prises contre lui. Nous devons les nommer pour ce qu'ils sont: les criminels, et Julian le journaliste. Julian représente la vérité, les droits de l'homme et l'État de droit, et eux le contraire.
🎙 J'ai été assez choqué d’apprendre que Julian était positif au Covid, et je me suis demandé comment cela pouvait arriver dans une prison de haute sécurité, comment on n'était pas protégé du Covid ?
C'est ce qui a été frustrant pendant les six ou sept mois où je n'ai pas pu voir Julian, que pendant les pires phases de la pandémie, il n'a jamais été protégé du Covid. Car dans un endroit comme la prison de Belmarsh, il y a environ 800 détenus, mais aussi 500 employés. Les gens entrent et sortent tout le temps, sont infectés, etc. Quand on se déplace dans la prison, on passe en outre par des salles d'attente dans lesquelles ils rassemblent tous les prisonniers. 30-40 prisonniers qui restent dans une pièce pendant une à deux heures. Il l'a probablement attrapé dans une salle d'attente et se trouve maintenant à l’isolement dans sa cellule, qu'il n'a pas quittée depuis samedi dernier.
🎙 Il semble que la poursuite d'Assange soit bien le cas où l'on peut observer en temps réel la dégradation et la corruption du système judiciaire britannique. Vous êtes vous-même avocate, est-ce que cela entame à votre confiance en l'État de droit britannique ?
Je pense que quiconque observe cette affaire - expérience incluse - est constamment choqué par ce qui se passe depuis 2010. Si l'on pense par exemple au fait que le groupe de travail des Nations unies contre la détention arbitraire a livré sa décision sur l'affaire en février 2016.
Nous ne nous attendions pas naïvement à ce que si Julian gagne, ils se conformeraient à la décision, car c'est l'organe de décision le plus élevé en matière de détention arbitraire. Mais ce qui s'est passé, c'est qu'ils se sont comportés comme les pires champions de la détention arbitraire. Ils ont passé outre en riant, alors qu'il s'agissait d'une décision juridiquement exécutoire, se référant à des obligations juridiques internationales impératives, et ils l'ont tout simplement écartée. Cela nous a plutôt ouvert les yeux sur ce qu'ils étaient prêts à faire pour bafouer leurs obligations internationales de manière évidente pour tout le monde.
Un autre exemple a eu lieu en 2012. Julian est allé à l'ambassade le 19 juin 2012. Le 16 août, l'Équateur a déclaré qu'ils lui accorderaient l'asile politique. Ils y ont donc réfléchi pendant deux mois. Pendant cette période, il y avait beaucoup d'intimidation au niveau diplomatique au Royaume. Lorsque l'Équateur a annoncé qu'ils lui accordaient l'asile, ils ont menacé de prendre l'ambassade d'assaut. L'Équateur a publiquement condamné cette action et l'ensemble du bloc latino-américain s'y est également opposé. Le 16 août, il a finalement été annoncé publiquement que Julian était un réfugié politique. Le jour où l'Équateur a déclaré que l'asile serait accordé, il y avait énormément de policiers à l'extérieur du bâtiment. Il existe une photo célèbre de l'ambassade entourée de centaines de policiers, de sympathisants et de journalistes. La presse a pu prendre une photo du bloc-notes d'un policier sur lequel était écrit : "Arrêtez Assange, même s'il a l'immunité diplomatique, même s'il est dans une voiture diplomatique".
En substance, l'Angleterre a ordonné à sa police de violer la Convention de Vienne pour attraper Julian. Nous en sommes donc à ce stade où ils enfreignent la loi et s'occupent ensuite des conséquences. Ils argumenteront au tribunal que c'était légal, et le justifieront d'une manière ou d'une autre, mais la priorité était d’attraper Julian. Le poursuivre a toujours été le premier impératif politique, et c'est au-dessus de la loi. Pour Julian, c'était une lutte constante pour que ses droits soient reconnus et respectés, mais ils ont été de plus en plus bafoués.
🎙 Que signifie pour Assange et pour vous le fait d'être nominé pour le prix Sakharov, sachant qu'il ne le recevra probablement pas ? Cela va-t-il changer quelque chose ?
La nomination au prix Sakharov est énorme. En fait, j'étais à Bruxelles mardi et j'ai eu un entretien avec quelques parlementaires sur place. Une quarantaine de députés l'avaient nommé, et certains disaient qu'il ne gagnerait jamais, car le prix Sakharov est devenu un outil de pragmatisme politique et diplomatique. Ma réponse a été la suivante: je ne suis pas ici en pensant que Julian va gagner, je suis ici parce que vous l'avez nommé, et que c'est une énorme nouvelle. Énorme parce que le fait d'être finaliste devient un outil puissant pour nous, qui nous permet de continuer la campagne. C’est extrêmement bénéfique à son profil politique. Ce n'est pas un sujet marginal d’être l'un des trois finalistes pour le plus grand prix des droits de l'homme et de la liberté d'expression du Parlement européen. C'est au cœur de l'ici et maintenant politique, et personne ne peut le contester. Chaque initiative, petite ou grande, crée l'élan et le contexte politique nécessaires pour que le cas de Julian soit constamment au centre du débat. Les autres nominés sont le peuple d'Ukraine, Zelensky, et la Columbia Truth Commission. Peu importe qu'il gagne ou non. Il est l'un des trois finalistes, et cela nous permet de travailler avec un public plus large.
🎙 Pourriez-vous parler de l'engagement des jeunes générations sur ce sujet ?
Il est vraiment essentiel d'impliquer les jeunes. En partie parce qu'ils ne sont pas encore corrompus par lesavancements de carrière, et ce genre de choses. En Angleterre, nous nous engageons de plus en plus avec les universités, et j'ai fait quelques podcasts récemment. Un avec Russel Brand, et un autre avec Jordan Peterson. J'essaie de rapprocher les différentes positions politiques, car je pense qu'il faut une masse critique de personnes pour faire libérer Julian. Pour cela, il faut aller au cœur du problème: que ce soit à gauche ou à droite, la plupart des gens sont d'accord sur le fait que la vérité ne devrait pas être un crime, qu'on ne devrait pas mettre les éditeurs en prison, et que les crimes de guerre devraient être traduits en justice. Je pense qu'il s'agit aussi de trouver un discours commun, ce qui est très représentatif de notre époque, non ? Tout est tellement polarisé, mais il y a des dénominateurs communs, et nous devons nous mettre d'accord sur ce que sont ces dénominateurs communs.
🎙 Vous êtes sur la ligne de front pour défendre la liberté de la presse. Quel soutien avez-vous reçu de la part des médias avec lesquels WikiLeaks a collaboré ?
Ils ont fait le strict minimum. Ils sont pour l'essentiel du bon côté de l'histoire, en ce sens qu'ils ont rédigé des mentions légales expliquant que Julian ne doit pas être poursuivi et qu'il y a là une attaque contre la liberté de la presse. Mais honnêtement, ils pourraient et devraient faire plus. Ils devraient au moins publier une déclaration commune appelant à la libération d’Assange, et que les poursuites devraient être abandonnées. Une déclaration commune des cinq partenaires initiaux. Ce serait vraiment simple et évident. Je pense que le problème est que certains journaux ont honte, c'est pourquoi ils préfèrent ne pas se mettre sous les feux de la rampe. Le Guardian en particulier. Le problème, c'est que la presse, et en particulier ceux qui ont travaillé le plus étroitement sur ces publications, pourraient être poursuivis sur la même base, mais s’ils s'étaient comportés différemment, je suis convaincue que Julian n'aurait pas passé un seul jour en prison. Et chaque jour qui passe sans que ces journaux ne parviennent pas à faire ce qu'il faut.
🎙 Comment êtes-vous faites-vous pour aller de l'avant face à cette incroyable injustice ? Comment faites-vous pour suivre le rythme et garder votre sang-froid ? Comment faites-vous face ?
Se battre pour Julian, c'est la partie facile. Il y a beaucoup d'intérêts publics et on continue, tout simplement. Il y a partout beaucoup de gens qui veulent aider. Se battre pour Julian, c'est facile de me battre pour lui, parce que je veux qu'il soit libre. On n'a pas besoin de motivation supplémentaire. Le plus dur, c'est qu'on a parfois affaire à de vrais psychopathes. Ce n'est pas la majorité et je ne suis pas vraiment concernée par Twitter et tout ça, mais ils existent. On essaie simplement de communiquer sur l'importance de l'affaire, et puis on rencontre des gens qui sont tout simplement extrêmement bizarres sur le plan psychologique. Mais je pense que c'est dans la nature des choses d'interagir avec le public, ou avec des gens qui font juste semblant d'être des soutiens. J'ai été témoin d'attaques concertées extraordinairement et d'histoires planifiées contre Julian, pendant des années. Je sais à quoi j'ai affaire.
Toute l'opération de la CIA à l'ambassade - certaines personnes ont dit: "Oh, mon Dieu, comment est-ce possible d’essayer de voler l'ADN de la couche de ton enfant, et qu'ils aient planifié de le tuer ?" Le fait est que je le savais.
Je ne le “savais"pas en détail, nous ne savions pas encore que des lanceurs d'alerte espagnols s’étaient manifestés, et rien à propos de l'enquête de 7.000 mots publiée l'année dernière. Je ne le savais pas en décembre 2017, mais je pouvais le percevoir, cet environnement. C'était extrême. Bien sûr qu'ils l'ont fait, parce que je l'ai ressenti à l'intérieur. C'est pourquoi c'est un soulagement que nous puissions en parler ici aujourd'hui. Mais imaginez si ces lanceurs d'alerte n'avaient pas été rendus publics, si l'enquête de la CIA n'avait pas été publiée ! Je serais là à raconter comment nous étions là-dedans, et que c'était comme s'ils le tuaient à chaque instant, et vous penseriez: "Eh bien, elle est certainement un peu affectée par la situation, mais cela ne peut pas être aussi extrême". Eh bien, si, ça l’était.
D'une certaine manière, c'est un soulagement de pouvoir vous parler sans avoir le sentiment qu’il y a une barrière entre ma réalité et la vôtre. Car vous êtes sensibles à ce que nous avons vécu, à ce qui a été fait à Julian, parce que ces choses ont été publiées au fil du temps. Ce qui était vraiment difficile, c'est quand nous l'avons vécu, et qu’en apparence tout était comme avant: "Cela ne se passe que dans sa tête, les Etats-Unis sont ok, l'Angleterre se comporte normalement, il pourrait sortir à tout moment".
🎙 Est-ce que pour le Premier ministre australien, il suffit que son peuple dise "nous voulons qu'il soit chez lui", ou quel est le processus ? Est-ce vraiment aussi simple que cela ?
En principe, oui. Le gouvernement australien est un proche allié des États-Unis, et il compte d'un point de vue stratégique et politique. Que savons-nous du gouvernement précédent ? Nous savons que Scott Morrison, le Premier ministre précédent, passait des appels téléphoniques hebdomadaires avec Mike Pompeo. Mike Pompeo, qui avait prévu de tuer Julian. Maintenant, la position publique du gouvernement australien est différente, et tout ce qu'ils ont à faire, c'est de trouver le moyen de l'appliquer. Le gouvernement australien n'est pas novice en la matière. Ils ont fait sortir Melinda Taylor de Libye, un journaliste égyptien, Kylie Moore-Gilbert d'Iran - ils sont constamment en train de négocier. Le gouvernement australien est en effet très expérimenté dans ces affaires. Cela doit être d’autant plus simple avec un allié. L'élection d'Albanese a également été motivée par le fait qu'il a pris position sur Julian, tout comme d'autres personnalités politiques élus depuis. Ils ont promis de le libérer. Il faut que la presse et la population australiennes continuent à les solliciter. Pourquoi n'est-il pas encore dehors ? Nous devons insister, car bien sûr, Albanese peut dire: "Je sais que nous sommes amis, mais j'ai mes propres dynamiques politiques domestiques, et j’ai une pression folle à cause de cette affaire Assange, pouvez-vous accélérer les choses". Les gouvernements sont proches.
L'Australie se comporte comme si elle était insignifiante et c'est incroyable, parce que... c'est un peu comme... je ne veux pas dire du mal du Parlement européen, mais... j'étais assise là, pensnts qu'ils n'avaient pas compris à quel point ils sont puissants, et c'est la même chose avec l'Australie. L'Australie est incroyablement influente et importante pour les États-Unis, et s'ils prennent le sujet à bras le corps, ils peuvent le résoudre. Chaque jour qui passe où Julian n'est pas libre est synonyme d’échec à leur promesse, et il faut le leur rappeler constamment.