👁🗨 Stella Assange : J'ai épousé Julian Assange en prison. Je me bats aujourd'hui pour sa liberté
"Vous savez, bien des gens veulent la liberté de Julian . Il reçoit beaucoup d'amour & de soutien". Et une grande partie de ce soutien transite par une personne répondant au nom de Stella Assange.
👁🗨 J'ai épousé Julian Assange en prison. Je me bats aujourd'hui pour sa liberté
Par Andrew Billen, le vendredi 24 mars 2023
"Vous savez, beaucoup de gens veulent que Julian soit libre. Il reçoit beaucoup d'amour et de soutien", dit-elle doucement. Et je pense qu'une grande partie de ce soutien transite par une personne répondant au nom de Stella Assange.
Il est le célèbre fondateur de WikiLeaks, emprisonné depuis 2019 à Belmarsh et le détenu britannique le plus controversé. Elle est la mère de leurs deux jeunes enfants et l'avocate qui fait campagne pour sa libération.
Stella Assange le sait, l'histoire qu'elle partage avec son mari, le fondateur de WikiLeaks Julian Assange, ressemble plus à une fiction qu'à une réalité, une histoire rocambolesque de flux de données, d'allégations d'abus sexuels et d'un complot d'assassinat échafaudé au siège de la CIA en Virginie. Certains matins, cependant, la vie doit ressembler à une broyeuse sans merci - et pour eux deux : lui dans sa sombre prison de haute sécurité du sud-est de Londres, elle qui en est à sa cinquième année de lutte pour le faire libérer.
Prenons l'exemple de ce matin. Le trajet de son domicile de l'ouest de Londres au HMP Belmarsh a duré une heure et quart en train et en bus. À son arrivée, ses empreintes digitales ont été relevées, et ses affaires mises sous clé. Elle a reçu un laissez-passer de visiteur et ses empreintes ont été vérifiées une nouvelle fois avant qu'elle ne passe dans un appareil à rayons X. À ce moment-là, on lui a dit de reprendre le parcours du début, parce qu'elle portait un sweat à capuche. Elle est de nouveau passée, a fait l'objet d'un balayage magnétique à la recherche d'armes et d'une fouille par palpation à la recherche de stupéfiants. Les agents ont également vérifié l'intérieur de sa bouche, derrière ses oreilles et dans ses cheveux. Elle a ensuite traversé une cour jusqu'à la prison proprement dite, où ses papiers ont été vérifiés une nouvelle fois, et où un chien l'a flairée.
Les Assange se réunissent dans une immense salle, observés par des gardes depuis les étages. On lui attribue l'une des 40 tables - chacune dispose d’un appareil d'enregistrement - et là, enfin, Julian et elle peuvent s'embrasser et discuter pendant une heure environ, en se tenant par la main par-dessus la table. Elle fait tout cela en moyenne deux fois par semaine. Souvent, elle emmène leurs deux garçons, Gabriel, 5 ans, et Max, 4 ans, qui s'assoient sur les genoux de leur père ou courent vers l'aire de jeux. Aujourd'hui, il n'y avait qu'eux deux.
Son cœur s'emballe-t-il lorsqu'elle l'aperçoit ?
"C'est comme si je me ressourçais et que je retrouvais mon équilibre. Même si ce n'est qu'une heure, cela fait toute la différence", dit-elle avec un accent américain hérité de ses années passées dans une école internationale au Lesotho, en Afrique australe.
La clarté du jour, disait-on à propos de la corruption gouvernementale, est le meilleur des désinfectants. Je me demande si Assange, ce grand désintoxicateur des malversations de l'État, bénéficie d'une fenêtre dans sa cellule. C'est le cas, et il nourrit les oiseaux depuis cette fenêtre. Selon elle, les gens pensent qu'il vit entouré d'ordinateurs, mais le cybercitoyen par excellence est en fait un amoureux de la nature qui a grandi dans la campagne australienne avant que sa famille ne s'installe à Melbourne.
"Nous parlons du genre d'endroit où nous voulons vivre quand tout cela sera terminé, et je ne sais pas où ce sera, mais j'imagine que ce sera un endroit avec un accès direct à la nature", dit Stella.
La nature est aussi son domaine, affirme-t-elle, car, bien que sa famille ait été nomade, elle a passé une grande partie de son enfance en Afrique.
"Oui, convient-elle, et c'est important pour les enfants. Sans cette situation, nous vivrions probablement à la campagne."
Quand pense-t-elle qu'ils pourront mener cette vie qu'ils se promettent ? "Eh bien, cette situation est tellement imprévisible que nous ne savons pas ce qu'il adviendra de notre vie. Ce pourrait être le mois prochain. Cela pourrait être dans trois ans. Ou bien jamais. C'est la réalité avec laquelle il faut composer, mais une projection est nécessaire pour rester sain d'esprit. Il faut œuvrer pour quelque chose".
Quelque chose comme son mariage, je suppose, qui a eu lieu à Belmarsh devant un officier d'état civil et un prêtre catholique il y a presque exactement un an, Stella portant une robe de mariée dessinée par la regrettée Vivienne Westwood, une fervente admiratrice d'Assange. "C'était une belle journée et une superbe robe", dit-elle, avant de marquer un temps d'arrêt pour se remémorer l'événement. "Vous savez, nous aimons nous retrouver ensemble ".
Et soudain, sous mes yeux, se dessine alors un sourire éblouissant et inattendu.
Ayant négocié les protocoles de sécurité les moins contraignants de l'immeuble du Times près du London Bridge, elle me parle au dernier étage de notre immeuble, d'où l'on ne peut pas vraiment distinguer Belmarsh. Elle a 40 ans, c'est une femme menue à l'intelligence aussi impressionnante que son sourire, avec des tournures et des expressions à la fois vives et précises, dignes d'une avocate intégrée à l'équipe de défense de M. Assange. Elle marque souvent un temps d'arrêt pour réfléchir à la meilleure réponse à donner à une question, mais la réponse, lorsqu'elle arrive, est toujours pertinente.Assange s'adressant aux médias depuis l'ambassade d'Équateur, 2016
Au début de leur idylle, elle n'avait jamais imaginé qu'Assange pourrait être emprisonné. Pourtant, à l'époque, Assange était loin d'être un homme libre. En 2012, il avait perdu une bataille juridique pour éviter l'extradition vers la Suède. La police de Stockholm enquêtait sur ce qui était décrit comme des allégations de viol par deux collaboratrices de WikiLeaks à Stockholm. Craignant que l'Amérique ne l'extrade plus facilement de Suède que la Grande-Bretagne pour lui faire subir de lourdes peines pour avoir publié des secrets officiels, M. Assange n'a pas respecté les termes de sa mise en liberté sous caution, et s'est réfugié dans l'improbable asile de l'ambassade d'Équateur à Knightsbridge, à Londres. Mais lorsqu'un gouvernement plus pro-américain a pris le pouvoir en Équateur, la police métropolitaine a été invitée à l'arrêter. Cette année-là, en 2019, il a été reconnu coupable d'avoir enfreint les conditions de sa libération sous caution en 2012 et a été incarcéré à Belmarsh.
On pourrait dire qu'elle est naïve, mais Stella ne se doutait pas que la peine de 50 semaines s'étendrait sur 4 ans et plus ( la date anniversaire est le 11 avril). À peine les portes de la prison s’étaient-elles refermées derrière lui que les États-Unis requéraient son extradition pour avoir divulgué des secrets de guerre américains (dont une vidéo, “Collateral Murder”, qui montrait l'équipage d'un hélicoptère de l'armée américaine tuant froidement une douzaine de civils à Bagdad). La raison de son incarcération était alors toute autre : il représentait désormais un "risque de fuite" pour la justice américaine. L'espionnage ayant été ajouté à son dossier d'accusation, s'il est reconnu coupable, il risque l'incarcération dans les prisons américaines les plus dures jusqu'à la fin de ses jours. La peine maximale encourue est de 175 ans.
"Mais la détention de Julian est tout à fait absurde", déclare sa femme. "Il n'a fait qu'essayer de faire respecter le droit international.”
Stella n'imaginait pas non plus - et cela l'inquiète vraiment - que son incarcération serait si peu médiatisée en Grande-Bretagne, pays dans lequel il avait été invité par le Guardian en 2010 pour approfondir ses révélations, lui offrant ainsi des exclusivités à la Une de la presse pendant des jours. "Je pense qu'ici, on ne comprend pas que Julian est poursuivi pour avoir dénoncé les guerres d'Irak et d'Afghanistan. Si vous questionnez les gens, ils ne savent pas pourquoi il est en prison, ou même qu'il est en prison".
Son état d'esprit fluctue beaucoup, dit-elle, et dépend souvent de ses rapports avec la bureaucratie pénitentiaire. Aujourd'hui ? "Aujourd'hui, c'était bien. Aujourd'hui, je me sens pleine d'énergie. Julian était de bonne humeur.” Et les autres jours ? "Il y a eu des moments très sombres où il a parlé de suicide, où il ne communiquait pas, où il était totalement perdu. Mais c'était principalement lorsqu'il était dans la soi-disant unité de soins de Belmarsh, parce que la prison estimait qu'il présentait un risque élevé de suicide. Les prisonniers de Belmarsh ont alors lancé une pétition pour qu'il soit transféré, parce que son état se dégradait vraiment beaucoup dans cette unité".
Selon moi, il faudrait qu'un père de deux jeunes enfants soit gravement déprimé, voire mentalement atteint, pour envisager de mettre fin à ses jours.
"Il s'est retrouvé dans une situation désespérée à laquelle n'importe qui aurait du mal à faire face".
Peut-elle le raisonner ? Peut-elle lui dire : " Allez, on va vivre un jour dans une maison à la campagne " ?
"Ce genre de conversation est confidentiel".
Les avocats d'Assange me plaisent toujours un peu - j'appelle cela poliment un paradoxe - lorsqu'ils parlent de vie privée alors que leur client pense manifestement que le droit à la vie privée est inexistant du point de vue de l'État. "C'est une exagération. Il pense qu'il y a des secrets légitimes, mais son travail consiste à publier des informations d'intérêt public.”
Ce n'est donc pas un anarchiste inconséquent qui balance tout sur la place publique ? "Non, pas du tout. Ce n'est pas un anarchiste. C'est plutôt une sorte de libertaire. Mais il ne s'étiquette pas lui-même et il n'aime pas non plus qu'on l'étiquette.”
Bien que les gens s'imaginent souvent le contraire, M. Assange a bel et bien expurgé les noms des documents divulgués qui lui ont été transmis avant de les publier. Il insiste sur le fait que c'est un journaliste du Guardian qui a publié dans un livre de 2011 la clé de cryptage permettant un effacement des noms de code dans 250 000 câbles diplomatiques américains (le journaliste a déclaré qu'il pensait qu'il s'agissait uniquement d'une clé temporaire). En effet, un documentaire de 2016, Risk, montre Assange essayant frénétiquement de contacter la secrétaire d'État américaine, Hillary Clinton, pour l'avertir que les fichiers cryptés circulaient sur le web et que le code était désormais également public. Il a ensuite rendu publics les câbles non expurgés, arguant que c'était désormais la solution la plus sûre et la plus équitable, un argument que le Guardian et ses autres coéditeurs ont dénoncé. La révélation de ces noms est l'une des raisons pour lesquelles les États-Unis veulent le juger, et pour lesquelles il est toujours en prison, luttant contre l'extradition.
En janvier 2021, la High Court s'est prononcée sur les demandes d'extradition américaines. Pour l'essentiel, elle s'est prononcée en faveur des États-Unis : elle a estimé que leur demande n'était pas motivée par des considérations politiques, que les conséquences pour Stella et les garçons n'étaient pas surprenantes, et qu'un procès devant un tribunal spécialisé dans l'espionnage en Virginie se déroulerait de manière équitable. Pourtant, le juge a refusé de manière inattendue l'extradition pour le seul motif qui ne ferait pas jurisprudence : il existerait un risque réel qu'Assange, compte tenu de son état mental précaire, se suicide dans une prison américaine infernale. Les États-Unis ont ensuite fait appel avec succès, mais l'affaire suit son cours, et une nouvelle décision est attendue prochainement, peut-être le mois prochain, sur la question de savoir si un appel contre l'extradition doit être entendu.
Nils Melzer, universitaire suisse qui, jusqu'à son départ pour la Croix-Rouge l'année dernière, était rapporteur spécial des Nations unies sur la torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants, écrit dans son nouveau livre consacré à Julian Assange, The Trial of Julian Assange : A Story of Persecution, que les délais juridiques sont stratégiques : "Les États-Unis ne se précipitent pas pour mener la procédure d'extradition à son terme. Plus les étapes de la procédure se prolongent, plus la santé et la stabilité d'Assange se détériorent et plus l'effet dissuasif sur d'autres journalistes et lanceurs d'alerte est puissant".
Stella est d'accord. Ce n'est pas seulement la santé mentale de son mari, âgé de 51 ans, qui est en cause, mais aussi sa condition physique. En octobre 2021, il a été victime d'un mini-accident vasculaire cérébral. "Ce qui est infligé à Julian est délibérément illimité et cruel. Il s'agit de le faire souffrir éternellement", déclare-t-elle.
"C'est ainsi que les dictatures opèrent. Ce n'est pas ce que prônent les démocraties libérales qui valorisent la liberté individuelle, la liberté d'expression et la liberté de la presse. Il ne s'agit pas simplement d'une mesure prise pour le maintenir en prison. Nous devons briser les mécanismes existants qui ont permis de le maintenir en prison. Il est impératif de protéger le droit des éditeurs à la liberté d'expression et de lutter contre la détention arbitraire. Nous devons faire en sorte que tous soient concernés par ce phénomène. Il s'agit là d'un bouleversement culturel et politique, c'est ce qui est en train de se produire ici.”
Les Assange redoutent Belmarsh. Une demande de liberté d'information a révélé que plus de 200 incidents violents s'y sont produits au cours de l'année précédant octobre 2022 (bien que, je le découvre, la Howard League for Penal Reform n'ait enregistré qu'un seul décès réel en 2021). Mais leurs plaintes ne sont rien comparées à ce qu'Assange a enduré, selon eux, pendant les années du luxe tout relatif qu'il a connu en tant que réfugié politique et rescapé de la libération sous caution à l'ambassade.
Néanmoins, ces sept années ont également été marquées par de bons souvenirs. C'est en effet au cours de ces années qu'ils sont tombés amoureux. Ils se sont rencontrés pour la première fois au Frontline, un club de journalistes situé à Paddington, en 2011, où elle l'avait trouvé "séduisant", dans le style "personnage historique". À la demande de son avocate Jennifer Robinson, Stella a rejoint son équipe juridique. En 2015, ils sont tombés amoureux.
Elle n'est pas la première femme séduisante de l'équipe Assange à tomber amoureuse de lui. Sarah Harrison, son ancienne assistante personnelle, a été sa petite amie pendant un certain temps et, en 2013, elle a passé 40 jours dans un aéroport de Moscou avec Edward Snowden, une autre source de WikiLeaks. Elle n'est pas retournée en Grande-Bretagne pendant trois ans, de peur d'être détenue en vertu des lois antiterroristes.
Pendant des années, la relation de Stella avec Assange a été l'un de ces secrets que WikiLeaks a su garder ( l'autre étant que, comme pour Boris Johnson, personne ne sait exactement combien d'enfants Assange a conçus, bien que Stella affirme que le véritable nombre se trouve quelque part dans les documents judiciaires). Ils ont fondé une famille parce que, comme elle l'a déjà expliqué, Assange ne s'est jamais rendu coupable de quoi que ce soit. La liberté semblait à portée de main. Même le personnel de l'ambassade n'était pas en mesure d'affirmer que le bébé accueilli à plusieurs reprises par un ami acteur de Stella était un enfant d’Assange, le moment de la conception de Gabriel ayant été dissimulé aux caméras de sécurité au moyen d'une tente installée "pour des raisons d'intimité, pour échapper aux regards". Pour s'en assurer, l'ADN du bébé a été analysé dans ses couches.
Ce n'est qu'en avril 2020 que l'on a appris qu'Assange avait une nouvelle famille, lorsqu'il a demandé à être libéré sous caution pour se rendre au domicile de Stella. Entre-temps, pour préserver son anonymat, elle a changé son nom, et de Sara González Devant, elle est devenue Stella Moris. Je n'ai toutefois pas l'impression que ces subterfuges aient été une source d'excitation pour l'un ou l'autre d'entre eux.
"Nous avions l'impression que l'ambassade était un environnement très peu sûr à la fin. J'avais peur qu'ils nous tuent". Et avait-elle peur pour elle-même ? "J'avais peur d'être attaquée comme moyen de l'atteindre. Nous ne savions pas qu'il avait été planifié de laisser la porte ouverte pour qu'il puisse être kidnappé.”
"Pour les gens ordinaires, cela ressemble à une sorte de fiction bizarre. Mais nous avons dû faire face à des complots d'assassinat et d'enlèvement, à des gens qui nous suivaient et à des actes d'intimidation. C'est sa réalité. On essaie de se protéger comme on peut."
En tant que directeur de la CIA de 2017 à 2018, Mike Pompeo a été obsédé, selon elle, par l'idée de faire tomber WikiLeaks et a demandé à la CIA de travailler avec la société de sécurité espagnole employée par l'ambassade pour éliminer ainsi son fondateur. "Il y a eu des discussions à la Maison Blanche sur la nécessité d'assassiner Julian. Pompeo a ordonné ce qu'on a appelé des 'esquisses et des plans' pour l'assassiner", dit-elle, se référant à une enquête de Yahoo News basée sur les témoignages de plus de 30 sources. L'année dernière, la Haute Cour d'Espagne a convoqué M. Pompeo pour qu'il témoigne sur ces allégations. Il n'a pas réagi.
"Mais Pompeo l'a confirmé. Il a déclaré que les sources impliquées dans cette histoire devraient être poursuivies en vertu de la loi sur l'espionnage (Espionage Act). On ne poursuit pas en vertu de la loi sur l'espionnage si c'est vrai".
Dans ses mémoires, Never Give an Inch, Pompeo qualifie Assange de "voyou" et d'"escroc", et affirme avoir fait pression sur les Équatoriens pour qu'ils "chassent Assange de son logement pathétique au sein de leur ambassade". Je serai “ravi", ajoute-t-il, " de le voir jeté dans un pénitencier fédéral américain. Ce sera un idiot utile de moins à exploiter pour la Russie - et un avertissement pour toutes les crapules de ce genre à l'avenir".
Compte tenu de l'ampleur de l'intimidation (j'emploie sans doute un euphémisme) et de ses détails mouvementés, il est tout de même extraordinaire de constater le peu d'empathie que son cas suscite en Grande-Bretagne. Au niveau international, en revanche, il bénéficie du soutien du président de l'assemblée générale des Nations unies, de plus de 2 000 journalistes de 108 pays et de 15 dirigeants mondiaux actuels et anciens, dont Anthony Albanese, le premier ministre australien.
Notre scepticisme s'explique certainement par les allégations d'inconduite sexuelle, voire de viol, formulées en Suède par deux femmes avec lesquelles M. Assange a été en contact à trois jours d'intervalle en 2010. L'une d'elles pense qu'il a retiré son préservatif lors d'un rapport consenti, l'autre qu'il a eu un rapport non protégé avec elle, alors qu'elle était endormie. La loi suédoise exige toutefois la preuve d'une intention coupable et aucune charge n'a jamais été retenue contre M. Assange.
A-t-il - et Stella le saurait - un problème avec les relations sexuelles protégées ? "Ce n'est pas sa version. Les allégations suédoises ont été déformées. En fait, le second procureur chargé de l'affaire a déclaré que la version de chacun était crédible et qu'il ne s'agissait pas d'une infraction pénale.”
Mais c'est une situation qui a amené les gens à se demander s'il s'agissait d'un homme très sympathique. Est-il un homme sympathique ?
"Je pense qu'il y a beaucoup à dire à ce sujet.'“
Mais est-il gentil ?
"Bien sûr qu'il l'est. Évidemment qu'il l'est."
Mais elle n'est pas seulement tombée amoureuse de ses idées politiques ou de son statut de martyr. Elle est tombée amoureuse d'un homme honnête, peut-être même trop honnête ?
"C'est l'homme le plus étonnant du monde", dit-elle avec un autre de ses fameux sourires.
Elle attribue en partie sa rupture avec The Guardian au choc des egos journalistiques. Quant à savoir si cela explique que la réalisatrice Laura Poitras se soit retournée contre lui pendant le tournage de Risk, c'est une autre affaire. J'ai eu l'impression qu'elle partageait la stupeur de l'avocate Helena Kennedy, spécialiste des droits civiques, lorsqu'il a qualifié ses accusatrices suédoises de "folle conspiration féministe". Mais Stella souligne que Mme Poitras soutient également la libération d'Assange, tout comme Alan Rusbridger, rédacteur en chef du Guardian au moment de son histoire d'amour avec Assange.
Je me demande si l'autisme d'Asssange, diagnostiqué en 2020, peut expliquer qu'il mette tant de gens dans l'embarras. Je pense que cela peut expliquer beaucoup de choses, y compris son extraordinaire, mais insensé courage. Il est parfaitement logique que lorsque vous mettez à nu une superpuissance, celle-ci vous tombe dessus. Mais son approche courageuse lui a permis d'aller là où personne d'autre n'osait aller.
"Je pense que lorsque vous lisez toutes ces choses sur Julian - ces horribles caricatures de son caractère - lorsque vous les regardez au travers d'un filtre sensible, vous découvrez un autre point de vue. Prenez par exemple le prétendu laisser-aller de Julian. En réalité, il est extrêmement structuré. Il catégorise tout. Je suis plutôt désordonnée. Il met de l'ordre dans son étagère. Certains livres vont ici, d'autres là. Moi, c'est le chaos total".
Mais il a la réputation d'être un flemmard, de ne pas se laver, de laisser ses caleçons sur les chaises lorsqu'il travaille avec des journalistes. "Julian peut passer trois jours sans dormir ni manger parce qu'il oublie de manger. Une fois, il a appelé une ambulance alors qu'il n'avait ni dormi ni mangé trois jours d'affilée, tellement il était concentré sur ce qu'il faisait. Pour répondre à votre question [sur cette question de désordre], je pense qu'il prend très au sérieux les principes et les règles : Je pense qu'il prend les règles au sérieux".
Je pense qu'elle veut parler des règles relatives à la préservation des secrets d'État. Pas elle.
"Nous parlons d'une véritable destruction des règles internationales instaurées après la Seconde Guerre mondiale. Cela a commencé avec le 11 septembre, puis avec la création de toutes sortes d'exceptions permettant de torturer, d'avoir ce que l'on appelle des "sites noirs" et de créer Guantanamo Bay, où l'on peut détenir arbitrairement des personnes sans procès, les torturer et même les tuer. Il était scandalisé par la violation de ces lois".
Mais si l'on compare sa situation, dis-je, avec le cas de Chelsea Manning, l'officier de renseignement de l'armée américaine qui a envoyé les dossiers sur l'Irak et l'Afghanistan à WikiLeaks ; elle l'a fait, a été emprisonnée et condamnée à une peine de prison de 30 ans pour avoir violé le droit à l'information. Elle l'a fait, a été condamnée, n'a montré aucun signe de volonté de récidive, et a vu sa peine commuée par le président Obama. Pourquoi, après avoir gagné en célébrité et en infamie, M. Assange ne s'est-il pas effacé et n'a-t-il pas confié WikiLeaks à quelques autres ?
"Pourquoi aurait-il fait cela ?”
Parce qu'il mettait sa vie en danger. Parce que quelqu'un d'autre pouvait le faire à sa place. Etait-ce dû à son ego, à son besoin d'être le symbole de WikiLeaks ?
"Il a essayé de ne pas se faire remarquer très longtemps. Si vous prenez le WikiLeaks des débuts, vous constaterez que pendant quelques années, il n'y avait pas de visage connu, jusqu'à ce que ce ne soit plus possible, parce que trop de gens savaient qui il était. Si personne ne joue le rôle de façade, n'importe peut se faire passer pour lui".
Je vois. Si M. Assange gagne son appel contre l'extradition et est libéré, reprendra-t-il tout simplement la publication de WikiLeaks ?
Elle marque une pause inhabituellement longue, même selon ses critères.
" Comment pourrais-je répondre à cette question ? "
Je me doute qu'elle pourrait être amenée à plaider le Cinquième Amendement en son nom.
" Connaissant Julian, je pense qu'il a d'abord besoin de guérir. Il a besoin de temps. Il a accompli bien des choses dans sa vie, et les idées sur ce qu'il pourrait faire ne manquent pas, et il ne s'agit pas seulement d'être le fondateur et le rédacteur en chef de WikiLeaks. C'est un écrivain. C'est un intellectuel public".
Et c'est là que l'on perçoit la véritable différence entre les sensibilités de Julian et de Stella Assange. Elle sait quand il faut brouiller les pistes. Lorsque je lui demande si les tribunaux politiques existent en Grande-Bretagne, elle sait qu'il faut répondre non, mais qu'il existe des "affaires politiques". Y a-t-il une conspiration pour maintenir son mari en prison ? Le terme “conspiration…", dit-elle, est "problématique". Après tout, elle est avocate ; Julian est simplement une force de la nature.
Elle est également mère de leurs deux enfants et doit se déplacer pour aller les chercher à l'école et à la crèche. Je dirais que toute femme qui élève seule ses enfants doit être épuisée en permanence : qu'elle supporte en plus le stress juridique et politique est inconcevable.
"Mais vous savez, beaucoup de gens veulent que Julian soit libre. Il reçoit beaucoup d'amour et de soutien", dit-elle doucement.
Et je pense qu'une grande partie de ce soutien transite par une personne répondant au nom de Stella Assange.