👁🗨 Stella Assange : L'Amérique s'est alignée sur les pires standards soviétiques.
Les journalistes du monde entier attendent que l'Occident défende la liberté de la presse & libère Assange. L'enjeu va bien au-delà de la confiance du public dans le système judiciaire britannique.
👁🗨 Stella Assange : Stella Assange : L'Amérique s'est alignée sur les pires standards soviétiques.
Par Stella Assange*, le 14 juin 2023
Les journalistes du monde entier attendent de l'Occident qu'il défende la liberté de la presse, et qu'il libère Julian Assange. C'est bien plus que la confiance du public dans le système judiciaire britannique qui est en jeu.
Mon mari, Julian Assange, en est maintenant à sa cinquième année d'emprisonnement sans condamnation au HMP Belmarsh. Le documentaire Ithaka : The Fight to Free Assange, diffusé récemment sur ITV, suit le père de Julian, John, et moi-même pendant les deux premières années de l'incarcération de Julian et les audiences d'extradition.
Le film laisse deviner Julian, qu’on entend chanter une berceuse au téléphone à un moment donné. Notre plus jeune enfant, qui a récemment fêté ses quatre ans, n'avait que quelques semaines lorsque Julian a été arrêté. Ithaka suit notre famille qui tente de libérer Julian pendant la pandémie. Au début, j'ai eu du mal à regarder ce film, car nous avons l'air si vulnérables. Mais depuis, Ithaka est devenu une source d'optimisme pour moi.
Dans les affaires impliquant des prisonniers politiques, on laisse souvent l'injustice perdurer pour la simple raison que c'est la solution de facilité : y mettre fin reviendrait à reconnaître le caractère faillible du système de justice pénale et, par conséquent, à réduire la confiance de l'opinion publique en ce système. Ou, comme l'a exprimé plus crûment Lord Denning en 1988 (je paraphrase) : "Nous n'aurions pas toutes ces campagnes pour faire libérer les Six de Birmingham s'ils avaient été pendus. Ils auraient été oubliés et toute la communauté aurait été satisfaite".
Mon optimisme s'explique par le fait que Julian, bien qu'il soit toujours enterré dans les entrailles de Belmarsh et qu'il risque une peine de 175 ans de prison s'il est extradé vers les États-Unis, est loin d'être oublié. Le système qui a permis son emprisonnement, en revanche, est de plus en plus contesté.
L'auteur Shehan Karunatilaka, lauréat du prix Booker 2022, a récemment fait remarquer :
"Julian Assange, aussi controversé soit-il, est un héros pour de nombreux écrivains d'Asie du Sud, car la liberté d'expression n'est pas quelque chose que nous tenons pour acquis... Le journalisme a été criminalisé dans nos régions et nous nous tournons donc vers l'Occident pour voir comment cette affaire sera instruite, et comment elle se terminera".
Il ne fait aucun doute que la description de Karunatilaka est représentative du prisme à travers lequel la plupart des pays du monde considèrent l'affaire contre mon mari. Et cette préoccupation n'existe pas seulement en dehors de l'Occident.
Lors de la Journée mondiale de la liberté de la presse organisée cette année par l'Unesco aux Nations unies à New York, la secrétaire générale d'Amnesty International, Agnès Callamard, a déclaré :
"Ce n'est pas seulement ce qui se passe en Iran ou en Russie qui doit nous préoccuper, mais aussi ce qui se passe ici. Qui emprisonne Julian Assange ? Malheureusement, le manuel de l'autocratie, le manuel du contrôle des consciences, ou du contrôle de la parole, a été bien assimilé par nos soi-disant dirigeants démocratiques".
La présidente du Comité pour la protection des journalistes, Jodie Ginsberg, a fait remarquer que les poursuites engagées par les États-Unis contre Julian "si elles aboutissent, pourraient effectivement criminaliser le journalisme n'importe où, pour les journalistes du monde entier".
Les accusations d'"espionnage" forgées de toutes pièces par la Russie à l'encontre du journaliste du Wall Street Journal Evan Gershkovich pour ses activités de collecte d'informations sont similaires à celles visant Julian pour ses activités de collecte et de publication d'informations. Le dernier journaliste américain à avoir été poursuivi par la Russie pour "espionnage" est Nicholas Daniloff, en 1986. Ce n'est pas l'Amérique qui est à l'origine de cette pratique, mais l'Amérique s'est alignée sur les pires standards soviétiques, et les a remis au goût du jour. Cela ne s'arrêtera pas là. C'est pourquoi l'affaire Assange constitue la plus grande menace pour la liberté de la presse dans le monde.
Les accusateurs américains de Julian utilisent le terme "espionnage" pour désigner le "journalisme". Ils n'affirment pas que Julian a agi pour le compte d'une puissance étrangère ou qu'il a été de connivence avec elle. Les publications de WikiLeaks révèlent le massacre de dizaines de milliers de civils en Irak et en Afghanistan, apportent des preuves de torture et du recours à des commandos d'assassins, et révèlent au moins un crime de guerre potentiel impliquant le massacre d'employés de Reuters à Bagdad. Les faits sont bien connus et incontestés : la source, Chelsea Manning, était une lanceuse d'alerte de l'armée américaine qui a agi en son âme et conscience. Elle a été condamnée à 35 ans de prison. Cette peine a été commuée par Barack Obama le dernier jour de son mandat.
Julian a agi dans l'intérêt du public, et il est accusé de conspiration dans le but de publier, et d'avoir reçu, obtenu, possédé et communiqué des informations relatives à la "défense nationale", en vertu d'une loi datant de 1917. Le système de classification n'a été inventé que 35 ans après la rédaction de cette loi. Il n'existe pas de "loi sur les secrets officiels" aux États-Unis. C'est le gouvernement américain qui décide de la nature des informations relatives à la "défense nationale".
♦♦♦
Dans le pays d'origine de Julian, les opinions ont changé de manière décisive depuis son arrestation. Une majorité écrasante d'Australiens - un sondage en ligne réalisé par le radiodiffuseur ABC a révélé que 89 % d'entre eux souhaitaient que Julian soit libéré. Le premier ministre, Anthony Albanese, a été rejoint par le chef de l'opposition pour dire que "Trop c'est trop". L'opinion publique dans cette partie sensible de l'anglosphère ne peut être ignorée.
Pour en revenir à l'argument de Karunatilaka, les journalistes du monde entier ont le regard rivé sur l'Occident pour savoir si la liberté de la presse sera respectée dans cette affaire et si Julian sera libéré. C'est bien plus que la confiance du public dans le système judiciaire britannique qui est en jeu.
* Stella Assange est avocate. Elle fait campagne depuis 2020 pour que son mari, Julian Assange, soit libéré de prison.