👁🗨 Stella Assange sur l'extradition imminente de son mari vers les États-Unis: "Je crois que la persécution de Julian va cesser".
"Plus la pression politique, et la pression de la presse, tant externe qu'interne, seront fortes, plus les chances augmentent que les États-Unis abandonnent l'affaire".
👁🗨 Stella Assange sur l'extradition imminente de son mari vers les États-Unis: "Je crois que la persécution de Julian va cesser".
Par Ernesto Rodriguez Amari, le 17 février 2023
Depuis des années, le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, se bat contre son extradition vers les États-Unis. Là-bas, il risque une peine de 175 ans de prison pour espionnage et abus informatique pour avoir publié des documents secrets américains. Stella Moris, son avocate, son épouse et la mère de ses deux enfants, continue de se battre pour sa libération.
🎙 Julian Assange est persécuté par les États-Unis depuis des années. Quel regard portez-vous sur cette situation, en tant qu'avocate mais aussi en tant qu'épouse ?
"Julian est persécuté pour deux raisons. Premièrement, les Etats-Unis veulent le punir pour avoir embarrassé le gouvernement américain, et deuxièmement, ils veulent que ces poursuites aient un effet dissuasif. Ils veulent traiter Julian aussi brutalement que possible, et rendre cette brutalité aussi publique que possible afin que d'autres journalistes n'aient jamais l'idée de faire ce que Julian a fait: rendre publiques dans le monde entier les preuves révélant les crimes de guerre de l'armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les États-Unis veulent intimider la presse avec cette affaire dans l'espoir que les journalistes n'osent plus jamais demander des comptes au pays le plus puissant du monde pour ses méfaits."
🎙 Votre argument est aussi : celui qui découvre des crimes de guerre sera poursuivi, alors que personne n'a encore été puni qui a commis les crimes de guerre.
"Absolument. Lorsque Julian a publié pour la première fois sur les crimes de guerre américains en Irak, il était encore invité par les Nations Unies à s'exprimer en tant que témoin expert sur la guerre en Irak. Cela correspondait exactement à ce que Julian avait en tête avec ses publications. Il voulait simplement que ces faits soient révélés au grand jour, afin que les États-Unis soient tenus pour responsables, ou que les auteurs des actes les plus graves aient à répondre de leurs actes devant la justice, et éventuellement condamnés à des peines de prison.
"Malheureusement, rien de tout cela ne s'est produit. Au contraire, lorsque Trump est arrivé au pouvoir, il a même renforcé l'immunité des soldats américains. La Cour pénale internationale est un autre exemple d'institution que les États-Unis ont contribué à créer, mais lorsque cette Cour leur demande des comptes, ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour s'y soustraire. Pour les États-Unis, le droit international n’est valable que pour les autres pays, mais pas pour eux-mêmes. Quiconque tient les États-Unis pour responsables devra payer pour cela. C'est ce qui arrive à Julian, mais il n'est qu'un exemple de ce phénomène."
🎙 Le président Joe Biden a félicité les lauréats du prix Nobel Maria Ressa et Dmitri Muratov pour leurs efforts visant à préserver la liberté de la presse et la liberté d'expression dans leur pays. Ressentez-vous un sentiment d'amertume ?
"Certainement. En même temps, c'est précisément la raison pour laquelle les Etats-Unis et les pays occidentaux ont tant à perdre en poursuivant leur action contre Julian. Il n'est pas possible de protéger les journalistes si vous ne défendez que ceux qui exposent des vérités gênantes sur d'autres pays, mais pas ceux qui exposent les faits qui embarrassent les États-Unis. Le reste du monde peut clairement voir cette hypocrisie.
"En outre, en ce qui concerne les poursuites engagées contre Julian Assange, nous ne parlons pas seulement des États-Unis, mais aussi du Royaume-Uni. Il est incompréhensible qu'un pays européen soit incapable de réagir correctement à l'énorme injustice faite à un journaliste. Cela montre l'incapacité de l'Europe à protéger ses journalistes. Il est insensé que Julian risque 175 ans de prison aux États-Unis, que ses avocats aient découvert des complots d'assassinat de la CIA contre lui et que l'Europe ne fasse rien pour le protéger.
"Julian Assange est poursuivi par les États-Unis pour les mêmes activités pour lesquelles il a été nommé finaliste du prix Sakharov du Parlement européen cette année, notamment pour avoir fourni à des journaux de renommée mondiale des documents sur les crimes de guerre, les détentions arbitraires, les violations des droits de l'homme et la torture. Je ne veux pas dire de mal de Maria Ressa et de Dmitri Muratov, mais il est tout simplement cynique qu'ils soient présentés par les États-Unis comme des parangons de la liberté de la presse, alors que les États-Unis eux-mêmes traquent Julian pour son courage de publier librement.
"En outre, l'attitude des États-Unis à l'égard de Julian est regrettable non seulement pour Julian et notre famille, mais aussi pour tous les journalistes du monde. En effet, les États-Unis ont longtemps été considérés comme un pays modèle pour la protection de ses journalistes, mais s'ils commencent à poursuivre également des journalistes, cela crée de graves précédents pour d'autres pays dont les protections de la liberté de la presse sont beaucoup plus faibles. De nombreux pays n'hésiteront plus à condamner immédiatement des journalistes à la peine de mort, car cela ressemble beaucoup à la sanction que les États-Unis envisagent pour Julian Assange."
🎙 Pendant le séjour de Julian Assange à l'ambassade d'Équateur, Julian mais aussi vous et même vos enfants ont été mis sur écoute et filmés par la CIA. Qu'avez-vous ressenti ?
"Une violation extrême de nos droits. À un niveau personnel, cela me met incroyablement en colère. C'est l'une des nombreuses façons dont Julian a été déshumanisé. Il semble que le gouvernement américain et ses alliés aient eu carte blanche pour violer les droits de Julian. Par exemple, il a été complètement privé de son droit à des entretiens confidentiels avec ses avocats et du droit à l'intimité avec sa famille.
"Ces événements sont bien pires, quand on sait que nos avocats ont découvert que pendant la période où Julian était à l'ambassade, la CIA a mis au point des complots pour l'enlever et même le transporter dans un autre pays, afin de le tuer dans un lieu secret. En outre, ils ont recueilli l'ADN de notre fils à travers ses couches sales. C'était un aspect particulièrement sinistre. Après tout, on peut se demander à quoi peut bien servir l'ADN d'un bébé. Voulaient avoir la certitude que le bébé était le fils de Julian, mais à quelles fins ?
"Nous ne réalisons que trop bien qu'en tant que famille, nous devons négocier avec des tueurs. Et pas n'importe quels tueurs, des tueurs soutenus par l'État. Mais ce qui me met le plus en colère, c'est qu'en dépit du fait que toutes les violations des droits de Julian sont connues, le Royaume-Uni continue d'extrader Julian vers les États-Unis.
"Si vous ajoutez la Charte européenne des droits de l'homme, je pense que vous ne pouvez cocher que quelques-uns des droits de Julian qui n'ont pas été violés, la plupart l’ont été, et brutalement, et pourtant rien n'est fait au niveau politique pour remédier à cette extraordinaire illégalité. À cet égard, je pense que le cas de Julian est un peu similaire à celui de toutes les victimes torturées par la CIA. Comme Julian, elles n'ont aucun recours. La loi est utilisée contre elles pour qu'elles soient punies, mais pas pour protéger leurs droits humains."
🎙 Vous avez épousé Assange en prison cette année. Un moment doux-amer ?
"C'était un jour extrêmement heureux, mais aussi dévastateur. Nous avons dû nous battre longtemps avec le gouvernement pour pouvoir nous marier tout court, et ensuite nous avons également dû nous battre pour les conditions de notre mariage. Nous voulions absolument que notre photographe prenne des photos de la cérémonie, mais cela n'a pas été autorisé. Nous avons également essayé d'autoriser deux amis de Julian à être témoins, mais cela n'a pas été permis parce qu'ils étaient tous deux journalistes.
"Nous nous sommes mariés avec six invités. Nos deux enfants, le père et le frère de Julian, ma mère et mon frère. Deux agents de sécurité étaient également présents. L'officier d'état civil a effectué la première partie de la cérémonie, et un prêtre a donné la bénédiction catholique. Bien que la cérémonie ait eu lieu en prison, nous avons essayé d'en faire un moment aussi beau que possible. Chacun de ceux qui ont pris la parole a fait de son mieux pour que son discours dure le plus long possible.
"De plus, certains détails étaient incroyablement émouvants. Par exemple, nos tenues de mariage étaient un cadeau d'une de nos amies, une célèbre créatrice de mode. Elle avait demandé aux amis de Julian de le décrire en un mot, et elle avait fait broder ces mots sur mon voile. Et il y avait des petits détails comme ça.
"Nous sommes heureux d'avoir quand même réussi à célébrer notre union en tant que couple dans ces circonstances très particulières, et d'avoir réussi pour une fois quelque chose que nous voulions tant, malgré toutes les difficultés rencontrées."
🎙 Vous menez cette bataille juridique depuis des années. Ne pensez-vous jamais à abandonner ?
"Hormis mes limites physiques, je n'ai besoin d'aucune autre motivation pour me battre pour la liberté de Julian. Se battre pour une personne que l'on aime vous donne suffisamment d'énergie. Vous savez que vous pouvez aller jusqu'au bout du monde pour celui que vous aimez. Ce n'est pas la partie la plus difficile.
"Ce qui est beaucoup plus difficile, c'est de voir le système judiciaire échouer à rendre justice, ou de voir les politiciens échouer à prendre les bonnes décisions. Il est également difficile de ne pas pouvoir offrir à vos enfants le Noël avec leur père qu'ils méritent, année après année. La lutte est dure, elle me met souvent en colère, mais en même temps, elle me donne la force de continuer jusqu'à ce que Julian soit libéré."
🎙 En quoi une issue positive est-elle possible pour Julian Assange ?
"Si Julian est libéré, alors nous aurons gagné une énorme bataille. Je crois que la persécution de Julian s'arrêtera. Si nous gagnons ce combat, ce sera en soi un énorme succès, mais en plus de cela, ce combat contribuera également à inverser certaines tendances extrêmement négatives qui ont émergé en même temps que la persécution de Julian Assange".
"Le monde a le droit de savoir ce que font ses gouvernants. Si vous mettez fin à ce droit, le monde risque de devenir de plus en plus dangereux pour ceux qui ne peuvent pas se défendre. Mais pour être honnête, à ce stade, la survie de Julian et sa liberté sont les seuls objectifs qui comptent vraiment pour moi."
🎙 À la fin de l'année dernière, vous avez prononcé un discours devant le Parlement européen alors qu'Assange devenait finaliste du prix Sakharov 2022. Votre histoire a-t-elle été écoutée ?
"J'étais au Parlement européen juste au moment où il était impliqué dans un grave scandale de corruption. Cela m'a semblé un peu étrange, mais j'ai eu l'occasion de parler à des responsables issus d’un large spectre politique. Plusieurs sont venus me dire par la suite qu'ils n'avaient compris l'enjeu de notre affaire qu'après que je leur en ai parlé.
"Il ne faut donc pas sous-estimer le fait que la majorité des gens ne savent tout simplement pas ce qu'est l'affaire Assange, et c'est pourquoi ils se taisent. Je pense que neuf personnes sur dix, dès qu'elles entendent parler de l'extraordinaire injustice dont nous sommes victimes, ont l'ambition de faire quelque chose. Beaucoup de gens ne voient plus Julian comme un homme ordinaire avec une famille, mais ils ont lu des informations erronées à son sujet, délibérément déformées dans le cadre d'une campagne de diffamation contre lui.
"Avec le prix Sakharov pour Julian, le Parlement européen a montré ce que les citoyens européens pensent de l'affaire Assange. J'espère que maintenant, d'autres institutions européennes s'occuperont également de l'affaire Assange, et qu'une pression politique et diplomatique sera exercée sur les États-Unis pour qu'ils abandonnent les poursuites.
"Je sais qu'au sein du ministère américain de la justice et de l'administration Biden, les avis sont également partagés. Beaucoup sont convaincues que les États-Unis devraient abandonner les poursuites, d'autant plus qu'il faudrait alors aussi poursuivre le New York Times et le Guardian pour avoir publié les journaux de la guerre en Irak.
"Plus la pression politique et la pression de la presse, tant externe qu'interne, seront fortes, plus les chances que les États-Unis abandonnent l'affaire augmentent", a-t-elle déclaré. Avec un peu de chance, le Premier ministre et le gouvernement australien auront entre-temps également changé de position, et demanderont l'abandon de l'affaire."