👁🗨 Steven Donziger : L'affaire Assange est une fraude de A à Z
Nous devons continuer à nous organiser, à nous battre, à faire passer le message, et à essayer de transformer la résistance en opportunités pour faire avancer la cause de la justice.
👁🗨 L'affaire Assange est une fraude de A à Z
Amy Goodman et Steven Donziger* au Tribunal de Belmarsh, le 25 janvier 2023
L'État de droit n'est pas appliqué dans le cas de Julian Assange, tout comme il ne l'a pas été dans le mien, déclare l'avocat Steven Donziger.
M. Donziger a prononcé le discours suivant devant le Tribunal Belmarsh, vendredi soir, au National Press Club de Washington. Une transcription suit.
Amy Goodman
Notre prochain intervenant est l'avocat américain des droits de l'homme, Steven Donziger, qui fait partie de l'équipe qui a obtenu un jugement historique de 9,5 milliards de dollars contre Chevron Corporation, pour avoir pollué l'Amazonie équatorienne. En 2019, il a été ciblé à New York dans le cadre du premier procès intenté contre une société dans l'histoire des États-Unis. Au total, il aura passé 993 jours en résidence surveillée et en prison pour une accusation où la peine maximale prévue par la loi était de 180 jours : Steven Donziger.
Steven Donziger
Merci, Amy et Srecko. La moitié de la bataille, quand on fait face aux attaques - et je ne veux en aucun cas comparer ma situation à la cruauté que Julian endure en ce moment - mais la moitié de la bataille, c'est la solidarité. La solidarité, comme ici où tant sont rassemblés.
À l’époque de cette très longue période de détention, que je n'aurais jamais imaginé pouvoir vivre dans ce pays, parce que j'étais peut-être un peu naïf, tant de gens sont venus pour moi et ma famille, tout comme ici aujourd'hui pour Julian. Et je ne peux pas vous dire à quel point c'était réconfortant. Vous savez, lorsque ceux qui disent la vérité s'adressent à ces groupes de pouvoir solidement établis, une partie du défi consiste à transformer les attaques en opportunités.
En observant la trajectoire de l'affaire de Julian, dont je n'avais pas vraiment creusé le sujet jusqu'à l'année dernière ou les deux dernières années, d'ailleurs, et en lisant le livre de Nils Melzer - je ne sais pas si vous connaissez ce livre de l'ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, on prend la mesure, grâce à sa démonstration exhaustive et méticuleuse, que le récit du gouvernement américain sur Julian est une fraude totale.
C'est une fraude de A à Z. Et Nils n'est pas quelqu'un qui aborde la question du point de vue militant, mais plutôt en juriste clinicien expérimenté. Et je recommanderais, en passant, à tous les journalistes qui nous suivent, que si vous avez des doutes sur Julian et sur l'affaire, et si vous avez été en quelque sorte un peu déroutés, de lire le livre de Nils, parce que je peux vous dire en tant que personne ayant représenté les populations autochtones, les peuples de l'Équateur pendant de nombreuses années contre Chevron, qu’il y en a des choses déroutantes en ligne - et Chevron, sur une période de plusieurs années à travers Texaco, avait délibérément déversé des milliards de gallons de déchets cancérigènes dans l'Amazonie.
Et, vous savez, j'y suis allé en tant que jeune avocat en 1993, exactement de la même façon que Julian a lancé WikiLeaks. On commence à penser qu'on peut faire de grandes choses, et changer le monde. Et quand on est un peu trop efficace dans ce qu'on fait, soudain, ces intérêts bien ancrés du pouvoir, qu'il s'agisse de l'appareil de sécurité nationale ou de l'industrie des combustibles fossiles, trouvent le moyen d'oublier carrément la primauté du droit.
L'État de droit, tel qu'on le conçoit en principe - et je suis conscient du fait que dans ce pays, nous avons eu par le passé de nombreux problèmes de non-application de l'État de droit, et pas seulement récemment - mais tel qu'on le conçoit en principe, l'État de droit n'est pas appliqué au cas de Julian.
Il ne l'a pas non plus été dans mon cas. Je suis la première personne dans l'histoire des États-Unis, le premier avocat à avoir été détenu avant le procès pour un délit mineur. Et mon accusation de délit était que Chevron avait trouvé le moyen d'obtenir d'un juge qu'il m'ordonne de remettre mon ordinateur à leurs avocats au beau milieu de l'affaire, avec toutes ses informations confidentielles.
Et lorsque j'ai fait appel de cette ordonnance devant une juridiction plus haute, le juge m'a accusé d'outrage à magistrat, il a porté ses accusations devant le procureur fédéral de New York qui a refusé de me poursuivre. Le juge a alors désigné un cabinet d'avocats d'affaires privé pour me poursuivre au nom du gouvernement américain, sans révéler que ce cabinet d'avocats d'affaires avait Chevron pour client.
J'ai été poursuivi au nom du gouvernement américain via une société. Et à travers cette expérience, dont je suis si heureux qu'elle soit terminée, même si je dois encore faire face à beaucoup de difficultés avec Chevron - au moins je n'ai pas mon bracelet électronique - je regarde ce à quoi Julian doit faire face. Tout ce que je peux dire, c'est qu'il est absolument vital que nous comprenions l'importance pour Julian de ressentir tout notre amour, et que nous continuions à faire circuler l'information.
C'est essentiel. Et je dirai, en observant l’affaire de Julian - j'ai rencontré Julian une fois, d'ailleurs, il y a quelques années à l'ambassade d'Équateur quand il y était - que quelque chose de grand se produit, qu'il le réalise ou non, à travers le processus de lutte pour sa liberté. Vous savez, c'est un processus d'éveil des consciences dans le monde entier.
Ce processus peut être considéré comme une opportunité de renforcer nos libertés, la liberté de la presse, comme c'est le cas actuellement. Et je tiens à souligner avant de conclure, que les attaques de ce type sont de plus en plus organisées dans ce pays. Pas plus tard que cette semaine, aux États-Unis, nous avons eu le premier meurtre par la police d'un militant pour la défense du climat à Atlanta.
Je ne sais pas si vous connaissez le projet Cop City*. D'après mes calculs, 15 personnes, des militants pacifiques pour le climat, ont été accusés de terrorisme intérieur aux États-Unis d'Amérique. Nous avons vu à trois reprises, lors des manifestations du Minnesota, la compagnie des pipelines verser des millions de dollars à la police publique pour arrêter les manifestants. Donc, qu'il s'agisse de l'État de sécurité nationale, de l'industrie des combustibles fossiles, ou d'autres composantes de la classe des affaires, nous avons un sérieux problème avec notre gouvernement dans ce pays, essentiellement coopté par des éléments qui se moquent éperdument des libertés pour le reste d'entre nous.
Et à quelques pâtés de maisons d'ici, à la Cour suprême, a lieu le show, qui, au passage, se réunit aujourd'hui pour discuter si mon appel sur ma condamnation pour outrage à magistrat va être entendue ou non. Mais cette Cour, si vous y réfléchissez bien, compte maintenant six juges, dont quatre ont été nommés par des présidents qui n'ont pas gagné leurs élections. Ils ne sont pas élus, et prennent des décisions sur pratiquement toutes les décisions sensibles liées à la liberté de 330 millions de personnes, y compris ce qui se passe, d’ailleurs, dans le cas de Julian.
Nous devons donc nous battre davantage - et je ne veux pas finir sur un message qui pourrait démoraliser les gens - car chaque fois que l'on me demande de parler de mon expérience, comme les étudiants en droit, je réponds : "Non, non, non. Vous pouvez vraiment y arriver. Ce boulot doit être fait". Et il doit être fait. Et au fur et à mesure que l'oppression se renforce, nous devons continuer à nous organiser, à nous battre, à faire passer le message et à essayer de transformer la résistance en opportunités pour faire avancer la cause de la justice. J'appelle donc le président Biden à se mobiliser. Arrêtez, c'est absurde. Abandonnez les poursuites et libérez Julian Assange. Merci beaucoup.
* Cop City: dans la forêt South River, l’un de ses quatre « poumons verts » de la ville d’Atlanta, doivent être aménagés les 35 ha de « Cop City ». Évalué à 90 millions de dollars (83 millions d’euros), le projet est porté par la Fondation pour la police d’Atlanta, soutenue par de grandes entreprises comme Delta, Waffle House, Home Depot… « Ce centre [d’entraînnement de la police] serait plus grand que ceux de New York ou de Los Angeles. Nous avons obtenu du soutien d’autres villes, car on pense que s’il y a Cop City à Atlanta, il y en aura d’autres, encore plus grands, ailleurs », expliquait Paul au sujet de la dimension nationale du mouvement d’opposition. – Reporterre du 23 janvier 2023
* Steven R. Donziger est un avocat américain connu pour ses batailles juridiques contre Chevron, en particulier l'affaire du champ pétrolifère de Lago Agrio dans laquelle il a représenté plus de 30 000 agriculteurs et indigènes équatoriens dans un procès liée aux dommages environnementaux et aux effets sur la santé causés par un forage pétrolier. Les tribunaux équatoriens ont accordé aux plaignants 9,5 milliards de dollars de dommages et intérêts, ce qui a conduit Chevron à retirer ses actifs de l'Équateur et à engager une action en justice contre Donziger aux États-Unis. En 2011, Chevron a déposé une plainte RICO (anti-corruption) contre Donziger à New York. L'affaire a été entendue par le juge de district américain Lewis A. Kaplan, qui a déterminé que la décision des tribunaux équatoriens ne pouvait pas être appliquée aux États-Unis car elle avait été obtenue par des activités de fraude, de corruption et de racket. À la suite de cette affaire, Donziger a été radié du barreau de l'exercice du droit à New York en 2018.
Donziger a été assigné à résidence en août 2019 dans l'attente d'un procès pour outrage au tribunalcriminel, qui ont été soulevés lors de son appel contre la décision RICO de Kaplan - il a refusé de remettre les appareils électroniques qu'il possédait aux experts médico-légaux de Chevron. En juillet 2021, la juge de district américaine Loretta Preska l'a déclaré coupable ; il a été condamné à 6 mois de prison en octobre 20212.
Alors qu'ils étaient assignés à résidence en 2020, vingt-neuf lauréats du prix Nobel ont qualifié les mesures prises par Chevron contre Donziger de "harcèlement judiciaire". Les militants des droits humains ont qualifié les actions de Chevron d'exemple de poursuite-bâillon. En avril 2021, six membres du Congressional Progressive Caucus ont exigé que le ministère de la Justice réexamine le cas de Donziger. En septembre 2021, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a jugé que la détention provisoire imposée à Donziger était illégale et a demandé sa libération.
https://consortiumnews.com/2023/01/25/donziger-assange-case-a-fraud-from-a-to-z/