👁🗨 Stratégie de blocus : Netanyahu s'accroche au pouvoir sur fond de crise majeure
Il n'est ni Churchill, ni Begin. Juste un chef en chute libre, menant son pays à sa perte. La tragédie n'est pas que sienne, mais celle de tous ceux qui subissent les conséquences de ses illusions.
👁🗨 Stratégie de blocus : Netanyahu s’accroche au pouvoir sur fond de crise majeure
Par Imran Khalid pour Foreign Policy in Focus, le 26 mai 2025
Même les critiques les plus modérées suscitent des réactions virulentes de la part du dirigeant israélien.
À présent, personne ne devrait s'étonner que Benjamin Netanyahu préfère sa propre chambre d'écho au tollé international qui exige qu'il rende des comptes. Le Premier ministre israélien, qui s'accroche au pouvoir avec autant d'acharnement qu'à ses illusions, a réussi à se hisser parmi les dirigeants les plus cyniques et manipulateurs de notre époque, un homme qui gouverne non pas selon une vision, mais par esprit de vengeance.
Autrefois vanté comme un homme d'État à la Churchill, Netanyahu tient désormais plus de l'autocrate retranché dans son bunker, s'en prenant aussi bien à ses alliés qu'à ses adversaires alors que sa crédibilité s'effondre sous le poids de ses propres contradictions. Sa dernière tirade, cette fois-ci à l'encontre du président français Emmanuel Macron, est emblématique d'un schéma plus large : instrumentaliser l'indignation morale pour détourner l'attention de sa faillite morale.
L'offense de Macron ? Une reconnaissance tiède de la catastrophe humanitaire à Gaza, qualifiant le blocus israélien de “honteux”. Dans le monde de Netanyahu, même ce léger reproche suffit à déclencher l'hystérie. Taxant les propos de Macron de “diffamation antisémite” – une invocation grotesque qui banalise un traumatisme historique –, Netanyahu a une fois de plus démontré son incroyable aptitude à transformer chaque rencontre diplomatique en une démonstration théâtrale de victimisation et de bellicisme.
Que le président français se soit abstenu de sanctions, voire d'une condamnation formelle, rend la réaction de Netanyahu d'autant plus grotesque. Pas d'appel au cessez-le-feu, pas de critique explicite des tactiques militaires, juste une reconnaissance de l'évidence : Gaza est une zone sinistrée sur le plan humanitaire, le résultat de politiques portant la marque de Netanyahu à chaque étape.
Ce n'est toutefois pas une situation nouvelle pour le “roi Bibi”. En octobre, Macron a eu l'audace de suggérer l'arrêt des ventes d'armes à Israël, en particulier celles utilisées pour raser des zones densément peuplées de Gaza. Netanyahu avait rétorqué par une déclaration vidéo au ton dédaigneux, qualifiant Macron de “honte”. Et lorsque le dirigeant français lui a rappelé que l'existence même d'Israël doit beaucoup à une résolution de l'ONU, Netanyahu n'a pas répondu avec gratitude, mais avec agressivité, se vantant que son État est né “dans le sang”, et non dans la diplomatie, et ajoutant pour faire bonne mesure une pique sur le passé vichyste de la France.
Ces éclats ne sont pas seulement un style rhétorique. Ils relèvent d'une stratégie politique. Netanyahu prospère dans la crise, non pas pour la résoudre, mais pour la prolonger, utilisant le chaos comme un bouclier contre le spectre omniprésent de sa propre chute politique. Avec les accusations de corruption qui continuent de le poursuivre et l'opinion publique qui lui est de plus en plus défavorable, il a fait de Gaza à la fois un champ de bataille et une diversion.
Les tensions diplomatiques avec la France ne sont pas un événement isolé. L'année dernière, la police israélienne a pris d'assaut un église appartenant à la France à Jérusalem, arrêtant des membres du personnel consulaire. Macron a alors lancé l'idée de reconnaître officiellement un État palestinien, une proposition soutenue par plus de 140 pays. Netanyahu a réagi en qualifiant cette initiative de “cadeau immense au terrorisme”, comme si donner plus de pouvoir à l'Autorité palestinienne, et non au Hamas, faisait en quelque sorte le jeu de l'extrémisme. Mais la logique n'a jamais été l'arme préférée de Netanyahu. Son arme, c'est la terreur.
Entre en scène Yair Netanyahu, fils du Premier ministre et provocateur en chef sur Twitter. Toujours prêt à cracher son venin, Yair s'en est pris au passé colonial de la France, citant la Corse et la Nouvelle-Calédonie dans une tentative confuse d'équivalence morale. Netanyahu père s'est distancié du ton, mais pas du contenu, laissant son fils dire l'indicible tout en feignant la dignité. Une affaire de famille marquée par l'impudence stratégique.
Les relations conflictuelles de Netanyahu ne se limitent pas à l'Europe. En 2011, le président français Nicolas Sarkozy a été surpris par un micro encore allumé alors qu'il disait à Barack Obama :
“Je ne le supporte pas. C'est un menteur”. Et Obama a répondu : “Vous en avez peut-être marre de lui, mais moi, je dois le supporter tous les jours”.
Cette aversion bipartite remonte à plusieurs décennies, depuis les tentatives laborieuses de Bill Clinton pour instaurer des pourparlers de paix jusqu'à la frustration de George W. Bush face à son obstructionnisme, en passant par la reconnaissance tardive de Joe Biden que Bibi n'est pas un partenaire, mais un problème.
Même Donald Trump, le plus fervent partisan de Netanyahu, semble perdre patience. Après que Netanyahu a rejeté en mars un accord de cessez-le-feu entre les États-Unis, le Qatar et l'Égypte – une proposition soutenue non seulement par l'administration Trump, mais aussi par la plupart des citoyens israéliens et des familles des otages –, le camp Trump a commencé à faire entendre son mécontentement. L'envoyé de Trump, Steve Witkoff, aurait déclaré à Netanyahu que prolonger la guerre est non seulement immoral, mais aussi stratégiquement suicidaire. Et lorsque Washington a obtenu la libération du dernier otage américain grâce à des négociations avec des tiers, Netanyahou a non seulement été exclu, mais réduit à l'insignifiance.
Pour un homme dont le mythe politique repose depuis longtemps sur son rôle indispensable à la sécurité d'Israël, cette mise à l'écart a dû être douloureuse. Mais elle était largement méritée. La politique de Netanyahu à Gaza, mélange grossier de châtiment collectif, de stratégie de blocus et de provocation ostentatoire, n'a apporté ni paix ni sécurité. Elle n'a fait qu'isoler davantage Israël sur la scène internationale, tout en infligeant un coût humain incommensurable aux Palestiniens et en exacerbant les divisions au sein de la société israélienne.
Netanyahu instrumentalise la guerre pour retarder son propre procès. Chaque rejet des conditions d'un cessez-le-feu, chaque affront à la médiation internationale lui permet de gagner du temps au pouvoir, ou du moins c'est ce qu'il pense. Mais le monde, et de plus en plus son propre électorat, commence à voir clair dans son jeu.
L'ironie est presque shakespearienne. Celui qui fut autrefois salué comme l'artisan de la légitimité internationale d'Israël se retrouve aujourd'hui à superviser son érosion diplomatique. Loin de défendre l'État, Netanyahu le fragilise, réduisant sa politique étrangère à une série de griefs et de paranoïas, qualifiant toute critique de trahison plutôt que d'opportunité.
À l'heure où les défis mondiaux – fragilisation économique, montée de l'autoritarisme, urgence climatique – exigent un leadership mature et imaginatif, Netanyahu n'offre rien. Il préfère vociférer depuis son balcon, s'en prendre à ses alliés et traiter tous ses détracteurs de traîtres.
Il n'est pas Churchill. Il n'est même pas Begin. C'est un chef en chute libre, entraînant son pays à sa perte, progressivement abandonné par ses alliés, mais se croyant encore incontournable. La tragédie n'est pas seulement la sienne. Elle est celle d'Israël et de tous ceux, Palestiniens comme Israéliens, qui doivent vivre les conséquences de ses illusions.
Traduit par Spirit of Free Speech
* Imran Khalid est analyste géostratégique et chroniqueur sur les questions internationales. Ses travaux ont été largement publiés par des organes de presse et des publications internationales prestigieuses.
https://www.juancole.com/2025/05/politics-netanyahus-crisis.html