đâđš Survivre un jour Ă Gaza, c'est affronter les dangers du lendemain.
DĂ©sespĂ©rĂ©s, les Palestiniens tentent de trouver des âzones de sĂ©curitĂ©â sur une carte incomprĂ©hensible larguĂ©e par l'armĂ©e israĂ©lienne, tout en sachant trĂšs bien qu'il n'y en a pas. Il n'y en a plus.
đâđš Survivre un jour Ă Gaza, c'est affronter les dangers du lendemain.
Par Mahmoud Mushtaha, le 6 décembre 2023
La semaine de la trĂȘve temporaire Ă Gaza a Ă©tĂ© vĂ©cue comme si se rĂ©alisait le rĂȘve d'une personne perdue dans le dĂ©sert, en quĂȘte d'eau. Nous espĂ©rions vivement que cette interruption de l'agression israĂ©lienne deviendrait permanente, et nous donnerait le temps et l'espace nĂ©cessaires pour tenter de reconstruire nos vies brisĂ©es.
Ces derniers jours, aprĂšs la rupture de la trĂȘve, ont peut-ĂȘtre Ă©tĂ© les plus difficiles de cette guerre. Les nouveaux bombardements ont certainement Ă©tĂ© au moins aussi dĂ©vastateurs qu'avant, causant encore plus de destructions et de dĂ©placements alors que les troupes israĂ©liennes au sol progressent vers le sud de la bande de Gaza. Mais ce qui a rendu la reprise encore plus difficile, c'est que, pendant quelques jours, nous venions de goĂ»ter Ă nouveau Ă la vie et Ă l'amour. Les Palestiniens ne s'habitueront jamais aux bombes qui s'abattent sur la population, mĂȘme s'ils ont l'impression que les bombes elles-mĂȘmes se sont habituĂ©es Ă eux.
La premiĂšre nuit suivant la reprise des opĂ©rations militaires a Ă©tĂ© la plus difficile que j'aie jamais connue. Nous avions l'impression d'ĂȘtre aux portes de la mort, les bombardements se rapprochant dangereusement de la maison dans laquelle nous nous abritons actuellement, dans le quartier de Shuja'iya, Ă Gaza City. Nous avons survĂ©cu Ă cette nuit Ă©pouvantable, mais la survie ne nous apporte que peu de rĂ©confort : elle signifie que nous devons affronter le danger du jour suivant. C'est le prix Ă payer pour rester en vie Ă Gaza.
Nous sommes devenus dĂ©sespĂ©rĂ©s dans notre quĂȘte quotidienne de pain, dans ce qui est devenu la mission majeure de notre vie, nous dĂ©pouillant de notre humanitĂ© et de notre dignitĂ©. Nous faisons semblant de ne pas faire attention aux missiles israĂ©liens qui pleuvent au-dessus de nos tĂȘtes. Ce qui compte, nous on tente de sâen persuader, c'est de trouver de quoi manger pour nos familles. Mais nous nous mentons Ă nous-mĂȘmes. Nous errons, le cĆur battant, terrorisĂ©s par chaque avion et chaque frappe aĂ©rienne. C'est une bataille de tous les instants pour la survie.
Toutes ceux que je connais Ă Gaza sont perdus. Nous ne savons pas oĂč aller, et on se demande constamment s'il ne serait pas plus sage de sâinstaller dans un autre quartier ou ailleurs dans la bande de Gaza. Il n'y a plus de gouvernement opĂ©rationnel ni d'autoritĂ©s pour nous guider ou nous dire que faire. Nous ne pouvons en parler quâentre nous.
L'armĂ©e israĂ©lienne a rĂ©cemment publiĂ© une carte divisant la bande de Gaza en innombrables blocs minuscules, dont certains seraient prĂ©tendument des zones âsĂ»resâ. Cette carte est toutefois incomprĂ©hensible. Une de mes amies, originaire de Gaza mais actuellement en Turquie, m'a racontĂ© que sa famille, qui vit dans la bande de Gaza, lui demandait si elle se trouvait bien dans une zone sĂ»re d'aprĂšs la carte.
Tous mes amis - les rares moments oĂč l'Ă©lectricitĂ©, ou un mĂȘme un petit signal, est rĂ©tablie - posent Ă©galement des questions sur la carte israĂ©lienne sur les rĂ©seaux sociaux, demandant si telle ou telle zone est dangereuse ou non. Nous savons qu'il n'y a plus d'espaces vraiment sĂ»rs Ă Gaza, mais on s'accroche tous Ă une lueur d'espoir, de pouvoir faire quelque chose pour nous assurer un peu de rĂ©pit, un moment de tranquillitĂ© au beau milieu de ce cauchemar.
Lorsque j'ai récemment pris des nouvelles d'une amie vivant dans le sud de la bande de Gaza, elle m'a répondu en pleurant :
âNous avons quittĂ© les tours Al-Awda, dans le nord de la bande de Gaza, pour aller vers Fakhoura, Ă Khan Younis. Puis on a dĂ©mĂ©nagĂ© dans les tours Hamad, mais elles ont Ă©tĂ© bombardĂ©es samedi, et nous avons donc dĂ» repartir. Nous nous sommes installĂ©s sous une tente dans une Ă©cole. Maintenant, nous sommes Ă©vacuĂ©s vers un autre endroit, et nous ne savons pas oĂčâ.
Lorsque j'entends des rĂ©cits comme celui-ci, parmi tant d'autres, je ne peux qu'ĂȘtre horrifiĂ© par la punition collective que nous subissons. Je crains que la situation ne fasse qu'empirer et que l'illusion de distinguer les zones de Gaza avec des âblocsâ artificiels ne permette Ă IsraĂ«l de justifier le meurtre d'un plus grand nombre de civils sous le prĂ©texte fallacieux de leur avoir offert une protection.
PiĂ©gĂ© dans la ville de Gaza, je me languis de ma propre maison, de la routine banale dont je me plaignais auraravant. Mon bureau me manque, mes amis aussi, Ă©normĂ©ment. Les joies du jeudi soir, qui annonçaient nos week-ends plus dĂ©tendus, me semblent dĂ©sormais bien loin. Tout ce que je souhaite maintenant, comme tous les citoyens de Gaza qui paient le prix fort de cette guerre insensĂ©e, c'est que le massacre et la destruction s'arrĂȘtent. Nous n'avons plus la force nĂ©cessaire pour supporter davantage de pertes. Elles sont trop lourdes Ă porter.