đâđš Tant que Julian Assange n'est pas rĂ©habilitĂ©, la libertĂ© de la presse est en danger
M. Biden n'a aucune autoritĂ© sur la procĂ©dure contre M. Gershkovich, mais s'il pense vraiment que âle journalisme n'est pas un crimeâ, il usera de son pouvoir absolu pour rĂ©habiliter M. Assange.

đâđš Tant que Julian Assange n'est pas rĂ©habilitĂ©, la libertĂ© de la presse est en danger
Par Stephen Rohde, le 27 juin 2024
Quelles sont les retombées constitutionnelles de la premiÚre condamnation d'un éditeur en vertu de la loi sur l'espionnage de 1917 ?
Sans jamais avoir eu l'occasion de faire valoir son droit Ă la libertĂ© de la presse, aprĂšs avoir Ă©tĂ© privĂ© de libertĂ© pendant 14 ans (tant en asile diplomatique qu'en prison), aprĂšs avoir vu sa santĂ© se dĂ©grader et Ă©tĂ© privĂ© de la compagnie de sa femme et de ses deux jeunes fils, le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a plaidĂ© coupable mercredi d'un seul chef d'accusation, celui de conspiration en vue d'obtenir et de divulguer des secrets de la sĂ©curitĂ© nationale des Ătats-Unis. Selon les termes de l'accord, il a Ă©tĂ© condamnĂ© aux cinq ans de prison dĂ©jĂ purgĂ©s au Royaume-Uni, et a Ă©tĂ© autorisĂ© Ă retourner sans dĂ©lai en Australie.
Selon un compte rendu publiĂ© dans The Australian, le juge Ramona Manglona de la Cour fĂ©dĂ©rale des Ătats-Unis a demandĂ© Ă M. Assange ce qu'il avait fait pour enfreindre la loi. M. Assange a rĂ©pondu :
âEn tant que journaliste, j'ai encouragĂ© ma source Ă fournir des informations censĂ©es ĂȘtre confidentiellesâ. Il a ajoutĂ© : âJe pensais que le Premier Amendement protĂ©geait cette activitĂ©, mais je reconnais qu'il s'agit d'une violation de la loi sur l'espionnage. Le Premier Amendement est en contradiction avec la loi sur l'espionnage, mais j'admets qu'il serait difficile de gagner un tel procĂšs dans ces circonstancesâ.
à l'extérieur du tribunal, Barry Pollack, l'avocat d'Assange, a réitéré la conviction de son client que
âle Premier Amendement devrait protĂ©ger [sa] conduite, mais [...] tel qu'il est rĂ©digĂ©, l'Espionage Act ne prĂ©voit pas de dĂ©fense pour le Premier Amendementâ.
Il faudra maintenant attendre que les tribunaux amĂ©ricains Ă©valuent minutieusement la loi sur l'espionnage Ă l'aune du Premier Amendement. Pour l'heure, on peut dire que M. Assange mĂ©rite sa libertĂ© et notre plus profonde gratitude pour les immenses sacrifices consentis au nom de la dĂ©fense du droit de tous les journalistes Ă dĂ©noncer les actes rĂ©prĂ©hensibles et les crimes de guerre commis par les gouvernements. Il mĂ©rite Ă©galement d'ĂȘtre rĂ©habilitĂ© par le prĂ©sident Joe Biden.
En revanche, le gouvernement américain mérite que nous le condamnions pour avoir poursuivi Julian Assange, pour avoir exigé son extradition du Royaume-Uni, pour avoir refusé d'accepter la décision initiale du juge britannique qui a refusé l'extradition pour des raisons humanitaires, et pour avoir bafoué la Constitution américaine en soutenant que ni un citoyen américain ni un citoyen étranger n'a le droit de s'appuyer sur le Premier Amendement pour publier des informations relatives à la sécurité nationale obtenues via des lanceurs d'alertes.

Lâattitude vindicative et brutale du gouvernement amĂ©ricain est la consĂ©quence directe de son incapacitĂ© Ă contraindre le Royaume-Uni Ă extrader Julian Assange pour qu'il soit jugĂ© aux Ătats-Unis sur la base de 17 chefs d'accusation pour violation de la loi sur l'Espionage Act de 1917. Le 20 mai, dans un surprenant sursaut d'indĂ©pendance du systĂšme judiciaire, la High Court britannique a autorisĂ© M. Assange Ă faire appel de l'ordre d'extradition au motif que les Ătats-Unis n'offrent pas de garantie satisfaisante au Royaume-Uni quant Ă la protection du droit Ă la libertĂ© d'expression de M. Assange s'il est contraint de passer en jugement aux Ătats-Unis.
Cette dĂ©cision a constituĂ© une victoire majeure pour M. Assange et pour la cause de la libertĂ© de la presse. Il a ouvert la voie Ă une opportunitĂ© pleine et entiĂšre pour M. Assange de faire valoir qu'il ne doit pas ĂȘtre extradĂ© vers les Ătats-Unis, l'acte d'accusation ayant violĂ© ses droits en vertu de la Convention europĂ©enne des droits de l'homme. L'article 10 stipule que
âtoute personne a droit Ă la libertĂ© d'expressionâ, y compris âla libertĂ© d'opinion et la libertĂ© de recevoir ou de communiquer des informations ou des idĂ©es sans qu'il puisse y avoir ingĂ©rence d'autoritĂ©s publiques et sans considĂ©ration de frontiĂšresâ.
Les Ătats-Unis ne pouvaient pas prendre le risque d'une dĂ©cision dĂ©favorable au Royaume-Uni ou devant la Cour europĂ©enne des droits de l'homme, qui rĂ©vĂšlerait la maniĂšre dont ils ont maltraitĂ© pendant 14 ans un journaliste cĂ©lĂšbre. Ils ont donc fait miroiter la possibilitĂ© d'un accord qui permettrait Ă M. Assange de recouvrer sa libertĂ© et de retrouver sa famille.
Mercredi matin, devant le tribunal fĂ©dĂ©ral des Ăźles Mariannes du Nord, M. Assange a payĂ© le prix de sa libertĂ© en plaidant coupable d'une infraction Ă lâEspionage Act pour avoir tentĂ© d'obtenir et de divulguer des secrets relatifs Ă la sĂ©curitĂ© nationale des Ătats-Unis. Il s'agit de la premiĂšre condamnation d'un journaliste ou d'un Ă©diteur en vertu de cette loi pour avoir travaillĂ© avec une source en vue d'obtenir et de diffuser des informations dans l'intĂ©rĂȘt du public.
M. Assange n'a pas plaidĂ© coupable de quelque crime abominable, mais d'âactivitĂ©s auxquelles les journalistes se livrent tous les jours et dont nous attendons impĂ©rativement qu'ils s'y livrentâ.
Mais la condamnation ne constitue guĂšre de jurisprudence ni de dĂ©cision prise par un tribunal faisant autoritĂ©, Ă l'issue d'un procĂšs complet et Ă©quitable. Elle portera Ă jamais la marque infamante d'une âcondamnationâ obtenue par l'usage de la force sur un homme qui sâest rĂ©fugiĂ© sept ans Ă l'ambassade de l'Ăquateur Ă Londres oĂč il a demandĂ© l'asile contre la mainmise des Ătats-Unis, et a Ă©tĂ© dĂ©tenu dans des conditions sĂ©vĂšres et dĂ©gradantes Ă la cĂ©lĂšbre prison de Belmarsh pendant plus de cinq ans.
M. Assange n'a pas plaidé coupable d'un crime ignoble,
mais d'âactivitĂ©s auxquelles les journalistes se livrent tous les jours et dont nous avons absolument besoinâ, a dĂ©clarĂ© Jameel Jaffer, directeur exĂ©cutif du Knight First Amendment Institute de l'universitĂ© de Columbia. âĂ cet Ă©gard, l'affaire crĂ©e un terrible prĂ©cĂ©dent, mĂȘme si les tribunaux ne l'ont pas pleinement entĂ©rinĂ©â.
âLes groupes de dĂ©fense de la libertĂ© de la presse et des droits de l'homme, dont le Knight Institute, ont critiquĂ© Ă plusieurs reprises le gouvernement pour avoir engagĂ© cette affaire, arguant que poursuivre Assange pour avoir publiĂ© des secrets gouvernementaux est incompatible avec l'engagement dĂ©clarĂ© du gouvernement en faveur de la libertĂ© de la presseâ, poursuit M. Jaffer.
âCette affaire est une honteâ, a dĂ©clarĂ© Ă Truthdig James C. Goodale, ancien vice-prĂ©sident et avocat gĂ©nĂ©ral du New York Times, qui a dirigĂ© une Ă©quipe d'avocats reprĂ©sentant le Times dans l'affaire historique des Pentagon Papers.
âL'accord conclu avec Assange prĂ©voit qu'il admette avoir participĂ© Ă une conspiration visant Ă obtenir des informations relatives Ă la sĂ©curitĂ© nationale. Le ministĂšre de la Justice cherche depuis longtemps Ă criminaliser les capacitĂ©s de collecte d'informations de la presse et Ă utiliser cette affaire comme un prĂ©cĂ©dent pour criminaliser les fonctions Ă©lĂ©mentaires de la presse, notamment la publication d'informations confidentielles. Qu'Assange ait dĂ» accepter de nĂ©gocier et de se plier aux exigences du gouvernement est dĂ©cevant, mais on peut difficilement lui reprocher quoi que ce soit aprĂšs tout ce qu'il a endurĂ©â.
âC'est un grand soulagement pour tous que l'affaire Assange ait pris finâ, a poursuivi M. Goodale. âS'il avait perdu, çâaurait Ă©tĂ© une Ă©norme dĂ©faite pour le Premier Amendement. En effet, tout d'abord, il s'agirait de la premiĂšre affaire intentĂ©e contre des Ă©diteurs en vertu de lâEspionage Act. Et deuxiĂšmement, cela aurait effectivement invalidĂ© la protection accordĂ©e aux Ă©diteurs par l'affaire des Pentagon Papers, Ă savoir ne pas arrĂȘter la publication avant qu'elle n'ait lieuâ.
âVoir Julian sur le point d'ĂȘtre libre est un moment mitigĂ© pour tous ceux d'entre nous qui ont dĂ©fendu ou suivi de prĂšs cette affaire pendant plus d'une dĂ©cennieâ, a dĂ©clarĂ© Carey Shenkman, coauteur de l'ouvrage de rĂ©fĂ©rence, âA Century of Repression : The Espionage Act and Freedom of the Pressâ. âS'il est rĂ©confortant de le voir enfin libre, rien de tout cela n'a Ă©tĂ© acceptable, et il doit ĂȘtre rĂ©habilitĂ©. Le fait qu'il ait Ă©tĂ© contraint d'endurer des annĂ©es de dĂ©tention et de vide juridique, et qu'il ait finalement Ă©tĂ© forcĂ© d'admettre sa culpabilitĂ© pour un acte que les journalistes pratiquent au quotidien, est un affront au Premier Amendementâ.
âSi Assange avait perdu, cela aurait Ă©tĂ© une Ă©norme dĂ©faite pour le Premier Amendementâ.
âSans les actions menĂ©es dans le monde entier pour rĂ©clamer sa libertĂ©â, a dĂ©clarĂ© Ă Truthdig Marjorie Cohn, doyenne de l'AcadĂ©mie populaire de droit international et ancienne prĂ©sidente de la National Lawyers Guild,
âJulian Assange serait toujours en dĂ©tention, confrontĂ© Ă une cruelle extradition vers les Ătats-Unis oĂč il serait dĂ©tenu dans des conditions inhumaines, privĂ© d'un procĂšs Ă©quitable et passerait probablement le reste de sa vie derriĂšre les barreauxâ.
La campagne âFree Assangeâ visant Ă attirer l'attention sur l'affaire Assange et Ă mettre en place un rĂ©seau mondial est l'un des mouvements de protestation internationaux les plus impressionnants de l'histoire de la libertĂ© de la presse. Elle est menĂ©e par Stella Assange, l'Ă©pouse de Julian, son pĂšre John Shipton, son frĂšre Gabriel Shipton, son Ă©quipe juridique au Royaume-Uni et Pollack, son avocat aux Ătats-Unis.
Aux Ătats-Unis, la Courage Foundation, une organisation créée pour soutenir les diseurs de vĂ©ritĂ© et les lanceurs d'alerte, s'est intĂ©ressĂ©e Ă l'affaire Assange en 2017. Selon Nathan Fuller, directeur de la fondation,
âLe mouvement pour libĂ©rer Julian Assange a Ă©tĂ© rĂ©ellement mondial. Des militants sur presque tous les continents, dans des dizaines de pays et des centaines de villes ont tous jouĂ© un rĂŽle dĂ©terminant dans la libĂ©ration de Julian. Je suis fier et honorĂ© d'avoir participĂ© Ă cet effort et d'avoir rencontrĂ© tant de personnes extraordinaires en chemin.
âCe qui s'est passĂ© en dehors du tribunal a Ă©tĂ© tout aussi important qu'Ă l'intĂ©rieurâ, a poursuivi M. Fuller. âNous nous sommes mobilisĂ©s dans les rues, avons organisĂ© des tables rondes, appelĂ© nos reprĂ©sentants, Ă©crit des articles d'opinion, partagĂ© des articles de blog, produit des vidĂ©os, créé des Ćuvres d'art. Cet effort a nĂ©cessitĂ© un incroyable travail d'Ă©quipe et des voix dans tous les secteurs de la sociĂ©tĂ© civile, [y compris] des groupes d'avocats, de professeurs, d'artistes, de politiciens, de mĂ©decins, de journalistes et d'organisations de dĂ©fense de la libertĂ© de la presse et des droits de l'hommeâ.
Assange Defense a organisĂ© et menĂ© Ă bien des dizaines de campagnes dans le cadre de l'objectif plus large de la libĂ©ration d'Assange, notamment une sĂ©rie de webinaires avec Stella Assange, des actions de lobbying auprĂšs du CongrĂšs avec des lettres, des courriels, des appels tĂ©lĂ©phoniques et des cartes postales, la crĂ©ation de brochures, de dĂ©pliants, d'affiches, de collages et de montages, et la distribution de 150 banderoles pour des lĂąchers coordonnĂ©s de banderoles. Outre Assange Defense, plusieurs autres groupes se sont formĂ©s en Europe, en AmĂ©rique latine et aux Ătats-Unis.
La campagne âFree Assangeâ a Ă©tĂ© gagnĂ©e. La prochaine Ă©tape est âPardon Assangeâ [âRĂ©habilitez Assangeâ].
Le formidable mouvement mondial ne dĂ©sarme pas, mais se concentre dĂ©sormais sur l'obtention d'une rĂ©habilitation totale et inconditionnelle de Julian Assange de la part du prĂ©sident Biden. L'objectif âFree Assangeâ [LibĂ©rez Assangeâ] a Ă©tĂ© atteint. L'Ă©tape suivante est âPardon Assangeâ [âRĂ©habiliter Assangeâ].
Il existe des prĂ©cĂ©dents de rĂ©habilitation respectueux des valeurs du Premier Amendement et les droits constitutionnels. En 2003, le gouverneur de New York de l'Ă©poque, George Pataki, a graciĂ© Ă titre posthume l'humoriste Lenny Bruce, condamnĂ© en 1964 pour ses numĂ©ros comiques controversĂ©s, sur la base d'une requĂȘte dĂ©posĂ©e par Robert Corn-Revere, Ă©minent avocat spĂ©cialisĂ© dans le Premier Amendement. En annonçant cette rĂ©habilitation, M. Pataki a dĂ©clarĂ© que
âla libertĂ© d'expression est l'une des plus grandes valeurs amĂ©ricaines, et j'espĂšre que cette rĂ©habilitation nous rappellera les prĂ©cieuses libertĂ©s dont la prĂ©servation est au cĆur de notre combatâ. Il l'a dĂ©crite comme âune dĂ©claration de l'engagement de New York Ă dĂ©fendre le Premier Amendementâ.
Le prĂ©sident Donald J. Trump a rĂ©habilitĂ© la suffragette Susan B. Anthony condamnĂ©e en 1872 pour avoir votĂ© en violation des lois qui n'autorisaient que les hommes Ă voter. Elle a appelĂ© le CongrĂšs Ă adopter un amendement constitutionnel Ă©tendant le droit de vote aux femmes, appelĂ© Ă l'Ă©poque âAmendement Susan B. Anthonyâ. Cet amendement a Ă©tĂ© ratifiĂ© en 1920 en tant que 19e amendement Ă la Constitution. Elle a Ă©tĂ© rĂ©habilitĂ©e Ă l'occasion du centenaire de sa ratification.
Lors du dßner de l'Association des correspondants de la Maison Blanche en avril dernier, M. Biden a demandé la libération immédiate du journaliste du Wall Street Journal Evan Gershkovich, emprisonné en Russie depuis mars 2023 sous l'accusation d'espionnage.
âLe journalisme n'est pas un crimeâ, a dĂ©clarĂ© le prĂ©sident. âNous sommes ici pour envoyer un message Ă ce pays et, bien entendu, au monde entier : une presse libre est un des fondements, voire le fondement, d'une sociĂ©tĂ© libre, et non pas un ennemiâ.
M. Biden n'a aucune autoritĂ© sur les poursuites engagĂ©es contre M. Gershkovich, mais s'il pense vraiment que âle journalisme n'est pas un crimeâ, il usera de son pouvoir absolu pour rĂ©habiliter M. Assange.
https://www.truthdig.com/articles/until-julian-assange-is-pardoned-press-freedom-remains-at-risk/