👁🗨 The Chris Hedges Report : Un nouveau livre d'histoires de migrants expose la guerre de l'Europe contre les réfugiés
Au cours des 20 dernières années, la Méditerranée est devenue un cimetière alors que les politiques brutales de la "Forteresse Europe" déchaînent une hostilité brutale contre migrants et réfugiés.
La guerre de l'Europe contre les réfugiés / The Chris Hedges Report *
👁🗨 The Chris Hedges Report : Un nouveau livre d'histoires de migrants expose la guerre de l'Europe contre les réfugiés
📰 Par Chris Hedges / The Real News Network, le 1er janvier 2023
Dans leur livre, "Map of Hope and Sorrow", les coauteurs Helen Benedict et Eyad Awwadawnan retracent l'histoire de cinq réfugiés piégés dans les camps brutaux de la Grèce.
Au cours des 20 dernières années, la Méditerranée est devenue un cimetière alors que les politiques brutales de la "Forteresse Europe" de l'UE déchaînent une hostilité brutale contre migrants et réfugiés. Alors que les médias grand public ont souvent sensationnalisé le problème en le qualifiant de "crise des migrants" ou de "crise des réfugiés", le rôle de l'Europe et d'autres pays du Nord global dans la production de cette crise de déplacement massif par le biais de la guerre contre le terrorisme ou du sous-développement historique de l'ancien monde colonial n'a guère été examiné. Les auteurs Helen Benedict et Eyan Awwadawnan rejoignent The Chris Hedges Report pour discuter de leur livre, Map of Hope and Sorrow : Stories of Refugees in Greece.
Helen Benedict est romancière et journaliste. Elle a notamment publié The Lonely Soldier : The Private War of Women Serving in Iraq, et Wolf Season.
Eyad Awwadawnan, ancien étudiant en droit de Damas, en Syrie, est un écrivain et un poète qui vit actuellement comme demandeur d'asile à Reykjavik, en Islande. Pendant les quatre années qu'il a passées en Grèce, il a travaillé comme médiateur culturel, traducteur et interprète pour diverses ONG.
Studio : Cameron Granadino, Adam Coley, Dwayne Gladden
Post-Production : Adam Coley
Transcription:
Chris Hedges : Il y a environ 84 millions de personnes déplacées de force dans le monde, plus qu'à n'importe quel moment depuis la Seconde Guerre mondiale. Elles fuient la guerre, les troubles civils, les conflits religieux, la pauvreté, les persécutions, la violence locale et la crise climatique. Alors que les conditions se dégradent, on assiste à la montée de gouvernements autoritaires qui dénoncent les immigrants et les réfugiés comme des contaminants, et imposent des politiques draconiennes pour les refouler, y compris en mer, où des bateaux entiers de réfugiés se noient. Le pape François qualifie la Méditerranée de plus grand cimetière d'Europe.
La persécution et l'abus des réfugiés deviennent une politique, y compris en Europe, en Australie et aux États-Unis. Peu importe que les États-Unis portent une responsabilité directe pour les plus de 37 millions de personnes qui ont fui les guerres en Irak, en Syrie et en Afghanistan depuis 2001. Sans parler des guerres soutenues par les États-Unis en Amérique centrale. La guerre par procuration menée par les États-Unis en Ukraine n'a fait qu'exacerber la crise. L'UE fournit de l'argent à la Grèce et à la Turquie pour détenir et empêcher les réfugiés de demander l'asile dans d'autres pays européens.
L'UE teste également des canons sonores pour tirer sur les demandeurs d'asile qui tentent de traverser la Grèce depuis la Turquie. Les garde-côtes de la Grèce et de l'UE repoussent les réfugiés, dont des enfants, vers la mer, provoquant la noyade de nombre d'entre eux. La Grèce, qui emprisonne sept demandeurs d'asile sur dix, refuse aux nouveaux arrivants, y compris aux Afghans, le droit de demander l'asile, sauf si ces derniers sont ukrainiens. L'hostilité accrue à l'égard des réfugiés aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Italie, en Biélorussie, en Pologne, en Croatie, en Grèce, en Espagne et en Hongrie sont les éléments constitutifs d'un nouvel ordre mondial sans cœur. Un ordre dans lequel les riches nations industrialisées de la planète enferment les indigents dans la souffrance et la mort.
Au début du livre, dans la préface, vous parlez, Eyad, de votre propre expérience, une expérience identique à celle de la plupart des personnes que vous avez interviewées dans le livre. Mais peut-être pouvez-vous expliquer comment vous vous êtes retrouvé en Turquie, et votre fuite, ou votre entrée en Grèce, et décrire ce qui s'est passé. Bien sûr, vous avez perdu des membres de votre famille. Mais racontez-nous brièvement cette trajectoire.
Eyad Awwadawnan : Tout d'abord, merci de nous recevoir, et je voudrais commencer par la première raison qui m'a fait fuir mon pays. Personne ne veut quitter sa patrie. Personne ne veut quitter ses souvenirs, ses amis. Mais je dirais que lorsque vous n'avez pas de vie, que vous avez peur pour votre vie et celle de la personne que vous aimez, vous faites tout pour la protéger et vous protéger vous-même. La première raison de mon départ était donc la guerre, et les conditions de vie insupportables. Même si dans un premier temps, pendant quelques années, nous avons essayé de nous déplacer d'une région à l'autre, d'une ville à l'autre en Syrie, pour trouver la paix. Mais au bout du compte, pas de paix. Nous avons donc dû prendre une décision et partir.
Nous sommes donc partis en Turquie. Et puis, ce n'est pas un voyage facile. Parce que lorsque vous partez, par exemple, de la zone contrôlée par le gouvernement vers la zone contrôlée par l'opposition, ce n'est pas quelque chose de simple. Vous devez payer de grosses sommes d'argent, avec de grandes chances ne pas y arriver, d’être emprisonné, et peut-être même d’y perdre la vie. Beaucoup de gens que je connais ont perdu la vie.
Chris Hedges : Oui. Puis-je vous interrompre, parce que je veux revenir à la Syrie, avec les nombreuses pression ressenties au sein de votre propre famille pour rejoindre un côté ou l'autre du conflit.
Eyad Awwadawnan : Donc je dirais que beaucoup de gens tentent vraiment de continuer à étudier, mais pour x raisons, vous devez être soit avec le gouvernement, soit avec l'opposition. Ce n'est donc pas facile. Par exemple, pour moi et pour beaucoup, c'est une guerre civile, c'est ça le truc. Donc je ne veux être d'aucun côté. C'est une vraie pression et un vrai stress pour nous, cette situation, là-bas. J'ai perdu beaucoup d'amis. J'ai aussi perdu deux cousins, et beaucoup d'autres.
Je pense donc que la solution la plus simple était de partir. Mais en même temps, ce n'est pas facile émotionnellement, parce que vous êtes obligé de quitter votre pays, de tout laisser derrière vous. Et même si vous vous demandez si vous allez vous en sortir ou pas, ayant traversé la frontière seul de la Syrie à la Turquie, ma seule pensée était de savoir si j'allais recevoir une balle ou pas, parce que beaucoup de Syriens tentent de s'échapper ont été tués à la frontière.
Nous sommes donc partis de Syrie. Nous sommes restés en Turquie pendant un an et demi. La situation était vraiment difficile là-bas.
Chris Hedges : Eh bien, vous dites : "Nous vivions comme des animaux". Vous parlez de la Turquie.
Eyad Awwadawnan : Oui. Je dirais simplement que dire que la vie est dure là-bas est insuffisant, parce que parfois, ok, la vie est dure partout. Mais qu'entendez-vous par dur ? C’est ce que je dirais que lorsque vous travaillez toute la journée de sept heures à midi, parfois jusqu'à minuit, et pour quasiment pas d’argent, pas de salaire. Si vous vous coupez le doigt au travail, il n'y a pas de sécurité, il n'y a pas d'assurance maladie, vous avez juste perdu votre travail, votre doigt, et personne ne s'en souciera. Donc, comme les animaux, vous travaillez, vous mangez, vous buvez, et c'est tout. J'ai vécu là-bas pendant un an et demi, et je ne suis allé qu'une seule fois dans un café.
Chris Hedges : Vous avez travaillé à la réparation de camions, dans une usine de chaussures. Mais vous écrivez : " Les employeurs refusaient souvent de payer nos salaires, et si nous les demandions, nous étions licenciés. Nous étions insultés par le peuple, la police et l'armée. Ils nous disaient: vous êtes des traîtres, vous avez fui votre pays et vous venez ici pour vous cacher derrière nous comme des femmes."
Eyad Awwadawnan : Oui, nous entendons cela très souvent. Mais même si j'ai essayé d'en parler de nombreuses fois, à la fin vous direz, ok, si personne ne m'entend, pourquoi dire quelque chose ? Il suffit de garder le silence. Ils pensent que nous sommes là juste pour leur voler leur travail, et ce n'est pas la vérité. Nous avions des vies en Syrie, nous avions un avenir là-bas, mais la guerre nous a obligés à tout quitter, et à trouver un endroit sûr pour vivre. Nous étions vraiment mal traités. Je ne vais pas dire qu'ils sont tous mauvais, non, je ne peux pas généraliser parce que beaucoup de gens sont bons aussi. Dans n'importe quel endroit sur cette terre, vous trouverez des gens bons et des gens mauvais.
Je me souviens quand je travaillais dans l’usine de chaussures, à moins d'un dollar, mais c’était mieux que rien, ça allait me permettre d’acheter quelque chose. Quand j’ai dit que j'avais 10 lires turques, et il m'a viré du véhicule.
Chris Hedges : Parlons de la Grèce. Donc, vous payez un passeur 500 $, c'est une tonne d'argent.
Eyad Awwadawnan : Oui.
Chris Hedges : Pour un passage en Grèce sur un bateau en plastique. Vous payez, vous pensez que vous allez monter sur un bateau avec pas plus de 33 passagers pour une traversée qui ne durera pas plus d'une heure. Cela ne s'avère pas être le cas. Parlez-nous de ce passage au large de la côte turque vers la Grèce.
Eyad Awwadawnan : Comme je l'ai dit dans le livre, le passeur va vous vendre la marchandise comme du miel. Vous êtes sensés partir là-bas avec quelques personnes, maximum de 30 personnes sur le bateau, et vous passez en moins d'une heure. Et quand vous rentrez dans le véhicule, le bus, c'est un bus des mines. Vous vous retrouvez entouré de 45 personnes. Dans mon bateau, il y avait 67 personnes. 67 personnes, dont des personnes âgées, de jeunes enfants, des femmes, des femmes enceintes, tout, avec des cris, des hurlements. Beaucoup commencent à vomir. La situation était terrible. Et une scène et des souvenirs du bateau encore, lorsque nous avons vu le bateau de Frontex, nous avons commencé à porter nos enfants, à les tenir en l'air. Haut vers le ciel, parce que nous avions entendu beaucoup d'histoires selon lesquelles si vous n'avez pas d'enfants dans le bateau, ils vous renverront. Et c'est comme ça que ça se passe maintenant.
Chris Hedges : Vous atterrissez en Grèce. Je vais vous demander de nous parler de cette partie de votre voyage. Et dans le livre, vous décrivez les conditions. Mais parlez-nous de ce qui se passe après avoir atterri en Grèce.
Eyad Awwadawnan : Je veux juste préciser quelque chose. Je me souviens du moment où je suis monté sur le bateau de Frontex, quand nous avons vu les beaux bâtiments jaunes de Salamine, c'était vraiment magnifique. Alors quand nous avons débarqué au port, ils nous ont tous groupés, les 67 personnes, ils ont rempli une sorte de papier et ont écrit des numéros sur nos mains. Après cela, ils nous ont emmenés dans de petits mini-bus au camp. Rien que de voir l'entrée du camp submergée d’ordures, et la clôture, de voir les gens regarder, debout en une longue file, attendant leur nourriture, avec la police tout autour. C'était un choc pour moi. Et après ça, ils nous ont mis dans une zone où... je dirais qu'un animal ne peut pas vivre là ou rester, parce qu'il n'y a pas de toilettes propres, même pas d'eau à ce moment-là. Donc c'était un désastre. Un désastre.
Chris Hedges : Alors Helen, dans le livre, vous parlez du changement d'attitude, surtout après 2015, envers les réfugiés qui arrivent en Europe. Pouvez-vous nous parler de ce processus... Et je ne savais pas avant de lire le livre qu'il y avait une posture aussi agressive de l'UE pour essentiellement piéger les gens en Grèce, ou les repousser.
Helen Benedict : Oui. Nous voyons souvent ces vagues initiales de sympathie lorsque les réfugiés fuient une guerre. Et même si la guerre a commencé en Syrie en 2011, la plus grande ruée a eu lieu en 2015. Et au début, il y avait une certaine sympathie, et il y avait, même sur les îles, beaucoup de gens accueillants, préparant des sandwichs, ouvrant leurs maisons. Pas tout le monde, mais beaucoup de gens. Et puis en 2016, l'UE a passé un accord avec la Turquie, l'accord UE-Turquie. Ils ont mis 3 milliards d'euros en Grèce et en Turquie pour essentiellement s'assurer que toutes les procédures par lesquelles tout réfugié, demandeur d’asile devrait passer seraient ralenties, ralenties, ralenties. Et ces camps temporaires censés n'être que des centres de traitement sont soudainement devenus des centres de détention.
Et les gens sont restés coincés là pendant des années sans être scolarisés, avec un seul médecin pour tout le camp. Avec les horribles conditions sanitaires, la saleté et le surpeuplement qu'Eyad décrit. Et puis les insulaires, au fur et à mesure que les gens arrivaient, ont commencé à en avoir de plus en plus marre, et à être de plus en plus angoissés - même si, je dois le dire, ils en tirent aussi de l'argent. Et cela a été alimenté par le nouveau gouvernement élu arrivé en Grèce en 2019, un gouvernement ouvertement de droite, anti-immigrants, anti-réfugiés. Utilisant cette plateforme que tant de gouvernements autoritaires utilisent aujourd'hui.
On a commencé à alimenter tous ces mensonges destinés au peuple grec, que ce ne sont pas de vrais réfugiés qui fuient pour leur vie, ce sont des migrants économiques qui viennent pour essayer de faire de l'argent sur leur dos, et prendre leurs emplois. Ce qui fonctionne bien sûr, surtout avec l'aide des réseaux sociaux pour favoriser de plus en plus et de plus en plus l'antagonisme. C'est ce que j'ai vu à chaque fois que j'y suis retournée. Je parlais aux Grecs et aux personnes vivant dans le camp, et les rencontres étaient de plus en plus hostiles avec les locaux, surtout avec la police locale devenue extrêmement brutale.
Chris Hedges : Donc, Eyad, l'un des thèmes du livre est celui-ci, tous ces gens qui s'attaquent aux personnes vulnérables pour le profit, pas seulement les passeurs, mais partout, parce que vous êtes sans défense, parce que vous n'avez pas de droits légaux, même si vous êtes pauvre, vous êtes simplement plumé à chaque étape. Pouvez-vous parler de toutes les façons dont ces réfugiés sont harcelés, souvent même par le biais d'escroqueries ?
Eyad Awwadawnan : Oui. Par exemple, commençons par Salamine, où beaucoup de demandeurs d'asile avaient été rejetés. Ils essaient donc de trouver des passeurs pour les faire sortir de l'île de Salamine et les emmener sur le continent, soit si le passeur passe un accord avec un chauffeur de camion, soit s'il les placent à l'arrière d'un camion. Et c’est dangereux. Autre chose aussi, quand vous n'êtes par exemple plus un demandeur d'asile. Vous avez été reconnu comme réfugié. Mais vous êtes alors en train de vivre le cauchemar des longues procédures. Par exemple, lorsque j'étais là-bas, j'ai attendu ma carte d'identité pendant six mois.
Alors quand vous voulez quitter ce pays parce que vous dites que vous voulez poursuivre vos études, et aller dans un autre pays pour vivre votre rêve. Si je suis pas attaqué par les tirs d’un avion, cela ne veut pas dire que je vis ma vie, car la vie, c'est bien autre chose que d'être en sécurité et d'avoir de la nourriture sur la table. Vous essayez donc d'obtenir vos documents aussi vite que possible. Vous demandez à un avocat, et il va en profiter. Beaucoup de gens paient beaucoup d'argent. L'un d'entre eux, moi, et aussi une dame dont je parle dans le livre. Je pense que beaucoup vont en apprendre en lisant le livre. En fait, tout le monde en profite parce qu'ils savent que vous voulez partir dès que vous le pouvez. Donc la police, les avocats, sans doute pas tous, mais beaucoup d'entre eux.
Chris Hedges : Helen, j’aimerais parler des femmes. Le viol est, bien sûr, malheureusement fréquent chez les femmes et les filles qui fuient. Ce que je ne savais pas avant de lire le livre, c’est qu’une fois que vous avez obtenu l'asile, vous êtes souvent privé de tout soutien financier. Mais pouvez-vous commencer par la situation des filles et des femmes ?
Helen Benedict : Oui. Eh bien, dans les camps, par exemple, elles sont largement en surnombre. Le ratio hommes/femmes est d'environ cinq pour un. Et c'est particulièrement dangereux, bien sûr, pour les femmes qui sont venues seules, ou pour les jeunes mineures non accompagnées, les filles, parce qu'elles sont considérées comme des proies par tout le monde. Les passeurs, qu'elles rencontrent pendant le voyage, et une fois sur place, il n'y a pas que les passeurs, il y a aussi les policiers, les soldats, tous ceux qui ont du pouvoir. Et parfois aussi les hommes du camp. Ainsi, un très grand nombre de femmes qui arrivent en Grèce ont déjà subi de terribles agressions et violences lors des guerres dans leur pays. Elles sont donc déjà traumatisées, et puis elles arrivent là-bas et il n'y a pas d'endroit où vivre, pas de logement protégé. Il y a, comme je le disais, un médecin, un psychiatre, un psychologue. Personne d'autre ne peut les aider, à l'exception d'une poignée de toutes petites ONG.
Donc beaucoup de femmes n'ont aucune aide. Et puis si elles sont à nouveau prises pour cible, agressées ou violées à plusieurs reprises, elles peuvent être prises pour cible par un homme en particulier qui sait que la femme n'a aucune protection, et cela peut continuer. Ce cauchemar se poursuit, sans aucun recours. Des histoires très pénibles. Vraiment, s'il n'y avait pas les ONG, il n'y aurait aucune aide du tout.
Chris Hedges : Vous en parlez dans le livre, de tous ces efforts pour supprimer les ONG.
Helen Benedict : La plupart d'entre elles l'ont été, oui. Oui. Le gouvernement grec, Néa Dimokratía [Nouvelle Démocratie], a fait deux choses : une fois que vous obtenez le statut de réfugié, vous êtes exclu de toutes les formes d'aide auxquelles vous avez pourtant droit. Donc d'une certaine manière, c'est tout sauf être protégé. On vous enlève votre argent, on vous enlève les logements subventionnés. Vous êtes expulsé. Vous n'avez plus droit aux soins médicaux gratuits, et encore moins à des soins pour les agressions sexuelles, les viols et les traumatismes de guerre. Et autre chose, la plupart des ONG ont été fermées et supprimées, là même où elles étaient les seules à offrir un semblant d'aide.
Chris Hedges : Eyad, je voudrais vous poser une question sur le traumatisme. Dans votre livre, vous parlez d'un homme qui s'appelle Hassan, et de son frère jumeau Hussein qui a été tué. Il dit : "Il était mon jumeau, mon frère, une partie de moi. Je me suis assis seul dans ma chambre, stores et rideaux baissés, lumières éteintes. Je voulais rester loin de tous. L'humidité de l'été emplissait l’espace, les murs, le sol, jusqu'à ce que l'odeur de moisissure soit partout. La plupart du temps, je restais éveillé jusqu'à l'aube et ne prenais qu'un seul repas, toujours le même : du lait mélangé à de l'huile d'olive et du sel. Un morceau de pain. Une tasse de thé. Après plusieurs mois comme ça, j'ai commencé à avoir des problèmes de santé." Donc vous avez subi, comme probablement la plupart de ces réfugiés, un énorme traumatisme, et je me demandais si vous pouviez aborder les effets de ce traumatisme et ce qu'il vous fait.
Eyad Awwadawnan : Souvent, quand la seule chose possible dans ce camp, c'est d'allumer cigarette sur cigarette, et de vous replonger dans vos souvenirs des gens qui vivaient avec vous, dans vos souvenirs avec eux. Et parfois écouter de la musique aussi, ce qui vous ramène à l'époque où vous étiez ensemble. Vous n’avez parfois qu’une photo d'eux, celle où vous pouvoir voir la balle qu’ils ont pris dans leur cou. Par exemple, un ami, son nom est Mohammed, était assis avec nous et jouait souvent aux cartes, et un jour, nous nous sommes réveillés en entendant la nouvelle de sa mort. Et une photo de lui, la dernière photo de lui montrait son cou ouvert par une balle. Non, je ne pense pas que la guerre puisse vous offrir quoi que ce soit.
Chris Hedges : Et il y a très peu de possibilités de traitement pour ce traumatisme, n'est-ce pas ?
Eyad Awwadawnan : Je ne pense pas, personnellement, je dirais que cela sera permanent. Ce sentiment que quelque chose a été changé. Par exemple, aujourd'hui, je suis en sécurité. Je suis dans un endroit où il y a tout, un beau pays, et les gens sont vraiment gentils. Mais malgré tout, à cause de ce qui s'est produit, de ce que j'ai vécu, quelque chose qui a changé en moi. Les angoisses, je suppose. Je dirais que si vous avez peur du lendemain, vous aurez toujours peur du lendemain. Et être un réfugié... C'est un sujet compliqué.
Helen Benedict : J'ajouterais que pour les gens avec qui je parle, le sommeil est un problème. S'endormir, rester endormi. Quand vos défenses sont baissées, tous les souvenirs et les images vous hantent et vous hantent encore. Ne jamais se sentir en sécurité où que l'on soit, ne jamais savoir si l'on aura un avenir, et de quoi il sera fait. Je pense que l'une des choses les plus difficiles à vivre lorsque vous devez fuir votre pays est que tout contrôle sur votre vie vous est ôté. Vous êtes expédié par les autorités comme un paquet de linge sale. Vous ne pouvez pas choisir où aller, dans quel camp vous allez être envoyé, ou si vous allez être mis à la rue ou non. Les seuls dont j'ai entendu parler à avoir vraiment réussi à aider les gens est MSF, Médecins Sans Frontières, pour ceux qui ont la chance d'y avoir accès. Mais sinon, tout dure longtemps, érodant les gens de toutes sortes de façons, évidentes et subtiles.
Chris Hedges : Je voudrais parler du racisme, parce que l'afflux de réfugiés a alimenté ce mouvement nationaliste blanc aux États-Unis et en Europe. Mais pouvez-vous aborder cette question de la race, Helen ? Et ensuite vous, Eyad.
Helen Benedict : Oui, bien sûr. Deux des personnes qui figurent dans le livre sont africaines, l'une du Nigeria, l'autre du Cameroun. Il y a beaucoup de racisme contre les Arabes en Grèce, je l'ai vu de mes propres yeux. Mais c'est encore plus extrême avec les Africains. Et c’est très visible. Je suis allée avec Evans, l'une des personnes dans le livre, juste pour essayer de l'aider à ouvrir un compte bancaire. On a été expulsés d'une banque. Ils nous ont dit de revenir dans trois mois. Je leur ai demandé s’ils ne voulaient pas de son argent, juste pour voir ce qu'ils diraient. Qui a entendu parler de ça, des banques qui refusent quelqu'un comme ça. On nous a virés des magasins de téléphonie. Il essayait de trouver une batterie pour son téléphone, et ils ne laissaient entrer que les blancs. C'était tout à fait flagrant. Il y avait certains restaurants où vous n'alliez pas, des cafés où vous n'alliez pas parce que les gens étaient si hostiles. Ça s'est su.
Et puis les propriétaires ne louent pas souvent aux réfugiés, en grande partie à cause du racisme. Une grande partie est aussi raciste par islamophobie. Dans le cas des deux Africains du livre, ils étaient tous deux chrétiens. Mais j'en ai interviewé d'autres qui étaient musulmans. Mais ce qui comptait le plus pour les gens, c'était qu'ils soient noirs. C'est donc très extrême. Et bien sûr, comme vous l'avez dit, Chris, on attise partout la xénophobie, la haine et la suspicion. Et ce mythe selon lequel les réfugiés sont dangereux, alors que toutes les statistiques montrent qu'ils commettent en réalité moins de crimes que les civils dans un pays donné.
Chris Hedges : Eyad, pouvez-vous nous parler du racisme et de l'islamophobie ?
Eyad Awwadawnan : Une histoire m'est arrivée lorsque je travaillais avec une organisation appelée SolidarityNow. Je vivais dans une zone éloignée du camp, et j'ai essayé de me rapprocher du camp quand même. J'ai demandé à certains de mes collègues de m’aider à trouver un logement, car il y en avait beaucoup. Et chaque fois qu'ils apprenaient que cet homme ou cette femme qui veut louer est syrien ou réfugié, ils disent, non, nous voulons juste louer cet endroit à un européen, et si ce n'est pas un Grec, alors quelqu'un d'Europe. Cela m'est arrivé. Je dirais que j'ai vu et entendu beaucoup d'histoires sur le racisme, mais je ne vais pas dire que tous les gens là-bas sont racistes. Non, comme je l'ai mentionné dans le livre, vous trouverez aussi des gens bien.
Comme cette vieille dame qui nous accueillait avec le sourire. Parfois, un sourire est plus que suffisant. Donc je dirais que oui, j'ai vu beaucoup de racisme, mais en même temps j'ai vu de la gentillesse de la part de personnes normales. Si nous parlons de la police, je dirais non. Je n'ai eu aucune expérience agréable avec eux. Certains d'entre eux, sur la plage, essaient de donner des coups de pied. Je me souviens que mon frère avait été enlevé sur la plage avec un grand groupe de réfugiés, et quel était leur crime ? Ils marchaient juste près du port devant tout le monde en troupeau.
Helen Benedict : L'une des fois où je suis allée en Grèce, en plein milieu du mouvement Black Lives Matter ici, nous parlions beaucoup du profilage racial aux États-Unis, et j'ai vu la police arrêter des réfugiés au hasard sans cesse, les fouiller, leur faire enlever leur sac à dos, les fouiller, et les palper. Ils ne font pourtant que marcher en s'occupant de leurs affaires. C'était très dur. Mais bien sûr, Eyad a raison de nous rappeler qu'il ne faut pas généraliser à tout un pays. Il y a beaucoup de Grecs très gentils et généreux qui se soucient vraiment de cette situation, comme partout. Dieu merci.
Chris Hedges: Je tiens à remercier The Real News Network et son équipe de production : Cameron Granadino, Adam Coley, Dwayne Gladden, et Kayla Rivera. Vous pouvez me trouver sur chrishedges.substack.com.
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* Chris Hedges est un journaliste lauréat du prix Pulitzer qui a été correspondant à l'étranger pendant quinze ans pour le New York Times, où il a occupé les postes de chef du bureau du Moyen-Orient et du bureau des Balkans. Il a auparavant travaillé à l'étranger pour le Dallas Morning News, le Christian Science Monitor et NPR. Il est l'hôte de l'émission The Chris Hedges Report.