đ© The Cradle: Exclusif : Le suivi du flux de pĂ©trole syrien volĂ© vers l'Irak
Sous couvert d'une "zone de sécurité", des passages illégaux entre l'Irak et la Syrie sont actifs, avec des dizaines de camions passant chaque semaine, transportant le pétrole syrien de contrebande.
L'armée américaine et ses alliés kurdes volent 80 % de la production pétroliÚre quotidienne de la Syrie et la font passer en contrebande en Irak pour la distribuer. Crédit photo : The Cradle
đ© Exclusif : Suivre le flux de pĂ©trole syrien volĂ© vers l'Irak
Si le rĂŽle des Ătats-Unis dans le pillage des ressources de la Syrie est bien documentĂ©, on connaĂźt moins la complicitĂ© de la rĂ©gion du Kurdistan irakien dans le transport et la distribution de ce pĂ©trole.
đ° Par le correspondant en Irak de The Cradle, le 28 septembre 2022
Bien que la frontiĂšre irako-syrienne poreuse s'Ă©tende sur plus de 600 kilomĂštres, prĂšs de la moitiĂ© de celle-ci - dans la pratique - n'est soumise Ă l'autoritĂ© d'aucun des deux Ătats. Au fil des ans, cette absence de contrĂŽle frontalier complet a donnĂ© lieu Ă un certain nombre de menaces pour la sĂ©curitĂ© des deux nations, notamment la prĂ©sence persistante d'Ă©lĂ©ments d'ISIS dans les rĂ©gions frontaliĂšres.
Du cÎté irakien, une approche proactive a été adoptée pour contrer ce terrorisme de bas niveau, avec la mise en place de deux lignes défensives par le commandement des opérations conjointes, en plus des barriÚres en béton et des tours de guet.
La contrebande depuis la Syrie vers les villes frontaliĂšres irakiennes est une autre caractĂ©ristique marquante des activitĂ©s frontaliĂšres actuelles, qui reprĂ©sente Ă la fois une menace et une opportunitĂ© pour la coalition internationale dirigĂ©e par les Ătats-Unis, dont les forces opĂšrent des deux cĂŽtĂ©s de la frontiĂšre.
âȘïž Les Ătats-Unis pillent et passent en contrebande le pĂ©trole syrien
Sous le couvert de cette coalition internationale, l'armĂ©e amĂ©ricaine contrĂŽle les frontiĂšres entre l'Irak et la Syrie, notamment au point de passage de Fishkhabour-Semalka, au point de passage illĂ©gal d'Al-Waleed entre le Kurdistan irakien et le territoire syrien occupĂ© par les Ătats-Unis, et au point de passage d'Al-Mahmoudiyah. Tous ces points de passage sont devenus cĂ©lĂšbres pour la contrebande de pĂ©trole brut syrien vers le nord de l'Irak, avec la participation directe des forces militaires amĂ©ricaines.
Des drones de reconnaissance survolent rĂ©guliĂšrement le ciel de la rĂ©gion et la sĂ©curitĂ© est confiĂ©e par l'armĂ©e amĂ©ricaine Ă des sociĂ©tĂ©s de sĂ©curitĂ© privĂ©es. Les employĂ©s de ces sociĂ©tĂ©s, qui se dĂ©placent dans des vĂ©hicules Ă quatre roues motrices sous couverture aĂ©rienne amĂ©ricaine, sont chargĂ©s de sĂ©curiser le transport du pĂ©trole syrien vers le territoire irakien - mĂȘme si leur mandat consiste uniquement Ă transporter des Ă©quipements logistiques appartenant Ă la coalition internationale.
Lorsque The Cradle s'est rendu dans la zone frontaliĂšre pour enquĂȘter plus avant, nous avons Ă©tĂ© empĂȘchĂ©s d'aller au-delĂ du point de contrĂŽle conjoint des forces peshmerga et asayish, respectivement les forces militaires et les services de renseignement kurdes.
Ce point de contrĂŽle reflĂšte la coordination de la sĂ©curitĂ© entre le Pentagone et le ministĂšre des Peshmerga au Kurdistan irakien, et se dĂ©roule Ă l'insu de Bagdad et sans coordination. La mĂ©connaissance par le gouvernement central irakien de la situation Ă ses frontiĂšres peut ĂȘtre rĂ©sumĂ©e par ce qu'une source sĂ©curitaire irakienne de haut niveau a dĂ©clarĂ© au Cradle: que les troupes amĂ©ricaines Ă©taient lĂ pour "soutenir les forces kurdes dans le cadre du systĂšme de dĂ©fense irakien pour combattre le terrorisme."
âȘïž Destination : Le Kurdistan irakien
Cependant, des sources tribales confirment que sous couvert de cette "zone de sécurité", des passages illégaux entre l'Irak et la Syrie sont actifs, avec des dizaines de camions-citerne passant chaque semaine en convois transportant du pétrole syrien de contrebande, accompagnés d'avions de guerre ou d'hélicoptÚres américains.
Des bergers de la région corroborent également ces affirmations et indiquent que le pétrole syrien est transporté vers le site militaire de Harir à Erbil, la capitale de la région du Kurdistan d'Irak (KRI), au profit de la compagnie pétroliÚre kurde KAR Group, détenue par le cheikh Baz Karim Barzanji, proche de la famille du chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), Massoud Barzani.
Le Premier ministre irakien Moustafa al-Kadhimi et le Cheikh Baz Karim Barzanji aprÚs l'attaque de missiles de l'IRGC sur Erbil (Crédit photo : Reuters)
Ce dernier entretient de solides relations avec le nouveau "Club des pays influents" en Irak, en rĂ©fĂ©rence aux EAU et Ă la Turquie. Barzani entretient Ă©galement de solides relations avec les Forces dĂ©mocratiques syriennes (FDS) en Syrie, soutenues par les Ătats-Unis et dirigĂ©es par les Kurdes, dont les membres ont protĂ©gĂ© des convois de rĂ©servoirs de pĂ©trole syriens.
Le cheikh Baz a fait l'objet d'un examen minutieux en mars lorsqu'une de ses villas, qui aurait servi de refuge à l'agence d'espionnage israélienne Mossad, a été frappée par des missiles du Corps des gardiens de la révolution iranienne (IRGC), tuant et blessant les agents qui s'y trouvaient.
à l'époque, le politicien kurde Hiwa Seid Salim avait déclaré à The Cradle qu'il soupçonnait que l'attaque iranienne contre la villa du cheikh Baz était due à ses activités commerciales, qui, selon des sources de sécurité iraniennes, incluent la vente de pétrole et de gaz irakiens (ou syriens) à Israël.
Le cheikh Baz était l'un des canaux de communication entre le PDK et le gouvernement de Saddam Hussein pour le transport du pétrole irakien vers la Turquie pendant l'embargo économique sur l'Irak. AprÚs l'invasion américaine de 2003, il a travaillé avec l'USAID et a transformé son entreprise de construction - créée dans les années 1990 - en un conglomérat pétrolier.
âȘïž La logistique du pillage
S'adressant à The Cradle, un ancien diplomate irakien souligne que le vol des ressources naturelles syriennes a connu une augmentation significative lorsque l'ancien président américain Donald Trump est arrivé au pouvoir. à cette époque, il a déclaré aux responsables irakiens que "le pétrole syrien est un prix bon marché pour la contribution de Washington à la lutte contre ISIS."
S'il n'est pas possible de déterminer avec précision les quantités de pétrole pillées, des sources tribales irakiennes confirment que le convoyage prend environ 48 heures à travers les principaux points de passage, approuvés par l'armée américaine (Fishkhabour, Al-Waleed ou Al-Yaarubiyah), dans un processus qui ne fait que de brÚves pauses pour remplir leurs réservoirs.
Selon ces sources, il n'y a généralement pas moins de 70 à 100 camions-citernes transportant du pétrole syrien par voyage.
Ă l'intĂ©rieur de la Syrie, les convois de pĂ©troliers traversent des zones Ă©chappant Ă l'autoritĂ© de l'Ătat central. Le voyage part de la rĂ©gion syrienne d'Al-Jazira et passe par Al-Hasakah, oĂč il s'arrĂȘte pendant des heures avant de continuer vers l'un des points de vente frontaliers pour s'approvisionner, puis se dirige vers le site de Harir Ă Erbil dans la KRI.
LĂ , le pĂ©trole est transvasĂ© dans d'autres rĂ©servoirs qui le transportent vers la base amĂ©ricaine d'Ain al-Assad, dans la province irakienne d'Anbar, ou vers la province d'Halabja, oĂč se trouve une autre base militaire amĂ©ricaine.
Carte illustrant le transport du pétrole syrien volé vers l'Irak
Le transfert de pĂ©troliers du Kurdistan vers la base d'Ain al-Assad ou tout autre site militaire amĂ©ricain doit obtenir l'approbation prĂ©alable du Centre national des opĂ©rations. Ces transferts ont donc lieu sous couvert de "soutien logistique aux forces de la coalition internationale", selon une source de sĂ©curitĂ© irakienne en contact Ă©troit avec les Ătats-Unis. Bien qu'il soit peu probable que Bagdad soit complĂštement tenu Ă l'Ă©cart de cette violation rĂ©pĂ©tĂ©e de la souverainetĂ© et de l'intĂ©gritĂ© territoriale de l'Irak, il semble qu'elle n'ait pas grand-chose Ă dire Ă ce sujet.
La source indique à The Cradle que le voyage des camions-citernes par le point de passage d'Al-Qaim-al-Bukamal aurait été plus court si ce point de passage n'avait pas été sous le contrÎle de factions irakiennes armées qui accusent le Premier ministre Mustafa al-Kadhimi d'avoir "ouvert les portes" aux Américains.
La mĂȘme source de sĂ©curitĂ© souligne que ces factions "n'ont pas cessĂ© de rĂ©clamer le retrait des forces amĂ©ricaines d'Irak, qui poursuivent leur travail de sĂ©curitĂ© et de renseignement Ă l'intĂ©rieur de l'Ătat sous couvert de fournir des conseils sĂ©curitaires et militaires aux forces irakiennes dans la lutte contre le terrorisme."
âȘïž Qu'en sait le gouvernement irakien ?
Le "travail de conseil" de l'armĂ©e amĂ©ricaine se limite ostensiblement Ă fournir aux forces irakiennes quelques images satellites de la prĂ©sence d'ISIS dans les montagnes du nord de l'Irak. Cependant, ces informations sont sans doute dĂ©jĂ accessibles aux autoritĂ©s irakiennes sans l'aide des Ătats-Unis, selon des sources de la salle des opĂ©rations militaires conjointes, la plus haute autoritĂ© militaire et sĂ©curitaire en Irak.
The Cradle a tenté de joindre des responsables du gouvernement irakien pour obtenir un commentaire sur ce qui se passe aux postes frontiÚres de l'Irak, mais il n'y a pas eu de réponse.
Une source politique a attribuĂ© cette absence de rĂ©ponse Ă la "fragilitĂ© politique", selon laquelle il est devenu courant pour les dĂ©cideurs d'Ă©viter de commenter des informations considĂ©rĂ©es comme "sensibles". C'est particuliĂšrement le cas Ă un moment oĂč l'Irak traverse une pĂ©riode d'incertitude politique tout en sortant trĂšs timidement de sa crise Ă©conomique.
Certaines mesures positives ont été prises récemment par les autorités irakiennes, notamment une récente réunion des gardes-frontiÚres du pays avec des officiers de l'armée syrienne à Bagdad - la premiÚre du genre depuis 2021 - visant à renforcer la coopération et à fortifier la frontiÚre contre le terrorisme et les réseaux de contrebande.
Pourtant, l'incapacité de Bagdad à faire face et à sévir contre le transport illégal de pétrole syrien volé vers l'Irak ne fait que cimenter - et confirmer - la perception d'un certain nombre de factions irakiennes selon laquelle le gouvernement de Mustafa al-Kadhimi est une simple marionnette aux mains des Américains.
Les opinions exprimées dans cet article ne reflÚtent pas nécessairement celles de The Cradle.
https://thecradle.co/Article/Investigations/16166