👁🗨 Trêve ou cessez-le-feu, tout accord sur Gaza menace de briser la coalition de Netanyahu
Ce que Tel Aviv craint le plus : un cessez-le-feu & des modalités garantis par les États de la région & les puissances mondiales désireuses d'imposer une solution pérenne de la question palestinienne.
👁🗨 Trêve ou cessez-le-feu, tout accord sur Gaza menace de briser la coalition de Netanyahu
Par Khalil Harb, le 8 février 2024
Le sort de la coalition israélienne est désormais suspendu à l’accord sur Gaza. Une courte trêve prolongerait la guerre & la condamnation mondiale de Tel-Aviv. Un cessez-le-feu complet célèbrerait la victoire pour le Hamas - et les Palestiniens.
Deux mots, “temporaire” et “durable”, résument le battage médiatique autour des négociations de Paris sur un règlement de la guerre de Gaza aujourd'hui.
La trêve envisagée par les parties en présence à Paris - le Qatar, l'Égypte, Israël, les États-Unis et la France - se veut un “accord-cadre”. Les autorités d'occupation israéliennes veulent faire en sorte qu’un accord n'aboutisse qu'à une “cessation temporaire des opérations militaires”, augurant ainsi d'une éventuelle reprise des massacres à Gaza. Le Hamas et d'autres factions de la résistance palestinienne, quant à eux, proposent, par le biais de divers amendements, une cessation complète des opérations militaires comme prélude à une “paix durable”.
On ne sait toujours pas pourquoi l'administration américaine de Joe Biden, sponsor officiel du massacre israélien qui dure depuis quatre mois, s'obstine à traiter le dossier de la “guerre à Gaza” comme si son enjeu principal était la libération des prisonniers israéliens détenus à Gaza - plutôt que la résolution d'une occupation de plusieurs décennies des terres et du peuple palestiniens qui a conduit à la situation d'aujourd'hui.
Toute approche ou règlement de cette guerre doit commencer par l'occupation et ses vastes répercussions - l'essence même du conflit. Au lieu de cela, la position de la Maison Blanche reflète le point de vue américain selon lequel Washington n'est pas le seul responsable pour l'instant, et soulève des questions sur la nature et l'efficacité du rôle des “médiateurs” qatariens et égyptiens.
Ces deux derniers États arabes ont participé aux négociations de Paris visant à rédiger l'accord il y a plus d'une semaine, les agences de renseignement américano-israéliennes étant représentées par le chef de la CIA, William Burns, le chef du Mossad, David Barnea, et le chef du Shin Bet israélien, Ronen Barr.
Quelques heures après que le Hamas a annoncé son “accord-cadre” aux médiateurs qataris et égyptiens, les déclarations des Israéliens et des Américains ont révélé leur intention de saboter une paix véritable ou un arrêt du conflit militaire.
Le président américain Biden a fait un commentaire prématuré en déclarant que les remarques du Hamas étaient “exagérées”, tandis que le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant - tout juste sorti de ses entretiens avec le Secrétaire d'État américain Antony Blinken - a déclaré que la réponse présentée par le Hamas était “négative” et avait été rédigée intentionnellement pour être rejetée par Israël.
De son point de vue, M. Gallant n'a pas tout à fait tort. Ce qu'Israël attend de l'accord, c'est un mandat américano-arabe pour reprendre la guerre une fois que les prisonniers israéliens auront été libérés par la résistance de Gaza.
L'engagement d'Israël dans le génocide
Le résultat est sans ambiguïté : Israël veut une guerre permanente. Gallant admet publiquement que “la guerre est loin d'être terminée”. Netanyahou, après avoir rencontré Blinken, a déclaré :
“Nous devons mettre fin à la guerre avec une victoire écrasante, et c'est une question de temps. Notre armée avance méthodiquement et nous lui avons donné l'ordre de se déployer à Rafah”,
où l'armée d'occupation menace depuis plusieurs jours de lancer une offensive majeure le long de la frontière avec l'Égypte. Cela signifiera le déplacement de centaines de milliers de Palestiniens déjà déplacés vers la zone frontalière au cours des dernières semaines.
Une source majeure du Jihad islamique palestinien (PIJ), qui a participé à l'élaboration de la réponse de la résistance au document de Paris, déclare à The Cradle que le document présenté aux factions palestiniennes “ne comporte pas d'accord pour mettre fin à la guerre”. Dans l'état actuel des choses, dit-il,
“Il n'y a rien de tel. Il est question d'une trêve et d'un échange de prisonniers, et l'arrêt de la guerre sera discuté ultérieurement.”
Le responsable du PIJ dénonce ce document présenté au Hamas comme étant “un piège, plein de dangers et de ruses”, et précise que le Qatar et l'Égypte disent en gros au Hamas de se soumettre à un cessez-le-feu de trois mois et de croire que l'armée israélienne ne fera plus rien ensuite.
Cette incitation qatario-égyptienne semble pour le moins ambitieuse, pariant peut-être sur l'éventualité de voir les prochaines élections présidentielles américaines prendre leur essor - juste à la fin de la trêve proposée - et empêcher Netanyahou de reprendre son attaque sanglante contre Gaza. La source palestinienne affirme toutefois que la résistance ne nourrit pas de tels fantasmes et qu'elle a traité le document de l'accord comme tel, puisqu'il ne garantit rien - ni le retrait des chars, ni la prévention de la guerre et des assassinats ciblés.
Exigences de la résistance palestinienne
Selon les informations dont on dispose, des discussions internes au sein du Hamas et des autres factions de la résistance, et entre eux, ont eu lieu après avoir reçu le document de Paris via un médiateur égyptien. La source palestinienne indique que si la décision du Hamas relève en grande partie du chef du groupe à Gaza, Yahya Sinwar, le bureau politique du Hamas (basé au Qatar), représenté par Ismail Haniyeh, Khaled Meshaal et Musa Abu Marzouk, s'est également réuni et a fait part de ses opinions aux décideurs à Gaza.
Le report de l'accord final dépend presque entièrement du différend entre ceux qui recherchent une solution “temporaire” à la guerre et ceux qui exigent une solution “durable”.
Intitulé “Cadre général pour un accord global entre les parties”, le document décompose la trêve proposée en trois phases :
La première, d'une durée de 45 jours, comprend une clause relative à
“l'arrêt temporaire des opérations militaires, l'arrêt de la reconnaissance aérienne et le repositionnement des forces israéliennes en dehors des zones densément peuplées de la bande de Gaza, afin de permettre aux parties d'achever l'échange de détenus et de prisonniers”.
Dans les phases suivantes, le document mentionne “l'ouverture de discussions [indirectes] sur les conditions nécessaires au rétablissement du calme”, l'entrée dans l’enclave et l'accès des Palestiniens à l'aide humanitaire et au carburant, la reconstruction des hôpitaux et la mise en place d’abris et autres unités de logement temporaires.
Peu de précisions ont été données sur la manière dont tout cela serait mis en œuvre, et dans quels délais, une fois l'échange de prisonniers achevé. Les amendements du Hamas visaient à remédier à cette situation, en clarifiant la durée de ces phases et en établissant des objectifs clairs.
En l'état actuel des choses, et conformément aux volontés d'Israël, l'accord ne fait aucune référence à la fin de l'agression militaire contre la bande de Gaza. Le ministère palestinien de la santé confirme que l'agression israélienne a jusqu'à présent - depuis le 7 octobre - causé la mort d'environ 28 000 Palestiniens et blessé 70 000 autres, tandis que les raids aériens, les tirs d`artillerie et les opérations terrestres israéliens ont endommagé plus de 60 % des logements, et en en détruisant totalement 53 000.
En l'absence de protection arabe et internationale efficace de la vie civile palestinienne depuis quatre mois, c'est à Sinwar et à ses collègues gazaouis qu'il incombe de traiter le document avec les besoins tangibles et urgents des Palestiniens. Dans les amendements de la “réponse initiale” du Hamas soumis au comité de Paris, le Hamas introduit sa réponse de la manière suivante :
“Cet accord vise à mettre fin aux opérations militaires mutuelles entre les parties, à parvenir à un calme complet et durable, échanger des prisonniers entre les deux parties, mettre fin au siège de Gaza, permettre sa reconstruction, faire rentrer les résidents et les personnes déplacées dans leurs foyers, et fournir abris et secours à tous les résidents de tous les secteurs de la bande de Gaza.”
Dans sa réponse, le Hamas a ajouté une “annexe à l'accord-cadre”, notant que cette annexe fait partie intégrante de l'accord et précisant que les garants de l'accord sont l'Égypte, le Qatar, la Turquie, la Russie et les Nations unies. Outre l'exigence d'un cessez-le-feu “complet et durable”, le Hamas a exigé des résultats concrets qui contribueraient au maintien de la paix, notamment la fin de l'occupation actuelle de Gaza, la mise en place d'un programme d'aide à grande échelle pour les centaines de milliers de personnes déplacées et leur hébergement, avant la phase de reconstruction globale.
C'est un anathème pour les Israéliens, qui veulent éviter autant que possible “les détails qui fâchent”. Tel-Aviv a juste besoin d'un échange de prisonniers pour réorganiser sa scène politique nationale - qu'il s'agisse de dissensions publiques ou de luttes de pouvoir au sein de sa coalition - avant de déchaîner le pire de sa puissance de feu militaire sur Gaza.
Même après avoir reçu la réaction du Hamas, les services de sécurité israéliens continuent de miser sur l'assassinat de Sinwar pour remporter une victoire - comme si d'autres résistants n'allaient pas prendre la relève ! Pendant la visite de M. Blinken, M. Netanyahou s'est vanté d'avoir définitivement éliminé les dirigeants du Hamas à Gaza et a promis d'envahir Rafah, sans tenir compte des préoccupations des médiateurs égyptiens.
Les Israéliens ont affirmé publiquement que le Hamas avait fait échouer l'accord. En privé, Tel Aviv s'est empressé de vérifier si la réponse du Hamas - que le Qatar a transmise au Mossad - représentait une position définitive, ou s’il était ouvert à de nouvelles négociations.
Comme l'a fait remarquer un analyste israélien dans Haaretz, M. Netanyahou se trouve dans la posture la plus délicate, au vu de la réponse positive du Hamas. Si l'accord est conclu, le premier ministre israélien sera contraint de choisir l'un des deux camps de sa coalition gouvernementale : soit l'aile extrémiste composée de colons de droite comme le ministre de la défense nationale Itamar Ben-Gvir et le ministre des finances Bezalel Smotrich, soit l'aile plus favorable aux États-Unis, dirigée par le ministre Gadi Eisenkot et le membre du conseil de guerre Benny Gantz. Pour résumer, soit Gantz et Eisenkot vont procéder à la dissolution du gouvernement israélien en état d'urgence, soit Ben Gvir et Smotrich s'en chargeront.
Tout ceci dépend de l'existence ou non d'une “trêve”, de sa durée ou de sa pérennité, et des modalités selon lesquelles les détenus palestiniens des prisons de l'occupation seront inclus dans l'échange de prisonniers. Sans parler des risques d'embrasement dans l'intervalle : la reconnaissance d'un État palestinien par certains alliés occidentaux, la perception d'une victoire palestinienne à Gaza si la guerre prend fin, l'avancée d'une véritable “solution à deux États” et la poursuite des affrontements à la frontière septentrionale d'Israël et en mer Rouge.
Les extrémistes du gouvernement israélien ne supporteront pas que le génocide de Gaza prenne fin, sans même parler de la perspective d'un alignement de l'allié américain sur l'idée d'un État palestinien.
En fin de compte, les amendements pragmatiques et logiques du Hamas à l'accord sont ce que Tel-Aviv craint le plus : un cessez-le-feu permanent reposant sur des phases, des échéances et des résultats strictement définis et garantis par les États de la région et les puissances mondiales qui, afin de mettre un terme au problème une fois pour toutes, ont désormais à cœur d'imposer une résolution permanente de la question palestinienne.
https://thecradle.co/articles/ceasefire-or-truce-any-gaza-deal-could-break-netanyahus-coalition