đâđš Trop c'est trop, il est temps de libĂ©rer Julian Assange
Le monde de la surveillance quasi-totale, esquissé par Orwell dans 1984, est aujourd'hui une effrayante réalité. Je suis d'accord avec Albanese & son message à Biden. Trop c'est trop. Libérez-le !
đâđš Trop c'est trop, il est temps de libĂ©rer Julian Assange
Par Alan Rusbridger, le 10 février 2024
La derniĂšre tentative du fondateur de Wikileaks pour lutter contre l'extradition vers les Ătats-Unis nous confronte Ă des questions fondamentales sur la libertĂ© de la presse et le pouvoir de l'Ătat.
Vous avez peut-ĂȘtre oubliĂ© Julian Assange. VoilĂ onze ans qu'il a disparu de la scĂšne publique, d'abord dans le secret claustrophobe de l'ambassade d'Ăquateur, puis, prĂšs de sept ans plus tard, dans la prison de haute sĂ©curitĂ© de Belmarsh. Loin des yeux, loin du cĆur.
Tout cela est sur le point de changer alors qu'il mĂšne une ultime tentative devant la Haute Cour de Londres pour Ă©viter d'ĂȘtre extradĂ© vers l'AmĂ©rique, oĂč il est fort probable qu'il disparaisse Ă nouveau, cette fois dans un pĂ©nitencier d'Ătat pour trĂšs longtemps.
Pourquoi devons-nous nous en soucier ?
Nombreux sont ceux qui ne s'en soucient guĂšre. Ils peuvent ne pas aimer Assange - et il faut reconnaĂźtre âsa propension Ă perdre des amis et Ă s'aliĂ©ner des gensâ *. âNombreux sont ceux qui, dans les mĂ©dias, ne le considĂšrent pas comme un âvraiâ journaliste et ne lĂšveront donc pas le petit doigt pour le dĂ©fendreâ *. âCertains ne lui pardonneront jamaisâ * son rĂŽle dans la divulgation d'informations sur la campagne d'Hillary Clinton en 2016 tout en l'accusant d'ĂȘtre le valet de Poutine.
[Spirit of Free Speech : infra le dĂ©menti apportĂ© par Wikileaks aux affirmations - vivaces - diffamatoires dâAlan Rusbringer, alors rĂ©dacteur en chef du Guardian et beau-frĂšre de David Leigh, journaliste au Guardian en 2011, suite Ă la diffusion par David Leigh dâun mot de passe top secret de Wikileaks confiĂ© par Julian Assange. Mais la rancune semble tenace⊠].
Et puis il y a ceux qui vouent une foi touchante aux recoins secrets de notre Ătat, et qui dĂ©plorent qu'on en soulĂšve le couvercle. James Bond est un symbole mondial, mĂȘme si le contre-rĂ©cit est parfois plus proche de George Smiley ou de Jackson Lamb de Slow Horses. Je n'oublierai jamais un Ă©minent rĂ©dacteur en chef qui, au plus fort des rĂ©vĂ©lations d'Edward Snowden, Ă©crivait :
âSi les services de sĂ©curitĂ© insistent sur le fait que quelque chose est contraire Ă l'intĂ©rĂȘt public... qui suis-je pour ne pas les croire ?â.
En d'autres termes, faites confiance Ă l'Ătat. S'il vous dit âsautezâ, votre rĂŽle est de demander âjusqu'oĂč ?â.
Mais pourquoi le feriez-vous ? "L'Ătat - ne le savons-nous pas - se trompe systĂ©matiquement sur toutes sortes de choses. Il en va de mĂȘme, inĂ©vitablement, pour l'Ătat secret, l'Ătat sĂ©curitaire, l'Ătat profond - quel que soit le nom qu'on lui donne.
Feriez-vous confiance Ă la police ou aux services de sĂ©curitĂ© pour surveiller toutes vos communications et tous vos mouvements ? Pas si vous avez lu Orwell. N'avez-vous pas remarquĂ© les dĂ©faillances/embellissements des services de renseignement qui ont contribuĂ© Ă façonner la politique des Ătats-Unis et du Royaume-Uni avant l'attaque dĂ©sastreuse contre l'Irak en 2003 ? Vraiment ?
Avez-vous ignorĂ© les allĂ©gations avĂ©rĂ©es de torture et de restitution pendant et aprĂšs le 11 septembre ? Avez-vous manquĂ© les constats de surveillance illĂ©gale dans le sillage des rĂ©vĂ©lations de Snowden ? Haussez-vous les Ă©paules lorsque vous lisez que la police ou les services de renseignement infiltrent des groupes de manifestants et se comportent de telle maniĂšre qu'ils font l'objet d'une enquĂȘte en cours au Royaume-Uni sur l'infiltration policiĂšre ?
En d'autres termes, l'Ătat sĂ©curitaire - pour tout le travail qu'il accomplit, Ă la fois utile et essentiel - a besoin d'ĂȘtre surveillĂ© et de rendre des comptes. D'autant qu'il dispose d'immenses pouvoirs sur la vie des individus, y compris sur des questions de vie ou de mort.
Mais toute tentative d'examen, en raison de la protection de plus en plus prohibitive de la loi et des sanctions dont bĂ©nĂ©ficient les parties les plus obscures de l'Ătat, n'est pas chose aisĂ©e.
Au fil des ans, un travail précieux a été accompli par les lanceurs d'alerte - pensez à Daniel Ellsberg, Clive Ponting, Chelsea Manning, Thomas Drake, Katharine Gun, Edward Snowden. Et puis il y a le genre hybride de personnes comme Assange - à la fois militant, journaliste, éditeur et pirate informatique.
Presque tous suivent un mĂȘme modĂšle. Ils sont dĂ©noncĂ©s avec vĂ©hĂ©mence par l'Ătat comme traĂźtres et mĂ©prisables. Puis vient une forme de rĂ©Ă©valuation : les jurys les innocentent, l'opinion publique Ă©volue, les prĂ©sidents, aprĂšs rĂ©flexion, commuent leurs peines. Enfin, une forme de rĂ©demption : ils sont cĂ©lĂ©brĂ©s dans des films hollywoodiens et/ou honorĂ©s pour leur courage. Daniel Ellsberg, au moment de sa mort l'annĂ©e derniĂšre, avait acquis une sorte de statut d'icĂŽne en tant que personne ayant fait ce qu'il fallait quand il le fallait.
C'est le cas de Julian Assange. Bien sĂ»r, ils [Spirit of Free Speech : lâauteur de lâarticle inclus] le dĂ©testent. Bien sĂ»r qu'ils veulent en faire un exemple. Bien sĂ»r, ils n'admettront jamais, au grand jamais, que les rĂ©vĂ©lations de Wikileaks sur les guerres d'Afghanistan et d'Irak contiennent ne serait-ce que le plus infime embryon d'intĂ©rĂȘt public.
Il est Ă©vident qu'ils veulent mettre fin Ă tout examen de l'Ătat secret. Ces derniĂšres annĂ©es, l'Australie, le Royaume-Uni et les Ătats-Unis ont, de diverses maniĂšres, tentĂ© de mettre des bĂątons dans les roues de ceux qui voudraient braquer un projecteur dĂ©rangeant. Des peines d'emprisonnement plus longues, la criminalisation du droit de dĂ©tenir, et a fortiori de publier, des documents confidentiels, la menace d'injonctions pour empĂȘcher la publication, le droit d'espionner les journalistes et leurs sources, la poursuite d'activistes et d'autres personnes susceptibles de prĂ©senter un ârisqueâ.
Et maintenant, ils veulent s'emparer d'Assange, peut-ĂȘtre encouragĂ©s par la rĂ©action discrĂšte de la communautĂ© internationale des journalistes Ă sa mise en accusation. Mais il est temps de se rĂ©veiller et de s'alarmer.
âSi l'accusation aboutitâ, dĂ©clare James Goodale, âle journalisme d'investigation basĂ© sur des informations classifiĂ©es sera littĂ©ralement condamnĂ© Ă mortâ.
Goodale, aujourd'hui ĂągĂ© de 90 ans, mĂ©rite d'ĂȘtre Ă©coutĂ© depuis qu'il a pris la dĂ©fense du New York Times lors de la publication, en 1971, des âPentagon Papersâ, le dossier autrefois secret divulguĂ© par Ellsberg, qui rĂ©vĂ©lait la vĂ©ritĂ© sur la guerre du ViĂȘt Nam. Et, oui, c'est devenu un film de Steven Spielberg avec Meryl Streep et Tom Hanks. Le temps est un grand guĂ©risseur.
Assange, citoyen australien, doit-il ĂȘtre extradĂ© ?
Imaginons un autre scĂ©nario. Une journaliste amĂ©ricaine, basĂ©e Ă Londres, commence Ă enquĂȘter, par exemple, sur le programme d'armement nuclĂ©aire de l'Inde. Ses rapports enfreignent clairement la loi de 1923 sur les secrets officiels [Official Secrets Act] de ce pays. L'Inde veut la poursuivre et, avec un peu de chance, l'emprisonner pour une longue pĂ©riode - pour dĂ©courager les autres.
Pouvez-vous imaginer les circonstances dans lesquelles cette journaliste amĂ©ricaine serait embarquĂ©e sur un vol d'Air India Ă destination de Delhi ? Bien sĂ»r que non : aucun gouvernement amĂ©ricain ne l'accepterait. Alors pourquoi - alors que mĂȘme le premier ministre australien, Anthony Albanese, a clairement indiquĂ© qu'il pensait qu'il Ă©tait temps de le libĂ©rer - continuons-nous Ă gaspiller les maigres moyens dont disposent les tribunaux et les prisons pour dĂ©battre des peines supplĂ©mentaires Ă infliger Ă M. Assange ?
Je sais qu'Assange est Ă certains Ă©gards une figure complexe, mĂȘme si je dĂ©fendrai toujours le travail que nous avons accompli ensemble [Spirit of Free Speech !!!] lorsque j'Ă©tais rĂ©dacteur en chef du Guardian, sur les registres des guerres d'Irak et d'Afghanistan et sur les cĂąbles diplomatiques. Je comprends pourquoi la dĂ©fense de M. Assange par la communautĂ© journalistique au sens large a Ă©tĂ© âquelque peuâ Ă©touffĂ©e.
Mais je sais qu'ils ne s'arrĂȘteront pas Ă Assange. Le monde de la surveillance quasi-totale, simplement esquissĂ© par Orwell dans 1984, est aujourd'hui d'une effrayante rĂ©alitĂ©. Nous avons besoin de courageux dĂ©fenseurs de nos libertĂ©s. Ils ne seront pas tous des hĂ©ros hollywoodiens, pas plus que ne l'Ă©tait le Winston Smith d'Orwell.
Mais je suis d'accord avec Albanese et son message clair au président Biden. Trop c'est trop. Libérez-le.
DĂ©menti de Wikileaks aux affirmations de David Leigh & Alan Rusbringer
* âLa divulgation par le Guardian constitue une violation de l'accord de confidentialitĂ© entre WikiLeaks et Alan Rusbridger, rĂ©dacteur en chef du Guardian, signĂ© le 30 juillet 2010. David Leigh est Ă©galement le beau-frĂšre d'Alan Rusbridger, ce qui a amenĂ© d'autres journalistes du Guardian Ă affirmer que David Leigh a Ă©tĂ© indĂ»ment protĂ©gĂ© des retombĂ©es. Ce n'est pas la premiĂšre fois que l'accord de sĂ©curitĂ© de WikiLeaks est violĂ© par le Guardian.
WikiLeaks a rompu les projets futurs avec le Guardian en décembre de l'année derniÚre aprÚs avoir découvert que le Guardian était engagé dans une conspiration visant à publier les cùbles à l'insu de WikiLeaks, compromettant gravement la sécurité de nos collaborateurs aux Etats-Unis et d'une source présumée en détention provisoire. David Leigh, sans aucun fondement et en violation flagrante de l'éthique journalistique, a désigné Bradley Manning comme la source du Cablegate dans son livre. David Leigh a secrÚtement transmis l'ensemble des archives à Bill Keller du New York Times, en septembre 2011, ou avant, détruisant sciemment les plans de WikiLeaks de publier plutÎt avec le Washington Post & McClatchy.
David Leigh et le Guardian ont par la suite et à plusieurs reprises violé les conditions de sécurité de WikiLeaks, y compris nos exigences que les cùbles non publiés soient protégés des services de renseignement d'Etat en les conservant uniquement sur des ordinateurs non connectés à internet. Ian Katz, rédacteur en chef adjoint du Guardian, a admis lors d'une réunion en décembre 2010 que cette précaution n'était pas respectée par le Guardian.
PJ Crowley, porte-parole du dĂ©partement d'Etat sur la question des cĂąbles au dĂ©but de l'annĂ©e, a dĂ©clarĂ© Ă l'AP le 30 aoĂ»t 2011 que âtout service de sĂ©curitĂ© autocratique digne de ce nomâ disposait probablement dĂ©jĂ des archives complĂštes non expurgĂ©es.
Il y a deux semaines, lorsqu'on a dĂ©couvert que l'information sur le livre de Leigh s'Ă©tait rĂ©pandue au point d'ĂȘtre sur le point d'ĂȘtre publiĂ©e dans l'hebdomadaire allemand Der Freitag, WikiLeaks a pris des mesures d'urgence, exigeant que le rĂ©dacteur en chef ne fasse pas allusion au livre de Leigh, et a chargĂ© ses avocats de faire cesser la diffusion malveillante de ses informations sur le livre de Leigh.
WikiLeaks a avancé son calendrier de publication habituel, afin de mettre le plus de documents possible entre les mains des journalistes et des avocats spécialisés dans les droits de l'homme qui en ont besoin. WikiLeaks et ses partenaires devaient avoir publié la plupart des documents du Cablegate avant le 29 novembre 2011, soit un an aprÚs la premiÚre publication. Au cours de la semaine derniÚre, nous avons publié plus de 130 000 cùbles, pour la plupart non classifiés. Ces cùbles ont donné lieu à des centaines de reportages importants dans le monde entier. Tous étaient non classifiés, à l'exception des collections australienne et suédoise, et de quelques autres, mises à disposition par nos partenaires.
WikiLeaks a Ă©galement Ă©tĂ© en contact avec Human Rights Watch et Amnesty Ă un haut niveau. Nous avons contactĂ© l'ambassade des Etats-Unis Ă Londres, puis le dĂ©partement d'Etat Ă Washington le 25 aoĂ»t pour savoir si leur programme de notification des informateurs, instituĂ© l'annĂ©e derniĂšre, Ă©tait achevĂ© et, dans la nĂ©gative, pour prendre les mesures utiles. Ce n'est qu'aprĂšs des tentatives rĂ©pĂ©tĂ©es par des canaux de haut niveau et 36 heures aprĂšs notre premier contact que le dĂ©partement d'Etat, bien qu'il ait Ă©tĂ© mis au courant de la question, a rĂ©pondu. Cliff Johnson (conseiller juridique au dĂ©partement d'Etat) s'est entretenu avec Julian Assange pendant 75 minutes, mais le dĂ©partement d'Etat a dĂ©cidĂ© de ne pas le rencontrer en personne pour recueillir des informations supplĂ©mentaires, qui ne pouvaient pas, Ă ce stade, ĂȘtre transmises en toute sĂ©curitĂ© par tĂ©lĂ©phone.â
https://www.wikileaks.org/Guardian-journalist-negligently.html