đâđš True Promise III peut-il remodeler le destin gĂ©opolitique de lâIran ?
La bataille ne se situe pas Ă Tel-Aviv mais Ă Washington. Pour l'Iran, l'enjeu est existentiel & True Promise III offre une fenĂȘtre fugace pour nĂ©gocier en position de force. TĂ©hĂ©ran doit s'en saisir.
đâđš True Promise III peut-il remodeler le destin gĂ©opolitique de lâIran ?
Par Shivan Mahendrarajah, le 4 janvier 2025
OpĂ©ration militaire probable mais pour l'instant hypothĂ©tique, True Promise III offrirait Ă l'Iran une occasion cruciale de neutraliser l'influence excessive des Ătats-Unis et d'IsraĂ«l en Asie occidentale, et de trouver une solution dĂ©finitive Ă ses problĂšmes intĂ©rieurs.
Pourquoi les Ătats-Unis ont-ils tant intĂ©rĂȘt Ă s'implanter en Asie occidentale ? La raison n'est certainement plus d'assurer l'accĂšs Ă du pĂ©trole et du gaz bon marchĂ©, comme dans les dĂ©cennies passĂ©es - les Ătats-Unis ont suffisamment d'approvisionnements propres, ils cherchent mĂȘme Ă se positionner comme le principal fournisseur d'Ă©nergie de l'Europe.
Aujourd'hui, les Ătats-Unis sont prĂ©sents dans la rĂ©gion pour une raison bien prĂ©cise : protĂ©ger l'existence d'IsraĂ«l et permettre Ă Tel-Aviv de dĂ©ployer sa puissance Ă©conomique, diplomatique et militaire dans le monde arabe. Mais pour y parvenir, ils doivent Ă©liminer le plus grand obstacle d'IsraĂ«l et du sionisme, Ă savoir la RĂ©publique islamique d'Iran.
TĂ©hĂ©ran n'est pas seulement une figure organisatrice de l'Axe de RĂ©sistance de la rĂ©gion contre l'hĂ©gĂ©monie occidentale, mais reprĂ©sente surtout le potentiel souverain, indĂ©pendant et autosuffisant des musulmans - la âmenace du bon exempleâ, en quelque sorte.
Ă cette fin, Washington a imposĂ© des sanctions Ă l'Iran, renforcĂ© ses bases militaires dans le golfe Persique et dĂ©ployĂ© des troupes, des avions et des porte-avions, tout cela pour âcontenirâ la RĂ©publique islamique.
La chute de la Syrie de l'ancien prĂ©sident Bachar el-Assad ajoute une autre dimension aux menaces grandissantes contre l'Iran : la possibilitĂ© que la Turquie, membre de l'OTAN, soit utilisĂ©e comme mandataire par les Ătats-Unis pour ouvrir des fronts anti-iraniens en Irak et en AzerbaĂŻdjan. Dans le golfe Persique, les alliĂ©s saoudiens et Ă©miratis des Ătats-Unis soutiennent la lutte contre les forces d'Ansarallah au YĂ©men, un membre relativement nouveau et puissant de l'Axe de la RĂ©sistance.
Alors que la rhĂ©torique des dirigeants iraniens est souvent axĂ©e sur les mĂ©faits des agendas âmalveillantsâ de l'Occident, sur le front intĂ©rieur, l'Iran est Ă©galement confrontĂ© Ă des dĂ©fis de plus en plus importants. L'inflation monte en flĂšche, le rial est en chute libre, les logements sont de plus en plus inabordables et les pĂ©nuries d'Ă©nergie ont engendrĂ© des coupures de courant. La frustration de l'opinion publique augmente car ces problĂšmes sont souvent imputĂ©s Ă l'incompĂ©tence du gouvernement. Les Iraniens posent des questions insistantes : qu'en est-il de la flambĂ©e des loyers ? Le prix des denrĂ©es alimentaires ? Le chauffage en hiver ? En quoi l'Ă©radication des âracines du sionismeâ peut-elle aider Ă rĂ©soudre les problĂšmes de subsistance ?
Il ne fait aucun doute que Washington cherchera à tirer pleinement parti de cette rare convergence des revers intérieurs et régionaux de l'Iran pour cibler la République islamique dans les mois à venir.
Une riposte iranienne se matérialisera-t-elle ?
Le vĂ©ritable adversaire de l'Iran n'est pas directement IsraĂ«l, mais les Ătats-Unis, sans lesquels Tel-Aviv ne pourrait jamais espĂ©rer projeter quoi que ce soit dans la rĂ©gion. La neutralisation de l'influence amĂ©ricaine - par la guerre ou la menace crĂ©dible d'une guerre - affaiblirait le protecteur d'IsraĂ«l. L'opĂ©ration True Promise III offre une telle opportunitĂ©.
Comme l'a noté The Cradle au début du mois dernier :
âLes seuls accords avec les Ătats-Unis Ă avoir du poids sont ceux approuvĂ©s par IsraĂ«l - et IsraĂ«l n'acceptera que s'il est militairement vaincuâ.
Faisant suite aux prĂ©cĂ©dentes opĂ©rations directes de l'Iran contre l'Ătat d'occupation, cette opĂ©ration de reprĂ©sailles cherchera probablement Ă vaincre stratĂ©giquement IsraĂ«l - et, si nĂ©cessaire, Ă dissuader les Ătats-Unis - pour l'obliger Ă conclure un traitĂ© global qui rĂ©ponde aux difficultĂ©s Ă©conomiques de l'Iran. Le temps ne joue pas en faveur de TĂ©hĂ©ran, car des nĂ©gociations prolongĂ©es semblables au plan d'action global conjoint (JCPOA) ne sont plus viables.
Carl von Clausewitz, célÚbre stratÚge du XIXe siÚcle, a écrit :
âLe niveau de contrainte Ă utiliser contre l'ennemi dĂ©pend de l'ampleur des exigences politiques de l'une ou l'autre des partiesâ.
Quels sont les objectifs - les exigences politiques - de l'opĂ©ration True Promise III ? Dissuader IsraĂ«l d'attaquer l'Iran comme il l'a fait le 26 octobre ? Ou amener les Ătats-Unis, et donc IsraĂ«l, Ă la table des nĂ©gociations ?
Les dirigeants politiques et militaires de Téhéran doivent envisager la prochaine opération comme l'opportunité de parvenir à un rÚglement complet et définitif. Il ne s'agit plus d'une escalade progressive visant à dissuader la guerre américano-israélienne contre Gaza, mais de régler les perspectives de toute guerre étrangÚre directe contre la République islamique.
En 2003, l'Iran a proposĂ© un âgrand accordâ, qui a Ă©tĂ© rejetĂ© par l'administration Bush. Il peut ĂȘtre relancĂ©, non par le biais de pourparlers nuclĂ©aires, mais par une puissance adaptĂ©e. Une âpaix de Westphalieâ rĂ©glant la question Iran-IsraĂ«l est envisageable.
Crise Ă©conomique
L'économie iranienne est chancelante, c'est indéniable.
Des décennies de sanctions ont détruit le rial, qui vaut aujourd'hui environ 1 dollar = 800 000 rials et devrait continuer à baisser. L'inflation oscille officiellement autour de 33 %, bien que les taux réels soient considérés comme bien plus élevés dans les provinces.
Les coĂ»ts d'emprunt, liĂ©s Ă des taux d'intĂ©rĂȘt Ă©levĂ©s, paralysent les entreprises et les mĂ©nages. Le marchĂ© immobilier de TĂ©hĂ©ran est tout aussi sombre, les loyers ayant augmentĂ© de 50 % d'une annĂ©e sur l'autre. Alors que l'hiver s'installe, les coupures d'Ă©lectricitĂ© et les pĂ©nuries de gaz naturel aggravent la situation, et la pollution atmosphĂ©rique rend l'air de TĂ©hĂ©ran presque irrespirable.
Une source iranienne a envoyĂ© Ă The Cradle une photo de la pollution de l'air avec la lĂ©gende suivante : âVoilĂ ce que nous respirons tous les joursâ.
Ce malaise Ă©conomique n'est pas entiĂšrement imputable aux sanctions, excuse maintes fois invoquĂ©e par TĂ©hĂ©ran. MalgrĂ© les miracles reconnus du dĂ©veloppement de l'Iran au cours des quatre derniĂšres dĂ©cennies, la nĂ©gligence du gouvernement a aggravĂ© les problĂšmes d'infrastructure dans les domaines de l'irrigation, de l'Ă©nergie et du logement. La croissance dĂ©mographique a Ă©tĂ© plus rapide que le dĂ©veloppement du logement, tandis que la centralisation des ministĂšres Ă TĂ©hĂ©ran a contribuĂ© Ă grever encore davantage le budget de l'Ătat. Avec un tiers de la main-d'Ćuvre employĂ©e par l'Ătat, une dĂ©centralisation pourrait attĂ©nuer les pressions urbaines. En attendant, le taux de chĂŽmage se maintient obstinĂ©ment Ă 7,5 %.
IsraĂ«l est peut-ĂȘtre âplus fragile qu'une toile d'araignĂ©eâ, comme l'a dĂ©clarĂ© le dĂ©funt secrĂ©taire gĂ©nĂ©ral du Hezbollah, Hassan Nasrallah, mais l'Iran prĂ©sente Ă©galement des vulnĂ©rabilitĂ©s inhĂ©rentes.
Une guerre est inévitable
La chute d'Assad a enhardi les ennemis de TĂ©hĂ©ran. La vulnĂ©rabilitĂ© de l'Iran tient Ă la perte d'un acteur âcentralâ de l'Axe de la RĂ©sistance, par la âmise Ă l'Ă©cartâ du Hezbollah, qui doit encore s'adapter, et aux pressions exercĂ©es par les partenaires rĂ©gionaux des Ătats-Unis, l'Arabie saoudite et les Ămirats arabes unis, sur le gouvernement de facto du YĂ©men, Ă Sanaa.
Ă Washington et Ă Tel-Aviv, les dĂ©bats sur la guerre avec l'Iran ne sont plus un mystĂšre. Le Premier ministre israĂ©lien Benjamin Netanyahu et ses alliĂ©s d'extrĂȘme droite plaident ouvertement en faveur d'un conflit, soutenus par le zĂšle tant financier qu'idĂ©ologique de personnalitĂ©s comme la milliardaire Miriam Adelson, qui a lourdement investi dans le retour du prĂ©sident Ă©lu Donald Trump Ă la Maison-Blanche en 2025. Son dĂ©funt mari, Sheldon Adelson, a dĂ©clarĂ© un jour que les Ătats-Unis devraient ârĂ©soudre le problĂšme iranien en larguant une bombe nuclĂ©aireâ.
Les scenarii menaçants de pression interne sur l'Iran concernent les terroristes soutenus par la Turquie en Syrie qui attaquent les factions de résistance irakiennes dirigées par les chiites, et à l'intérieur de l'Iran, les Moudjahidine-e Khalq (MeK), les Baloutches, et les terroristes kurdes. L'analyste géopolitique Lee Slusher estime qu'Ankara pourrait également tenter de fomenter des troubles parmi les Azéris de l'Azerbaïdjan (iranien).
Washington et Tel-Aviv ne cherchent pas à renverser le gouvernement iranien, mais de contribuer à sa chute. Le scénario idéal étant que l'Iran se disloque selon des frontiÚres ethno-linguistiques, avec des factions en guerre se disputant la suprématie.
Leurs modÚles sont la Libye (aprÚs Kadhafi), l'Irak (aprÚs Saddam) et la Syrie (aprÚs Assad). Si les factions iraniennes se battent entre elles, à l'instar des Syriens, les bombardiers américains et israéliens chercheront à démolir l'infrastructure militaire iranienne, tout comme l'armée israélienne a détruit 80 % des capacités militaires de la Syrie.
Les conseils de Clausewitz
Si l'objectif du Corps des gardiens de la rĂ©volution islamique (CGRI) se limite Ă dissuader IsraĂ«l, il peut y parvenir. Toutefois, cette dissuasion ne suffira pas Ă lever les sanctions ou Ă relancer l'Ă©conomie iranienne. Sans une intervention plus large, le soutien amĂ©ricain aux groupes mandataires et la dĂ©stabilisation interne persisteront, risquant d'aboutir Ă un scĂ©nario similaire Ă la disparition Ă terme de l'Ătat syrien.
L'Iran doit donc envisager une stratĂ©gie plus ambitieuse. Comme l'a notĂ© Clausewitz, âLa portĂ©e des objectifs militaires [...] doit s'aligner sur les objectifs politiquesâ.
Avec True Promise III, TĂ©hĂ©ran doit viser plus haut que lors des opĂ©rations prĂ©cĂ©dentes. La vĂ©ritable cible n'est pas IsraĂ«l - simple mandataire - mais son bailleur de fonds, les Ătats-Unis. Dissuader les Ătats-Unis affaiblirait, par extension, la position d'IsraĂ«l. Le CGRI doit dĂ©livrer un message clair : la dĂ©fense aĂ©rienne amĂ©ricaine comme le THAAD ne peut en aucun cas protĂ©ger les biens militaires ou civils.
Les frappes sur des cibles israéliennes clés, comme les infrastructures à Haïfa et Tel-Aviv, les raffineries et les plates-formes offshore, devront déstabiliser la région et produire des dégùts trop importants pour que les médias occidentaux puissent les ignorer. De telles actions exposeraient les vulnérabilités d'Israël, sapant l'illusion de son invincibilité militaire.
La capacitĂ© du YĂ©men Ă forcer le navire USS Harry Truman Ă battre en retraite sert de modĂšle. En dĂ©montrant que la marine amĂ©ricaine n'est pas en mesure de projeter efficacement sa puissance contre l'Iran, Washington modifierait son calcul stratĂ©gique. De mĂȘme, en ciblant les infrastructures Ă©nergĂ©tiques saoudiennes et Ă©miraties, les ramifications rĂ©gionales de tout conflit seraient mises en Ă©vidence et les âcoĂ»ts inacceptablesâ de la guerre seraient reconnus.
L'opĂ©ration True Promise III doit ĂȘtre guidĂ©e par deux principes : montrer que la victoire est improbable et souligner le âcoĂ»t inacceptableâ d'un conflit. Le rĂ©cit de la âvictoireâ perpĂ©tuelle d'IsraĂ«l n'est au fond qu'une pyramide de Ponzi reposant sur une illusion.
En dĂ©mantelant cette illusion, le CGRI peut contraindre les dĂ©cideurs amĂ©ricains Ă rĂ©Ă©valuer leurs engagements. La vĂ©ritable bataille ne se situe pas Ă Tel-Aviv mais Ă Washington. Pour l'Iran, l'enjeu est existentiel : obtenir un rĂšglement dĂ©cisif ou risquer une lente dĂ©sintĂ©gration sous une pression incessante. True Promise III offre une fenĂȘtre fugace mais critique pour nĂ©gocier en position de force. TĂ©hĂ©ran doit s'en saisir.
https://thecradle.co/articles/can-true-promise-iii-reshape-irans-geopolitical-fate