👁🗨 Trump ferait-il du “Kissinger inversé” avec la Russie & la Chine ?
Si les spéculations médiatisées de la CIA sèment le doute entre la Russie et la Chine, elles contribueraient à saboter un engagement fructueux entre Moscou & Washington en vue de la paix en Ukraine.
👁🗨 Trump ferait-il du “Kissinger inversé” avec la Russie & la Chine ?
Par Finian Cunningham, le 28 février 2025
Il serait tentant de spéculer sur les intentions du président américain Donald Trump de s'aligner sur la Russie pour tenter d'affaiblir la Chine.
Il serait tentant de spéculer sur les intentions du président américain Donald Trump de s'aligner sur la Russie pour tenter d'affaiblir la Chine.
Cette hypothèse confère à la diplomatie accélérée de Washington en faveur de la paix dans le conflit ukrainien une perspective plus cynique. Le véritable objectif, selon ce raisonnement, ne serait pas tant de parvenir à une paix fondée sur des principes sincères et des préoccupations humanitaires, que de permettre à l'administration Trump de s'allier à la Russie afin d'exercer un effet de levier sur la Chine.
La politique présumée est qualifiée de “Kissinger inversé”. Elle fait référence à la démarche géopolitique de l'administration de Richard Nixon au début des années 1970, lorsqu'il a effectué une visite audacieuse en Chine rouge. Henry Kissinger, le gourou de Nixon en matière de relations extérieures, est considéré comme le cerveau de cette politique ambitieuse de rapprochement avec la République populaire de Chine, dans le but d'affaiblir l'Union soviétique. Dans une certaine mesure, cette initiative furtive a été à l'époque un succès et a permis de consolider l'image de génie machiavélique de Kissinger.
Un demi-siècle plus tard, l'administration Trump tente-t-elle de favoriser la détente avec la Russie dans le but plus vaste d'isoler et d'affaiblir la Chine ?
L'ouverture diplomatique de Trump auprès du président russe Vladimir Poutine dans le but de mettre fin au conflit en Ukraine a provoqué une onde de choc internationale, en particulier parmi les alliés européens des États-Unis. Ils se sentent mis à l'écart et craignent que M. Trump ne conclue un accord de paix avec M. Poutine sans l'avis de l'Europe.
D'autre part, les médias occidentaux spéculent sur la crainte de la Chine que Moscou ne se détourne de son partenariat avec Pékin si Washington fait des concessions sur les revendications territoriales de la Russie dans l'ex-Ukraine. La Russie exige également que l'Ukraine ne devienne pas membre de l'alliance militaire de l'OTAN.
Le mépris de M. Trump pour l'OTAN et les “profiteurs” européens perçus comme tels pourrait pousser le président américain à les court-circuiter afin de montrer à Moscou qu'il s'attaque aux “causes profondes” du conflit.
Si M. Trump est déterminé à faire pivoter la politique américaine pour affronter la Chine en tant que menace prioritaire pour la sécurité nationale américaine, faire des concessions à la Russie sur l'Ukraine, l'OTAN et l'Europe pourrait être considéré comme un bon investissement.
Cependant, ce jeu machiavélique des temps modernes présente un inconvénient : la Russie et la Chine semblent être parfaitement conscientes du stratagème.
Cette semaine, à l'occasion du troisième anniversaire de l'intervention militaire russe en Ukraine, le président Poutine s'est entretenu avec le président chinois Xi Jinping lors d'une conversation téléphonique qui a fait couler beaucoup d'encre. Les deux dirigeants ont réaffirmé leur partenariat “sans limites” et ont souligné que la relation stratégique entre la Russie et la Chine ne saurait être soumise à quelque “influence extérieure” que ce soit.
Cela peut être considéré comme un message clair adressé à Washington, selon lequel toute idée de division entre la Russie et la Chine est vouée à l'échec.
Pendant la guerre froide, à la fin des années 1960 et dans les années 1970, l'Union soviétique a entretenu des relations tendues avec la Chine rouge. À l'époque, elles étaient à la merci des intrigues triangulaires de l'administration Nixon, qui consistaient à les monter l'une contre l'autre.
Aujourd'hui, cependant, la Russie et la Chine entretiennent des relations totalement différentes. Sous la houlette de Poutine et de Xi, les deux nations ont construit une alliance solide fondée sur d'énormes intérêts économiques, commerciaux, énergétiques et technologiques. Les échanges commerciaux de la Russie avec la Chine dépassent de loin ceux de la Russie avec les États-Unis. Mais le calcul est bien plus complexe que les simples chiffres liés aux échanges commerciaux. Poutine et Xi ont investi dans la vision géopolitique et philosophique de la création d'un monde multipolaire, qui surpasse les ambitions américaines de domination hégémonique.
Decrypter l'idée de jouer la Russie contre la Chine n'est qu'un jeu d’enfant pour Poutine et Xi. Les Américains se font des illusions s'ils pensent qu'une telle ruse peut fonctionner.
On peut comprendre comment une spéculation de type “Kissinger inversé” est pensée. Bien sûr, l'administration Trump compte quelques personnalités anti-chinoises. Cette semaine encore, le secrétaire d'État Marco Rubio a réaffirmé que la Chine constitue la menace existentielle “la plus forte de tous les temps” pour les États-Unis.
D'autres personnalités de l'administration Trump, comme le secrétaire à la Défense Pete Hegseth, sont également très enthousiastes à l'idée d'accroître la puissance militaire américaine en Asie-Pacifique pour faire face à la Chine.
Cette semaine, l'administration Trump a également inquiété Pékin en débloquant jusqu'à 5,3 milliards de dollars d'aide militaire à Taïwan, ce que la Chine considère comme une atteinte directe à sa souveraineté sur l'île séparatiste.
Néanmoins, il faut rester sceptique quant à la volonté de Trump de faire un coup bas à la Chine en dupant la Russie.
Tout d'abord, cela ne semble guère réalisable, compte tenu du formidable partenariat politique et économique entre la Russie et la Chine. Sans parler de l'intelligence des dirigeants russes et chinois, qui exclut toute possibilité de se laisser abuser par un stratagème aussi douteux.
Ensuite, les principaux médias américains qui alimentent les spéculations sur un agenda secret “Nixon inversé” ou “Kissinger inversé” sont les médias alignés sur l'administration Biden précédente.
Depuis que M. Trump a passé son appel téléphonique décisif avec M. Poutine le 12 février, les spéculations sur les inquiétudes de la Chine vont bon train.
La Chine a salué le nouvel élan de paix en Ukraine, mais cela n'a pas empêché des médias américains comme CNN, le New York Times et le Washington Post d'insister sur la thèse selon laquelle Pékin dissimule en quelque sorte son inquiétude de voir la Russie revenir sur son engagement envers la Chine dans le but supposé d'obtenir des concessions de la part de Trump au sujet de l'Ukraine.
Ces médias américains ont fermement soutenu la guerre pro-Ukraine de M. Biden contre la Russie. Bien entendu, cette guerre par procuration a été parée de prétentions chevaleresques de défense de la démocratie et de souveraineté ukrainiennes. CNN, le New York Times et le Washington Post ont consciencieusement servi l'agenda impérialiste consistant à mener une guerre pour vaincre la Russie.
Maintenant que Trump a annoncé vouloir mettre fin à cette guerre, l'establishment impérialiste américain (ou État profond) s'inquiète de voir son racket de guerre se terminer. Il tentera tout pour faire dérailler la politique de Trump.
C'est là qu'interviennent les spéculations sur la prétendue opération de séduction de Trump d'une trahison des Russes à l'égard de la Chine. Il est tout à fait possible que Trump n'ait nullement l'intention de manipuler la Russie au détriment de la Chine. Il s'agit plutôt d'une conjuration sans fondement de la part des ennemis politiques de Trump désireux de maintenir la guerre par procuration en Ukraine.
En d'autres termes, ce n'est pas Trump qui tente un “Kissinger inversé”, ce sont ses ennemis au sein de l'État américain.
Si les spéculations médiatisées de la CIA peuvent semer le doute entre la Russie et la Chine, elles contribueraient alors à saboter un engagement productif entre Moscou et l'administration Trump en vue de parvenir à un accord sur l'Ukraine.
https://strategic-culture.su/news/2025/02/28/is-trump-trying-reverse-kissinger-on-russia-china/