👁🗨 Un accord de plaidoyer à la David Hicks pourrait devenir la planche de salut dont Julian Assange a besoin
Les infractions et les irrégularités dans l'affaire Assange sont flagrantes. Il est donc compréhensible de douter de l'affirmation de Kennedy selon laquelle une "résolution" est en vue.
👁🗨 Un accord de plaidoyer à la David Hicks pourrait devenir la planche de salut dont Julian Assange a besoin
Par Paul Gregoire, le 18 août 2023
L'ambassadrice américaine Caroline Kennedy a déclaré lundi au Sydney Morning Herald qu'un accord pourrait être conclu concernant le journaliste australien Julian Assange, détenu dans une prison de haute sécurité au Royaume-Uni à la requête de la Maison Blanche, en isolement prolongé, depuis plus de quatre ans maintenant.
Mme Kennedy a déclaré que puisque le ministère américain de la justice traite l'affaire, "il ne s'agit pas vraiment d'une question diplomatique", mais "une résolution est tout à fait envisageable", bien qu'elle ait pris note des récents propos du secrétaire d'État américain Anthony Blinken concernant le "préjudice très grave" occasionné par le fondateur de WikiLeaks.
Né à Townsville, M. Assange a publié en 2010 des milliers de dossiers militaires américains classifiés concernant les guerres menées par les États-Unis en Irak et en Afghanistan qui lui ont été communiqués par Chelsea Manning, une soldate de l'armée américaine. Après avoir expurgé ces documents, M. Assange a exposé au monde entier les crimes de guerre et les mensonges de l'empire américain.
L'accord potentiel a été comparé à un "accord de plaidoyer à la David Hicks". David Hicks est un Australien détenu par les États-Unis au camp de détention de Guantanamo Bay pendant plus de cinq ans jusqu'en 2007, parce qu'il avait visité un camp d'entraînement d'Al-Qaïda, et notre gouvernement [australien] n'a rien fait pour l'aider.
Selon le frère d'Assange, Gabriel Shipton, le fait que Kennedy ait signalé l'accord signifie que l'administration Biden veut "se débarrasser" du cas de Julian, et, avec pour modèle la solution trouvée pour Hick, ce développement pourrait être de bon augure pour le citoyen australien torturé depuis des années.
Le pacte AUKUS
M. Shipton aurait également expliqué que si l'accord de plaidoyer devait exiger que M. Assange se présente devant un tribunal américain sur le sol américain, il s'agissait d'“une fin de non recevoir", car la santé physique et mentale de son frère s'est détériorée à un point tel que se retrouver aux États-Unis dans n'importe quelle circonstance pourrait s'avérer fatal.
M. Assange a été inculpé de 17 infractions d'espionnage prévues par l’Espionage Act de 1917, ainsi que d'une accusation de piratage informatique, dans le cadre d'un acte d'accusation publié en juin 2020 par le tribunal du district oriental de Virginie, qui, ensemble, sont passibles d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 175 ans.
Non seulement la vie d'Assange est en jeu, mais aussi la liberté de la presse dans le monde, Washington revendiquant de pouvoir passer ses frontières pour arrêter n’importe quel ressortissant étranger sur la base d'accusations forgées de toutes pièces, habituellement applicables aux seuls citoyens américains, pour des actes qui auraient été commis sur le sol étranger.
Le Royaume-Uni a approuvé l'extradition par l'intermédiaire de ses tribunaux, et au niveau politique, l'ancienne ministre de l'intérieur Priti Patel a validé le jugement en juin 2022. Le ministère britannique de l'intérieur envisage d'ailleurs d'adopter des lois britanniques permettant de poursuivre des journalistes étrangers pour avoir publié des informations britanniques classées secrètes.
Pendant les trois premières années de son incarcération au Royaume-Uni, M. Assange n'a bénéficié d'aucun soutien réel de la part du gouvernement australien, le premier ministre de l'époque, Scott Morrison, ayant souligné que natif australien ne bénéficierait d'aucun traitement de faveur de la part de la Coalition.
Depuis son arrivée au pouvoir, le parti travailliste fédéral a soulevé la question à huis clos avec ses homologues américains et britanniques. Mais la question de savoir si le gouvernement Albanese a tenté de le faire libérer de la prison britannique, ou de le rapatrier après la procédure d'extradition n'a pas été tranchée.
Le Premier ministre Anthony Albanese a adopté un discours assez peu convaincant, consistant à dire "Trop, c'est trop" concernant la lenteur de la procédure judiciaire. Toutefois, la ministre des affaires étrangères, Penny Wong, a déclaré à la presse à plusieurs reprises, que son gouvernement avait épuisé tous les moyens à sa disposition dans ce dossier.
La guerre contre le terrorisme
Aux débuts de la guerre contre le terrorisme, l'administration américaine Bush a placé David Hicks, citoyen australien, en détention pour avoir visité un camp d'Al-Qaida en Afghanistan, et le gouvernement de coalition de l'époque, dirigé par John Howard, s'est notoirement rallié à cette décision.
Envoyé à Guantanamo en 2002, Hicks a été l'un des premiers détenus du camp de prisonniers américain. La Maison Blanche, qui, comme à son habitude, fixe les termes de l'ordre international fondé sur des règles, l'a condamné en 2007 pour avoir apporté un soutien matériel au terrorisme, délit institué en 2006.
Malgré les divergences juridiques évidentes concernant l'infraction pénale présumée, M. Hicks a été condamné dans le cadre d'un plaidoyer Alford, ce qui signifie qu'il n'a pas admis sa culpabilité, mais qu'il a reconnu que l'accusation disposait de suffisamment de preuves pour le déclarer coupable.
Le conseiller juridique de la campagne Assange, Greg Barns, a dénoncé à plusieurs reprises la revendication d'extraterritorialité des États-Unis à l'égard du fondateur de WikiLeaks, et a appelé les gouvernements Morrison et Albanese à prendre des mesures plus vigoureuses pour obtenir la libération de l'Australien.
L'avocat a également fait partie des principaux défenseurs de Hicks et a été très critique à l'égard des accusations portées contre lui par les États-Unis, ainsi que de l'attitude de notre gouvernement face à ces accusations. Il a écrit en 2013 que Hicks "était le jouet de la cruauté de la guerre contre le terrorisme", et s'est également demandé si Canberra pouvait être tenu pour responsable de son calvaire.
Après avoir passé des années en détention provisoire dans une installation militaire américaine sur l'île de Cuba, M. Hicks a été autorisé à regagner l'Australie après sa condamnation pour y purger les derniers mois d'une peine de sept ans dans un établissement pénitentiaire de son pays.
En 2012, la cour d'appel des États-Unis a déclaré que la condamnation était illégale en raison de son application rétroactive. En 2015, le gouvernement américain a admis devant le tribunal qu'il savait que M. Hicks était innocent et que sa condamnation n'était pas fondée.
Une solution globale
Les infractions et les irrégularités dans l'affaire Assange sont flagrantes. Il est donc compréhensible de douter de l'affirmation de Kennedy selon laquelle une "résolution" est en vue. Pourtant, après que Hicks a enduré cinq années de torture à Guantanamo, nombreux sont ceux qui doutaient qu'il puisse un jour revoir les terres australiennes.
En ce qui concerne le lieu où devrait se trouver Assange au moment de la négociation d'un accord, Don Rothwell, expert en droit international à l'ANU, a déclaré au SMH que, bien que cela soit inhabituel, un tel accord peut être conclu lorsque la personne faisant l'objet de la procédure ne se trouve pas dans la même juridiction, et ce dans des "circonstances exceptionnelles".
M. Shipton a également suggéré qu'à l'approche des élections américaines de 2024, l'administration Biden ne souhaite pas que l'affaire soit évoquée pendant sa campagne, et M. Barns a clairement indiqué que M. Albanese devrait mettre cette question au centre de ses priorités lorsqu'il se rendra aux États-Unis en octobre.
Un aspect clé de l'accord, pas forcément évident lorsque l'éventualité en a été évoquée est que Julian n'a pas à admettre sa culpabilité, et si une condamnation peut nuire à la liberté de la presse dans le monde, ses modalités alambiquées pourraient servir à faire taire toute forme de dissidence.
* Paul Gregoire est un journaliste et écrivain basé à Sydney. Il est le lauréat du prix 2021 du Conseil des libertés civiles de la Nouvelle-Galles du Sud pour l'excellence dans le journalisme sur les libertés civiles. Avant de rejoindre Sydney Criminal Lawyers®, Paul a écrit pour VICE et a été rédacteur en chef du City Hub de Sydney.