đâđš Un an de terreur Ă Gaza, et nos Ăąmes sont comme suspendues au temps
J'ai trompĂ© la mort, pleurĂ© des amis et perdu mon gagne-pain. Alors que j'Ă©tais sur le point de quitter cette tourmente, IsraĂ«l a verrouillĂ© notre dernier point dâaccĂšs au monde.
đâđš Un an de terreur Ă Gaza, et nos Ăąmes sont comme suspendues au temps
Par Ruwaida Kamal Amer, le 5 octobre 2024
C'est une chose terrible que d'assister Ă l'anĂ©antissement de sa patrie. Quand je pense Ă ce que nous avons vĂ©cu l'annĂ©e derniĂšre, j'ai l'impression que je vais perdre la tĂȘte. C'est un choc que je n'arrive toujours pas Ă absorber. J'essaie de ne pas penser du tout, dans l'espoir de rester sain d'esprit jusqu'Ă la fin.
Les secondes passent comme des heures. Une nuit de ce tourment est dĂ©jĂ difficile. Nos Ăąmes sont suspendues au temps, jusqu'Ă ce que le matin arrive et que nous devons endurer un autre jour. Nous cherchons ce qui pourrait amĂ©liorer notre vie. J'aspire au jour oĂč nous n'entendrons plus le fracas incessant des bombes, des avions de combat et des drones. Le jour oĂč la mort cessera.
Au début, j'avais l'espoir que la guerre se termine en une semaine ou deux, comme par le passé. Elle ne durera pas plus d'un mois, disais-je aux gens. Si nous parvenons à tenir jusque-là , tout ira bien. Je ne sais pas pourquoi j'en étais si sûre. Je croyais sans doute que le monde interviendrait pour mettre fin à cette folie. Douze mois plus tard, nous avons l'impression que le monde a simplement intégré notre souffrance comme un état naturel des choses.
En un instant, ma vie a basculĂ© dans la terreur, quand l'Ă©cole oĂč j'enseignais a Ă©tĂ© dĂ©truite. Plusieurs de mes Ă©lĂšves et collĂšgues ont Ă©tĂ© tuĂ©s, massacrĂ©s avant mĂȘme que j'ai eu le temps de leur dire au revoir. Le cĆur d'un de mes collĂšgues s'est brisĂ©, incapable de supporter tout cela. J'ai perdu le contact avec de nombreux amis.
DĂ©sormais incapable de faire le travail que j'aime, j'ai commencĂ© Ă canaliser toute l'Ă©nergie qui me reste dans l'Ă©criture, en essayant de donner une voix Ă l'expĂ©rience des habitants de Gaza sous l'assaut brutal d'IsraĂ«l. Mais je ne suis pas une Ă©trangĂšre : je suis confrontĂ©e aux mĂȘmes problĂšmes que ceux dont je parle, qu'il s'agisse des dĂ©placements forcĂ©s, du manque de nourriture, d'eau et d'Ă©lectricitĂ©, ou de l'absence de soins de santĂ©.
Les huit premiers mois de la guerre, jusqu'à ce que nous parvenions à acheter un panneau solaire, mon pÚre allait à pied de notre maison dans le quartier d'Al-Fukhari, entre Khan Younis et Rafah, jusqu'à l'hÎpital européen afin de recharger nos téléphones, nos batteries et d'autres équipements. Le manque de nourriture et d'eau est resté un problÚme épineux et coûteux : je ne croyais pas devoir payer 70 dollars pour une semaine d'approvisionnement en eau, ni à devoir transporter de lourds conteneurs avec ma famille juste pour remplir nos réservoirs.
Pour ma mÚre, qui souffre d'une maladie des os et d'une affection neurologique, cette année s'est déroulée dans une souffrance constante. Elle ne peut pas se déplacer sans ses médicaments, que nous cherchons dans tous les hÎpitaux et toutes les pharmacies. Lorsque nous les trouvons, nous en achetons autant que nous pouvons. Mais souvent, nous n'y parvenons pas, alors elle a réduit sa consommation pour faire durer les médicaments. Nous entendons ses gémissements, mais nous sommes impuissants à soulager ses souffrances.
Chaque fois que nous quittons notre maison, nous savons que n'importe lequel d'entre nous peut revenir dans un linceul. Nous savons quâavec les bombardements incessants d'IsraĂ«l, il n'y a plus d'endroit sĂ»r Ă Gaza, mĂȘme chez nous. Mais nous remercions Dieu que notre maison soit encore debout et qu'elle nous offre un certain rĂ©confort.
Ma sĆur n'a pas eu cette chance. En dĂ©cembre, sa maison, dans le camp de rĂ©fugiĂ©s de Khan Younis, a Ă©tĂ© lourdement endommagĂ©e lors de l'invasion terrestre d'IsraĂ«l, et elle est venue vivre avec nous. J'ai essayĂ© de la consoler, mais elle Ă©tait dĂ©vastĂ©e par la perte de sa maison, privĂ©e de l'avenir qu'elle comptait y construire.
S'accrocher Ă son foyer
Je n'oublierai jamais le soir oĂč j'ai Ă©chappĂ© de peu Ă la mort. C'Ă©tait le 16 aoĂ»t et j'Ă©tais seule au deuxiĂšme Ă©tage. Ma mĂšre, mon pĂšre et ma sĆur Ă©taient en bas, et mon frĂšre jouait dans la rue avec ses amis.
J'ai entendu le bruit du missile qui amorçait sa descente et je me suis prĂ©parĂ©e Ă l'explosion pour savoir oĂč courir. Mais je ne m'attendais pas Ă ce qu'il atterrisse si prĂšs, Ă quelques mĂštres seulement de chez nous. Soudain, de la poussiĂšre, des pierres et des Ă©clats de verre ont volĂ© partout. J'ai criĂ© pour que quelqu'un me vienne en aide. Je ne sais toujours pas comment j'ai pu descendre au premier Ă©tage, l'Ă©paisse fumĂ©e m'empĂȘchait de voir quoi que ce soit autour de moi. Mais lorsque j'ai enfin rĂ©ussi Ă sortir, j'ai pris conscience de l'ampleur des dĂ©gĂąts.
La maison des voisins a Ă©tĂ© complĂštement dĂ©truite. Les maisons alentours ont Ă©tĂ© terriblement endommagĂ©es, y compris celle de mon oncle, Ă moitiĂ© dĂ©truite. Notre maison a elle aussi Ă©tĂ© touchĂ©e : des Ă©clats d'obus ont percĂ© un grand trou dans le toit, toutes les fenĂȘtres ont volĂ© en Ă©clats et le rĂ©servoir d'eau est dĂ©truit. Nous avons eu la chance de nous en sortir vivants, mais je souffre encore de contusions dans le dos.
Pour moi, ma maison, c'est la vie. Et tout bien considéré, c'est un miracle que nous vivions encore dans la nÎtre. Mais nous avons été contraints de l'abandonner deux fois lorsque les attaques israéliennes se sont rapprochées, et à chaque fois, nous ne savions pas si nous pourrions y revenir. Cela nous a rappelé les terribles souvenirs de l'année 2000, lorsque j'avais 8 ans et que l'armée israélienne avait rasé notre maison au bulldozer. J'étais terrifiée à l'idée de devoir revivre cette perte douloureuse.
Notre premier déplacement a eu lieu au cours des premiÚres semaines de la guerre, lorsque notre quartier a été soumis à des bombardements intensifs. Nous avons passé une nuit glaciale sur le parking de l'hÎpital européen. Les couloirs intérieurs étaient déjà trop encombrés pour nous accueillir. Je n'ai pas dormi une seconde. J'avais l'impression que ma poitrine était écrasée par un énorme et pesant rocher.
Puis, le matin du 2 juillet, nous avons fui Ă nouveau aprĂšs que l'armĂ©e israĂ©lienne a donnĂ© l'ordre d'Ă©vacuer le quartier. Nous avons rassemblĂ© nos affaires dans un camion et nous sommes dirigĂ©s vers la maison sinistrĂ©e de ma sĆur, que nous avons essayĂ© de rĂ©parer du mieux que nous avons pu. Mais j'avais du mal Ă supporter d'ĂȘtre loin de ma propre maison et, malgrĂ© le danger, je suis revenue au bout de dix jours avec mon pĂšre et mon frĂšre, et ma mĂšre nous a rejoints peu de temps aprĂšs.
Lorsque nous sommes rentrĂ©s chez nous, notre quartier Ă©tait presque vide. Beaucoup de nos voisins ont fui vers Al-Mawasi, la soi-disant âzone humanitaireâ, et ne sont revenus qu'environ deux mois plus tard. Ă plusieurs reprises, lors de l'incursion des forces israĂ©liennes dans la ville, nous avons Ă©tĂ© assiĂ©gĂ©s une semaine ou plus, incapables de nous dĂ©placer librement sans courir le risque d'ĂȘtre abattus.
Au printemps, ma mĂšre et moi avons pris la dĂ©cision de quitter Gaza. Au dĂ©but, elle Ă©tait rĂ©ticente Ă l'idĂ©e de voyager, inquiĂšte de laisser ma sĆur et ses deux enfants. Mais compte tenu de l'absence de traitement pour son Ă©tat de santĂ©, elle a reconnu que c'Ă©tait mieux ainsi.
Notre plan d'Ă©vasion Ă©tait en marche. Nous avons rĂ©ussi Ă nous inscrire auprĂšs d'une agence de voyage pour partir par le point de passage de Rafah, nos bagages Ă©taient prĂȘts et nous attendions simplement que nos noms apparaissent sur la liste de sortie. Dans la nuit du 6 mai, notre heure est enfin arrivĂ©e. L'inimaginable s'est alors produit : le lendemain matin, alors que nous attendions une confirmation de notre dĂ©part pour le jour suivant, l'armĂ©e israĂ©lienne a envahi Rafah. Et la premiĂšre chose qu'elle a faite a Ă©tĂ© d'occuper le checkpoint de Rafah, nous barrant ainsi lâissue vers le monde extĂ©rieur.
Chaque jour, nous attendons la rĂ©ouverture du checkpoint pour ĂȘtre autorisĂ©es Ă partir. Nous rĂȘvons de ce moment. Mais chaque jour qui passe me fait perdre un peu plus espoir pour l'avenir de Gaza.