👁🗨 Un bon pour deux œufs
Nous ne savons pas ce qui se passe dans la ville de Gaza, où nos maisons sont quasi détruites. Nous ne savons pas où en est l'invasion terrestre. Nous ne savons pas si nous pourrons rentrer un jour.
👁🗨 Un bon pour deux œufs
Par Asmaa Habib, le 4 avril 2024
Je m'appelle Asmaa Habib et je suis pharmacienne à Gaza.
Je suis mère de trois enfants. Nous avons été déplacés de force six fois depuis octobre 2023. Partout où nous allons, on nous ordonne d’évacuer.
Être déplacé d'un endroit à l'autre signifie la mort. Les snipers israéliens nous tirent dessus, nous voyons des cadavres le long des routes.
Notre maison dans la ville de Gaza a été lourdement endommagée par une frappe israélienne. En ce moment, nous sommes à Rafah avec la famille de mon frère, et nous vivons sous une tente.
Nous sommes déconnectés et isolés du monde extérieur. Nous souffrons à chaque instant et luttons pour accéder aux produits de première nécessité. Les communications sont si limitées que j'ai à peine pu envoyer ce récit.
Mes enfants et mes neveux souffrent de gastro-entérites et d'autres maladies liées à l'eau contaminée que nous sommes obligés de boire, et aux gaz toxiques libérés par l’explosion des bombes israéliennes.
Il n'y a rien à manger sur les marchés. Notre vie d’avant nous manque. Ma fille Tolay sort tous les matins pour chercher à manger sur les marchés, et de l'eau auprès des gens qui possèdent des puits.
Je dois nourrir mes enfants, mais cela devient de plus en plus compliqué. Nous ne pouvons plus supporter ni accepter cette situation.
Nous sommes épuisés par les bombardements continus, par le manque de sommeil, l'eau contaminée, les maladies, le manque d'hygiène et, surtout, l'inquiétude quant à l'avenir.
Nous ne savons pas ce qui se passe dans la ville de Gaza, où nos maisons sont quasi détruites. Nous ne savons pas où en est l'invasion terrestre. Nous ne savons pas si nous pourrons rentrer un jour.
L'autre matin, la sonnerie de mon téléphone portable m’a réveillée, m'indiquant qu'il y avait un bon alimentaire à récupérer dans une école de l'UNRWA.
Je porte les mêmes vêtements que ceux que j'ai portés ces cinq derniers mois. Ils sont sales et usés.
J'ai fait la queue parmi des centaines de femmes à l'école pour obtenir mon bon, espérant que l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens serait en mesure de soulager la faim de notre famille.
Au bout de cinq heures, j'ai reçu mon bon. Il me permettait d'acheter deux œufs. J'en ai pleuré, et j'ai demandé au travailleur humanitaire ce que j'étais censée faire avec deux œufs. Nous n'avions pas vu d'œufs depuis cinq mois, mais deux œufs ne suffisent pas à nourrir mes filles.
Le cœur brisé, je suis retournée à notre tente, désespérée. En chemin, j'ai rencontré ma tante, âgée de 70 ans. Elle souffrait terriblement. Israël a tué son mari et deux de ses enfants.
Je lui ai donné un de mes œufs.
Sous la tente, nous avons divisé l'œuf en plusieurs petites parts que nous avons partagées. Mais cet œuf n'a servi qu'à le goûter, pas véritablement manger.
Nous nous sommes endormis, en espérant que demain nous pourrons peut-être trouver de quoi apaiser notre faim.
Nous sommes contraints de quitter Gaza. Nous voulons tellement trouver un endroit sûr, et nous espérons pouvoir passer la frontière avec l'Égypte.
Nous avons entendu dire que chaque visa de passage coûte 5 000 dollars par personne. Pour notre petite famille, cela représente 35 000 dollars.
Je n'ai vraiment plus d'espoir pour l'avenir. Nous perdons chaque jour des proches, des amis et des voisins victimes des raids israéliens.
Je veux juste sauver ma famille de ce génocide, lui donner une chance d'échapper à la mort.
* Asmaa Habib vit à Gaza.
https://electronicintifada.net/content/voucher-two-eggs/45571