👁🗨 Un État au rabais, la solution palestinienne de Biden
Trois décennies après le mensonge d'Oslo, ni les États-Unis ni l'Union européenne ne sont en mesure de tenir la promesse d'un État palestinien.
👁🗨 Un État au rabais, la solution palestinienne de Biden
Par Stasa Salacanin, le 29 février 2024
Il est tristement ironique que la question de la création d'un État palestinien - non résolue depuis plus de 75 ans - n'ait refait surface qu'après le bombardement massif de la bande de Gaza par Israël, qui a tué plus de 30 000 civils, en a blessé des dizaines de milliers d'autres et a détruit des pans entiers de l'infrastructure du territoire.
L'historien James Gelvin, de l'université de Californie (UCLA), l'affirme sans ambages :
“Il n'y aurait pas eu de discussion sérieuse sur une solution à deux États sans les événements du 7 octobre. En fait, remettre la question palestinienne sur le devant de la scène politique internationale et ouest-asiatique est l'une des raisons pour lesquelles le Hamas a lancé son opération”.
Comme l'explique Gelvin à The Cradle, le Hamas a déjà remporté plusieurs victoires depuis son opération “Al-Aqsa Flood” :
“La question palestinienne est de nouveau à l'ordre du jour international, il négocie la libération de ses captifs en tant que partenaire égal d'Israël, et il a démontré qu'il était plus efficace que son rival, le Fatah, pour réaliser les objectifs palestiniens.”
La nouvelle “doctrine Biden”
Si la réponse militaire israélienne brutale et sans précédent a effectivement illustré l'urgence d'établir un refuge palestinien, il est impossible d'ignorer que les États occidentaux qui ont soutenu les accords d'Oslo de 1993 - définissant le cadre essentiel de la création d'un État palestinien - ont ensuite si assidûment ignoré et négligé cette responsabilité.
Une hypocrisie bien plus grande émerge du fait que ces puissances occidentales, menées par Washington, ont maintenant décidé de forcer la discussion sur la création d'un État palestinien au milieu du carnage de Gaza, avec un premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, qui y est tristement opposé.
Alors, pourquoi ce débat est-il possible maintenant ? Pourquoi a-t-il été ignoré avant le 7 octobre, voire avant le retour de M. Netanyahu au poste de Premier ministre ?
À la suite d'une énorme pression publique et internationale, le président américain Joe Biden a rouvert la question de la création d'un État palestinien, du moins sur le plan rhétorique. Selon le New York Times, la nouvelle doctrine de la Maison Blanche de Joe Biden
“impliquerait une forme de reconnaissance par les Etats-Unis d'un État palestinien démilitarisé en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, en échange de solides garanties palestiniennes que leurs institutions ne pourraient jamais menacer Israël”.
En outre, le plan du président américain envisage également une normalisation israélo-saoudienne et une position militaire ferme à l'égard de l'Iran et de ses alliés régionaux. Toutefois, de nombreux analystes se sont déjà interrogés sur la viabilité d'un plan ignorant les réalités actuelles du terrain.
Alors que Netanyahou rejette la notion même d'État palestinien, la “doctrine Biden” et son concept de souveraineté limitée d'un État palestinien démilitarisé sont tout simplement humiliants pour les Palestiniens.
Muhannad Ayyash, professeur de sociologie à l'université Mount Royal, observe que les États-Unis ne changent fondamentalement pas d'approche sur la question. En bref, l'administration Biden refuse de préciser ce qu'elle entend par “État palestinien”. Son initiative semble principalement viser à promouvoir une forme de solution à deux États acceptable pour Israël.
Ayyash souligne que les questions clés liées à la création d'un État palestinien restent sans réponse, notamment celles de la souveraineté, des colonies juives, du statut de Jérusalem-Est, d'une nécessaire liaison entre la Cisjordanie et Jérusalem-Est et la bande de Gaza, du droit au retour des Palestiniens, etc.
Israël ayant vigoureusement insisté pour conserver un contrôle de sécurité total sur l'ensemble du territoire situé à l'ouest du Jourdain - c'est-à-dire sur l'ensemble du territoire susceptible de passer sous (auto-)régime palestinien - de nombreux experts craignent qu'Israël ait le droit de pénétrer militairement dans ces territoires à sa guise, sans le consentement des Palestiniens, ces derniers étant privés de rassembler leur propre force militaire.
Cette version du statut d'État n'est pas du tout comparable à celle des autres États membres des Nations unies, qui ont le droit, en vertu de la Charte des Nations unies, d'exercer leur pleine souveraineté et de défendre leur intégrité territoriale. La “solution” Biden d'un État palestinien à souveraineté limitée n'est ni plus ni moins que la légalisation de l'occupation perpétuelle de la Palestine par Israël.
Une Palestine sans État
La reprise du débat sur la création d'un État palestinien est également étroitement liée à un grand dilemme occidental en matière de relations publiques. Le soutien inconditionnel des atlantistes à l'agression militaire illégale et disproportionnée d'Israël contre des populations majoritairement féminines et infantiles a profondément affecté leur image et leur capacité de manœuvre en Asie occidentale et au-delà.
C'est particulièrement vrai pour les objectifs de politique étrangère de Washington dans la région, qui se heurtent à une résistance majeure et directe sur le terrain en Irak, en Syrie et au Yémen.
La renaissance d'une solution à deux États est donc un “acte désespéré pour sauver une part de la crédibilité ou de la légitimité de ces régimes (à la fois arabes et occidentaux)”, affirme le Dr Mohammed Abu-Nimer, professeur et titulaire de la chaire Abdulaziz Said pour la paix et la résolution des conflits à l'American University à Washington, DC.
Pendant des décennies, les États-Unis ont capitulé devant les exigences israéliennes sur à peu près tout ce que Tel-Aviv a toujours réclamé. Ces dernières années, comme le décrit M. Gelvin, les États-Unis se sont principalement attachés à “soudoyer divers gouvernements arabes - les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc, le Soudan - pour qu'ils normalisent leurs relations avec Israël” par le biais des “Accords d'Abraham” qui, en fait, ont retiré la question palestinienne de la table des négociations.
Pendant ce temps, les États arabes géraient les aspirations régionales en continuant d'accorder un intérêt de pure forme aux questions palestiniennes, tout en sabordant toute opportunité en coulisses. Les États arabes n'ayant plus guère d'alliés, les Palestiniens eux-mêmes n'avaient plus aucune carte à faire valoir - jusqu'au 7 octobre.
Aujourd'hui, Israël fait tout ce qu'il peut pour annuler les acquis de cette journée. C'est ce qu'affirme M. Ayyash :
“Netanyahou entend se débarrasser de toute prétention à la création d'un État palestinien et profiter de ce moment pour établir la pleine souveraineté juive israélienne du fleuve à la mer, alors que l'administration Biden privilégie une approche plus discrète qui fait semblant de se soucier des aspirations du peuple palestinien afin de maintenir ses liens étroits avec les régimes arabes de toute la région”.
La solution à deux États, selon le professeur Abu-Nimer, n'est donc rien d'autre qu'une “feuille de vigne” destinée à redorer le blason de l'Occident et ne doit pas être considérée comme une initiative sérieuse des États-Unis. Le projet proposé est “un simulacre et une coquille vide, dépourvu de toute forme sérieuse de souveraineté”.
Nathan Brown, spécialiste américain en droit et politique du Moyen-Orient à l'université George Washington, est largement d'accord :
“Il ne s'agit pas d'un pas vers la création d'un État, mais seulement d'une réactivation de certaines dispositions des accords d'Oslo. Au mieux, cela produirait ce que l'on aurait appelé un 'protectorat' au XIXe siècle, et non un État”.
L’État palestinien n'est pas à l'ordre du jour
Bien que les États-Unis et l'Union européenne puissent exercer une influence considérable sur Israël pour relancer les Accords d'Oslo et accélérer l'application de leurs dispositions, ils ne font pourtant rien de tel.
Aujourd'hui, les alliés occidentaux de Tel-Aviv ont une occasion unique de jouer ce rôle, compte tenu du délitement total de l'image d'Israël dans le monde et de la demande massive de l'opinion publique en faveur de la protection des Palestiniens.
Mais l'administration Biden pense pouvoir ressusciter l'idée de deux États en jouant le rôle de médiateur dans le cadre d'un grand accord régional - un accord qui offrira tout ce qu'Israël veut, en faisant miroiter la promesse d'un État palestinien fictif.
La Maison Blanche pense que la normalisation des relations avec l'Arabie Saoudite compensera pour le gouvernement Netanyahou son revirement sur la question de la création d'un État palestinien et du retrait des territoires palestiniens occupés.
M. Gelvin réfute ce plan, estimant qu'il ne fonctionnera tout simplement pas à bien des égards. Tout d'abord,
“si Netanyahou s'engage à créer un État palestinien et à se retirer des territoires occupés, son gouvernement s'effondrera et il ira en prison”.
Ne vous attendez à rien de spectaculaire non plus de la part de l'Union européenne. Bien que le haut représentant de l'UE pour les relations extérieures, Josep Borrell, ait déclaré qu'un État palestinien pourrait devoir être imposé de l'extérieur sans l'accord d'Israël, la portée et l'étendue de la politique étrangère européenne sont, en réalité, minimes, voire inexistantes. Selon M. Gelvin, “l'UE n'a pas plus d'influence sur Israël que le Costa Rica”.
M. Abu-Nimer se fait probablement l'interprète de la majorité des observateurs régionaux, déjà témoins de ce scénario : ces formules occidentales de création d'un État, imposées par le sommet, ne fonctionnent pas sans un véritable engagement avec la représentation politique palestinienne - en l'occurrence, le Hamas et d'autres organisations de résistance palestinienne.
Trente et un ans après les accords d'Oslo, qui promettaient un État palestinien, Israël procède à un nettoyage ethnique de Gaza et absorbe la Cisjordanie et Jérusalem-Est. Près de cinq mois après le début de l'opération “Al-Aqsa Flood”, la résistance palestinienne dispose à nouveau d'une certaine marge de manœuvre et il est peu probable qu'elle troque ses avancées contre une entité non souveraine que les diplomates qualifient en privé d'“État en moins”.
https://thecradle.co/articles/state-minus-bidens-palestine-solution