👁🗨 Un fantasme d'omnipotence angélique américaine
Les Américains seraient seuls bénéficiaire d'un ADN angélique, défendant ardemment les guerres américaines, légalisant ainsi le meurtre au premier degré pour mieux mettre fin aux misères du monde.

👁🗨 Un fantasme d'omnipotence angélique américaine
Par Bruce Fein, Special to Consortium News, un 23 février 2023
Si vous aimez les contes de fées avec avec dénouements heureux, vous vous pâmerez devant le portrait fictif que fait Robert Kagan, dans Dangerous Nation, de la politique étrangère de l'Amérique depuis ses premiers jours jusqu'à l'aube du 20e siècle, comme une aspiration ou une quête chevaleresque visant à amener Camelot aux quatre coins du globe.
Le récit s'éloigne de la vérité comme la théorie géocentrique de l'univers s'éloigne de la théorie héliocentrique.
Selon Kagan, l'attraction gravitationnelle de la politique étrangère de l'Amérique a toujours été un don plein de désintéressement, et la dernière mesure de dévouement pour apporter aux étrangers un gouvernement autonome éclairé et la prospérité.
L'auteur affirme que les Américains sont les seuls à bénéficier d'un ADN angélique. Ils pleurent comme Niobé en voyant des étrangers gémir sous l'oppression, et défendent avec ardeur l'intervention militaire américaine, c'est-à-dire la légalisation du meurtre au premier degré, pour soulager ou mettre fin à leur misère.
Le Don Quichotte de Cervantès est mis à mal. Les Américains, insinue Kagan, iront directement au paradis sans avoir besoin d'un entretien avec Dieu !
La nature fabuliste de l'histoire de Kagan est soulignée par l'insensibilité dont les Américains faisaient preuve chez eux à l'égard des lynchages, de la suprématie des hommes blancs, de l'asservissement des Amérindiens et du racisme rampant, tout en se comportant comme des fées à l'étranger jusqu'en 1900.
Ce récit est aussi peu crédible que si l'antéchrist de La Case de l'oncle Tom, Simon Legree, s'était porté volontaire pour se battre afin d'émanciper les esclaves à Cuba ou au Brésil.
Kagan est convaincu que les États-Unis n'ont pas encore métamorphosé le monde en paradis parce qu'ils n'apprécient pas suffisamment leur omnipotence, leur omniscience et leur bienveillance en faisant preuve de tous les nobles instincts du cœur humain. (Quelqu'un se serait-il endormi au moment de composer le titre du livre pour donner l'impression contraire ?)
Si Kagan a l'air d'être le porte-voix du complexe militaro-industriel de sécurité qui pèse plusieurs milliards de dollars, et de l'histoire alternative de l'Amérique Über Alles, c'est parce qu'il l'est. La vérité sur les États-Unis et leur politique étrangère est à la fois plus terre à terre et plus prometteuse.
La Constitution des États-Unis, ratifiée en 1788, est l'acte de naissance de la nation. James Madison, père de la Constitution, est le plus grand découvreur de l'histoire - plus grand encore que Copernic, qui a découvert la théorie héliocentrique de l'univers, et plus grand qu'Isaac Newton, qui a découvert la théorie de la gravitation universelle.
Madison a découvert comment faire de la prophétie d'Isaïe de transformer les épées en socs de charrue une réalité pour mettre fin au fléau de la guerre et faire de la neutralité le pilier de la nation. Il a conçu une séparation des pouvoirs qui confie le pouvoir de guerre de l'article I, section 8, clause 11, exclusivement au Congrès, sans l'inciter à l'exercer sauf en cas de légitime défense - le diamant de l'espoir de la Constitution. Aucune autre constitution ne confie le pouvoir de guerre exclusivement au pouvoir législatif.
L'histoire a plus que largement donné raison à Madison. Le Congrès n'a déclaré la guerre que dans cinq conflits en plus de 234 ans, et uniquement lorsqu'il était convaincu (par les tromperies présidentielles de 1846 et 1917) qu'un agresseur étranger avait déjà rompu la paix.
La neutralité dans les conflits étrangers est saluée par la Constitution, car la guerre est la plus grande ennemie de la liberté. Comme l'a noté Cicéron, en temps de guerre, le droit se tait. Tout est subordonné à la sécurité nationale : l'application régulière de la loi, l'égalité de protection, la vie privée, la propriété privée, la liberté d'expression et la liberté de religion. Madison avait prévenu : "Aucune nation ne peut préserver sa liberté dans un état de guerre perpétuel."

Les architectes de la Constitution ont compris que la tenter de faire la guerre pour assouvir une soif inhérente de pouvoir est universelle. Elle ne peut être arrêtée qu'en confiant le pouvoir de guerre exclusivement à la législature - un salon de discussion au tempérament de golden retriever.
Les hommes ne sont pas des anges, soulignait James Madison dans le Fédéraliste 51. Le péché capital est l'ambition insatiable du pouvoir comme emblème de l'estime de soi ou de l'amour propre. Cette soif est un substitut aux âmes philosophiquement vides qui dominent l'espèce. Ses principales gratifications sont hormonales, et non cérébrales, avec le pouvoir en point d'orgue. Comme l'a reconnu l'ancien conseiller à la sécurité nationale et secrétaire d'État Henry Kissinger, "le pouvoir est l'aphrodisiaque ultime".

La guerre pour une paille est la grande tentation de toutes les nations pour l'euphorie psychologique que procure la domination des autres, comme celle d'un maître sur un esclave. La tentation devient irrésistible lorsque le pouvoir de guerre est confié à l'exécutif. Celui-ci est incité à fabriquer des menaces existentielles, c'est-à-dire à transformer des puces en éléphants, pour accroître son pouvoir. Madison a élaboré :
"Dans aucune partie de la Constitution on ne trouve plus de sagesse que dans la clause qui confie la question de la guerre ou de la paix à la législature, et non au département exécutif... La confiance et la tentation seraient trop grandes pour un seul homme : non pas comme la nature peut l'offrir comme le prodige de plusieurs siècles, mais comme on peut s'y attendre dans les successions ordinaires de magistrature. La guerre est en fait la véritable nourrice de l'agrandissement de l'exécutif. En guerre, une force physique doit être créée, et c'est la volonté de l'exécutif qui doit la mener. En guerre, les trésors publics doivent être débloqués, et c'est la main de l'exécutif qui doit les distribuer. C'est à la guerre qu'il faut multiplier les honneurs et les émoluments de la fonction, et c'est le patronage de l'exécutif qui doit les faire fructifier. C'est à la guerre, enfin, que les lauriers doivent être cueillis, et c'est le front de l'exécutif qu'ils doivent ceindre. Les passions les plus fortes, les faiblesses les plus dangereuses de la nature humaine, l'ambition, l'avarice, la vanité, l'amour honorable ou véniel de la gloire, tout cela conspire contre le désir et le devoir de paix."
Les auteurs de la Constitution ont contesté les fantasmes de Jean-Jacques Rousseau sur la perfectibilité de l'homme. Comme l'a dit Thomas Jefferson, "concernant les questions de pouvoir, il ne faut plus entendre parler de confiance en l'homme, mais l’empêcher de commettre des méfaits grâce aux chaînes de la Constitution".
Madison a ajouté : "Faisons en sorte que l'ambition contrecarre l'ambition." Ils étaient imprégnés du Candide de Voltaire, qui parle de cultiver son jardin et d'éviter le désir de Nicholas Bottom, dans le Songe d'une nuit d'été, de jouer tous les rôles dans une pièce.
Le discours d'adieu du président George Washington en dit long sur la neutralité américaine en l'absence de déclaration de guerre du Congrès :
"La grande règle de conduite que nous devons suivre à l'égard des nations étrangères est, en étendant nos relations commerciales, d'avoir avec elles le moins de liens politiques possible. Dans la mesure où nous avons déjà pris des engagements, qu'ils soient remplis avec une parfaite bonne foi. Arrêtons-nous là."
Washington avait déjà reconnu,
"La Constitution confère au Congrès le pouvoir de déclarer la guerre ; par conséquent, aucune expédition offensive d'importance ne peut être entreprise avant qu'ils aient délibéré sur le sujet et autorisé une telle mesure."
Kagan rejette de manière absurde le Discours d'adieu comme une opposition limitée sotto voce à l'Amérique favorisant la France par rapport au Royaume-Uni dans un conflit à l'échelle européenne, au lieu d'une sommation générale à la neutralité. La loi sur la neutralité de 1794 signée par Washington deux ans plus tôt était de portée universelle. Le Discours d'adieu était destiné à vivre pour l'éternité, et non à mourir au terme d'un cycle de discussion.
Le Congrès a autorisé la quasi-guerre avec la France sous John Adams pour protéger les navires américains de la prédation, et non pour conquérir un empire. Le traité de défense avec la France a été annulé par une loi en 1798, et aucun autre traité de défense n'a été ratifié avant l'OTAN en 1949.
L'indépendance des autres nations
Contrairement à Kagan, les États-Unis sont restés fidèles à la politique étrangère de neutralité de la Constitution, renforcée par l'Acte de neutralité, alors que les pères fondateurs restaient politiquement ascendants. Le secrétaire d'État John Quincy Adams s'en est vanté dans un discours au Congrès le 4 juillet 1821,
"Depuis près d'un demi-siècle, elle a, sans exception aucune, respecté l'indépendance des autres nations tout en affirmant et en maintenant la sienne. Elle s'est abstenue de s'immiscer dans les affaires des autres, même lorsque le conflit portait sur des principes auxquels elle s'accroche, comme à la dernière goutte vitale passant dans le cœur."
Les États-Unis ne sont pas intervenus dans les multiples guerres d'insurrection contre l'Espagne et le Portugal en Amérique centrale et du Sud de 1808 à 1826. Lorsque la Grèce a réclamé une aide militaire dans sa guerre d'indépendance de 1821 contre l'Empire ottoman, le député John Randolph, de Virginie, a réprimandé le sénateur Daniel Webster pour avoir exhorté les États-Unis à intervenir pour défendre la liberté dans le monde entier en transgressant "chaque rempart et barrière de la Constitution".
Le membre du Congrès a prêché : "Disons à ces sept millions de Grecs : 'Nous nous sommes défendus, alors que nous n'étions que trois millions, contre une puissance en comparaison de laquelle le Turc n'est qu'un agneau. Allez, et faites de même."
Les États-Unis ont grandi et prospéré tout en se forgeant une politique de neutralité, et en ne s'engageant dans la guerre que lorsqu'elle était déclarée par le Congrès en état de légitime défense - comme lors de la guerre de 1812 pour mettre fin aux enlèvements de marins américains par la Grande-Bretagne à l'échelle industrielle, et aux violations flagrantes des droits des neutres à commercer des biens non-contrefaits avec les belligérants.
La Destinée manifeste a été invoquée dans les années 1840 pour donner naissance à la tromperie selon laquelle les Américains étaient le nouveau peuple élu de Dieu. Ce slogan intellectuellement creux a engendré la guerre américano-mexicaine de 1846-1848, alimentée par un mensonge présidentiel concernant un soldat américain tué sur le sol américain.
Les membres du Congrès John Quincy Adams et Abraham Lincoln ont alors voté contre la guerre. En janvier 1847, la Chambre des représentants, contrôlée par les Whigs, vota à 85 contre 81 la censure du président James K. Polk pour avoir "inutilement et inconstitutionnellement" déclenché la guerre.
Le général de l'Union et futur président U.S. Grant, qui avait servi comme quartier-maître pendant le conflit, a écrit : "J'étais farouchement opposé à cette mesure et, à ce jour, je considère la guerre qui en a résulté comme l'une des plus injustes jamais menées par une nation plus forte contre une nation plus faible".
La destinée manifeste [La destinée manifeste, expression apparue en 1845 pour désigner la forme américaine de l'idéologie calviniste selon laquelle la nation américaine aurait pour mission divine l'expansion de la « civilisation » vers l'Ouest, et à partir du XXᵉ siècle dans le monde entier.] a marqué le début d'une contre-révolution à tempérament contre la politique étrangère de neutralité de la Constitution. Le pouvoir de guerre a été inconstitutionnellement transféré au président par une combinaison d'abdication du Congrès et d'usurpation de l'exécutif, développement célébré par Kagan.
Les résultats ont donné lieu à plus de dystopie que d'utopie. Mais c'est un sujet pour une autre fois.
* Bruce Fein a été procureur général adjoint associé sous le président Reagan et directeur de recherche pour le Joint Congressional Committee on Covert Arms Sales to Iran. Son fil Twitter est @brucefeinesq. Son flux Substack est brucefein.substack.com. Son site Web est www.lawofficesofbrucefein.com
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https://consortiumnews.com/2023/02/23/a-fantasy-of-angelic-us-omnipotence/


