👁🗨 Un héritage colonial brutal, ferment des incendies qui ravagent la France
Le secrétaire des Nations unies a dénoncé les vestiges de mentalité coloniale & de structures néocoloniales en matière de financement, remarque qui aurait pu s'adresser au code de la police française.
👁🗨 Un héritage colonial brutal, ferment des incendies qui ravagent la France
Par Vijay Prashad, le 10 juillet 2023
Le samedi 1er juillet 2023, une foule nombreuse s'est rassemblée à l'intérieur et autour de la mosquée Ibn Badis de Nanterre, en France, où un jeune homme de 17 ans, Nahel M, a été pleuré, puis enterré. Nahel M, d'origine algérienne et tunisienne, a été abattu par un policier lors d'un contrôle routier. Il était clair que le policier n'avait pas agi en état de légitime défense, et qu'il a abattu le jeune homme de sang-froid. Une vague d'indignation a déferlé sur le pays, et des manifestations et émeutes ont éclaté dans toute la France. Le président français Emmanuel Macron a envoyé les forces de sécurité pour endiguer les manifestations, ce qui a attisé la colère des manifestants à l'égard de la police, qui est montée à son paroxysme. L'antipathie à l'égard de la police a été confortée par le langage des syndicats de police (Alliance Police Nationale et UNSA), qui ont qualifié les manifestants de "vermine" et de "hordes sauvages", et ont déclaré qu'"il ne suffit plus d'appeler au calme, il faut l'imposer". Il s'agit d'un acte de guerre de la police française contre la population française originaire des anciennes colonies de la France.
Le président Macron a qualifié le meurtre de Nahel M d'"inexplicable", mais cette réponse n'est guère crédible. Le racisme à l'encontre des personnes d'origine arabe et africaine en France est devenu quasi banal, un phénomène routinier qui ne suscite plus de réactions de la part de l'opinion publique. Lorsque le ministère français de l'intérieur a publié les chiffres des agressions et des meurtres racistes pour l'année 2021, la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) a déclaré que la situation était "alarmante". Sophie Elizéon, chef de la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) a déclaré : "Ce qui est rapporté par les acteurs de terrain, c'est l'exacerbation de [comportements] décomplexés." Dans ce contexte, l'assassinat de Nahel M est tout à fait explicable : il est le résultat d'une toxicité sociale générale à l'égard des minorités, qui s'exprime par l'intermédiaire des forces de police. Il n'est pas étonnant que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme ait déclaré : "C'est maintenant que le pays doit s'attaquer sérieusement aux problèmes profonds du racisme et de la discrimination dans l'application de la loi".
Des racines profondément ancrées dans le colonialisme
La France n'a jamais vraiment assumé son héritage colonial, ni sa mentalité colonialiste. Les colonisateurs français se sont rendus dans les Amériques au XVIe siècle et, cent ans plus tard, ont implanté dans les Caraïbes un certain nombre de colonies de peuplement dont l'économie était fondée sur l'esclavage. Au cœur de l'entreprise coloniale française se trouvait l'île d'Hispaniola, dont la moitié constitue aujourd'hui Haïti, et d'où l'Empire français tirait une grande partie de ses richesses considérables. L'attitude de la France à l'égard de ses colonies et de leur désir de liberté est résumée dans l'histoire d'Haïti. Lorsque la population afro-descendante d'Haïti s'est soulevée dans une grande rébellion en 1791, la France - bouillonnante de sa propre révolution de 1789 - a néanmoins refusé aux Haïtiens leur liberté et s'est battue jusqu'en 1804 pour priver Haïti de son indépendance. Même après la victoire d'Haïti sur les planteurs français, l'État français - avec le soutien total des États-Unis - a forcé le gouvernement haïtien en 1825 à payer une énorme indemnité de 150 millions de francs français, qu'Haïti n'a remboursée qu'en 1947 à la Citibank (qui a racheté la dette après 1888).
La réticence de la France à faire entendre ses propres prétentions universelles (Liberté, Egalité, Fraternité - la phrase de la révolution au coeur de la Constitution de 1958 de la Troisième République) dans les colonies s'est prolongée de 1804 en Haïti jusqu'aux guerres de libération nationale menées par les Français de l'Algérie au Vietnam dans les années 1950 et 1960. Une histoire si peu reluisante qu'elle n'est pas enseignée sans fards aux élèves et étudiants français. Si l'on demande à un étudiant français combien d'Algériens sont morts du fait de la brutalité du régime français pendant la guerre de libération (1954-1962), il aura du mal à citer le chiffre réel, qui dépasse le million ; il ne saura pas non plus que lorsque trente mille Algériens ont défilé à Paris le 17 octobre 1961, la police française a tué au moins une centaine d'entre eux et jeté leurs corps dans la Seine, tout en arrêtant au moins quatorze mille personnes. Il s'agit d'une histoire non reconnue, et une histoire coloniale non reconnue déroute le public français qui est, par conséquent, mal préparé aux infrastructures coloniales qui se sont imposées par le biais des forces de police et la poursuite des aventures coloniales permanentes de la France.
Au cours des six derniers mois, les gouvernements du Burkina Faso et du Mali ont expulsé les troupes françaises. Ils ont fait valoir que l'intervention française de 2013, prétendument contre Al-Qaïda, avait en fait intensifié l'instabilité dans la région et que la France avait en fait soutenu les groupes sécessionnistes contre les gouvernements locaux. Un sentiment anti-français et anti-occidental croissant s'étend de ces pays du Sahel africain vers le nord, jusqu'en Algérie et au Maroc, où le président Macron a été chahuté lors de ses récentes visites. Ce sentiment s'accroît dans la région de l'Afrique du Nord, où les gens voient désormais clairement que les interventions françaises ne sont pas menées au nom du peuple africain, mais dans le strict intérêt de la France. Par exemple, les Français continuent à tenir garnison dans la ville d'Arlit, au Niger, non pas pour des raisons de Mission Civilisatrice, mais pour alimenter les réacteurs nucléaires français. Un tiers des ampoules électriques en France sont alimentées par de l'uranium provenant d'Arlit. Un sentiment général d'hostilité à l'égard de la France se manifeste dans les anciennes colonies du pays, aujourd'hui enflammé par l'assassinat d'un garçon d'origine tunisienne et algérienne.
La dette et le fardeau français
Quelques jours avant l'assassinat de Nahel M, le président Macron a accueilli le Sommet de Paris en vue d'un nouveau pacte financier mondial. L'idée de ce sommet a été lancée par le Premier ministre de la Barbade, Mia Mottley, qui a suggéré que les pays particulièrement vulnérables au changement climatique - principalement les États insulaires de faible altitude - devaient bénéficier d'un accès plus souple aux financements afin de compenser les dangers de la montée des eaux marines. Mme Mottley avait fait valoir que le coût des mesures palliatives (construction de digues), le coût des catastrophes et les frais élevés d'emprunt pour les énergies vertes empêchaient des pays comme la Barbade de se protéger ou d'entreprendre le type de transition nécessaire pour faire face à l'augmentation des catastrophes climatiques. "Ce qui nous attend", a déclaré Mme Mottley, "c'est une transformation absolue, et non une refonte de nos institutions".
Le sommet de Macron sur le Pacte financier était aussi creux que les promesses de réformer la police française ou l'attitude du colonisateur français à l'égard des États africains. Akinwumi Adesina, le directeur de la Banque africaine de développement, a déclaré que "l'Afrique à elle seule perd 7 à 15 milliards de dollars par an à cause du changement climatique, et cela va augmenter jusqu'à... près de 50 milliards de dollars par an d'ici 2040. Le monde doit donc respecter son engagement, celui des pays développés, de verser les 100 milliards de dollars" annoncés par ces derniers. Selon M. Adesina, les obligations découlant des traités et les promesses faites depuis au moins 2009 n'ont pas été respectées. "Il s'agit d'une très faible enveloppe par rapport à l'ampleur du problème, mais le non-respect de cet engagement a créé une crise de confiance dans les pays en développement."
M. Macron et le nouveau président de la Banque mondiale, Ajay Banga, ont prononcé des discours qui auraient pu être prononcés il y a plus de dix ans. Même langage, mêmes promesses éculées. "L'espoir et l'optimisme", a déclaré M. Banga devant un public qui ne partageait ni l'espoir ni l'optimisme. Au moins, M. Macron a mis sur la table des propositions tangibles, telles qu'une taxe mondiale sur le transport maritime, sur l'aviation et sur les riches, afin de collecter 5 milliards de dollars pour un fonds pour les préjudices et les pertes. Il est peu probable que le secteur des entreprises, très influent au sein de l'Organisation maritime internationale (qui s'occupera des taxes sur le transport maritime), autorise une augmentation de la fiscalité dans ce secteur.
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a dénoncé les vestiges de mentalité coloniale et de structures néocoloniales en matière de financement. Les Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du Fonds Monétaire International [Les droits de tirage spéciaux sont un instrument monétaire international créé par le FMI en 1969 pour compléter les réserves officielles existantes des pays membres] sont destinés à atténuer l'impact négatif de la crise de la dette permanente et à fournir aux pays les plus pauvres les financements d'urgence dont ils ont tant besoin. Mais même dans ce cas, a indiqué M. Guterres, l'Union européenne, qui compte 447 millions d'habitants, a reçu 160 milliards de dollars de DTS, tandis que le continent africain, avec une population totale de 1,2 milliard d'habitants, n'a obtenu que 34 milliards de dollars de DTS. "Un citoyen européen a reçu en moyenne près de 13 fois plus qu'un citoyen africain", a souligné M. Guterres. "Tout cela s'est fait dans le respect des règles. Mais regardons les choses en face : ces règles sont devenues profondément immorales." Cette remarque aurait pu s'appliquer au code de la police française.
Cet article a été produit par Globetrotter.
Le dernier livre de Vijay Prashad (avec Noam Chomsky) s'intitule The Withdrawal : Iraq, Libya, Afghanistan and the Fragility of US Power (New Press, août 2022).